Acta fabula
ISSN 2115-8037

2012
Septembre 2012 (volume 13, numéro 7)
Philippe Richard

 Splendeur de la tradition & reflet de l’abbé de Clairvaux à Port-Royal

Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709). Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris : Honoré Champion, coll. « Lumière Classique », 2010, 544 p., EAN 9782745321541.

1Si la littérature port-royaliste se nourrit particulièrement d’une lecture assidue de la Bible, de la liturgie et du corpus augustinien, elle ne saurait pourtant trouver là son unique singularité, dans la mesure où se vivifient à la même source et à la même inspiration les littératures spirituelles et quiétistes du siècle1. Or les penseurs de Port-Royal, quelles que soient par ailleurs leurs sensibilités propres, conservent une vive conscience d’appartenir à une même famille2. Il s’agit donc pour le présent ouvrage de cerner les contours de ce sentiment d’unité, sans jamais réduire le groupe port-royaliste au seul jansénisme ni oublier en un quelconque endroit ses origines proprement monastiques3, et de répondre à l’intuition d’un des maîtres ouvrages de Philippe Sellier proposant d’écouter les sources cisterciennes du mouvement4. En regard de cette importante étude des sources déjà menée sur l’augustinisme littéraire, il s’agit alors d’explorer de façon aussi génétique que contextuelle les linéaments d’une tradition bernardine à Port-Royal, de sa cristallisation chez Saint-Cyran à son innutrition chez Angélique de Saint-Jean, en comprenant que la fidélité à Augustin peut irriguer les textes que nous allons rencontrer sans s’identifier pour autant à la pure défense d’un corps de doctrine. La sensibilité port-royaliste existe en effet avant Jansénius, comme fleuron de la réforme catholique nourrie de saint Benoît, de saint Bernard, et de saint François de Sales, comme vie monastique fervente, cistercienne, et irréductible à de subtiles discussions théologiques, et comme expérimentation fondamentale de la pensée ascétique, apostolique, et mystique de l’abbé de Clairvaux. Rien n’existe donc sans ce docteur melliflue, dernier des Pères, premier des Médiévaux, et éminent objet de l’étude de Simon Icard.

Le saint fondateur

2Dès les origines de la réforme scellant toute la littérature port-royaliste, les Constitutions indiquent que la mère Angélique « fut poussée par un mouvement extraordinaire de la grâce, n’ayant encore que dix-sept ans, de faire revivre dans cette maison le premier esprit de saint Bernard » — le portrait du saint peint par Philippe de Champaigne se trouvant du reste orner la salle capitulaire du monastère des Champs (p. 11). Mais si la pensée bernardine confirme certes la pensée augustinienne sur la question de la grâce, devenant ainsi ferment d’unité et opérateur d’autorité pour les religieuses comme pour les théologiens, elle possède la singularité d’appartenir à la riche tradition de la théologie monastique médiévale et de posséder une réelle valeur littéraire en ce qu’elle se nourrit de silence, de lectio divina et d’attente eschatologique5. Les cinq planches illustrées en fin de volume en cernent du reste tout à fait le climat. Saint Bernard peut dès lors se donner comme le modèle de toutes les réformes cisterciennes post-tridentines, que nous soyons chez les feuillants, les trappistes, ou les religieux de la commune et de l’étroite observance, lorsqu’il s’agit de revenir au véritable esprit de saint Benoît en la simplicité des origines, en une vraie adhésion du cœur, et en une ascèse intérieure qui prend pour modèle la fameuse échelle de Jacob. Un tel mouvement n’échappe évidemment pas à l’amplification mythique dès qu’il semble prétendre à un déploiement uniforme — or Rancé admire en Bernard le pénitent bien plus que le théologien lorsque Mabillon admire en lui une profonde sagesse bien plus qu’une naturelle charité —, et c’est à Saint‑Cyran qu’il revint de s’en faire le héraut pour créer un personnage idéal propre à séduire Port‑Royal : un solitaire directement inspiré par Dieu, un lecteur de l’Écriture essentiellement informé par la Tradition, un apôtre guidé par l’effusion de son propre cœur — la pneumatologie saint-cyranienne se plaçant donc au service d’une œuvre de propagande et retrouvant en Bernard les fortes lignes de son propre système. Alors que l’iconographie du temps reprend largement ces alliances, l’auteur légitimement lu à Port-Royal se fait disciple de Dieu (p. 95), docteur melliflue (p. 121), et dernier des Pères (p. 151). Lorsqu’Antoine Le Maistre promet également à ses lecteurs de compléter la traditionnelle Vita prima hagiographique par une collection de textes essentiels permettant l’accès au propre esprit bernardin, les solitaires de Port-Royal se voient désormais inviter à méditer une vie (monachisme) puis à se pénétrer de son sens (théologie)6.

Le moine écouté

3Si un long chapitre sur les questions d’éditions et de transmission des textes s’imposait alors sans doute, on aurait pu attendre qu’il soit plus intimement lié au réseau port-royaliste même pour ne pas risquer de perdre quelque peu le lecteur. Il en va de même pour les longues citations de Bossuet, dont on aurait bien aimé savoir comment elles étaient reçues par les solitaires et en quoi leur modèle ascétique destiné aux gens du monde touchait réellement le monde des Champs. Que S. Icard nous confie d’ailleurs à cette occasion que le passage en langue vernaculaire a largement contribué à la diffusion de la pensée de celui qui quitte alors le statut de moine devenu docteur et enseignant avec autorité pour épouser celui de moine devenu apôtre et enseignant avec sollicitude, voilà qui ne provoquera pas en nous une ébouriffante surprise. Le fait que l’œuvre bernardine quitte à cette occasion un cadre strictement monastique et ne soit plus lue que sur des critères rhétoriques ou scolastiques constitue la vraie difficulté quant à son exploitation pérenne par Port-Royal et mériterait peut-être d’être souligné avec plus de vigueur. Mais l’on comprend mal que l’on s’appesantisse sur de nombreuses généralités touchant à la vie ascétique, valant pour tous et partout et non seulement pour une tradition cistercienne ou port-royaliste, en lieu et place de cet important questionnement herméneutique.

Le disciple de Dieu

4Cette singulière sensibilité bernardine, adaptée à la vie des cloîtres, ne doit pourtant pas cacher sa véritable vigueur, apte à l’intellectualisation des écrivains — l’exemple de la mariologie en semblant très représentatif en ce qu’elle chemine résolument de l’anthropologie à l’ecclésiologie. Dans l’alliance qui lui est chère entre théologie et sainteté, Balthasar citera d’ailleurs saint Bernard comme l’un de ceux qui unifient parfaitement leur vie et leur pensée (mais l’on aimerait obtenir ici la référence précise et de première main de cette pensée balthasarienne trouvée dans la littérature secondaire de Philippe Barbarin, p. 1037) ; c’est une telle image qui plaît beaucoup au xviie siècle, selon l’adage cistercien lui-même : ad interiora per exteriora : « Par le privilège d’une plus grande grâce, et par la vertu du Saint-Esprit, il se donnait en quelque façon tout entier au travail extérieur, et en même temps il était occupé tout entier à la contemplation intérieure des choses de Dieu, nourrissant dans l’un son âme par la pénitence, et entretenant dans l’autre sa piété par les méditations »8 ; « Sa science lui ayant été donnée par infusion, il s’est pourtant remis par une incompréhensible humilité au rang de ceux qui l’ont apprise par l’étude »9. Il est vrai que l’alternative présentant un homme formé par les Pères ou par Dieu lui-même se résout au désert, ce qui ne pouvait pas ne pas plaire aux solitaires de Port-Royal et énonçait ce que Jean Leclercq désignera comme amour des lettres et désir de Dieu — idée qui revient pourtant un si grand nombre de fois en début d’ouvrage qu’elle risque à tout moment d’impatienter le lecteur.

Le docteur melliflue

5Une nette orientation eschatologique prolonge en tout cas la lectio divina bernardine lorsque s’y unissent la force et la douceur simultanées de l’Écriture, la douceur étant naturellement l’humilité sans mièvrerie et l’adjectif melliflue étant le qualificatif de l’élan rhétorique qui exhorte à l’amour de Dieu. Là se tient pourtant ce paradoxe né de la lecture de saint Bernard à Port-Royal et que S. Icard prend soin d’expliciter avec une grande clarté : si l’abbé de Clairvaux est un guide admirable, son écriture ne doit cependant pas être imitée, le style médiéval n’étant plus concevable dans le cadre d’une éthique classique et la citation biblique permanente n’étant plus possible en un français qui ferait perdre au texte de la Vulgate toute sa saveur originelle et sacrée. Quand on sait que le moine joue parfois aussi avec la lettre des Écritures en s’éloignant de son sens littéral, on mesure à quel point les préoccupations des Mabillon et des Bourgoing de Villefore se trouvent à l’opposé de cette esthétique rocailleuse. Le style sublime de saint Bernard en vient donc très vite à ne plus désigner que son efficacité — et non plus sa noblesse d’expression intrinsèque. Il donne à voir l’ethos idéal du prédicateur chrétien, non l’elocutio attendue de ce même prédicateur. L’essentiel demeurant néanmoins que la voix de l’homme soit transfigurée par la voix de Dieu, un tel désir n’étant né à Port-Royal que par l’entremise d’un Saint-Cyran l’ayant lui-même trouvé dans les textes bernardins, là où le sublime ne saurait être que pneumatique et où s’énonce une conception extrêmement noble de la littérature. Le Maistre dit ainsi de saint Bernard : « Il se servait de l’Écriture Sainte si à propos, et avec tant de facilité, qu’on eût cru qu’il ne la suivait pas tant qu’il la devançait, et qu’il en conduisait le sens comme il voulait, en suivant pour guide la lumière du Saint-Esprit qui en est l’auteur »10. Si nombre de classiques considèrent ainsi que le style de saint Bernard demeure trop orné, tous s’arrêtent résolument au XVIIe siècle sur l’exégèse allégorique, cette véritable pierre d’achoppement que le catholicisme post-tridentin a bien du mal à envisager dès lors qu’il s’écarte de la tradition patristique et de ses quatre sens traditionnels du texte biblique. Les questions rhétoriques se mêlent donc résolument aux questions herméneutiques. Si le modèle biblique a bien contribué à l’élaboration de la culture classique, l’idéal de transparence qui la caractérise a fait évoluer la manière même de méditer ce modèle, l’allégorie étant si elle ne permet pas une ouverture à la morale ne perturbant nullement la linéarité du discours qui l’énonce. Nous passons finalement de l’éloquence du cœur (Saint-Cyran) à l’éloquence de la nature (Villefore).  

Le dernier des Pères

6Commencement et aboutissement, la sagesse bernardine relue par la sagesse port-royaliste échappe ainsi à toute possibilité de décadence, incarnant en effet une fidélité à saint Augustin qui se manifeste pleinement dans la défense de la grâce ou dans l’opposition à la scolastique, et qui se conçoit selon une évidence absolue jamais remise en question par ces solitaires si préoccupés par l’articulation entre la grâce et le libre arbitre. La critique d’un Abélard substituant la philosophie à la patristique et soumettant la foi à la raison participe de ce même mouvement, dès lors qu’elle n’est destinée qu’à dresser en creux le sublime éloge de Bernard — si le premier incarne le siècle de Paris, le second incarne la retraite des Champs. Mais alors que ces principes forment et informent la lecture du moine, la critique de ce dernier peut paradoxalement s’énoncer en une logique de « somme », et non de lectio divina, ce qui consacre naturellement la rupture que l’on prétendait vouloir dénoncer. Notons qu’une précision du rapport entre Fénelon/Bossuet et Bernard/Saint-Cyran aurait sans doute permis de préciser davantage ce point. Mais S. Icard a tout à fait raison d’affirmer que l’abbé de Clairvaux incarne un idéal apostolique à l’accent résolument français. C’est ainsi que le voit le siècle classique, alors que la défense de l’autorité du pape devient une brûlante actualité lors de l’opposition de 1673 entre Louis XIV et Innocent XI. Nous sommes donc loin d’une admiration de circonstance et proche d’une vision d’unité, dès lors que saint Bernard se trouve relier théologie, monachisme, questions sociales et interrogations politiques (p. 189). Si le siècle étudie certes aussi d’autres spiritualités – ignacienne et salésienne notamment –, des questions de querelle ont éclipsé ces deux dernières qui n’appartenaient ni sérail ni au mythe fondateur de la famille. Rien ne compte finalement plus que le socratisme chrétien — et, partant, l’amor carnalis du Christ. Le sixième chapitre constitue en ce sens un passionnant parcours d’histoire religieuse, quoi que l’on perde parfois de vue le sujet de l’étude dans les linéaments de la controverse sur l’oraison qui secoua Port‑Royal entre 1650 et 1660 ; qu’Angélique de Saint-Jean ait eu à affronter un vif débat entre oraison méthodique et oraison monastique éclaire peut-être le passage de l’oraison « mentale » à l’oraison « secrète » dans les différentes versions des Constitutions mais n’explique pas en effet pourquoi cette victoire du pneumatisme saint‑cyranien consacre en quelque manière telle ou telle lecture de saint Bernard (p. 214).

L’homme du renouveau

7C’est par ce biais port-royaliste que s’impose donc à l’âge classique l’image d’un saint total, bien avant le fantôme critique du jansénisme et lorsque la réforme des Champs et l’histoire de Cîteaux se trouvent liées de façon particulièrement intime. « Le recours à l’autorité se saint Bernard pour discerner la voie à prendre pour préserver la réforme est capital dans l’histoire du monastère. L’œuvre bernardine devient la pierre angulaire sur laquelle les religieuses construisent leur œuvre monastique et fondent leur identité cistercienne » (p. 232). En 1625 pourtant, la majeure partie de la communauté se transfère à Paris. En 1627, la règle augustinienne et la règle carmélitaine sont respectivement adoptées à Paris et aux Champs. Le moment est venu de relire les écrits bernardins sur la grâce et les interrogations saint-cyraniennes sur la pénitence, ce qui explique que les querelles autour de l’Augustinus et le retour aux sources du monachisme cistercien ne se sépareront plus alors à Port‑Royal. L’onction et l’union au Verbe primant toujours sur la pratique extérieure, chez Saint Cyran comme chez saint Bernard, lorsque tout se fait simultanément moral et théologie.

Le maître de l’obéissance

8Si le verbe « obéir » résonne singulièrement à Port-Royal, saint Bernard propose justement aux solitaires une grille de discernement leur permettant de respecter la vérité plus que ceux qui ont charge de la porter : c’est la fameuse lettre au moine Adam, tant citée dans les milieux port‑royalistes et tant commentée par la correspondance entre Angélique de Saint-Jean et Mme de Rentzau, au moment de la signature de ce Formulaire condamnant explicitement l’Augustinus et provoquant un émoi assez aisé à concevoir. Or la question se trouve ici couverte par un long passage traitant de l’oraison chez Guigues II le Chartreux (p. 310‑317) et n’ayant d’autre intérêt que de condamner la périodisation canonique de l’histoire de Port-Royal par l’affirmation d’une lecture continue du corpus monastique médiéval selon une méthode de lectio divina11. Voilà qui ne facilite pas réellement une lecture pleinement suivie, même s’il n’est certes pas inintéressant d’apprendre à quel point Nicole put être le héraut de ce mouvement :

[Il] cherche plutôt à distinguer la part de l’homme et la part de Dieu dans la prière. Pour lui, l’oraison mentale est la prise en compte des moyens que l’homme doit utiliser pour prier Dieu, sous peine de tomber dans la présomption des faux mystiques. Les « affections du cœur » sont la manifestation sensible de deux ordres qui se rencontrent dans l’oraison : la nature de l’âme et la grâce divine. La réflexion de Nicole sur les sécheresses et la douceur dans la prière modifie en profondeur l’anthropologie spirituelle des moines médiévaux, pour qui la prière est totalement l’œuvre de Dieu qui donne sa grâce et totalement l’œuvre de l’homme qui la reçoit. (p. 318)

9Admettons pourtant qu’il y a là comme une spiritualité contraignante s’efforçant de demeurer fidèle à la liberté d’esprit du monde médiéval et risquant donc à tout endroit le plus complet des paradoxes. La traduction d’une telle difficulté se discerne aisément dans les commentaires du Cantique des cantiques par Angélique de Saint-Jean : les figures que le cistercien considérait comme des d’abîmes mystiques y sont devenues pour l’auteur port-royaliste les pures illustrations d’une dogmatique autonome. De même sans doute pour la lecture port-royaliste du De gratia bernardin, assurée de son cadre augustinien et partant incapable de mesurer la différence tonale selon laquelle Augustin décrit la grâce d’Adam et la grâce de Jésus-Christ lorsque Bernard décrit la liberté d’Adam et la liberté de Jésus-Christ — Augustin cherchant d’abord à établir la gratuité même du salut lorsque Bernard cherche plutôt à comprendre la nature propre du consentement de l’homme (p. 349). Pour l’exprimer encore autrement, Jansénius et ses disciples pensent la liberté de l’homme à partir de sa création et de sa chute, c'est-à-dire à partir d’Adam, lorsque Bernard et ses écrits pensent cette même liberté à partir de sa recréation et de son relèvement, c'est-à-dire à partir du Christ. Il est cependant trop évident que lire le cistercien à l’aune des débats classiques sur les écrits augustiniens est égarant, tant la théologie monastique de la liberté se montre légère et nuancée — « Dieu a fait don à l’homme d’une triple liberté : la liberté de nature qui l’affranchit de la nécessité, la liberté de grâce qui l’affranchit du péché, la liberté de gloire qui l’affranchit de la misère » (p. 350) — lorsque la théologie de Jansénius, n’accordant d’ailleurs pas assez à la grâce, conserve toute la lourdeur de la dernière scolastique — « d’une part [la liberté] est pensée à partir de l’acte de la volition ; d’autre part [cette liberté] reste une faculté aux choses contraires » (p. 374). Quand l’obéissance à la liberté chez saint Bernard n’est plus lue que pour justifier une obéissance à la tradition chez les auteurs port-royalistes, il nous faut donc bien reconnaître là une réelle faiblesse herméneutique : « Le consensus autour de cette flexibilité du libre arbitre révèle un contresens auquel aucun lecteur de saint Bernard n’échappe véritablement au XVIIe siècle : le libre arbitre est considéré de manière autonome, comme un pouvoir ou une faculté des contraires pensée indépendamment de sa vocation surnaturelle, alors que l’abbé de Clairvaux le pense à partir de la libération pascale, c'est-à-dire en vue du don plus merveilleux encore de l’affranchissement du péché et de la misère » (p. 385-386). C’est alors que l’étude de S. Icard devient très technique pour qui, d’aventure, ne maîtriserait pas totalement les distinctions charismatiques entre un oratorien et un jésuite.  

L’auteur lu et relu

10La critique interne ou génétique montre enfin que Pascal a lu saint Bernard, et qu’il y a là convergence d’intuition selon une modalité typiquement melliflue. Certes, le projet du second est mystique lorsque celui du premier, adressé à l’incroyant, est argumentatif ; certes, la raison s’arrête au seuil du lieu intime où l’homme a une connaissance intuitive de Dieu chez Pascal lorsque cette même raison décrit la douceur de Dieu à la raison pour éveiller en elle le désir chez saint Bernard ; mais il est clair pour les deux auteurs que la raison saisit toujours ses propres limites, impuissante à fléchir la volonté chez saint Bernard et incapable de convaincre pleinement le libertin chez Pascal. La méthode de l’ouvrage, en système comparatiste de fragments, trouve ici sa pleine fécondité méthodologique dès lors qu’elle retrace la génétique d’une invention unifiant les différents points dogmatiques et littéraires précédemment rencontrés (p. 420 à 440). L’ensemble est clair et échappe à une pesante systématicité. On comprend évidemment la primauté du péché originel chez Pascal et la principauté du Christ chez saint Bernard. Mais Port‑Royal et la théologie monastique se sont alors définitivement séparés.