Acta fabula
ISSN 2115-8037

2003
Automne 2003 (volume 4, numéro 2)
titre article
Gaëlle Guyot

Huysmans converti

Marc Smeets, Huysmans l’inchangé. Histoire d’une conversion, Amsterdam New York : Editions Rodopi B.V., 2003, 238 p., EAN 9789042010758.

1En 238 pages, cet ouvrage qui revendique d’emblée son appartenance à l’histoire littéraire, revient sur la question, importante mais déjà amplement explorée par une tradition critique volontiers citée par l’auteur, du rapport qu’entretiennent les deux phases de l’œuvre de J.-K. Huysmans, avant et après la conversion. Marc Smeets s’efforce dans le même temps d’interroger la « nature » de cette conversion.

2Une première partie, en marge de l’objet propre du recueil, est consacrée à l’évocation de trois conversions emblématiques : celles de Saint Augustin et de Pascal, où la découverte de la foi amène un remaniement total de l’existence et de l’écriture ; celle, plus ambiguë, de Léon Bloy, qui n’aboutira pas à la même subordination de la littérature à la religion. Il y aurait donc, à côté de conversions « véridiques », un paradigme de conversion fin de siècle, auquel il conviendrait de rattacher celle de Huysmans.

3C’est du moins ce que s’efforce d’établir le chapitre II, intitulé « Une Histoire spirituelle », qui retrace la chronologie de la conversion de Huysmans, autour de l’année 1892. L’auteur dégage les sinuosités d’un parcours en partie né d’une ambition littéraire de type naturaliste, celle d’explorer par le document et l’expérience le champ vierge du catholicisme.

4Le chapitre III, intitulé « Dieu et la décadence », commence par une longue digression sur le concept de « décadence », que Marc Smeets essaye de différencier de celui de « fin de siècle », pour ensuite définir la dite « décadence », à la suite toujours de travaux critiques longuement cités, comme un état d’esprit oxymorique, qui conjugue un goût pour l’inauthentique et une nostalgie du vrai, une « impossibilité de croire » et la « nostalgie d’une croyance ». Cette équivoque est alors repérée chez Huysmans, à partir de la résurgence paradoxale du motif de l’hostie, dans À Rebours et Sainte Lydwine de Schiedam. Le motif de l’hostie permet ainsi à l’auteur de montrer comment, de la bible du décadentisme à l’ouvrage hagiographique, le rapport à la religion est demeuré plus ou moins identique.

5Les deux derniers chapitres abandonnent la perspective historique annoncée pour une critique nettement thématique. Il s’agit d’évoquer les ambiguïtés « religieuses » du traitement huysmansien de deux thèmes : la souffrance (chapitre IV : « Souffrance et Sanctification »), puis la nourriture (chapitre V : « Au Restaurant de l’Âme »).

6Ces deux objets, qui ont déjà été l’objet de nombreuses explorations critiques, témoigneraient à nouveau de la proximité des romans naturalistes et décadents de Huysmans et de la production littéraire qui suit la conversion.

7Ils confortent Marc Smeets dans le procès qu’il intente à la « nature » de la conversion huysmansienne, marquée des stigmates de son siècle, et frappée de toutes les ambiguïtés d’une « modernité » pour qui le sacré ne peut plus s’exprimer qu’au travers de l’abject.