Lu à la radio
1“ Issu d’un colloque international organisé à Montpellier du 23 au 25 mai 2002, ce troisième volume de la série « Littérature et radio » parcourt huit décennies de relations entre les écrivains et la radio, des débuts du « théâtre radiophonique » au cours des années 1920, aux alentours de 1990. Comme on peut l’imaginer d’un recueil d’Actes sur un sujet aussi vaste traité par une vingtaine d’auteurs, son ambition est moins d’étude méthodique et synthétique que de prospection, éclairant des attitudes, des expériences, des aventures en partie collectives, en partie individuelles. “ (« Avant-propos » de Pierre-Marie Héron, p. 3)
2On saurait difficilement mieux formuler l’entrée en la matière, ni plus modestement. Voilà donc déjà un premier point positif, à savoir l’honnêteté intellectuelle de l’instigateur du colloque et de la série de publications. Aussitôt après vient la richesse de la matière, qui ne se confond nullement avec un quelconque effet de masse, dans la mesure où la “ prospection “ a — depuis le premier volume, consacré aux entretiens de Jean Amrouche et publié en 2000 — mis à jour une mine d’Or pour les études littéraires, à savoir la littérature pour et via les ondes.
3L’Or, aux oreilles d’un littéraire, évoque aussitôt le titre du récit de Blaise Cendrars, L’Or ou La merveilleuse histoire du Général Johann August Suter. Or, une des plus grosses pépites trouvées dans les archives de la radio concerne précisément cet auteur, auquel Pierre-Marie Héron lui-même consacre un essai dont l’ampleur et la précision de l’information n’ont d’égal que la sympathie qu’il éprouve pour Cendrars, écrivain qui “ porte à la radio sa passion de la parole vive, mais aussi son tempérament d’écrivain des bruits, rythmes et voix du monde et sa familiarité avec l’artisanat de la mise en ondes “ (61).
4S’il y a un autre chercheur (d’Or… radiophonique) à qui il faut ici rendre hommage, c’est bien Christopher Todd, qui enseigne à l’université de Leeds en Grande-Bretagne (on lui doit en particulier une monographie en deux volumes consacrée à Pierre Descaves, témoin et pionnier de la radio, Lewiston/ Queenstown/ Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2000.) Dans le volume d’Actes que voici il est triplement présent, avec une étude très documentée sur « Carlos Larronde, [l’]idéaliste des ondes » ainsi qu’avec deux commentaires très éclairants, l’un ayant pour objet le « livre d’or du théâtre radiophonique en France de 1923 à 1935 » de Gabriel Germinet et l’autre, une liste des écrivains de langue française présents sur les ondes de la BBC (Third Programme) entre le 29 septembre 1946 et le 3 avril 1970.
5Encadrés par ces deux contributions qui figurent en fin de volume dans une partie réservée aux « Archives et inventaires », on trouve par ailleurs des « Coups de sonde [effectués par Emilie Trasente et Pierre-Marie Héron] dans les archives de la Phonothèque de l’INA », dont le résultat constitue encore une fois une “ mine pour les chercheurs “ : à bon entendeur …
6Entre les grandes monographies consacrées aux « Gens de studio » du début du volume (outre Larronde et Cendrars, on s’y penche sur les activités radiophoniques de Taos Amrouche et de Jean Sénac) et les données susceptibles de donner lieu à plus de recherches en fin de volume, le lecteur a l’occasion d’approcher un « dissident radiophonique » (Charles-Ferdinand Ramuz, présenté par Christian Ciocca) et d’assister à une « radiothérapie » (Francis Ponge présenté par Cécile Hayez-Melckenbeeck), de prendre connaissance de « Réalisations » par le biais d’études de pièces radiophoniques signées Paul Claudel, Claude Ollier et Driss Chraibi, et enfin d’écouter les « Voix » (au propre, mais surtout au figuré) d’André Malraux (présenté par Marie-Sophie Doudet), de Marguerite Duras (par Jean-Pierre Martin) et de trois poètes : Cendrars, Bonnefoy et Réda (par Marie Joqueviel).
7Mais ce n’est pas tout. Deux séances du colloque furent en effet consacrées à Jean Cocteau d’une part et au Süddeutscher Rundfunk d’autre part. Si l’intérêt pour Cocteau ne surprend guère à Montpellier (les études à lui consacrées sont signées Pierre Caizergues, Michel Décaudin, Jean Touzot et Monique Bourdin), celle d’une radio du Sud de l’Allemagne a de quoi intriguer a priori, surtout quand on apprend qui sont les écrivains à s’y être produits : Samuel Beckett, Daniel Boulanger, Michel Butor, Marguerite Duras, Claude Ollier, Robert Pinget, Claude Simon, Jean Thibaudeau et Monique Wittig ! La clef de l’énigme se trouve dans les archives de la SDR, et les prospecteurs en chef (pour rester fidèle à la métaphore de la mine d’Or) avaient pour nom Hans-Jochen Schale (responsable des dramatiques, « Hörspiele » en allemand) et Werner Spies, à l’époque étudiant-stagiaire et devenu plus tard grand spécialiste de Max Ernst et de Picasso (il a dirigé le Musée National d’Art Moderne du Centre Pompidou à Paris jusqu’en 2001).
8Les écrivains mentionnés avaient en effet été démarchés par Werner Spies, histoire de stimuler l’évolution des formes radiophoniques en Allemagne, au tout début des années 1960. Le Hörspiel y jouissait depuis les années 1920 d’une grande popularité, et quelques-uns des plus grands écrivains allemands (Brecht, Döblin, Benjamin) s’y étaient intéressés avant que les Nazis ne fassent taire toute voix dissidente. Or si le renouveau de la Littérature allemande après-guerre est bien passé par les ondes, c’est avant tout sous la forme d’une sorte de voix de la conscience. Le paradoxe veut que des écrivains français appartenant à ce qu’on a parfois appelé une « école du regard » et qui n’avaient pas ou très peu d’expérience radiophonique, sont venus à Stuttgart pour y favoriser l’émergence de nouvelles formes d’écriture radiophoniques, alors qu’à la même époque il existait en France le Club d’Essai où Jean Tardieu — présenté par Robert Prot dans le 2e volume de la série, Les Écrivains hommes de radio (1940-1970), Montpellier 2001 — donnait pour ainsi dire carte blanche à qui voulait bien emprunter des voies — et faire entendre des voix — inédites.
9Mais ce n’est toujours pas tout. Il y a en effet un autre paradoxe qui veut que cette mine d’Or que constituent les archives de la SDR a été mise au jour par une … enseignante française en poste à l’université de Stuttgart. Elle s’appelle Françoise Joly, et elle est venue à Montpellier avec trois de ses étudiantes (Angelika Baur, Julia Jäckel et Sarah Paschelke) à qui a ainsi été donné l’occasion de participer à un colloque universitaire, leurs mémoires de maîtrise à peine soutenus ! On doit à ce quatuor féminin une excellente présentation (en attendant la remise en service d’une page web) de ce que fut la présence des « Nouveaux Romanciers au Süddeutscher Rundfunk de Stuttgart ». Parmi eux, Claude Ollier a quant à lui droit à deux autres études détaillées, sous la plume d’Annie Pibarot et de Michel Collomb.
10On l’aura compris, ce volume de plus de 400 pages (qui vient, rappelons-le, après deux autres parus préalablement dans la même série) contient de quoi susciter la curiosité du chercheur, tout en lui permettant de s’appuyer sur un premier socle de connaissances dûment établies. Si on pouvait en dire autant de tous les Actes de colloques universitaires, on pourrait s’estimer heureux. Mais ce n’est toujours pas tout. Pour éviter qu’à l’issue de ce parcours à travers 70 ans d’écritures radiophoniques le lecteur se sente frustré de ne disposer d’aucun document acoustique (car c’est bien là que le bât blesse en ce qui concerne l’étude des œuvres), Pierre-Marie Héron et ses camarades du Centre d’Étude du XXe siècle ont concocté un CD audio (les deux premiers volumes en contenaient chacun deux) avec 25 extraits d’œuvres, d’entretiens et de lectures. Au bonheur du chercheur-lecteur s’ajoute donc celui de l’auditeur-amateur. Que demander de plus ?
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