Acta fabula
ISSN 2115-8037

2023
Mars 2023 (volume 24, numéro 3)
titre article
Christophe Cosker

Les amoureux du livre au XIXe siècle

Book lovers in the XIXth century
Marine Le Bail, L’Amour des livres la plume à la main. Écrivains bibliophiles du XIXe siècle, Rennes : PUR, 2021, EAN 9782753580992, 378 p.

« Que je plains les lettrés qui ne sont pas sensibles à la séduction d’une reliure, dont l’œil n’est pas amusé par la bijouterie d’une dorure sur un maroquin, et qui n’éprouvent pas, en les repos paresseux de l’esprit, une certaine délectation physique à toucher de leurs doigts, à palper, à manier une de ces peaux du Levant si moelleusement assouplie ! »
Edmond de Goncourt, La Maison d’un artiste, Paris, G. Charpentier, 1881‑1882, p. 346‑347.

« Mais qui d’entre nous ne se rappelle‑t‑il pas le livre dans lequel il a pour la première fois découvert un texte ou un auteur ? Livre fatigué ou livre tout neuf, au papier blanc ou pâli, jaunâtre ou sale, livre immaculé ou taché, vierge d’annotations ou marqué d’écriture ? »
Évanghelia Stead, La Chair du livre : matérialité, imaginaire et poétique du livre fin‑de‑siècle, Paris, PUPS, coll. « Histoire de l’imprimé », 2012, p. 11.

1Le présent essai convoque — ressuscite peut‑être — un certain nombre d’acteurs du livre, séparés en deux camps qui reçoivent de nombreuses dénominations telles que, d’une part, bibliomane, bibliophile, bibliolâtre, bibliophage, bouquinomane, elzéviromane et, de l’autre, bibliophobe, bibliotaphe, biblioklepte, bibliolyte ou encore biblioclaste. Il existe donc, parmi les praticiens du livre, des amis — voire des amoureux — et des ennemis de cet objet. La bibliophilie se définit d’abord comme un goût des livres qui tend à faire valoir l’objet dans sa matérialité plutôt que dans son contenu. Cette définition, à la fois réductrice et provisoire, fait partie des enjeux que Marine Le Bail repense de la façon suivante :

Ce travail a […] vocation à montrer que la bibliophilie, en tant que pratique socioculturelle historiquement circonscrite, mais aussi comme répertoire d’images et de représentations du livre, informe en profondeur un pan non négligeable de l’activité littéraire du xixe siècle. (p. 19)

2Mais il ne s’agit pas seulement ici de redéfinir un objet de façon abstraite, sinon de le construire à partir d’un contexte historique, le xixe siècle entendu comme la période qui s’étend globalement de 1830 à 1890. Le temps long n’est pas pour autant négligé et l’auteur rappelle la tradition des cabinets de curiosités ainsi que le bouleversement causé par le démantèlement des bibliothèques aristocratiques et religieuses, avec la Révolution française, sans oublier les évolutions de l’imprimerie. L’essai de M. Le Bail s’inscrit dans le sillage théorique ouvert par l’ouvrage fondamental suivant :

C’est en 1958 que paraît L’Apparition du livre, de Lucien Febvre et Henri‑Jean Martin, un ouvrage qui rompt avec la tradition des grandes sommes bibliographiques du xixe siècle, caractérisées par une érudition hyperbolique mais également par un manque de mise en perspective historique. Cet ouvrage fondateur marque la naissance de ce qu’on appellera volontiers l’École française d’histoire du livre, soucieuse d’étudier le livre dans toute la complexité de sa triple dimension de médium textuel, c’est‑à‑dire de « ferment » culturel et idéologique, de marchandise soumise aux contraintes des échanges commerciaux, et enfin objet matériel engageant des techniques et des savoir‑faire ayant évolué au fil du temps. (p. 94)

3Afin de rendre compte du présent ouvrage, au croisement des études littéraires et de l’école française de l’histoire du livre, nous proposons de reconfigurer les résultats des recherches de M. Le Bail de la façon suivante, en appuyant d’abord sur les usages du livre dans un temps long qui remonte à la première modernité (xvie siècle) et à l’Ancien Régime, avant d’orienter notre analyse vers la théorisation de l’objet éponyme en fonction du concept de conscience bibliophilique, ce qui invite, en dernier ressort, à détailler une morphologie du récit bibliophilique en quête d’un livre.

L’usage du livre dans le temps long

Pratiques antécédentes : « la bibliophilie d’Ancien Régime »

4Afin de mieux saisir la spécificité d’une bibliophilie dix‑neuviémiste, M. Le Bail fonde son propos au moyen d’une histoire du goût du livre sur le temps long en commençant avec le début de la première modernité. En effet, au xvie siècle, le savoir passe du champ du sacré à celui du profane, ce qui indique un mouvement similaire pour l’outil principal de recueil des connaissances, à savoir le livre. L’histoire de la bibliophilie commence lors d’une mutation liée au développement de l’imprimerie, inventée à la Renaissance, mais banalisée au xixe siècle. Parmi les références de l’auteur, on trouve Dominique Varry et sa typologie ternaire des bibliothèques d’Ancien Régime, car le bibliophile fait partie des collectionneurs. Le premier type est celui de la bibliothèque professionnelle liée à l’activité de son possesseur :

On peut signaler en premier lieu la bibliothèque spécialisée de travail, fortement marquée par sa visée professionnelle et essentiellement formée d’usuels en relation directe avec la fonction exercée par son possesseur. Juristes, magistrats, médecins, savants, se dotent ainsi des outils indispensables à la bonne conduite de leur profession. (p. 35)

5La rareté et la cherté du livre permettent de comprendre que la bibliothèque est réservée à une certaine élite qui renvoie aux professions libérales. Le deuxième type de bibliothèque se présente comme suit :

À cette première vocation essentiellement utilitaire s’oppose un second mode de conception de la bibliothèque, plus ostentatoire, qui voit dans le livre « le signe visible d’une réussite qu’on se doit d’afficher » et vise à renforcer le prestige social de son propriétaire. (p. 35)

6On entre ici dans le domaine de la bibliophilie parce que le lieu du livre n’est plus un lieu de travail, mais de prestige et l’on tend à passer du studiolo à la galerie. Le livre, d’instrument de connaissance qu’il était, se mue en un signe de distinction. Le dernier type de bibliothèque se présente comme une synthèse : « Le troisième modèle regroupe les collections les plus importantes quantitativement, à savoir les bibliothèques encyclopédiques ou “robines”, ainsi désignées en référence à leur présence fréquente chez les représentants de la noblesse de robe. » (p. 35). En effet, cette bibliothèque est la seule à avoir un nom qui renvoie au statut social de ceux qui la possèdent. C’est un type intermédiaire en tant que les livres y sont possédés autant pour leur utilité que pour leur prestige. C’est la bibliothèque de l’honnête homme.

La rupture bibliophilique du XIXe siècle

7La problématique de l’usage du livre permet de comprendre la bibliophilie comme utilité ou gratuité du livre. Aux trois bibliothèques d’Ancien Régime de Dominique Varry répondent, au xixe siècle, les trois cabinets bibliophiliques identifiés par Jean Viardot dont le premier est :

le cabinet gaulois, qui se présente en quelque sorte comme la traduction ou la manifestation livresque de la vogue de « antiquités ethniques » alors très convoitées, se veut le lieu de rassemblement d’opuscules certes peu courants, mais tournés vers l’histoire érudite et la philologie. La figure de Pierre Adamoli (1707‑1769), magistralement étudiée par Yann Sordet, incarne de manière exemplaire ce souci de la rareté associé au dégagement de la valeur archéologique des exemplaires collectionnés. (p. 37)

8Le goût bibliophilique du xixe siècle se comprend par rapport au goût du siècle qui se tourne notamment, non plus vers les seules antiquités latines héritées des humanités, mais s’intéresse, de façon nouvelle, aux antiquités nationales appelés ici ethniques. M. Le Bail en donne comme exemple paradigmatique le cas de Pierre Adamoli. On trouve ensuite le « cabinet proprement curieux, dont la vocation s’éloigne encore de celle de la bibliothèque “robine” en privilégiant systématiquement la rareté et la singularité comme critères de valeurs autosuffisants, tant sur le plan thématique que formel. » (p. 37) Cette bibliothèque applique les critères de la bibliophilie comme accumulation de textes rares et singuliers. Il y a enfin :

le « cabinet choisi » [qui] vient consacrer la césure entre le mode de vie de l’honnête homme cultivé, de plus en plus enclin à se tourner vers les Belles‑Lettres et les nouveaux modes de sociabilité entraînés par la diffusion des salons, et celui de la noblesse de robe, du magistrat, du savant, du technicien ; moins érudite, la culture adopte ainsi les traits séduisants d’une conversation dégagée de tout pédantisme et de toute cuistrerie, l’espace clos et intimiste de la bibliothèque se prêtant particulièrement au rituel de la conversation. (p. 37)

9Ce dernier type de cabinet se comprend au xixe siècle comme un prolongement des pratiques de sociabilité et de goût du siècle classique. Il coïncide avec une bibliothèque aristocratique qui se place davantage, de façon conservatrice, du côté de l’ancien.

Statut de l’objet : la bibliophilie dix‑neuviémiste

10Pour le chercheur, la bibliophilie se comprend à l’aune du concept de mouvement littéraire, qu’il permet de nuancer et de remettre en question :

La mouvance des écrivains bibliophiles, on le verra, ne saurait se définir comme une école ou un mouvement littéraires au sein plein de ces termes. Dépourvu de conscience collective, se souciant peu de théoriser une pratique littéraire résolument plurielle et souvent occasionnelle, cet ensemble s’apparente plutôt à une constellation informelle, à une communauté virtuelle tissée de réseaux lâches fondés sur une proximité d’intérêts aux contours peu définis, qui trouve dans le culte du livre son seul point d’ancrage. (p. 26)

11En effet, les bibliophiles, en tant qu’amoureux du livre, forment une catégorie propre possédant un certain système de valeurs, peut‑être pas communes, mais à tout le moins convergentes. La bibliophilie se comprend, à la marge du domaine littéraire, non pas comme une école ou un mouvement littéraire, mais comme un groupe d’agents. Ces derniers sont individualistes ; et leur bibliophilie est une passion concrète que, par goût du secret et par crainte de la concurrence, ils ne se soucient pas de partager.

Théorisation d’un objet scientifique

Le concept de conscience bibliophilique

12Dans L’Amour des livres la plume à la main. Écrivains bibliophiles du xixe siècle, M. Le Bail construit le concept de conscience bibliophilique qu’elle définit comme suit :

une appréhension du livre fondée sur le postulat qu’il s’agit d’un objet unique et impossible à reproduire avec exactitude, car caractérisé par une intrication consubstantielle entre texte et matière, au lieu d’y voir une simple interface matérielle demandant à être dépassée et mise au second plan au cours de l’opération de lecture. La conscience bibliophilique repose donc sur un refus fondamental, celui de la disparition du livre derrière sa fonction de médium, de son caractère interchangeable ou de la secondarisation qu’impliquerait le primat du texte. (p. 100)

13La conscience bibliophilique réside donc dans le fait de savoir que chaque livre est unique et que sa forme importe au moins autant que son contenu. L’auteur précise qu’avant de parler, de façon tempérée et raisonnable, de bibliophilie, on parlait de bibliomanie comme de folie des livres, de La Nef des fous à l’un des personnages satirisés par La Bruyère dans Les Caractères, parce que sa bibliothèque sent la tannerie. En ce sens, l’écrivain est du côté des études littéraires tandis que le bibliophile est du côté de l’histoire du livre.

Bibliophilie et pratique littéraire

14Comme le titre, à double détente, de l’essai l’indique, il s’agit, pour M. Le Bail, d’étudier : L’Amour des livres la plume à la main. [c’est‑à‑dire les] Écrivains bibliophiles du xixe siècle. En d’autres termes, l’objet premier est la bibliophilie, mais une bibliophilie littéraire dont les traces sont autant la possession d’une bibliothèque que la composition de récits sur le goût et la quête des livres. La bibliophilie apparaît comme une pratique d’écriture qui tend vers, au sens étymologique, la bibliographie :

Cette mouvance textuelle aux contours nébuleux se signale d’emblée par sa diversité formelle et générique, perceptible à travers la grande variété des modèles d’écriture employés, depuis la plaisante pochade fictionnelle jusqu’à la monographie érudite, en passant par la description poétique. Cet ensemble de textes repose néanmoins sur un invariant commun, à savoir l’exploration des rapports singuliers que le sujet‑bibliophile établit avec le livre, perçu comme un objet doté d’une matérialité signifiante et ouvert à l’investigation poétique, historique ou philosophique. (p. 19)

15M. Le Bail problématise la bibliophilie comme rapport entre l’homme et le livre et la définit en tant qu’« investigation poétique, historique ou philosophique » du livre dont elle indique les formes possibles. La première est un texte littéraire qui se présente sous l’aspect de la « plaisante pochade fictionnelle », c’est‑à‑dire la présentation à distance de la passion du livre. La deuxième est scientifique et coïncide avec la pratique du catalogue raisonné appelé ici monographie érudite. La troisième et dernière est d’ordre poétique, qui laisse vagabonder l’imagination sur le thème livresque, comme plus tard l’œuvre de José Luis Borges.

Mise en scène littéraire du bibliophile

16La mise en scène d’un bibliophile, dans un texte littéraire, est souvent l’occasion d’une caricature, car celui qui collectionne le livre pour sa forme ne s’entend pas forcément avec celui qui l’écrit. Mais l’écrivain et le bibliophile ne sont pas, au xixsiècle, systématiquement frères ennemis, dès lors qu’ils partagent la même axiologie distinctive :

Le syntagme « écrivain‑bibliophile » doit‑il plutôt renvoyer, en inversant la perspective, à des auteurs reconnus comme tels par l’histoire littéraire et ayant choisi d’exploiter dans leur œuvre des motifs en lien avec l’obsession du livre rare ou précieux ? On songe évidemment aux chapitres consacrés à la description de la remarquable bibliothèque de Des Esseintes, sourcilleux bibliophile fin‑de‑siècle n’admettant au sein de son cabinet de livres que des éditions rares et recherchées, splendidement reliées, dans le À Rebours de Huysmans (1884). (p. 19‑20)

17La bibliothèque du personnage de Des Esseintes, dans À Rebours, renvoie, de façon fantasmatique, à celle de Joris Karl Huysmans. On peut encore citer la bibliothèque des frères Goncourt, qui prend sens par rapport à leur goût pour le xviiie siècle. L’une des œuvres de jeunesse de Gustave Flaubert est une nouvelle qui s’intitule le Bibliomane. Et nous terminerons cette rapide revue en citant l’homme‑livre qu’est Charles Nodier.

Le récit bibliophilique : écriture de la quête du livre

Ancrage spatial : les lieux du livre

18Le récit bibliophilique coïncide avec la mise en scène de la quête d’un livre qui permet de construire la morphologie suivante, qui commence par une topographie. En effet, le récit bibliophilique s’ancre dans le système fini de lieux du livre :

On sait que la sociabilité et l’activité bibliophiliques tendent à investir certains espaces bien spécifiques de la géographie urbaine, et parisienne en particulier. C’est donc en toute logique que ces mêmes lieux fournissent de manière privilégiée les décors déployés pour servir de cadre aux tribulations des personnages. Depuis les parapets des quais de Seine peuplés d’innombrables boîtes battues par les vents jusqu’aux espaces confinés des librairies, en passant par les salles de vente qui accueillent d’homériques enchères, ou par le cabinet secret des amateurs, nos récits mettent en jeu une véritable cartographie de la passion du livre rare et précieux. (p. 154)

19Les lieux du livre se répartissent en quatre espèces. Le premier est extérieur et c’est, si l’on peut dire, le moins prestigieux, mais peut‑être le plus original. Il s’agit des boites des quais de la Seine. On trouve ensuite un intérieur plus feutré, même s’il s’agit de la boutique marchande d’un libraire. Vient ensuite la criée spectaculaire de la salle de vente aux enchères avant que le livre ne se réfugie dans l’espace calme et solitaire du cabinet de son propriétaire.

Les fonctions du personnage dans le récit bibliophilique

20La morphologie du récit bibliophilique se comprend notamment comme un inventaire des personnages comme autant de fonctions par rapport à l’enjeu de la quête du livre :

Au sein des récits de notre corpus, chaque personnage s’inscrit dans un schéma dynamique structuré par une série de couples notionnels antagonistes dont l’objet‑livre se trouve l’enjeu : bibliophilie contre bibliophobie, compétence contre ignorance, possession contre dénuement. On peut ainsi distinguer trois attitudes ou trois types de rapport principalement développés par nos personnages vis‑à_vis du livre, depuis le rapport fusionnel qu’induit la bibliophilie jusqu’à la neutralité bienveillante, en passant par une hostilité déclarée. (p. 160)

21Le récit bibliophilique met en scène l’opposition entre les amis et les ennemis du livre. Mais une morphologie plus fine permet de comprendre ces deux fonctions ou positions. En effet, l’ennemi du livre est souvent celui qui l’ignore et n’a ni les moyens économiques ni les moyens intellectuels de l’acquérir ou de le comprendre. À l’inverse, l’ami du livre est souvent un connaisseur capable de le posséder. Mais cette possession peut devenir néfaste si elle dérobe les livres au monde et a pour seul but de les accumuler dans un lieu secret fermé. Entre le bibliomane qui rêve de fusionner avec le livre et le bibliophobe qui n’a qu’aversion pour cet objet, le bibliophile se comprend, de façon équilibrée, comme celui qui fait preuve d’une neutralité bienveillante qui se comprend comme le goût du livre.

L’écrivain et le bibliophile

22L’essai de M. Le Bail ne propose donc pas seulement une relecture du xixe siècle en fonction du thème du bibliophile. Aux côtés des textes littéraires qui mettent en scène les amateurs du livre, elle s’intéresse également aux ouvrages plus rares et spécialisés qui permettent de reconstruire le contexte bibliophilique du xixe siècle :

Que faut‑il entendre, dès lors, lorsqu’on parle d’« écrivain bibliophile », association paradoxale voire oxymorique [sic] de termes dont l’alliance est loin d’aller de soi ? Cette expression désigne‑t‑elle des collectionneurs assidus, reconnus comme tels dans le champ du livre rare et précieux, et s’adonnant à l’écriture de manière annexe, comme il en existe tant dans ce siècle prolixe en polygraphes ? Un Tenant de Latour avec ses Mémoires d’un bibliophile (1861), un François Fertiault avec son recueil Les Amoureux du livre : sonnets d’un bibliophile (1877), un Henri Beraldi avec son Voyage d’un livre à travers la Bibliothèque nationale : propos d’un bibliophile (1893) entreraient par exemple dans cette catégorie. (p. 19)

23Ainsi quelques livres rares et quelques auteurs réputés mineurs permettent‑ils de se faire une idée plus précise de la production littéraire et scientifique relative à la bibliophilie au xixe siècle. Et dans son enquête au croisement des études littéraires et de l’histoire du livre, M. Le Bail fait se côtoyer Tenant de Latoir, François Fertiault et Henri Beraldi avec, entre autres, Huysmans, Flaubert et Nodier.

24Dans L’Amour des livres la plume à la main. Écrivains bibliophiles du xixe siècle, l’auteur met en perspective la bibliophilie de la Renaissance au xixe siècle en passant par la configuration de l’Ancien Régime. Elle développe ensuite le concept de conscience bibliophilique qui lui permet de classer les amoureux du livre en fonction de leur rapport à cet objet non seulement comme contenu, mais aussi et surtout comme forme. C’est ainsi qu’elle réconcilie l’écrivain et le bibliophile, en dépit des caricatures qui émaillent les textes littéraires sur le type bibliomaniaque. Le récit bibliophilique, qui met en scène la quête d’un livre, est enfin défini du point de vue topographique puis de celui des personnages en fonction de leur rapport bien- ou mal‑veillant envers le livre. Nous terminerons ce compte rendu en rappelant la description fondamentale de l’amateur excessif des livres dans la stultifera navis :

La bibliophilie devient toutefois définitivement « bibliofolie » et s’infléchit dans le sens d’un dérèglement mental sous la plume de l’auteur médiéval strasbourgeois Sébastien Brant, qui, à la fin du xve siècle, publie l’un des plus retentissants best‑sellers de l’époque, abondamment repris et copié partout en Europe. Il s’agit de la Nef des fous, ouvrage satirique qui fait défiler devant le lecteur, sur le mode carnavalesque du mundus inversus, toutes les formes de déviance ou d’anomalie et offre un tableau moraliste résolument pessimiste de la condition humaine. Or c’est significativement le « fou des livres » qui ouvre le cortège, dans la mesure où il incarne un rapport dévoyé au savoir et à la culture et se rend donc coupable d’un péché particulièrement grave aux yeux de l’écrivain. (p. 68)