Acta fabula
ISSN 2115-8037

2004
Printemps 2003 (volume 4, numéro 1)
titre article
Stéphanie Smadja

Paraphrase & métatextualité

Bertrand Daunay, Éloge de la paraphrase, Saint‑Denis : Presses universitaires de Vincennes, coll. « Essais et savoirs », 2002, 176 p., EAN 9782842921170.

1La paraphrase a suscité l’intérêt des linguistes depuis les années 1960. Les travaux de Catherine Fuchs représentent un tournant au début des années 1980 et fournissent une base solide pour une réflexion en histoire des institutions scolaires et en didactique. Dans le prolongement d’une thèse en science de l’éducation, sous la direction d’Yves Reuter, La Paraphrase dans l’approche scolaire des textes littéraires (étude didactique), soutenue en octobre 1999 à l’Université de Lille 3, L’Éloge de la paraphrase s’inscrit en faux contre la condamnation massive de la paraphrase dans la pratique de l’explication de texte en France. En choisissant d’intituler son ouvrage Éloge de la paraphrase, Bertrand Daunay l’ancre dans une tradition revivifiée.

2Genre issu de l’éloquence épidictique en Grèce, l’éloge se décline sur un mode tantôt sérieux tantôt ludique. Patrick Dandrey en a étudié le versant ludique de l’Antiquité grecque au xviie siècle (L’Éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Puf, coll. « Écriture », 1997 ; voir bibliographie finale). L’éloge connaît un certain épanouissement au xxe siècle. Une collection d’éloges (plutôt proche de l’éloge paradoxal) est créée dans les années 1920 chez Hachette. En outre, ces vingt dernières années, de nombreux titres annoncent une filiation avec l’éloquence épidictique, les ouvrages eux‑mêmes pouvant relever aussi bien de l’éloge paradoxal que de la simple louange. Le titre de B. Daunay constitue donc un indice générique, mais ce n’est pas d’un éloge paradoxal qu’il s’agit. Malgré le caractère apologétique et iconoclaste de son ouvrage, B. Daunay prend soin de souligner qu’il ne relève pas du « choix du paradoxe » (p. 8) :

Si cet essai se veut un éloge de la paraphrase dans l’approche des textes littéraires, ce n’est pas par choix du paradoxe, mais par un souci didactique précis : la condamnation de la paraphrase dans le commentaire de texte ressortit à ces prescriptions scolaires qui font bon compte des pratiques discursives, non seulement de ceux à qui elles s’adressent, mais, à certains égards, de leurs auteurs mêmes.

3La récusation de l’affiliation au genre de l’éloge paradoxal s’accompagne d’un déplacement qui sous‑tend la démonstration ; le paradoxe ne réside pas dans l’apologie de la paraphrase mais dans sa condamnation. L’argumentation se déroule en trois temps. Après une critique des discours de disqualifications de la paraphrase, B. Daunay souligne sa légitimité historique, et, pour terminer, son importance comme substrat discursif de tout commentaire. L’objectif est précis (p. 169) : « Réhabiliter la paraphrase, ce n’est évidemment pas plaider pour un empirisme qui privilégierait la perception spontanée d’un texte au détriment d’une analyse soutenue par les outils intellectuels que l’école se donne pour but de construire. » Il ne s’agit ni de faire la louange de la spontanéité érigée en valeur suprême, ni, comme dans d’autres tentatives de réhabilitation, de revaloriser la paraphrase comme étape nécessaire mais à dépasser, mais bien de la redéfinir et de la situer à sa juste place.

Illusions d’optique des discours de disqualification

4Dans une première partie, B. Daunay oppose ainsi la permanence du discours de disqualification de la paraphrase (accentué depuis l’apparition de l’explication de texte, au milieu du xixe s. mais déjà présent auparavant) à l’évolution du sens de ce substantif. La première trace de disqualification apparaît au xviie s., lorsque de nombreux traducteurs reprochent aux paraphrastes les libertés prises avec le texte‑source. En outre, comme le rappelle Catherine Fuchs (La Paraphrase, Puf, coll. « Linguistique nouvelle « , 1982, p. 12),

Les classiques développent, au nom de la clarté et du bon goût, une esthétique du mot juste, du tour approprié, qui tend à privilégier comme unique la formulation convenant, dans une circonstance donnée, à l’expression d’une certaine idée ; à ce titre, la paraphrase se trouve en théorie dépréciée, puisque toute reformulation contribue, non seulement à rendre le discours plus confus, mais à en altérer le sens.

5Le terme se spécialise dans un sens négatif : il désigne d’abord la mauvaise traduction, c’est‑à‑dire les amplifications indues (ce défaut est nommé « répétition » et non pas encore paraphrase), ensuite un manque de précision et de netteté (à partir du xxe s.), enfin la répétition (interdite en tant que telle dans les dernières décennies du xxe s.). L’interdiction de la répétition se fonde sur une conception unitaire du texte littéraire : il est impossible d’isoler, donc de reformuler, un sens que, loin de le traduire ou d’exprimer, la forme engendre. En résumé, le terme « paraphrase » joue toujours le même rôle dans un discours métatextuel en évolution : il sert systématiquement à désigner ce qui, dans l’optique d’une lecture littéraire, est considéré comme un défaut. La permanence du même terme est trompeuse dans la mesure où elle masque l’évolution du sens de la paraphrase comme de l’explication de texte.

6B. Daunay ne nie pas l’intérêt heuristique de cette opposition entre la lecture littéraire et la paraphrase. Il précise clairement son angle d’attaque (p. 40) :

Ce qui mérite d’être interrogé, c’est la dérivation didactique de tels présupposés théoriques, valables dans l’usage qui peut en être fait, dès lors qu’ils sont naturalisés par un processus de transposition didactique et conçus comme un savoir susceptible de former la base d’un rapport au texte […].

7Toutefois, cet interdit comporte des risques de dérive qui peuvent être résumés en cinq points (p. 55) :

8- L’usage théorique de faits de croyance.
- La réification de concepts à valeur heuristique.
- L’extension de ceux‑ci hors des domaines méthodologiques où ils trouvaient une justification première.
- La hiérarchisation des comportements culturels fondés sur des préjugés non interrogés.
- La projection sur des personnes réelles de catégories abstraites.

9La cristallisation de cette opposition est problématique dans la mesure où elle aboutit à des conclusions autorisant une normalisation de la lecture indissociable d’une dévalorisation d’un certain rapport au texte. En outre, les élèves se retrouvent face à des exigences contradictoires : le travail critique dégage ce qu’une première lecture ne permettrait pas de voir et les raisons qui rendent cette première lecture possible.

10Enfin, des analyses linguistiques récentes montrent que le jugement de paraphrase, apparemment objectif, est empreint de subjectivité. Selon Catherine Fuchs (La Paraphrase, éd. cit. ; Paraphrase et énonciation, Ophrys, 1994), la paraphrase n’est pas une donnée immédiate, mais médiatisée : il s’agit d’une mise en relation effectuée par certains sujets, et pas d’autres, à propos d’énoncés de la langue. Par conséquent, il est impossible de définir une identité sémantique objective entre deux segments. On ne peut établir que des relations d’équivalence.

11Dans cette première partie, appuyée sur de longues citations, B. Daunay définit son projet avec finesse et se distingue des « écoles didactiques qui veulent voir à tout prix des ruptures épistémologiques là où s’opèrent souvent de simples adaptations » comme des conceptions idéologiquement marquées (p. 20) :

Ainsi, dans sa volonté, sinon de réhabiliter, du moins d’expliquer la paraphrase dans les travaux d’élèves (et il faut ici souligner, car c’est assez rare, cette intention explicite de l’auteur), A.‑R. de Beaudrap en vient à qualifier de paraphrastique toute pratique métatextuelle antérieure à la pratique actuelle, en se fondant non sur des critères objectifs, mais sur une conception implicite de la « bonne » explication, selon laquelle un commentaire qui ne mettrait pas en oeuvre les outils d’analyse aujourd’hui dominants est nécessairement paraphrastique. […] l’idée sous‑jacente est que le mode actuel de lecture, marque d’une « évolution » historique, est un progrès ; […].

12Le projet de B. Daunay n’est précisément pas de considérer la paraphrase comme un passage obligé à dépasser, mais comme un substrat discursif inhérent à tout commentaire et injustement rejeté sans autre forme de procès.

Légitimité historique de la paraphrase

13Dans la deuxième partie de son ouvrage, B. Daunay rappelle le rôle de la paraphrase de l’Antiquité à nos jours, en soulignant le passage de la production à la réception des textes. La paraphrase participe d’abord des exercices d’écriture préparatoires dans les manuels destinés aux futurs rhéteurs. Elle est mentionnée explicitement par Quintilien (1er s. ap. JC), par les rhéteurs grecs Hermogène (fin du 2e s. ap. JC) et Aphtonions (4e s. ap. JC). La reformulation des textes constitue ainsi un élément fondamental des exercices scolaires destinés à former les élèves à l’art rhétorique et peut même être utilisée par les orateurs, débutants ou confirmés. Tous les progymnasta (ou à Rome les primordia), fable, narration, chrie et maxime, lui ménagent une place. Quintilien la conçoit comme un outil d’entraînement. Trois types de reformulation sont proposés : la traduction des rhéteurs grecs, la mise en prose de poésie latine et la reformulation de ses propres textes. Notons que la paraphrase fait l’objet d’un débat dès l’Antiquité : critiquée par Cicéron dans le De oratore, elle est défendue par Théon et Quintilien (résumé du débat p. 71).

14La paraphrase joue également un rôle dans le commentaire biblique, rôle contesté dès l’Antiquité. Dans le Contra Celsum d’Origène (père de l’Église, 2e s. ap. JC), ouvrage polémique à propos d’interprétation biblique, la paraphrase est conçue comme un commentaire tendancieux du texte original : c’est toujours l’adversaire qui paraphrase. À la fin de l’Antiquité grecque et romaine, la paraphrase devient un but en soi (p. 74) : « Cette pratique de la paraphrase est à l’origine du genre littéraire de la première poésie chrétienne, reproduisant, à l’égard de la Bible le mode de rapport (d’imitation et d’émulation) que les auteurs païens entretenaient à l’égard d’Homère et de Virgile essentiellement – ce qui explique l’importance du genre de l’épopée biblique. » Il ne s’agit pas de simples traductions : la fonction exégétique de la paraphrase se trouve à la source de la production littéraire chrétienne, phénomène qui se développera par la suite. Le genre de la paraphrase biblique traverse tout le Moyen‑Âge et se retrouve à la Renaissance : citons par exemple les Paraphrases in Novum Testamentum d’Érasme (développements et commentaires en latin des quatre Évangiles et des Actes ; le texte original se trouve en marge, en regard du commentaire paraphrastique). Érasme souligne toujours le lien avec l’exercice rhétorique.

15C’est dans ce cadre que semble apparaître en français le terme de paraphrase. Selon Catherine Fuchs, plusieurs dictionnaires étymologiques s’accordent pour dater cette apparition de 1525 (La Paraphrase, éd. cit., p. 10 : « vraisemblablement sous la plume de Lefèvres d’Etaples, c’est‑à‑dire en plein contexte de polémiques religieuses »). Selon Catherine Fuchs encore, le xviie s. représente un tournant dans l’histoire de la paraphrase comme genre littéraire ; certaines oeuvres célèbres mentionnent explicitement le terme de « paraphrase » dans leur titre : Paraphrase du psaume CXLV de Malherbe (1627), Paraphrase d’un chapitre de L’Imitation de Jésus‑Christ de Corneille (1650), Paraphrase morale de plusieurs psaumes en forme de prières de Massillon (précisons que la paraphrase figure déjà dans certains titres de la dernière décennie du xvie s.). Nombre d’autres constituent des paraphrases bibliques sans le dire (les sermons de Bossuet, Bourdaloue, Fénelon pour ne citer que les oeuvres en prose). Les textes les plus souvent paraphrasés sans les Psaumes, Hymnes du bréviaire, Imitation de Jésus‑Christ et le DiesIræ. Selon B. Daunay, ce genre littéraire finit par disparaître à la fin du xviie s. Catherine Fuchs rappelle qu’on retrouve la paraphrase au xviiie s. comme figure de rhétorique : elle participe du procédé de l’amplification comme l’expose Du Marsais (Des tropes (1730), chapitre XVII, 1ère partie, cité d’après l’édition de 1757, pp. 190‑191) :

Remarquez que quelquefois après qu’on a expliqué par une périphrase un mot obscur ou peu connu, on développe plus au long la pensée d’un auteur, en ajoutant des réflexions ou des circonstances qu’il aurait pu ajouter lui‑même ; mais alors ces sortes d’explications plus amples et conformes au sens de l’auteur, sont ce qu’on appelle des paraphrases ; la paraphrase est une espèce de commentaire : on reprend le discours de celui qui a déjà parlé, on l’explique, on l’étend davantage en suivant toujours son esprit. Nous avons des paraphrases des Psaumes, du livre de Job, du Nouveau Testament, etc. La périphrase ne fait que tenir la place d’un mot ou d’une expression, au fond elle ne dit pas davantage ; au lieu que la paraphrase ajoute d’autres pensées, elle explique, elle développe.

16Du xie s. (développement d’une culture de l’écrit), jusqu’au triomphe de la philologie au xixe s., la conception du texte littéraire, de son engendrement, de sa lecture et de son commentaire est placée sous le signe de la paraphrase. La paraphrase relève de la création littéraire, comme nous l’avons vu, mais également de la lecture des textes. Les Jésuites précisent les principes de la prélection (exercice central dans leur plan d’étude), inspiré de la praelectio, surtout telle que la décrit Quintilien. Les Jésuites condamnent la reformulation mot à mot (ou métaphrase), à laquelle est préférée la paraphrase. C’est avec Rollin et l’Abbé Batteux qu’apparaît l’explication de texte à proprement parler : l’abbé Batteux fait évoluer la conception du texte littéraire et de son traitement scolaire en faisant du texte l’objet d’un jugement esthétique autant que moral. L’explication de texte n’en reste pas moins liée à la paraphrase. Cependant, au xixe s., elle désigne ce qui est jugé comme une erreur dans le cadre de l’explication de texte. Enfin, dans les années 1970, la traduction devient antinomique de l’explication. Ces connotations négatives rejaillissent sur la paraphrase dans la mesure où celle‑ci est assimilée dès l’Antiquité à une forme de traduction. Les anciens manuels d’explication de texte n’en regorgent pas moins d’exemples de paraphrase.

17La transition avec la dernière partie de l’Éloge de la paraphrase s’articule autour du rappel des instructions officielles récentes qui soulignent l’intérêt pédagogique de la paraphrase : elle permet de mesurer la compréhension des élèves et les aide à se représenter le sens littéral tout en soutenant leur mémoire.

De la paraphrase au métatexte

18Dans la troisième partie, contre une conception élitiste de la lecture littéraire qui projette sur les pratiques scolaires une attitude professionnelle de lecture, B. Daunay entreprend de démontrer que la paraphrase est nécessaire à l’élaboration de tout discours métatextuel : « un discours second sur les textes emprunte au texte sa matière et la répète en partie – ce qui n’engage pas sa disqualification » (p. 112). Il propose une triple définition de la paraphrase avant d’analyser son fonctionnement dans les commentaires de critiques comme d’élèves. Il existe trois formes de répétitions :

19- Le décalque énonciatif (paraphrase stricto sensu) : fusion énonciative du métatexte dans le texte source.
- La détextualité : fusion du texte commenté dans le commentaire (reprise non marquée d’éléments textuels du texte source).
- L’établissement explicite par le commentateur d’une identité sémantique entre un élément du texte source et un énoncé de son fait.

20Tandis que P. Veyne revendique ouvertement la paraphrase, l’on peut retrouver également les traces des trois formes de paraphrase (avec une nette prédominance des cas de détextualité) dans le PourMallarmé de P. Bénichou. Bien plus, selon B. Daunay, malgré la multiplication des signes de démarcation, des exemples de détextualité apparaissent dans S/Z de Barthes, en l’occurrence des phénomènes de citation dans un usage non autonymique. Fort de ces trois exemples, et en particulier du dernier, B. Daunay réaffirme sa thèse initiale de la paraphrase comme substrat discursif de tout discours métatextuel, avant d’étudier son rôle dans un dialogue entre lycéens, sorte d’oral intermédiaire entre la lecture silencieuse et le commentaire de texte, en grande partie retranscrit. Cette analyse l’amène à rappeler l’hypothèse de J. Leenhardt et P. Jozsa (Lire la lecture, Le Sycomore, 1982, p. 234) : « une lecture plate n’est pas le signe d’une inaptitude intellectuelle à manier d’autres modes de perception mais d’une inhibition de ceux‑ci induite chez le lecteur à scolarité courte par le sentiment intériorisé de sa propre incapacité ». Il nuance rapidement cette hypothèse : bien que non validée, elle mérite d’être prise en compte dans la mesure où elle permet de diversifier la perception des modes de lecture et d’abandonner les catégorisations grossières.

21La variation historique des définitions aussi bien de la paraphrase que de l’explication de texte et la prise en compte des lectures de l’élève constituent donc les principaux ressorts de l’argumentation. En définitive, B. Daunay s’oppose aux conceptions trop abstraites de la pratique scolaire et prône une attitude plus pragmatique (p. 170) :

Si un programme didactique peut envisager un apprentissage de la lecture littéraire qui prenne en compte tous les élèves, il se doit de stimuler, au lieu de rejeter, la lecture spontanée des élèves, et de favoriser, en l’accompagnant, le discours de cette lecture. Cela suppose de lever les interdits arbitraires posés sur ce discours et de réhabiliter la paraphrase qui en constitue la trame.

22L’argumentation est détaillée, parfois un peu répétitive mais appuyée sur une bibliographie fournie (notes à la fin de chaque partie). La définition de la paraphrase et la mise au jour de son rôle comme substrat discursif de toute pratique métatextuelle sont convaincantes. Toutefois, la lecture de cet ouvrage laisse deux regrets, liés à la représentation de la littérature qui sous‑tend l’ouvrage (soit qu’il s'agisse d’une représentation critiquée, soit qu’il s’agisse de celle de l’auteur). B. Daunay s’en prend à un formalisme qu’il dit dominant ces trente dernières années, après le règne de la recherche des intentions d’auteur. Pourtant, la conception de la littérature a évolué depuis les années 1970. De toute évidence, ce premier point peut encore être résolu en alléguant un décalage entre l’évolution de la critique littéraire et celle des apprentissages scolaires. Il n’en va pas tout à fait de même pour le suivant. En effet, B. Daunay fonde son argumentation sur l’évolution du sens des mots, mais il ne prend en compte que l’évolution des termes qui définissent la paraphrase et la pratique de l’explication de texte, l’évolution de la notion de « littérature » elle‑même (anciennement les Belles‑Lettres), et donc l’historicité du rapport aux textes « littéraires » étant ici à peu près passées sous silence. À partir de quelle date peut‑on parler de littérature ? La paraphrase peut‑elle se penser de la même façon à « l’âge de la rhétorique » et après l’émergence d’un « champ littéraire » autonome (deuxième moitié du xixe s.) ? Cette question n’est nullement évitée, soulignons‑le. Dès l’introduction, B. Daunay évoque le processus qui a abouti à la prise de conscience de la littérature telle qu’elle est définie actuellement :

Mettre en doute les évidences scolaires, c’est respecter les échecs de ceux qui, face à une injonction paradoxale, se trouvent démunis devant un rapport au texte littéraire institué comme objet d’un égard spécifique par ceux‑là mêmes qui seraient bien en peine de définir la littérature autrement que par ce qu’elle est : un corpus construit selon des processus socio‑historiques, et qui ne trouverait finalement sa légitimité que dans l’interdit posé arbitrairement sur certains modes de discours voulant le prendre comme objet. (p. 8)

23L’auteur insiste sur l’évolution de la lecture et de la littérarité au xxe s. mais l’articulation entre la rhétorique, les Belles‑Lettres et la littérature aurait pu être approfondie davantage. Si la « légitimité historique dans une culture rhétorique » (p. 8) de la paraphrase ne fait aucun doute, quelle est sa légitimité dans une culture littéraire ? Telle n’est pas la question posée, il est vrai : il s’agit de souligner l’absurdité du mécanisme d’interdiction et d’assigner à la paraphrase un rôle propre, à partir des définitions linguistiques récentes. Cependant, l’argument historique ne saurait fonctionner sans une mise en perspective complète. D’une certaine façon, l’auteur a beau jeu ensuite de démontrer la fragilité (au demeurant réelle) des fondements de l’interdiction de la paraphrase, démonstration renforcée notamment par l’ironie et l’humour (comique de répétition).


***

24En résumé, la partie historique, minutieuse et bien informée, aurait sans doute gagné à être plus fermement tripolaire : paraphrase, explication de texte/lecture et littérature. Cet ouvrage n’en reste pas moins pertinent et percutant dans les problèmes soulevés autour de la notion de paraphrase et sa remise en cause d’un interdit qui fait trop souvent partie des impensés de l’enseignement de la littérature. Il ouvre ainsi un champ d’enquête à peu près vierge sur les conditions de la métatextualité.