Acta fabula
ISSN 2115-8037

2011
Février 2011 (volume 12, numéro 2)
Cécile Brochard

Pour une anthropologie littéraire : le grotesque moderne entre éthique & esthétique

Rémi Astruc, Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle. Essai d’anthropologie littéraire, Paris : Éditions Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes », 2010, 280 p., EAN 9782812401701.

1Laideur, hermétisme, irrationalité, inintelligibilité, marginalité : le grotesque déstabilise tout autant qu’il fascine. « [C]atégorie usuelle de l’analyse littéraire1 », le grotesque se dérobe pourtant à toute définition, échappant à la raison y compris moderne. Tantôt comique, tantôt inquiétant, il traverse les arts mais aussi les époques. Faut-il alors penser le grotesque comme un mouvement esthétique, inscrit dans un cadre spatio-temporel déterminé, ou s’agit-il d’une catégorie esthétique qui dépasse temps et espace, mais qui alors apparaît comme dangereusement hétérogène ? Qu’ont de commun le grotesque rabelaisien, celui d’Ensor, de García Márquez, de Céline ? Au-delà de la diversité apparente doit se trouver une unité du grotesque et c’est dans cette volonté de cerner le sens fondamental de ce dernier que s’enracine l’étude de Rémi Astruc.

2L’auteur propose de dépasser la description du phénomène : ce ne sont pas les procédés qui permettent l’appréhension du grotesque mais bien plutôt l’expérience que celui ci suscite. Selon R. Astruc, une appréhension pertinente du grotesque devrait se placer du côté de la réception et dans cette perspective, c’est l’expérience existentielle du grotesque qui doit être interrogée. D’ailleurs l’auteur, s’il ancre sa réflexion dans la lecture de textes de fictions des XIXe et XXe siècles, ne se livre pas à une analyse critique des faits grotesques, mais part des réactions suscitées par la lecture d’œuvres aussi diverses que celles de Dostoïevski, Philip Roth, Kafka, Günter Grass, García Márquez, Henry Miller, Céline ou encore Beckett, afin d’en tirer une « synthèse à visée théorique2 ». Sa perspective, éminemment comparatiste, a pour finalité de mieux cerner la raison d’être du grotesque, son sens profond, au-delà de la pluralité de ses manifestations. R. Astruc insiste d’ailleurs sur le fait que sa propre réception des œuvres précède la volonté de repenser la catégorie : c’est du travail sur le corpus que s’imposa a posteriori le grotesque, comme l’élément fédérateur susceptible de réunir des œuvres disparates et pourtant semblables dans le rapport au monde qu’elles induisent.

3En dépit d’un aspect manifestement transhistorique, le grotesque possède un ancrage historique très fort, puisque certaines périodes semblent plus propices que d’autres à son déploiement : basse Antiquité latine, Moyen âge, Renaissance mais aussi xxe siècle. Ainsi, face à ce constat, l’ambition de l’étude est-elle triple : il s’agit de déterminer les spécificités du grotesque moderne, « transformer [la notion de grotesque en général] en concept clair et opératoire » et « expliquer la permanence du grotesque à travers le temps » en l’envisageant « sous l’angle des fonctions qu’il remplit parmi les différentes formes d’expressions humaines3 ».

4C’est précisément cette dernière dimension anthropologique qui justifie la singularité de l’étude en même temps que sa pertinence. Si R. Astruc part certes des manifestations artistiques, notamment littéraires, du grotesque, il ne résume pas celui-ci « à un fait littéraire ni même esthétique4 » : en faisant le choix de la transdisciplinarité, en considérant les sciences de l’homme dans leur ensemble, l’auteur entend faire bénéficier le grotesque d’une appréhension anthropologique en replaçant l’acte artistique et littéraire parmi les actes humains. Le grotesque aiderait l’homme à mieux comprendre son expérience au monde, au langage, à l’autre, et serait en tout cas porteur d’une parole sur l’homme.

5Dans cette entreprise d’anthropologie littéraire, le premier chapitre considère les lacunes de la conception traditionnelle du grotesque en littérature, permettant ainsi de découvrir de nouvelles pistes de recherche susceptibles de dépasser les apories usuelles. L’auteur se livre ensuite à un essai d’anthropologie du grotesque, réfléchissant notamment à ses fonctions anthropologiques. Les chapitres suivants examinent enfin les spécificités des expressions grotesques modernes, tant au niveau du contenu que de la poétique et du langage.

6Proposant un retour sur la définition du grotesque, R. Astruc constate les hésitations de la critique. Relevant tantôt du tragique, tantôt du comique, tantôt des deux, le grotesque oscillerait constamment entre deux pôles. L’auteur voit dans cette distinction entre les catégories du tragique et du comique grotesques, distinction établie notamment par Wolfang Kayser, une confusion fondamentale qui empêche d’appréhender le grotesque : ce manichéisme traditionnel demande selon lui à être dépassé, car rire et larmes ne s’opposent pas nécessairement. S’il salue bien évidemment les travaux fondateurs de Bakhtine et de Kayser5, R. Astruc évoque la nécessité de dépasser les contradictions entre un grotesque qui serait positif et un grotesque plutôt négatif.

7Fonctionner par antonymie ne permet pas véritablement, selon l’auteur, de cerner avec pertinence le grotesque : penser celui-ci, par exemple, comme l’opposé du réalisme en ce qu’il fait souvent appel au fantastique, à l’imaginaire, se révèle un contresens, dans la mesure où la déformation grotesque est profondément au service de l’expression de la réalité, comme une loupe qui fait apparaître plus précisément un fait tout en le déformant. Qui plus est, l’absence de « cette rassurante clarté pédagogique qui va habituellement de pair avec les autres formes d’humour6 » contribue à opacifier l’intention du grotesque ; ce dernier fait certes sens, mais il est parfois difficile de cerner exactement vers quoi. L’auteur interroge ainsi les définitions traditionnelles du grotesque pour en montrer l’inefficacité dans la compréhension globale du phénomène, suivant l’argument que le grotesque ne peut être tout et son contraire et satisfaire malgré tout la pensée.

8Au sein de cette confusion théorique, l’auteur touche alors un point essentiel dans l’appréhension du grotesque en montrant que le simple repérage des procédés traditionnellement liés au grotesque, comme l’inversion carnavalesque des valeurs ou encore le bas matériel grossier bakhtinien, ne suffit pas à créer le grotesque. C’est que celui-ci « se reconnaît avant tout à un effet, et non à des faits7 ». Au même titre que l’ironie, le grotesque serait une figure de sens ou de pensée, à défaut de pouvoir être rangé sous « une nouvelle catégorie rhétorique : celle des figures d’émotion ou de sensation8 ». L’auteur démontre ainsi que le grotesque n’est pas une somme de figures ou d’éléments linguistiques, mais bien plutôt un phénomène total, macrostructural, et partie intégrante d’un réseau global de sens.

9Inversant ainsi en donnée positive l’indétermination traditionnellement attachée au grotesque, R. Astruc pose alors l’ambiguïté comme caractéristique constitutive du grotesque. Son analyse va alors porter sur la recherche des causes de cette ambiguïté, et non simplement les constater après examen. Partant donc du constat d’ambiguïté, l’auteur affirme que le grotesque est le lieu de l’impossibilité réalisée, source d’un sentiment de malaise propice à une réflexion sur l’altérité. C’est que « le grotesque est un autre monde9 », une version altérée du monde réel qui, si elle n’implique pas une prise de position auctoriale explicite, engage néanmoins une interrogation morale. Tout en se fondant sur les catégories usuelles de la critique, l’analyse opère ainsi un changement de point de vue en se plaçant du côté de la réception.

10Mais c’est en s’ouvrant sur d’autres champs de connaissance que la catégorie du grotesque s’éclaire véritablement.

11L’apport critique de cette étude réside notamment dans cette perspective anthropologique particulièrement apte à rendre compte de l’expérience grotesque.

12Afin de justifier la nécessité de ce nouveau regard, R. Astruc rappelle que « c’est le grotesque du monde qui suscite le grotesque de l’œuvre d’art10 » : le dissocier du champ humain général perd alors toute pertinence selon lui. Explorant le lien du grotesque à l’absurde, R. Astruc souligne que le grotesque tient ses origines d’une expérience existentielle et évoque alors la nécessité de penser cette catégorie à l’aide de la philosophie, de la psychologie, de la psychanalyse, par exemple dans la lignée des travaux de Freud sur « l’inquiétante étrangeté11 », et surtout à l’aide de l’anthropologie, dans la volonté de généraliser les travaux fondateurs de Bakhtine au-delà de la période médiévale et de la culture populaire.

13Fort de ce décloisonnement, le grotesque apparaît alors comme l’expérience culturelle, humaine, du changement, de l’altérité, autrement dit l’expérience qui consiste à ressentir la différence des autres à soi-même ou de soi au monde. D’où les motifs éminemment grotesques de l’hybridité, de la métamorphose, traductions d’un sentiment de discordance par rapport au réel. L’œuvre d’art serait dans cette perspective le lieu privilégié de représentation de cette réflexion identitaire.

14L’auteur en arrive alors à proposer une interprétation globale :

Le sentiment du grotesque serait, du point de vue anthropologique, une réaction au « scandale » du changement et de l’altérité, sentiment que traduit, sur le plan esthétique, le grotesque de l’œuvre qui est le mode assurant de manière privilégiée la représentation figurée de ceux-ci12.

15Cette interprétation est étayée par des arguments et des exemples historiques et anthropologiques, tels les vestiges archéologiques, statuettes ou divers objets, les légendes et mythes des origines, les travaux ethnologiques, prouvant par là l’universalité et l’atemporalité du grotesque. Validant l’intuition de Baudelaire, R. Astruc montre que le grotesque est « une expérience[…] primordiale[…] de l’être humain13 », laquelle engage une vision du monde.

16C’est pourquoi le grotesque agit à un niveau intuitif, presque organique ; le trouble qu’il provoque s’apparente à un vertige puisqu’il touche quelque chose de primitivement humain. « [L]e grotesque renvoie aux fondements de “l’humanité”, en agissant au niveau des frontières sur lesquelles celle-ci s’est construite14 ». Proposant un parallèle avec les travaux de Julia Kristeva sur l’abject et l’abjection15, R. Astruc confirme que « le grotesque participe bien de cette séparation symbolique qui sert à identifier et séparer le groupe des hommes, d’un côté, de l’inhumain (l’animal et le sale en général) de l’autre16 » et qu’il interroge fondamentalement « l’espace entre sujet et objet qui forme l’identité comme individualité17 ».

17Enfin, autre fonction anthropologique, le grotesque « vise […] à exorciser le chaos ou plutôt le risque de chaos que toute nouveauté contient pour l’ordre en place18 ». Dans cette perspective, le grotesque carnavalesque ne serait pas une simple parodie de rites vidée de sens par le rire, puisque le rire peut précisément participer de certains rites. Survenant particulièrement dans des moments de crise culturelle, le grotesque, grâce à son pouvoir de régénération, consisterait plutôt en une réaction presque cathartique de survie contre le déclin de la société. On perçoit dès lors l’ambiguïté politique et idéologique d’une catégorie qui peut soutenir un but tantôt réactionnaire tantôt progressiste, selon qu’elle maintient l’ordre ou le renverse. De cette ambiguïté procède la force du grotesque qui se situe par-delà ces considérations : c’est finalement l’interprétation qui fait pencher l’œuvre dans un sens ou l’autre, ce qui assure donc une forme d’immunité idéologique de l’auteur, comme en témoigne par exemple Rabelais qui fut loin d’être inquiété à la mesure de ses affronts.

18Fort de ces assises théoriques, R. Astruc invite alors au fil des chapitres suivants à repenser la question du grotesque moderne en littérature, car si le sentiment du grotesque est bien anhistorique, répondant « à une nécessité anthropologique universelle […], les formes qui expriment ce sentiment varient quant à elles selon les lieux et les temps : les expressions artistiques que sont les œuvres grotesques sont dépendantes d’un contexte, autrement dit des conditions dans lesquelles elles voient le jour19 ». C’est la complexité de cette catégorie à la fois anhistorique et liée aux mentalités et aux cultures qui fait toute sa singularité.

19À travers un rappel des origines du grotesque moderne, notamment lié au roman picaresque puis revendiqué par le romantisme, R. Astruc met l’accent sur la fragilité de la modernité et sur « le vertige existentiel des conditions modernes d’existence20 », inséparables selon lui de l’émergence du grotesque au xxe siècle. Depuis les graves crises économiques et sociales jusqu’aux grands conflits mondiaux du siècle, l’homme moderne voit le monde se dérober sous lui et le sens vaciller : le sentiment de l’absurde, la fuite du sens, le « malaise de la civilisation » diagnostiqué par Freud mais aussi la révélation psychanalytique de l’Autre en soi-même entraînent l’avènement de la sensibilité grotesque, parce que l’homme ne se reconnaît plus et ne reconnaît plus le monde. Quelles sont donc les caractéristiques de l’expérience moderne du grotesque telle que la transcrit la littérature ?

20La première de ces caractéristiques est de donner à voir des personnages détachés de toute vraisemblance, de tout souci mimétique, soit des personnages que l’auteur propose d’appeler « conceptuels21 ». Ces derniers relèvent moins du personnage que du principe, de la figure, presque au sens anglais du terme figure, puisqu’ils sont déshumanisés : les romans modernes accueillant ce grotesque présentent aux yeux du lecteur des spectres, des monstres et des individus désincarnés.

21Caractérisées par le vide, ces figures grotesques évoluent par ailleurs dans ce que Michel Foucault nomme les « hétérotopies », espaces contradictoires qui forment finalement des non-lieux22. Désincarnée, la figure grotesque est donc également délocalisée, et l’indétermination spatiale ne fait qu’accentuer le flottement identitaire du personnage : figure de l’ombre, comme l’homme du souterrain ou du sous-sol de Dostoïevski, histrion identifié à un lieu vide, inexistant, comme chez Céline, Philip Roth, Miller et Beckett, érotomane ou aliéné comme chez García Márquez et Dostoïevski.

22Le grotesque moderne engage ainsi une réflexion sur l’humanité, sur ses marges et sur ce qui la constitue. Entre humanité et inhumanité, le personnage grotesque interroge la société, exprimant symboliquement à travers une individualité ce que les mythes expriment collectivement. La grande caractéristique du grotesque moderne est donc placée sous le signe de cette individualité qui interroge le vestige de la communauté humaine. Or, si l’individualité est le fondement du grotesque moderne, l’énonciation et le langage constituent des lieux privilégiés d’analyse. On voit dès lors se dessiner un paradoxe : comment le langage commun pourrait-il exprimer la singularité ? Face à cette apparente contradiction, R. Astruc montre que les œuvres vont mettre en place un « dispositif énonciatif » particulier, propre à la « communication grotesque23 ».

23C’est qu’en tant que régime de l’impossibilité, le grotesque construit des situations énonciatives invraisemblables, par exemple lorsque l’identité du narrateur ou les conditions de l’acte d’énonciation s’opposent en toute vraisemblance à l’acte de langage, comme c’est le cas dans Le Terrier de Kafka, Le Tambour de Grass ou Malone meurt de Beckett. R. Astruc inclut dans cette catégorie les paroles qu’il nomme déviantes ou perverses, c’est-à-dire à mi-chemin entre le roman et l’autobiographie, tel Voyage au bout de la nuit, et celles dont le locuteur n’est pas identifiable, tel L’Innommable de Beckett. Dans tous ces cas de figure, la communication est trompeuse, flottante, ambiguë, en ce sens fondamentalement grotesque, d’autant plus lorsque l’emploi de la première personne dans des récits autodiégétiques ou le brouillage entre première et troisième personnes dans la narration renforcent l’ambiguïté énonciative. Le lecteur se trouve tout autant déstabilisé par ces changements de points de vue que par la dimension problématique du récit autodiégétique et éprouve des difficultés à distinguer l’origine de la parole. Vraisemblance, crédibilité et énonciation sont ainsi brouillées dans le roman grotesque moderne.

24Dès lors, la position du lecteur s’avère inconfortable, et si cette perturbation est commune aux romans de la modernité, R. Astruc constate qu’elle convient tout particulièrement au déploiement du grotesque qui radicalise les tendances de la littérature moderne. Interpelé, parfois à travers des adresses directes qui le placent en situation d’allocutaire, le lecteur est piégé par une situation interlocutive qui le place en mauvaise posture car il se trouve finalement, et bien malgré lui, « compromis par cette parole qu’il accepte d’entendre et se voit entraîné dans une collusion avec le narrateur puisqu’il a accepté d’occuper la place que celui-ci lui réservait. Il endosse ainsi malgré lui une part de la responsabilité de ce qu’il écoute24. »

25Autre cas de figure tout aussi déroutant, caractéristique de l’énonciation grotesque : lorsque le narrateur ne s’adresse à personne d’autre qu’à lui-même, au sein d’un discours solipsiste. « L’espace de réception du récit est [alors] tout aussi incertain que l’espace de sa narration25 », incertitude source de malaise. Ce sentiment est renforcé selon R. Astruc par l’omniprésence d’un langage corporel, vivant, organique, destiné à faire ressentir au lecteur les émotions qu’un récit ne ferait que montrer, dans la lignée par exemple du style « métro-émotif » de Céline ou de la grossièreté du langage dans L’Automne du patriarche de García Márquez. La visée de ce langage organique est de toucher le lecteur dans son corps pour mieux le dominer, « forme de vampirisme26 » qui a pour finalité la mise à mort du lecteur.

26Il est en effet remarquable, constate l’auteur, de noter que la mort fascine les romanciers modernes, et plus encore ceux qu’inspire le grotesque, par définition expérience d’un autre monde. Exilés de la vie, les personnages du grotesque moderne nous font entendre cet « avènement d’une impossibilité27 », notamment par le recours à des images particulièrement frappantes, signes du lien structurel entre grotesque et peinture. Sans se livrer à un relevé exhaustif des innombrables images, tableaux, ekphraseis qui parcourent les romans, R. Astruc montre que ces hypotyposes saisissent par leur violence et amènent ainsi une révélation dès lors que la vision devient épiphanie. L’anomalie montrée au lecteur conduit celui-ci à réévaluer le sens du monde qui se présente à lui en lui offrant l’opportunité de s’interroger sur les illusions, d’autant que la composition grotesque est définie par la digression et la rupture de la linéarité narrative. À l’instar du grotesque qui présente un autre monde, le texte grotesque apparaît comme un autre texte, un texte à côté du texte narratif. Ainsi, tout comme les motifs qui le caractérisent, le texte grotesque se révèle-t-il fondamentalement hybridité, métamorphose, redoublement.

27Rémi Astruc entend dépasser le constat traditionnel d’impuissance lié à la définition du grotesque. C’est en se détachant de l’examen des manifestations du grotesque pour saisir ce dernier en tant que phénomène non pas seulement esthétique mais plus généralement humain qu’il propose une définition aboutie du grotesque, pensé comme expérience existentielle susceptible d’expliquer plus complètement la réunion intuitive d’auteurs aussi divers que García Márquez, Céline, Beckett, Dostoïevski, Kafka, Miller, au-delà du seul paradigme de la modernité. Considérer le grotesque comme un phénomène anthropologique ouvre la voie à une appréhension globale du grotesque envisagé non plus comme une réunion de faits, mais comme un effet provoqué par une expérience du sujet. Une telle perspective permet de comprendre la permanence du grotesque à travers les siècles tout en justifiant la diversité des formes que ce dernier revêt. Riche de perspectives, l’étude de R. Astruc révèle toute la pertinence d’un comparatisme nourrissant la littérature par l’anthropologie et inversement.