Récit, genre et société en Inde du Sud
1Gender and Story in South India est un ouvrage qui rassemble cinq essais présentés au 15ème congrès de l’International Society for Folk Narrative Research (ISFNR). Dans cet ouvrage collectif, les spécialistes indiennes dont P. S. Kanaka Durga, Lalita Handoo, K.V.S. Lakshmi Narasamamba, Leela Prasad et Saraswathi Venugopal présentent et analysent les contes de/sur la femme, tout en offrant un nouvel aperçu sur la question de folklore, l’importance du genre et le lien entre eux dans la société indienne. À travers cette recherche ethnographique sur les "women-centered oral narrative" présentés dans des contextes culturels, linguistiques différents, les spécialistes indiennes tentent de découvrir la relation entre le monde social et le monde imaginé de la femme Inde en l’Inde du Sud.
2La première partie “Anklets on the Pyal: Women Present Women’s Stories from South India” par Leela Prasad est une bel introduction au recueil où on trouve une revue sur la progression historique du conte folklorique, sur la narratrice, la narration, le contexte, la représentation ainsi que la relation entre eux. Lee Prasad commence son essai avec la jolie berceuse Telugu — la chanson qui exprime une "unselfconscious empathy" pour la femme ainsi que la "female-oriented poetic". Selon l’auteur, cette chanson illustre “the remarkable crisscrossing ways in which women in India assimilate ‘women’s experiences’ and arrive at self-understandings that are deeply shared despite their divergences and fluidity”1. Leela Prasad ensuite définit “women-centered narrative”, le sujet principal de quatre essais suivants, pour montrer que les femmes protagonistes dans ces contes utilisent leur voix pour affirmer et protéger leur propre espace qui est souvent envahi et approprié par leurs homologues masculins. En outre, Prasad relève que dans les contes examinés “female roles, and role-playing itself, are open to scrutiny as they are enacted, enjoyed, suffered, reversed, or negotiated by characters in the story or by narrators themselves” (ibid. p.4). Progressivement, Prasad nous amène au monde du conte oral de/sur la femme indienne pour découvrir le point de dialogue, la divergence, la tension entre le conte qu’elle raconte et les réalités sociales dans lesquelles elle vit.
3Dans la deuxième partie intitulée “The Son-in-law Story: Gender and Genre”, Lalita Handoo se concentre sur le conte sur “the stupid-son-in-law” — un genre significatif dans la tradition narrative indienne et une partie importante du conte oral de l'Inde. Handoo évoque que ce type de conte, raconté essentiellement par les femmes, montre la relation entre le statut de la femme dans la vie réelle et leur image dans le conte ainsi que dans le répertoire traditionnel. Souvent considérée comme le sexe faible, la porteuse de souffrance et d'humiliation mais de temps en temps, à travers le conte oral sur le stupide beau-fils, la femme utilise l'humour et la subversion pour s’attaquer aux stéréotypes masculine tel que sa sagesse et sa supériorité. D’une part, tel conte est le reflet d’un fort ressentiment des femmes envers l‘injustice de genre dans la société indienne, d’autre part, il est la castration symbolique du héros stupide.
4 La troisième partie “The Role of Gender in Tale-Telling Events” est consacré en premier lieu au rôle du genre dans la narration des contes dans le contexte de l’Inde du Sud “where performance presupposes gender distinctions that reflect social structures and kinship norms” (ibid. p. 55). Dans cet essai, Saraswathi Venugopal se propose en effet de mener une réflexion sur les réponses des audiences féminines (dans un groupe d’audiences mélangées) dans les cadres ruraux et urbains en l’Inde: Si les endroits ruraux et urbains avaient un impact sur les réponses des audiences, surtout des femmes? Si les endroits de la narration ont fait une différence, comment le genre a-t-il été impliqué? Venugopal en suite analyse cinq contes et les commentaires des audiences pour conclure que le genre semble d’avoir un rôle encore plus important que le lieu. La femme s’exprime la résistance sur les questions de la classe, du patriarcat et de la suppression ainsi que la lutte contre les belles-familles mais pas sur la séparation urbaine et rurale: “the narrator - for the audience- is part of broader landscape in which the depiction of gender in the narrative seems to take precedence over the gender of the narrator” (ibid. p. 15). De ce fait, les audiences féminines et les narratrices convergent dans certain contexte.
5La quatrième partie, K.V.S Narasamamba nous invite à étudier “women’s folk narrative” (ibid. p. 67) dans la communauté Musulmane pour comprendre le rôle important de la femme dans la préservation et la transmission des contes populaires ainsi que le dans développement de la compréhension entre les communautés. Ce que frappe l’auteur en étudiant ce type de conte est le pouvoir des femmes, leur capacité pour activement participer à leurs communautés. Les femmes deviennent “Heroines and Healers in Muslim Women’s Narrative” (ibid. p. 67) car selon Narasamamba “women have turned segregation to their advantage” (ibid. p. 83) et “women who perform and carry on narrative traditions are not just passive bearers, but are custodians; critics, reviewers, makers, and remakers of social structure” (ibid. p. 83). En ce sens, les narratrices reconstruisent un espace féminin dans le domaine réservé aux hommes, reconnaissant et restituant, à travers les traditions expressives et leurs activités, leurs rôles dans le monde.
6La cinquième et dernière articulation de l’ouvrage, “Transformation of Gender Roles: Converging Indentities in Personal and Poetic Narrative”, P.S Kanaka Durga s’intéresse au “women-centered narrative” pour établir le lien entre l'identité personnelle de narrateur, sa personnalité avec celles des caractères et les événements dans les contes eux-mêmes. Elle traite également la contiguïté, ou “convergence” selon Durga, entre la vie quotidienne de la protagoniste, ses souvenirs, sa vision la vision des années à venir et les histoires qu’elle raconte, les chansons qu’elle présente. Elle montre en suite la continuité entre “narrators” et “narratives”. L’essai s’interroge fort utilement sur la “poetic narrative” (la chanson, la tradition expressive) et “personal” (l’expérience de vie, l’autobiographie) ainsi que la similarité d’événements, caractère, motif et le style de performance dans les deux types de contes présentés par Rājamma, une vielle dame de 60 ans. En examinant les contes personnels et les contes fictionnels de Rājamma, Durga conclut que le folklore doit être étudié en relation avec l’expérience personnelle de la narratrice :
Narrators and narratives are not separate entities. Narrators live in the narratives they tell…This phenomenon reveals that genders and genres are closely related and that one transform the other. Artistic performance is not an object to be studies in isolation, since a performer’s life and artistic life are continuous with lived experience (ibid. p. 115)
7Les auteurs développent leurs recherches, proposent leurs interprétations à partir de leurs propres vies, leurs expériences personnelles en Inde comme une femme. Par conséquent, à travers les cinq essais, les spécialistes indiennes mettent en lumière les valeurs de “women-centered oral narrative” dans la tradition expressive et l’importance du genre à l'étude du folklore et vice versa en Inde du sud.