Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Printemps 2006 (volume 7, numéro 1)
Marc-André Noël

Le cinéma du futur

Laurence Alfonsi, Le cinéma du futur. Les enjeux des nouvelles technologies de l’image, Laval, L’Harmattan, 2005, 86 p.

1Dans son essai intitulé Le cinéma du futur. Les enjeux des nouvelles technologies de l’image, Laurence Alfonsi tente de déterminer les «futuribles» du cinéma, en proposant un questionnement sur le sens et l’usage du terme «cinéma», son essence en quelque sorte, par un retour sur le cinéma des origines. Revisitant le cinéma spectacle et événement des premiers temps, elle effectue une comparaison avec l’exploitation contemporaine du film en salle, afin d’établir un avenir possible pour le cinéma.

2Un voyage dans le temps qui commande de multiples comparaisons entre le cinéma et ce qui devient, sous le regard d’Alfonsi, des «pseudo-concurrents» du film, soient la télévision, les jeux vidéo, le DVD, etc.

3On suit mal la démarche d’Alfonsi si l’on ne comprend pas très tôt – dès le premier chapitre ! – que l’auteure pratique une approche particulière du film, dite «prospective», qui consiste à déterminer et se faire une idée plus ou moins exacte de l’avenir de cet art. Plus ou moins exacte, cette idée, étant donné que l’on tente d’un seul coup d’établir les «futuribles» de l’art cinématographique, tout en distinguant, parmis eux, un avenir qui semble favorable, idéal, aux yeux de l’auteure. Ainsi, «[…]la prospection est l’art de découvrir les futurs possibles (les ‘futuribles’) parmi lesquels elle distingue et promeut des futurs souhaitables1

4Double tâche que se donne l’auteure, et dont le point de départ repose sur la bonne détermination et définition de l’objet duquel on cherche à déterminer le futur. Sur ce point, Alfonsi est très claire : l’essence du cinéma, c’est la projection en salle, donc le partage collectif d’une expérience esthétique. La phrase de Barthes, placée en exergue, donne le ton : «Je ne puis jamais, parlant cinéma, m’empêcher de penser ‘salle’, plus que ‘film’.» Ainsi, s’il est un aspect du cinéma que l’auteure ne peut s’empêcher d’entrevoir, c’est cette célébration collective à laquelle convie l’expérience cinématographique.

5Cette première définition du cinéma permet à l’auteure de clore, en partie du moins, tout discours qui envisage l’apparition de nouvelles technologies et pratiques telles que la télévision, le jeu vidéo, les systèmes de cinéma maison, etc., comme menaçant l’avenir du cinéma. En effet, il n’y a aucune raison d’envisager le remplacement éventuel du cinéma par ces nouvelles percées technologiques, car aucune de celles-ci ne remplit la même fonction sociologique que le cinéma, qui est de rassembler les gens pour une célébration collective (l’auteure parle même d’un «rite social et festif»(cf. Chap.4)). À cet égard, c’est d’un bon œil que Laurence Alfonsi acceuille, par exemple, l’apparition de centres multiplexes, véritables santuaires érigés à la célébration du septième art, qui confirment l’activité filmique comme «une volonté contemporaine de rédéfinir une sorte d’être-ensemble ou de sentir commun, une communauté festive située au-délà des associations rationnelles2

6Un deuxième point qu’évoque Alfonsi pour distinguer le cinéma des faux ennemis que sont la télévision, le DVD et le jeu vidéo, repose sur la fameuse idée voulant que le futur du septième art réside dans sa capacité à satisfaire le désir d’interactivité toujours grandissant du spectateur, au 21ième siècle. En effet, en concentrant son attention sur les percées en matière d’interactivité, et en considérant le peu de succès du film en salle dans cette sphère d’activité, on serait tenté de pencher en défaveur d’un avenir profitable au cinéma. Contre un spectateur de plus en plus acteur, le cinéma du futur ne pourra rien.

7Pourtant, et Alfonsi insiste sur ce point, dans un salle de cinéma, «les spectateurs semblent peu enclins à intervenir sur le cours d’une histoire. Sans doute», poursuit-elle, «ne sont-ils pas dupes de cette illusion de liberté absolue que véhicule le cinéma intéractif, de ce champ de possibles qui les transforment en public enfantin s’attachant à choisir un scénario fidèle à ses désirs3.» Ce désir d’interactivité qui caractérise ce début de 21ième siècle, serait donc à limiter à l’espace domestique, ou à celui des parcs thématiques. Le cinéma du futur devra miser sur autre chose.

8Afin de peindre le portrait du cinéma du futur, Alfonsi se tourne vers le passé. Et plus particulièrement sur l’aspect fascination et émerveillement du cinéma des premiers temps, associé principalement à la dimension innovatrice, sur le plan technologique, du cinématographe.

9Fascination technologique, soit, mais qui intervient tout de même dans le cadre d’un projet global. Car les innovations techniques de l’ordre du «3D» ou du cinéma 180° ne suffiront pas en elles-mêmes à constituer un futurible attrayant, tant et aussi longtemps qu’elles ne ne mettront pas au service d’un vieux rêve cinématographique : celui du film comme art total. L’auteure entend ici l’avènement d’un cinéma qui ne se contenterait pas simplement d’être intellectuel, mais qui plutôt chercherait à happer entièrement le corps du spectateur. On ne parle pas ici d’un cinéma qui adhérerait totalement au réel, mais bien d’un cinéma qui se donnerait les moyens de le dépasser. Cinéma tactile, odorant, englobant, et qui permettrait une immersion complète du corps du spectateur.

10Une fascination qui prendrait le spectateur totalement, comme l’Arrivée du train en gare de la Ciotat avait soulevé l’émois des quelques curieux amassés dans le salon indien du Grand Café, à Paris, le 28 décembre 1895.

11Le petit ouvrage de Laurence Alfonsi, dont le propos tient véritablement dans une soixantaine de pages – les vingt pages supplémentaires étant consacrées aux détails d’une bibliographie quelque peu excessive –, se compose de huit chapitres, dont on sort quelque peu perplexe. En effet, à qui sont destinés les propos de l’auteure ? Est-ce au chercheur en cinéma, à l’affût d’un point de vue inédit sur l’impact des nouvelles technologies sur l’art cinématographique ? Ou plutôt est-ce au sociologue, intrigué par les transformations que risque de subir l’activité spectatorielle au cours des prochaines décennies ?

12Difficile à dire, car s’il est indéniable que les diverses problématiques abordées dans l’ouvrage illustrent des enjeux importants pour l’avenir du cinéma, leur traitement n’atteint pas toujours le niveau de pertinence auquel nous serions en droit de nous attendre. En effet, l’argumentation de l’auteure se résume bien souvent à la simple présentation générale des enjeux, suivi d’un développement un peu court. Aussi, on a d’avantage l’impression d’avoir affaire à un manifeste pour le cinéma du futur que d’un essai offrant une véritable perspective théorique.

13Les principaux intéressés seront sans doute les travailleurs œuvrant dans le milieu cinématographique, inquiétés par l’avenir du septième art, et qui trouveront dans l’essai de Laurence Alfonsi une suite de propositions et d’avenues. Pour les chercheurs – qu’ils œuvrent dans le domaine littéraire et/ou sociologique – il y a peu d’outils à acquérir de la lecture de cet ouvrage.