Acta fabula
ISSN 2115-8037

2019
Septembre 2019 (volume 20, numéro 7)
titre article
Anne-Laure Rigeade

Quand le dire se (dé)fait : perspectives sur la conférence-performance

Vangelis Athanassopoulos (dir.), Quand le discours se fait geste. Regards croisés sur la conférence-performance, Paris, Les Presses du réel, coll. « Figures », 2018, 176 p., EAN 9782840667087

1Ce volume consacré à la « conférence-performance » dans l’art contemporain semble répondre à une double nécessité : celle, d’abord, faire écho à l’actualité tant de la recherche que de la pratique artistique ; celle, ensuite, de « combler un vide bibliographique » (p. 11) en attendant la parution, notamment, des actes des colloques qui se sont tenus à Rennes, entre l’université et le musée de la danse, en 2013 et en 2017.

2La conférence-performance se trouve définie d’emblée, dans ce volume, par le dialogue qu’elle noue avec la pragmatique de Austin, et son Quand dire, c’est faire. Le titre Quand le discours se fait geste, d’abord, témoigne de cette filiation ; l’introduction, ensuite, justifie la référence au théoricien des actes de langage par un parallèle entre le déplacement, dans les énoncés désignés comme « performatifs », de la dimension référentielle du langage à sa dimension efficace, et le déplacement opéré par la « conférence-performance » en art contemporain. La « performance » altère en effet le pur didactisme de la conférence, et questionne donc sa valeur référentielle, en faisant porter l’attention sur les gestes, les accessoires, les décors qui l’entourent. Si Austin avait exclu l’art de sa théorie, au motif que la performativité n’est pas employée sérieusement dans une œuvre d’art, la conférence-performance conduirait à nuancer ce jugement car elle contraint de fait à repenser l’articulation du dire et du faire, par cette attention qu’elle suscite au faire qui accompagne, contredit ou simplement dialogue avec le dire. En retour, ces dispositifs questionnent donc la manière dont le dire et le faire s’articulent dans un contexte sérieux, et modifient les conditions d’appréhension du discours et de la prise de parole dans le réel. En cela, la conférence-performance est bien une « interrogation sur l’aspect cognitif de l’art contemporain » (p. 15).

3Les articles réunis par l’historien de l’art Vangelis Athanassopoulos dans Quand le discours se fait geste développent cette interrogation sur les effets de la conférence performance, à travers trois entrées, que je déploierai successivement : une entrée historique, une entrée théorique et une entrée politique.

Un geste à resituer dans l’histoire de l’art & des formes

4Les conférences-performances s’inscrivent d’abord dans le prolongement des conférences d’artistes dont Matthieu Saladin, dans « De face, de dos, de biais, de biais : les conférences-performances de John Cage » (p. 55-72), rappelle qu’elles constituent un moyen de subsistance pour les artistes. Ainsi, au début des années 1930, John Cage a besoin d’argent et organise donc des séances sur l’art moderne pour femmes au foyer, avant de donner des conférences, comme « Musique expérimentale », visant à expliquer sa démarche et sa conception de la musique, puis d’aller, à partir des années 1950, vers des formes de plus en plus expérimentales pour faire ressentir l’effet de sa musique à ses auditeurs, et non plus le leur faire seulement comprendre. Au-delà des seules conditions matérielles, Anaël Lejeune, dans « L’artiste en historien de l’art : la conférence-performance aux États-Unis dans les années 1960 » (p. 19-45), insiste sur une donnée sociologique plus spécifique qui a favorisé l’émergence de la conférence-performance. L’artiste devient « producteur d’un discours » (p. 20), dans le triple contexte du développement de la figure de l’artiste intellectuel, de l’accès généralisé à une formation universitaire théorique, et d’un désir des avant-gardes d’accompagner l’œuvre d’un discours sur l’œuvre. L’œuvre déploie ainsi un dialogue ouvert avec le discours théorique des historiens de l’art : ainsi, Robert Morris, dans « 21.3 », créé en 1964 à New York, répond à « Iconography and Iconology » de Panofksy, en faisant réentendre ce texte dans le cadre d’une performance qui le déplace. En effet, contre la conception panofskienne selon laquelle l’histoire de l’art obéit à des critères exclusivement thématiques, l’œuvre de Morris affirme, sous l’influence de Kubler et de son Shape of Time (1962), que l’histoire de l’art est scandée par le retour de problèmes formels formant système. Dans le prolongement de cette histoire marquée par le structuralisme, « 21.3 » joue d’effets de désynchronisation et de décalage entre la voix et la gestuelle qui affirment l’expressivité formelle contre le contenu du discours.

5À cette donnée sociologique, s’ajoute, selon A. Lejeune, une seconde donnée historique, liée à l’histoire de l’art, à savoir, d’une part, le développement d’une critique formaliste moderniste définissant l’art comme animé par un mouvement autocritique le conduisant à explorer les propriétés de son médium, et, d’autre part, l’émergence de la performance comme forme artistique, des happenings de A. Kaprow aux « événements » de Fluxus de Brecht ou au ready-made de John Cage, par exemple, dans la danse. Gilles Amalvi, dans « Un musée qui parle » (p. 75-97), revient en particulier sur la place centrale de la danse dans cette histoire des formes. Il ne revient pas seulement sur l’histoire de l’émergence de la parole dans la danse, dans laquelle « Accumulation with Talking » de Trisha Brown a marqué un tournant : le danseur sort alors de son silence d’objet de regard pour se mettre à parler, en sujet, depuis son mouvement. G. Amalvi va aussi beaucoup plus loin : il repart, en effet, de « l’hypothèse « processuelle » » (p. 78) de Valéry qui fait de la danse la « métaphore de “l’art comme action” », la métaphore de l’œuvre non plus comme résultat mais comme « réalisation ». Or c’est bien parce qu’elle apparaît comme une « forme générique de la création » (p. 95) que la danse a pu permettre à la modernité artistique de repenser tant l’œuvre que l’institution qui l’accueille. Ainsi « Expo zéro », créée les 19 et 20 septembre 2009 de 11h à 19h à Rennes par Boris Charmatz, non seulement constitue un happening collectif à caractère réflexif, les danseurs doublant leurs gestes d’une explication sur leur mouvement, mais aussi interroge le cadre muséal que le seul geste prétend instaurer : « Je me suis dit qu’il suffisait qu’un danseur danse pour faire le Musée de la danse. Il travaillerait simplement de 11h à 19h. Il suffirait qu’il y ait un espace avec un danseur en train de s’échauffer » (B. Charmatz, cité p. 81). C’est donc la notion même de musée qui devient problématique, et non plus seulement le statut de la création, ou de ce qu’il est convenu d’appeler « œuvre ». Si la danse se confronte de manière particulièrement aiguë à cette question de la conservation, de l’archivage et de l’exposition des œuvres dansées, le musée de la danse de B. Charmatz porte au plus loin ce questionnement, opposant à la logique instituante de l’institution celle du projet infini, infiniment ouvert parce qu’infiniment critique, au point d’interroger sur sa possible pérennité. Mais, ce faisant, c’est à la fois toute œuvre et toute institution muséale qui se trouvent interrogées et remises en question.

La conférence performance, un genre ?

6La place singulière de la conférence-performance dans l’histoire des formes, qui la situe du côté de la forme-non forme qui dissout toute forme, pose la question de son statut. V. Athanassopoulos, dans « Le corps du texte : la conférence-performance entre la pratique expérimentale et le genre artistique » (p. 113-128) interroge cette possibilité de la considérer comme un « genre […] autonome » (p. 114), dont les traits définitoires renverraient à sa dimension didactique. En réalité, voir dans l’émergence de la conférence performance le signe d’un « tournant éducatif » (p. 114) dans l’art tend à gommer sa force critique : l’irruption du discours dans l’art, dans les années 1970, puis le retour du discours dans les années 2000 n’est pas synonyme d’un désir d’imposer un message ou une interprétation de l’œuvre par l’œuvre, mais bien de mettre en défaite le sens en sollicitant tous les sens, l’auditif autant que le visuel. En d’autres termes, la conférence-performance désigne moins un genre spécifique que la rencontre entre les arts dans l’histoire de leur développement interne — l’irruption du théâtre dans les arts visuels ou de la peinture dans le langage théâtral, cette rencontre conduisant à autant de reconfigurations internes de chacun des arts. Non seulement la conférence-performance « résiste à la catégorisation » (p. 118), mais la performance contemporaine expose « la nature fondamentalement problématique de la connaissance » (p. 128), du geste par lequel l’histoire de l’art connaît et décrit l’art, à savoir, notamment, par la création de catégories génériques.

7C’est également ce que signifie Jean-Philippe Antoine dans « Un art exemplaire : la conférence-performance » (p. 99-112), en insistant sur le fait que la conférence-performance ne se définit que par différenciation d’avec la conférence, dont elle mine l’autorité. Il part d’un parallèle entre la définition de l’œuvre dans « Joséphine cantatrice des souris », la nouvelle de Kafka, et la conférence-performance : si le chant de Joséphine est décrit comme une noix qu’on casse, il est perçu rétrospectivement comme geste artistique. De la même manière, la conférence-performance part du geste ordinaire de la conférence pour multiplier le « frottis de petites différences », qui, introduisant une distance critique avec un rituel social habituellement non interrogé, permet de mettre en place une « logique d’appropriation » (p. 105). L’appropriation consiste à reconnaître l’unicité de l’œuvre d’art derrière le voile de banalité de la conférence, c’est-à-dire à identifier les écarts qui la séparent du discours ordinaire.

8Autrement dit, la spécificité de la conférence-performance se confond moins avec un ensemble de traits génériques qu’avec l’impossibilité non seulement d’en dégager mais de soumettre l’ensemble des conférences-performances à cette logique du genre. Elle se définit, donc, par l’impossibilité de se définir, si ce n’est comme écart ou par ses « différences », geste critique dissolvant toute affirmation de savoir. En cela, la réflexivité qu’elle déploie s’écarte de la position moderniste. La réflexivité du modernisme s’imposait, en effet, sous une forme affirmative, et pleine de la prétention universalisante d’un savoir positiviste. Comme le conclut l’artiste et universitaire Éric Valette, dans « La conférence-performance, une forme artistique du glissement » (p. 157-170), le succès de la conférence-performance est le symptôme d’une remise en question du caractère surplombant du savoir et des sciences humaines, que le modernisme adoptait pleinement :

La construction d’une conduite artistique moderniste, à partir du modèle scientifique du laboratoire, marquait l’assurance d’aller dans le bon sens, celui du progrès, où les résultats ont une prétention universelle. Aujourd’hui, une pratique artistique qui emprunte le modèle de la conférence scientifique revendique certes une posture de chercheur, mais un chercheur fragile, subjectif, dans le doute. Plutôt que la science comme pensée et méthode, c’est le ou la scientifique qui est adopté(e) comme paradigme. (p. 170)

9L’expérience de la recherche à la fois artistique et théorique menée par É. Valette dans le cadre des Suspended Spaces l’illustre bien : cette série d’expositions présentées à Amiens et réalisées à partir de la ville fantôme de Famagouste à Chypre semblait, pour É. Valette, exiger un travail de contextualisation de la situation chypriote à destination d’un public peu averti de ces questions géopolitiques. Or s’il doit renoncer à la plaquette d’explications historiques envisagée en raison de l’impossibilité à trouver un discours neutre acceptable pour les Chypriotes comme pour les Grecs, É. Valette adopte la forme de la conférence-performance lorsque le projet est repris au centre Pompidou. Pour émettre un discours qui ne résonne pas comme un discours de savoir, il intervient en son nom comme artiste, limite au maximum l’usage des mots au profit de l’image, au profit d’un dessin suivant les courbes de la subjectivité, et, enfin, raconte l’histoire entière de l’île de Chypre, et non pas seulement l’épisode des guerres. Ajouter « performance » à « conférence », et décaler comme il le fait le propos par le visuel, constituaient alors une manière d’inviter le public à ne pas croire, à ne pas être dupe de la rigueur apparente, à introduire un doute. Par là, c’est tout discours de savoir, y compris celui portant sur la conférence-performance, qui se trouve défait d’avance.

10C’est donc de cette puissance critique intrinsèque à la conférence-performance qu’il s’agit de repartir pour en mesurer pleinement les effets.

Puissance critique de la conférence-performance

11En premier lieu, cette puissance critique de dilution de toute fixité affecte l’œuvre et son statut, comme cela a été évoqué dans les exemples déployés plus haut, mais affecte aussi sa réception. L’entre-deux dans lequel la conférence performance se situe explique la modalité spécifique de sa réception et le fait qu’elle puisse échouer : l’écart, sur lequel repose l’unicité de la conférence-performance, peut ou peut ne pas être perçu. J.‑Ph. Antoine, dans le post-scriptum ajouté à son texte de 2009 initialement écrit pour le Nouveau Festival à Beaubourg, à la fin de « Un art exemplaire : la conférence-performance » (p. 99-112), compare deux réceptions face à deux types de publics et dans deux cadres bien distincts d’une même conférence-performance par lui-même et Leif Elggren, « Moule, Muse, méduse. Conférence engloutie ». Présentée en 2006 dans le cadre d’une programmation annuelle de conférences et débats traditionnels, elle est reçue par un public frappé par les écarts avec les codes de la conférence. En 2009, la même conférence est prononcée face à un public averti d’amateurs d’art contemporain, dans le cadre d’une programmation de conférences-performances annoncées comme telles. Le public réagit alors à peine, ne percevant aucune transgression et trouvant même un peu tiède la performance proposée au regard de ce à quoi l’art contemporain. Cette différence radicale de réceptions met bien en évidence la fragilité de la reconnaissance de l’œuvre comme œuvre et dans sa singularité. Lorsque la réception de l’œuvre a lieu, sa puissance critique se déplace de la perception de son caractère artistique au medium qu’elle emprunte, le langage. Comme le souligne Matthieu Saladin, dans « De face, de dos, de biais, de biais : les conférence-performance de John Cage » (p. 55-72), l’écriture de Cage, entre partition musicale et discours, affirme un désir de rompre avec la communication et de « musicaliser le langage » (p. 66) pour s’ouvrir à la multiplicité de sens possibles afin que son propre rapport au sens s’émancipe. L’écriture cagienne est en effet affecté d’une « fonction éthopoïétique », visant la transformation de soi : « le langage contrôle notre pensée, et si nous changeons notre langage, il est vraisemblable que notre pensée changera » (Cage, cité p. 71). La puissance critique de la conférence-performance tient au questionnement auquel elle soumet le langage dans ce qu’il dit du monde.

12Cette puissance critique dont est porteuse la conférence-performance explique aussi son impossible institutionnalisation, dans l’espace du musée, comme a pu le montrer G. Amalvi, mais aussi dans l’espace du discours de l’historien de l’art. En deuxième lieu, donc, la puissance critique de la conférence-performance atteint le discours historique et théorique sur l’art. Le discours théorique, d’abord, est empêché comme l’a montré V. Athanassopoulos, dans « Le corps du texte : la conférence-performance entre la pratique expérimentale et le genre artistique » (p. 113-128) : la conférence-performance résiste à toute forme de catégorisation, et met même en question tout discours de savoir. Cette posture de savoir est également directement interrogée à travers les figures mêmes de médiateurs, conférenciers ou guides, comme Andrea Fraser qui, dans Museum Highlights, propose une visite incongrue du musée de Philadelphie dans une performance de 1989 (p. 139). Le discours historique, ensuite, est réexaminé de trois façons. D’abord, l’histoire de l’art peut rendre compte des conditions d’émergence de la conférence-performance, rappelées par A. Lejeune. Ensuite, l’histoire de l’art est convoquée dans l’œuvre même qui peut dialoguer avec elle, comme l’a montré A. Lejeune, dans « L’artiste en historien de l’art : la conférence-performance aux États-Unis dans les années 1960 », en rappelant par exemple comment Robert Morris dans « 21.3 » jouait Kubler contre Panofksy. Enfin, la conférence performance ouvre la possibilité d’une autre histoire de l’art, qui ne serait ni celle, sociologique, des artistes, ni celle de l’histoire des formes, mais celle une « histoire de l’art qui se fait quand elle se dit » (p. 47), comme le propose Vassilis Salpistis dans « Comme par magie (l’histoire émancipée) » (p. 47-53). Cette « histoire émancipée » considèrerait que ce sont moins les œuvres qui font date que les narrations qui leur ont donné naissance, le discours qui les entoure et les précède ou les accompagne, les manifestes et autres prises de positions ouvertes.

13Enfin, la puissance critique de la conférence-performance permet de questionner l’identité collective que l’œuvre façonne. Cette identité collective prend deux visages dans les articles rassemblés dans le volume, celui du féminin, dans l’article d’Anne Creissels, et celui de la communauté politique, dans l’article d’É. Valette déjà évoqué, ou dans celui de Guillaume Désange. A. Creissels, dans « Oratrices de l’indicible : le geste privé de la parole » (p. 131-148), pose la question des enjeux propres à la prise de parole des femmes à travers la performance. Elle commence par relire le mythe de Procné comme mise en scène du potentiel de violence meurtrière de la parole : Térée coupe la langue de Philomèle pour l’empêcher de révéler à sa sœur Procné qu’il l’a violée, mais en retour cette parole étouffée se retourne en violence qui se décharge contre Térée. À l’inverse de cette parole réprimée, toute prise de parole par les femmes artistes apparaît comme une possibilité d’empowerment. A. Creissels en développe cinq modalités, illustrées par des démarches d’artistes. Ainsi, dans une de ses « femmeusesactions », Cécile Proust met en scène Laurence Louppe, théoricienne de la danse, qui rampe jusqu’à la table de conférence, s’y installe après un parcours du combattant et dit : « J’ai enfin accédé au discours ». Ainsi encore, Françoise Janicot, dans « encoconnage » (1972), s’entoure la tête et le corps de corde, tout en disant un texte de Bernard Heidsieck, son compagnon. Le cocon de l’encoconnage renvoie autant au conditionnement, à l’effacement consenti, qu’au lien, à ce qui relie celui qui parle et celui qui écoute. Ces deux démarches interrogent le dispositif de transmission du savoir sur un mode critique : dans le premier exemple, la position d’ignorance constitue une possibilité de se libérer de l’emprise d’une forme d’autorité associée au savoir ; dans le deuxième exemple, l’enfermement et la contrainte sont des formes de mises à distance et de délivrance grâce à la réappropriation rendue possible par cette mise à distance. C’est en cela que les figures d’artistes femmes apparaissent comme des Sibylles mythiques, porteuses d’un rapport au savoir qui loin d’être stable s’impose sur un mode interrogatif. De son côté, G. Désange, dans « Performer le document : nouvelles théâtralités politiques » (p. 149-156), montre, à travers trois exemples, comment la conférence-performance met en question la limite du document et de l’archive lorsqu’elle interroge la construction d’une communauté. Ainsi, Éric Baudelaire, dans « The Secession Sessions » (2014), organise une figuration théâtralisée qui pose la question de ce qu’est un État : l’« anambassadeur » de l’Abkhazie, un micro-État né d’une guerre de Sécession en Géorgie en 1992-1993 mais non reconnu par l’ONU, joué par un ancien ministre des affaires étrangères d’Abkhazie et ami de l’artiste, reçoit les visiteurs pour des discussions informelles. C’est tout le jeu diplomatique, dans tous les sens du mot « jeu », qui est ici convoqué, et rendu problématique de part en part.


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14L’apport de ce volume consacré à la conférence-performance est donc triple : d’abord, il établit les conditions historiques de son apparition, sa généalogie formelle, et montre de quelle manière elle interroge l’écriture de l’histoire de l’art, autant qu’elle y contribue. Ensuite, ce volume entreprend une définition, ou plutôt une réflexion sur les conditions de possibilité de définition de la conférence performance : dans quelle mesure peut-on la définir ? La question est à entendre d’au moins deux manières : dans quelle mesure est-il possible de la définir ? Dans quelle mesure en a-t-on la légitimité ? Enfin, ce volume montre comment la conférence-performance s’inscrit dans l’espace public de la représentation politique. La conférence performance plaçant le dispositif de la « représentation » au sens de « parler pour » au cœur de la création, elle revêt une dimension politique, que celle-ci touche à une communauté définie par la nation ou encore par le genre.