Acta fabula
ISSN 2115-8037

2002
Automne 2002 (volume 3, numéro 2)
titre article
Enric Sullà

Le clos et l’ouvert

Sophie Rabau, L’Intertextualité, Paris, Flammarion, coll. « GF‑Corpus/Lettres », 2001, 254 p., EAN 9782080730596.

1(Compte rendu original traduit du catalan par Marc Escola ; version originale en catalan ci-dessous)


***

2Après L’Auteur (A. Brunn), La Fiction (C. Montalbetti), La Mimèsis (A. Gefen), la collection GF‑Corpus/Lettres, qui vise à constituer un répertoire d’anthologies sur les principales questions de la théorie littéraire, accueille un nouveau volume consacré à l’intertextualité – une copieuse anthologie de textes commentés et annotés, précédée d’une introduction d’une quarantaine de pages qui élabore une problématique et suivie d’un « vade‑mecum » sur les notions corrélées (« imitation », « hypertextualité », « plagiat », etc.), ainsi que d’une bibliographie sélective très bien choisie où les titres retenus font encore l’objet d’un bref commentaire.

3Présenté par Sophie Rabau, l’ouvrage offre un panorama de l’intimidante production théorique et critique suscitée par une notion apparue en 1969, en mettant notamment en relation les travaux fondateurs et les synthèses les plus récentes comme celles de N. Piégay‑Gros (Introduction à l’intertextualité, Dunod, 1996) ou Tiphaine Somoyault (L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, Nathan, 2001). Le propos ne se cantonne cependant pas à explorer les différentes acceptions d’un terme trop souvent galvaudé – et qu’on serait tenté de verser parmi les essentially contested concepts qui peuplent la théorie de la littérature : le panorama est pour S. Rabau l’occasion de formuler des propositions neuves et stimulantes, tout à la fois polémiques et rigoureuses.

4Sans s’assujettir trop vite aux prestigieuses taxinomies d’un Gérard Genette et du premier Compagnon, ou aux minutieuses lectures de Riffaterre, S. Rabau retrace d’abord les circonstances exactes de l’apparition du terme, introduit par J. Kristeva pour présenter au public français les thèses de Bakhtine, et propose cette explication (p. 15 & 22) du succès rencontré par le terme dès le début des années 1970 auprès des structuralistes : si la notion d’intertextualité est si souvent convoquée pour définir la littérarité, c’est qu’elle permet « d’élargir la notion de texte clos, de penser l’extériorité du texte sans renoncer à la clôture du texte ». L’intertextualité doit peut‑être en effet son exceptionnel succès critique au fait que la notion autorise à « déplacer » la capacité référentielle du texte vers sa relation avec d’autres textes, en préservant ainsi l’idée d’une radicale autonomie du texte tant à l’égard du monde que de son auteur.

5S. Rabau peut cependant montrer – c’est le projet qui anime l’ensemble de l’introduction et une bonne part des choix qui ont présidé à l’établissement de l’anthologie – que l’intertextualité, en réalité, « pose plus qu’elle ne l’élimine, la question de l’auteur et du monde »(27) . Rabau est sans doute fondée à affirmer que, en fin de compte, on ne peut se passer de l’auteur, mais dès lors qu’elle pose que l’identité du texte « réside aussi dans un lien complexe à son créateur » (28), on serait en droit d’attendre plus de précision sur la « complexité » alléguée. En revanche, on trouvera particulièrement éclairantes les analyses sur le parallélisme, ou plus exactement la corrélation inverse entre « l’avènement de la notion d’intertextualité et l’évolution de la notion d’originalité au xxe siècle » (30).

6Pour montrer ensuite que la notion d’intertextualité n’invalide pas la question de la référence, que « se référer à un autre texte, c’est encore se référer au monde », S. Rabau dresse une table « d’équivalences » entre la littérature et le monde comme entre deux entités qui ne sont pas « absolument séparées ». La première, « directe et littérale », stipule que le monde est fait de livres et de bibliothèques, que « la lecture est un des modes d’appréhension du réel » ; la seconde, plus métaphorique, envisage « le monde comme un livre » que l’ont peut déchiffrer ; la troisième équivalence est indirecte, qui postule que notre perception du monde est médiatisée par la littérature et qu’inversement « notre appréhension d’un univers littéraire est filtrée par notre expérience du réel ». Si l’on peut s’accorder à reconnaître avec S. Rabau que l’intertextualité est « un flux entre le réel et le livre davantage qu’une fuite du réel dans le livre », on regrettera de s’arrêter avec elle au seul constat qu’il est « très difficile de séparer la référence textuelle de la référence au monde » (32) : la distinction est précisément de celles qui devraient fonder le concept d’intertextualité, et s’avérer en retour des plus fécondes pour aborder les questions tellement complexes de la mimèsis ou de la fiction.

7Un des aspects les plus intéressants de l’analyse de S. Rabau tient dans l’affirmation que, si le sens circule entre les textes et s’il est le résultat d’une interaction, l’intertextualité suppose un « déplacement » de l’interprétation littéraire : il conviendrait d’interpréter tout texte en fonction du réseau de textes dans lequel il s’insère, sans recourir donc aux causes externes (l’auteur ou le monde), mais sans faire davantage appel à la succession chronologique (les sources et influences). S. Rabau peut dès lors définir l’intertextualité comme une herméneutique « qui se passe de l’idée d’écoulement temporel » (34), formulation qui heurte de front la tradition issue de Gadamer et Jauss, et plus largement, l’histoire de la littérature elle‑même. La définition est à entendre comme un défi herméneutique, dans la mesure où l’intertextualité est l’œuvre d’un interprète autant que d’un auteur, que reprendre un texte, c’est bien souvent le commenter ou le refaire.

8Une subtile analyse de la dimension temporelle des textes permet ensuite à S. Rabau d’offrir une alternative à l’étude traditionnelle des sources et des influences, fondée non sur le temps mais sur l’espace – proposition qui substitue à la métaphore de la source celle de la bibliothèque, parce que l’espace « permet toutes les trajectoires que l’intertextualité invite à multiplier » (44). S. Rabau propose donc une critique « spatiale » qui tiendrait compte de « l’influence rétrospective » des œuvres, parce qu’un texte « est porteur de son passé qu’il détermine plus qu’il n’est déterminé par lui ; inversement un texte est porteur de son future qu’il contient en puissance sinon en acte : la trace est trace du futur plus que du passé » (37). La tâche de la critique consisterait ainsi à étudier les changements que chaque œuvre imposent non seulement aux autres textes de la bibliothèque mais aussi à l’ensemble (une référence à Eliot aurait été ici bienvenue).

9Cette critique « inventerait des trajets entre les œuvres au lieu d’en faire le simple constat historique », trajets qui resteraient « prudents » en compensant l’abandon de la chronologie par la description d’identités formelles et thématiques « fortes » (en apaisant peut être des possibles réactions contraires).

10Finalement, cette critique, atemporelle, aurait à examiner « les possibles contenus dans chaque texte », à annoncer « les nouveaux textes dont il [est] porteur en puissance. » (45).

11Programme stimulant et d’une indiscutable valeur pratique que cette critique qui cherche à parcourir la bibliothèque dans tous les sens ; à inventer, en les multipliant, les itinéraires possibles entre les textes ; à créer des liens nouveaux entre les textes – une critique qui voudrait permettre de nouvelles œuvres, de nouvelles possibilités d’écriture, autant que des sens neufs et de nouvelles connexions révélatrices entre les textes. On peut rêver aux cases vides qui se trouveront ainsi remplies de textes possibles, mais sortirons-nous jamais de la bibliothèque s’il nous faut lire aussi entre les textes ? Entre quels textes d’ailleurs ?

12Que l’étude introductive d’une anthologie puisse susciter tant de questions, et de cette importance, est un signe suffisant de l’ambition théorique de S. Rabau, de sa capacité à systématiser et à lancer des propositions programmatiques. Saluons encore la clarté de la rédaction, la rigueur de l’argumentation et le recours fréquent à des exemples.

13L’Intertextualité devrait s’imposer très vite comme un ouvrage de référence – et telle était sans doute son ambition – mais une synthèse magistrale.


***

14(Version originale en catalan)


***

15Després de L’Auteur (A. Brunn), La Fiction (C. Montalbetti), La Mimèsis (A. Gefen), la collecció GF‑Corpus, que pretén constituir un repertori d’antologies dels problemes més importants de la teoria de la literatura, presenta un nou volum dedicat a la intertextualitat : una introducció d’unes quaranta pàgines situa la problemàtica ; una generosa antologia de textos anotats i comentats amplia i documenta la introducció; un breu glossari dels termes més importants precisa i matisa encara més la matèria tractada; i una bibliografia seleccionada molt ben triada i comentada.

16A cura de Sophie Rabau l’obra presenta un panorama de la ingent bibliografia teòrica i crítica publicada de 1969 ençà, amb el repte de ferse un lloc entre les obras fundacionals i les síntesis més recents com les de N. Piégay‑Gross (1996) o de T. Samoyault (2001). No era una empresa fàcil i cal dir que S. Rabau no s’ha limitat a colleccionar les diverses acepcions d’un terme usat fins a la trivialitat ; un terme que es podria afegir als essentially contested concepts que poblen la teoria de la literatura; el panorama ha servit a S. Rabau per fer una proposta personal, innovadora i estimulant, tan polèmica com rigorosa en l’argumentació.

17Sense limitarse a les prestigioses taxonomies d’un Genette o del primer Compagnon, o a les minucioses lectures de Riffaterre, Rabau reconstrueix, abans que res, el context històric en què va prendre cos el concepte, encunyat per J. Kristeva el 1969 adaptant les idees de M. Baxtin. L’estructuralisme va usar la intertextualitat per definir la literatura (15, 22) ja que li permetia « d’élargir la notion de texte clos, de penser l’extériorité du texte sans renoncer à la clôture » (23). La intertextualitat deu segurament la seva extraordinària repercussió teòrica i crítica a la facilitat amb què « desplaça » la referència del text del món cap a la seva relació amb altres textos, operació amb què atribueix una autonomia radical al text envers el món i el seu autor.

18L’objectiu de S. Rabau en la introducció i en una bona part dels textos recollits a l’antologia és fer palès que intertextualitat, en realitat, « pose, plus qu’elle ne l’élimine, la question de l’auteur et du monde » (27). Rabau no vacilla a afirmar que, al capdavall, de l’autor no se’n pot prescindir, però quan diu que la identitat del text « réside aussi dans un lien complexe à son créateur » (28), potser caldria dir alguna cosa més d’aquesta « complexitat ». En canvi, és molt suggerent el parallelisme que proposa Rabau entre « l’avènement de la notion d’intertextualité et l’évolution de la notion d’originalité au xxe siècle » (30).

19Per tal de demostrar que la relació d’intertextualitat no evita el problema de la referència, que « se référer à un autre texte, c’est encore se référer au monde », Rabau estableix una taula d’equivalències entre la literatura i el món que llança ponts sobre l’abisme que aparentment els separa. La primera de les equivalències, « directa i literal » estipula que el món és fet de llibres i de biblioteques i que llegir és una manera de copsar la realitat ; la segona, ja metafòrica, seria la que considera que el llibre és un món que podem desxifrar ; la tercera equivalència, indirecta, postula que la percepció del món és filtrada per la literatura i que, al contrari, « notre appréhension d’un univers littéraire est filtrée par notre expérience du réel ». Si és del tot acceptable que la intertextualitat és « un flux entre le réel et le livre plus qu’une fuite du réel dans le livre », no resulta Rabau tan convincent quan diu que és « très difficile de séparer la référence textuelle de la référence au monde » (32), perquè aquest tipus de distincions són les que més útil poden fer el concepte d’intertextualitat i més ajuden a precisar problemes tan complexos com la mimesi o la ficció.

20Un dels aspectes més interessants de l’estudi de Rabau ve quan sosté que, donat que el sentit circula entre els textos i és el resultat de la seva interacció, la intertextualitat suposa un « desplaçament » de la interpretació literària : caldrà interpretar el text en funció de la xarxa de textos en què s’insereix, sense recórrer a causes externes (l’autor o el món) ni a la successió cronològica i causal (les fonts i influències). Rabau defineix la intertextualitat com una hermenèutica « qui se passe de l’idée d’écoulement temporel » (34), afirmació amb què s’enfronta amb la tradició de Gadamer, Jauss, etc., de fet, amb la història de la literatura. Però és un repte hermenèutic perquè la intertextualitat és obra tant d’un autor com d’un intèrpret, perquè reprendre un text vol dir sovint comentarlo, reescriure’l, una maniobra argumental amb què Rabau cerca d’incorporar escriptors i lectors al treball del text.

21Una subtil anàlisi de la dimensió temporal dels textos permet a Rabau d’oferir una alternativa a l’estudi tradicional de les fonts i de les influències, basada no en el temps sinó en l’espai, una proposta que substitueix la metàfora del riu per la de la biblioteca, perquè l’espai « permet toutes les trajectoires que l’intertextualité invite à multiplier » (44). Rabau proposa, doncs, una crítica « espacial » que tindria en compte la influència retrospective de les obres, perquè un text « est porteur de son passé qu’il détermine plus qu’il n’est déterminé par lui ; inversement un texte est porteur de son future qu’il contient en puissance sinon en acte : la trace est trace de futur plus que du passé » (37). En conseqüència, la crítica ha d’estudiar els canvis que cada obra imposa no solament en els altres textos de la biblioteca sinó en el seu conjunt (passatge en què hauria estat oportú de citar Eliot).

22Aquesta crítica « inventerait des trajets entre les œuvres au lieu d’en faire le simple constat historique », trajectes que serien « prudents » i compensarien l’amputació de la història amb semblances formals i temàtiques « forte » (precaució amb què potser es calmen possibles reaccions contràries).

23Finalment, aquesta crítica, atemporal com és, hauria d’examinar « les possibles contenus dans chaque texte » i anunciar « les nouveaux textes dont il [est] porteur en puissance » (p. 45).

24És molt estimulant i d’una indiscutible aplicació pràctica el programa d’una crítica que vol recórrer la biblioteca en totes les direccions, que vol inventar, multiplicant-los, els itineraris possibles de relació entre els textos, que vol crear nous enllaços entre els textos, que facin possibles no tan sols obres noves, noves possibilitats d’escriptura, sinó també sentits i connexions reveladores. Potser s’ompliran les caselles buides d’alguns possibles literaris, però, de la biblioteca, en sortirem ? Goso preguntar si només hi ha d’haver lligams entre textos ? A més, entre quins textos ?

25Que l’estudi introductori d’una antologia aconsegueixi suscitar tantes preguntes, i tan importants, és un índex notori de l’ambició teòrica de S. Rabau, de la seva notable capacitat de sintetitzar i de sistematitzar. I de programar. Cal lloar, a més, una redacció clara, una argumentació rigorosa i una exemplificació tan abundant com adequada.