
L’esthétique comme critique : généalogie de la subjectivation queer chez Michel Foucault
1Dans le champ des pensées queers, et en particulier dans celui de leurs sources francophones, il est un auteur incontournable tant les queer studies ont pu s’en inspirer dans leur développement, et continuent à le faire sur un mode plus ou moins critique : Michel Foucault, « grand manitou a posteriori de la théorie queer », selon la formule de Sam Bourcier (2021, p. 150). Ainsi que le rappelait Paul B. Preciado dans une interview pour Libération :
En réalité, ce qu’on appelle la théorie queer fut en partie l’effet de la réception du premier volume de l’Histoire de la sexualité et de Surveiller et Punir par les féministes Gayle Rubin, Judith Butler, Teresa de Lauretis, Donna Haraway à partir de la fin des années 80 aux États-Unis, mais aussi les usages que les activistes d’Act Up ont fait de Foucault pour s’opposer à la gestion biopolitique et médiatique du sida. Ce sont ces usages politiques subalternes de Foucault qui m’ont marqué(e) et qui ont déterminé ma lecture postérieure du reste de son œuvre. (Preciado, 2014.)
2À celles et ceux qui optent résolument pour une « lecture queer » de Foucault à l’instar de Preciado, le philosophe offre moins une pensée toute prête qu’une boîte à outils permettant une formulation et une conceptualisation de questions au cœur des queer studies. On pense bien entendu à l’articulation que Foucault rend pensable entre savoir et pouvoir ; à l’idée de la biopolitique qui fait une place aux corps et à leur gestion ; à une conception du pouvoir comme production et non plus seulement interdit ; à la sexualité comme machine discursive au sein de laquelle sont pris les sujets modernes, contraints à dire le vrai sur eux-mêmes ou pathologisés pour leurs désirs ; ou encore à l’assujettissement et à la normalisation des identités (Sabot, 2017) tels qu’ils s’opèrent dans une société de surveillance, d’examen et d’orthopédie sociale. Autant de concepts, dans cette liste non exhaustive, qui se développent au milieu des années 1970 et dont la critique hérite à travers les ouvrages cités ci-dessus, en particulier La volonté de savoir (1976), premier tome de l’Histoire de la sexualité.
3Des tomes suivants de cette Histoire de la sexualité et des textes du Foucault des années 1980, l’usage est plus ponctuel au sein des queer studies – bien que l’édition des cours sur le néolibéralisme et Le Courage de la vérité ait suscité un certain nombre de reprises (Foucault Studies, 2012). C’est que Foucault s’adonne dans ces ouvrages à ce qu’il qualifie lui-même de « trip gréco-latin » (Foucault, [1984] 2009, p. 3), remontant aux sources de la culture occidentale dans le but d’élaborer une généalogie du sujet, ce qui l’éloignait en apparence de la modernité et des rapports de pouvoir qui y prenaient place. Nous voudrions pourtant étayer l’idée que l’on peut également trouver chez le dernier Foucault l’élaboration d’un geste critique qui sera de première importance pour le développement ultérieur des pensées queers, et que ce geste ne relève ni de l’individualisme ni de l’élitisme qu’on a parfois cru y reconnaître (Lipovetsky et Serroy, 2013, p. 33-34 ; Hadot, 1989 ; Rochlitz, 1989).
4Antérieur à la requalification du terme « queer » en une bannière rassemblant les personnes dont l’identité de genre ou l’orientation sexuelle ne correspondent pas aux modèles hégémoniques, et à ses théorisations au sein des sciences humaines et sociales, Foucault peut néanmoins nous aider à penser cette notion en un sens qui rejoint pour partie l’ambition du présent dossier. À la bizarrerie et la déviance que dénote l’adjectif « queer » fait écho chez Foucault la catégorie d’anormalité ou d’anomalie, qu’on peut entendre au sens étymologique comme ce qui dévie de la ligne droite tracée par l’équerre (norma) morale et sociale, et que le philosophe investit non seulement depuis le point de vue général des structures – formes de savoir et rapports de force –, mais aussi à travers les sujets mêmes : « les anormaux », substantif qui donna son nom à un cours dispensé au Collège de France en 1975. Lors de ce cours, Foucault trace patiemment la généalogie de l’individu anormal, né des formes anciennes du monstre humain, de l’incorrigible et de l’enfant masturbateur, pour montrer la façon dont le pouvoir de normalisation a pu constituer dans notre modernité le domaine de la sexualité, avec ses monstres et son discours privilégié, celui de l’expertise médico-légale. La norme, telle que la pense Foucault, porte toujours en elle un double principe de qualification du pathologique et de sa correction au nom d’un « danger » potentiel pour la société, danger qui tient moins aux comportements qu’aux identités elles-mêmes : nous sommes toujours sujets des normes, contraints et produits simultanément par elles (Macherey, 2014).
5La liaison intime du champ de l’anomalie et de la normalisation avec le problème de la sexualité (que développera Foucault dans ses livres ultérieurs) nous semble faire de l’anormal tel que le pense Foucault une forme généalogique de notre queer contemporain. Ce rapprochement conduirait certes à une compréhension étendue du queer, qui va dans le sens de propositions avancées par Danielle Perrot-Corpet et Nicolas Aude dans l’introduction de ce numéro (2025). Les personnes LGBTQIA+ n’occupent pas toujours le centre des analyses foucaldiennes et partagent leur condition anormale avec d’autres catégories de trouble, de pathologie, de délinquance, dont le cours de Foucault propose un inventaire détaillé ; elles se trouvent assujetties par des discours comparables et prises dans les mailles des mêmes effets de pouvoir. Cette porosité fait écho aux premiers travaux de Foucault sur la folie qui montraient déjà qu’un même dispositif d’enfermement lié au développement de la morale bourgeoise s’était appliqué sans différenciation aux homosexuels, aux prostituées, aux vagabonds, aux libertins, aux insensés, aux alchimistes, etc., bref, à toute une communauté de parias aux destins semblables. Une nuance pourtant : il ne s’agit pas, selon cette perspective, d’étendre a priori la notion de « queer » à toute discrimination ou devenir minoritaire, ce qui pourrait lui faire perdre son intérêt stratégique de révélateur de certains types spécifiques d’assujettissement et de violence, essentiellement liés chez Foucault aux dispositifs de normalisation. C’est à une pensée du queer plus restreinte, désignant les sujets dont l’identité même entre en contradiction avec les normes morales et médico-légales, que nous voudrions contribuer en nous attardant ici sur des réflexions ultérieures de Foucault, qui développent notamment la possibilité d’une esthétique de l’existence et, avec elle, celle d’une subjectivation queer qui reste encore à explorer.
6Apparaissant certes au sein du vaste projet d’une histoire de la sexualité, le thème de l’esthétique de l’existence sert d’abord à caractériser une certaine attention à soi-même et une pratique de soi telles qu’elles se sont développées dans la Grèce ancienne. Une lecture plus approfondie du propos de Foucault fait vite apparaître pourtant que cette notion se construit chez lui dans la réception d’une tradition littéraire moderne – et non uniquement antique – qui court de la Renaissance au xixe siècle en passant en particulier par Baudelaire, et en vue précisément de mettre en lumière l’actualité de sa recherche sur la pensée ancienne, actualité qui répond à un diagnostic que porte Foucault sur notre époque (Mees, 2021).
7De plus, nous défendrons ici la thèse que l’esthétique de l’existence constitue l’une des formes que prend chez Foucault la pensée critique elle-même, concept destiné à réfléchir la puissance d’autonomisation des sujets dans les pratiques et attitudes à travers lesquelles ils se subjectivisent. Plus précisément, l’esthétique de l’existence constitue à la fois une possibilité concrète et un prisme théorique destinés à faire droit à des sujets anormaux, invisibles ou subversifs vis-à-vis des codes majoritaires. Tout l’inverse donc d’une célébration de l’individu indépendamment de son contexte politique d’existence, ou d’une valorisation des formes les plus néolibérales de la vie1. L’esthétique de l’existence incarne en ce sens une reprise et une reformulation active de questions qui traversent l’œuvre de Foucault depuis ses débuts et qui trouvent déjà une place particulière dans le premier tome de l’Histoire de la sexualité. Cette notion, développée entre 1982 et 1984, que la mort de son auteur priva sans doute d’un développement plus dense, permet aussi d’éclairer autrement et d’unifier des réflexions dispersées du dernier Foucault sur les vies queers que l’on peut retrouver dans les Dits et écrits. À titre d’exemples : le « vrai sexe » imposé aux personnes intersexes (Foucault, [1980] 2001f) ; la possibilité de « l’amitié comme mode de vie » inspirée de la socialité des milieux homosexuels ([1981] 2001g) ; le développement d’« un art de vivre » plutôt qu’une science de « ce qu’est la sexualité » pour les personnes homosexuelles ([1984] 2001d, p. 1554), évoquant notamment le cas du sado-masochisme lesbien.
8Cet article s’inscrit donc à la suite de nombreuses recherches qui visent à saisir la fécondité de la philosophie foucaldienne pour le développement de la théorie queer, en particulier s’agissant des derniers écrits de Foucault, et sans hypostasier pour autant celui-ci en saint patron de ce champ d’étude multiple (Halperin, 1995, p. 6-7), que cette reconnaissance soit ironique ou idolâtre. Cette fécondité tient entière dans la puissance critique qu’elle met en œuvre, contribuant à ce caractère bien explicité par Éric Fassin : « [L]a théorie queer, tout comme le radicalisme féministe ou l’histoire de l’homosexualité, ont bien une fonction politique, sans pour autant fonder une politique : c’est précisément que leur vocation est critique. » (2005, p. 241.) La question que nous posons maintenant est la suivante : selon quelles modalités la notion d’esthétique de l’existence préfigure-t-elle des éléments d’une pensée queer qui sera développée à la suite de Foucault, et comment se développe-t-elle chez ce dernier dans le croisement avec une certaine tradition littéraire ?
Esthétique de l’existence et attitude critique
9Dans l’introduction de L’usage des plaisirs, et pour caractériser les pratiques de subjectivation dont il suit la piste dans la pensée ancienne, Foucault évoque la « longue histoire » des esthétiques de l’existence ([1984] 2015a, p. 746), histoire à faire ou à reprendre dont le premier chapitre se trouverait dans l’Antiquité, poursuivi à la Renaissance. En note, Foucault ajoute la référence à l’étude de Walter Benjamin sur Baudelaire pour esquisser le prolongement au-delà cette époque (p. 746). Parallèlement, donc, à l’histoire de la sexualité, à laquelle il s’attelle dans cet ouvrage, Foucault esquisse une autre histoire qu’il resterait à accomplir, dont les contours sont pour le moins flous. Et le philosophe ne cessera de répéter rapidement, comme il le fait ici, quelques points clés d’une généalogie de l’esthétique de l’existence, mobilisant souvent les mêmes éléments, mais toujours avec de légères variations ou précisions. Aux quelques repères, notamment renaissants, qu’indique Foucault, s’ajoutent de nombreuses références situées plutôt au xixe siècle, comme dans cet extrait du cours sur l’Herméneutique du sujet qui avoue explicitement la difficulté de la tâche à laquelle invite le penseur :
Je pense qu’on pourrait aussi reprendre l’histoire de la pensée au xixe siècle un peu dans cette perspective. Et alors là, les choses seraient beaucoup plus compliquées, sans doute, beaucoup plus ambiguës et contradictoires. Mais on peut relire tout un pan de la pensée du xixe siècle comme la tentative difficile, une série de tentatives difficiles pour reconstituer une éthique et une esthétique du soi. Que vous preniez par exemple Stirner, Schopenhauer, Nietzsche, le dandysme, Baudelaire, l’anarchie, la pensée anarchiste, etc., vous avez là toute une série de tentatives tout à fait différentes les unes des autres bien sûr, mais qui, je crois, sont toutes plus ou moins polarisées par la question : est-ce qu’il est possible de constituer, reconstituer une esthétique et une éthique du soi ? (Foucault, 2001a, p. 240-241.)
10Foucault relève un foisonnement manifeste de l’idée d’esthétique de l’existence au xixe siècle, qui semble traverser les différentes couches de la vie culturelle et intellectuelle, échappant ainsi à toute circonscription rapide de la part du philosophe, qui ne peut que nous livrer une énumération assez étonnante, où se mélangent auteurs et courants de pensée, suspendue à un « etc. » final. De ses propres mots, l’affaire est complexe et ambigüe, et si le concept d’esthétique de l’existence semble tisser une trame commune, ce n’est qu’en tant qu’il se pense également au pluriel comme « des esthétiques de l’existence » ou « arts de l’existence » qui peuvent prendre des formes variables, éclatées, potentiellement infinies. Il n’en reste pas moins que la littérature vient ici doubler de façon active les références philosophiques, tandis que les références modernes viennent doubler à leur tour les textes anciens.
11Ce double croisement n’a en fait rien de saugrenu et répond à une réalité historique établie par la recherche récente. Tant les travaux sur la notion d’esthétisation que ceux sur le xixe siècle montrent que l’esthétique de l’existence dans sa pleine acception, c’est-à-dire la considération de la vie en termes de style, de forme, d’œuvre, dans un rapport perméable et réciproque avec la sphère artistique, et donc au-delà de la simple métaphore de la sculpture de soi, cette idée-là fleurit de façon massive en Europe au tournant du xixe siècle avec le romantisme, et le dandysme à sa suite (Diaz, 2019 ; Alloa et Haffter, 2021, p. 9). Deux remarques importantes peuvent être avancées à ce stade, qui nous ramènent à notre question conductrice.
12Sur la littérature, d’abord. Il semble bien que Foucault ait fait sien un motif récurrent de la littérature du xixe siècle : il y a véritablement un import en philosophie d’une idée, penser la vie comme œuvre d’art, qui émergea majoritairement du côté de la littérature et de la critique littéraire, appropriation d’ailleurs explicitement reconnue, même si Foucault la décrit et la conçoit de façon plus étendue. Mais il faut souligner qu’il ne s’agit pas seulement d’un écho thématique. En plaçant l’esthétique de l’existence de façon centrale dans son travail (Nègre, 1996 ; Delruelle, 2006 ; Mees, 2021), Foucault fait aussi de cette question le problème et l’actualité mêmes de sa recherche. Il nous semble qu’on trouve ici le cas assez remarquable d’une philosophie qui se trouve « in-formée » par la littérature, qui fait davantage que rendre compte de la richesse de cette dernière, mais adopte – ou mieux, adapte – dans sa langue les problèmes d’une certaine tradition littéraire, témoignant par là d’un mode opératoire original par lequel la philosophie se rapporte à la littérature chez le dernier Foucault. Nous ne pouvons développer ici les implications d’une telle opération du point de vue d’une philosophie de la littérature. Notons simplement que l’esthétique de l’existence ne peut sans doute se comprendre pleinement sans intégrer dans l’analyse sa généalogie littéraire, ce que nous tenterons d’esquisser de façon partielle ici.
13Sur la modernité et l’actualité de la notion, ensuite. La modernité de l’esthétique de l’existence ne se limite pas à la tradition culturelle qui lui donne historiquement sa formulation. Foucault n’aura de cesse de répéter que ce thème condense ce que sa recherche sur les pratiques de soi antiques a d’éminemment actuel. Pour le dire rapidement, cette notion est l’un des concepts qui permettent à Foucault de proposer une réflexion sur des pratiques de subjectivation qui s’autonomisent en partie des logiques d’assujettissement dont ses précédents travaux avaient pu rendre compte, dessinant la possibilité d’un nouveau rapport éthique à soi-même, qui s’érige en contrepoint de conduites d’obéissance vis-à-vis d’injonctions morales normatives. C’est que l’esthétique de l’existence, ici encore, apparaît comme bien plus qu’une simple image métaphorique : nous irions jusqu’à dire qu’elle représente l’une des formes, la forme ultime, de la critique chez Foucault. La critique, qui consiste moins chez le penseur en un exercice intellectuel qu’en une « attitude », invitant les sujets à se conduire selon une « inservitude volontaire », une « indocilité réfléchie », ce que Foucault résume dans Qu’est-ce que la critique ? par « l’art de n’être pas tellement gouverné » ([1978] 2015b, p. 37). Cet art est certainement à intégrer au sein des « arts de l’existence » définis par des termes semblables dans L’usage des plaisirs, comme ces
[…] pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes, non seulement se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier, et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et réponde à certains critères de style. (Foucault, [1984] 2015a, p. 745-746.)
14S’il restait un doute, la version anglaise de la conférence « Qu’est-ce que les Lumières ? » ([1984] 2001b) achève de connecter entre elles critique et esthétique. Foucault y propose une analyse de Baudelaire comme une perspective complémentaire à celle de Kant pour définir l’attitude critique et moderne dans laquelle il inscrit son propre travail. Baudelaire y est convoqué comme un « exemple […] presque nécessaire » (p. 1389), formule éminemment oxymorique, parce qu’il complète Kant dans la tentative de définition que Foucault entend faire de l’attitude critique à laquelle se rattache son propre geste philosophique, irréductible semble-t-il au criticisme kantien. Car c’est le véritable objet de ce texte que de définir « une certaine manière de philosopher » (p. 1390), introduite par un « nouveau type de question dans le champ de la réflexion philosophique », mais également un régime de discours qui lui est extérieur. Une manière de philosopher qui n’est pas pensable hors de la conjonction nécessaire de l’exigence de rationalité critique et de formes de problématisation héritées ou inspirées de la littérature – du dandysme littéraire. Or, la référence à Baudelaire, qui double le geste de la philosophie, est elle aussi opérée dans un rapport intime avec les thèmes d’une esthétique de l’existence, et ce double rapport à la littérature et à l’esthétique est pleinement dirigé vers la nécessité de penser autrement la philosophie, ce qui constitue la quintessence de la tâche critique.
Cependant, pour Baudelaire, la modernité n’est pas simplement forme de rapport au présent ; c’est aussi un mode de rapport qu’il faut établir à soi‑même. L’attitude volontaire de modernité est liée à un ascétisme indispensable. Être moderne, ce n’est pas s’accepter soi‑même tel qu’on est dans le flux de moments qui passent ; c’est se prendre soi‑même comme objet d’une élaboration complexe et dure : ce que Baudelaire appelle, selon le vocabulaire de l’époque, le « dandysme ». […] l’ascétisme du dandy qui fait de son corps, de son comportement, de ses sentiments et passions, de son existence, une œuvre d’art. L’homme moderne, pour Baudelaire, n’est pas celui qui part à la découverte de lui‑même, de ses secrets et de sa vérité cachée ; il est celui qui cherche à s’inventer lui‑même. […] Cette héroïsation ironique du présent, ce jeu de la liberté avec le réel pour sa transfiguration, cette élaboration ascétique de soi, Baudelaire ne conçoit pas qu’ils puissent avoir leur lieu dans la société elle‑même ou dans le corps politique. Ils ne peuvent se produire que dans un lieu autre que Baudelaire appelle l’art. (Foucault, 2001b, p. 1389-1390.)
15Foucault opère une inversion de ce qu’on pouvait trouver dans ses autres écrits et interventions. De l’idée que Baudelaire constitue l’une des figures d’une reprise moderne de l’esthétique de l’existence, nous passons à l’hypothèse que Baudelaire est moderne précisément parce qu’il déploie une esthétique de l’existence. Autrement dit, l’esthétique de l’existence devient l’un des critères définitoires – voire l’une des conditions – de la modernité elle-même. Mais aussi de la critique, telle que la pense Foucault.
16L’attitude critique est définie ici comme un rapport spécifique au présent, « acharnement à l’imaginer autrement qu’il n’est » (p. 1389), ce qui pourrait constituer pour Foucault une définition de l’exercice même de la philosophie ; mais, point essentiel, cette attitude critique n’est pas conçue indépendamment de l’esthétique de l’existence, les deux pratiques semblent ici se conditionner l’une l’autre. Et cette conjonction ne peut faire l’économie d’une pratique de l’art et, puisqu’il s’agit de Baudelaire, de la littérature. Ce nouage au sein de la pensée de Foucault du littéraire et de la question esthétique traduit une reformulation et une inflexion particulière du geste philosophique lui-même, dont héritera notamment Judith Butler.
17Dans un texte consacré à la question de la critique, Butler reconnaît dans sa conceptualisation par Foucault une contribution puissante à « une philosophie politique progressiste, et son alliance avec celle-ci » (Butler, [2000] 2005, p. 76). En fine observatrice, elle la définit comme un art à part entière, « suggérant qu’il n’y a pas de possibilité d’accepter ou de refuser une règle sans un soi stylisé en réponse à l’exigence éthique à laquelle il est soumis » (p. 87) :
[…] son esthétique et son explication du sujet sont tout à la fois liées intégralement à son éthique comme à sa politique. Alors que certains l’ont récusé pour son attitude d’esthète ou même de nihiliste, j’entends suggérer que son incursion dans le domaine de la fabrication de soi et, on peut le supposer, dans la poiesis elle-même, est au centre de la politique de désassujettissement qu’il propose. (Butler, [2000] 2005, p. 79.)
18La pratique de la critique double donc celle d’une pensée-artiste faisant briller le possible de « la forme de l’autre monde et de la vie autre » (Foucault, [1984] 2009, p. 311), pour reprendre les derniers mots, non prononcés, du Courage de la vérité.
19Mais en quoi cette articulation de l’attitude critique et de l’esthétique de l’existence est-elle riche du point de vue d’une pensée des existences queers ? Faire de sa vie une œuvre d’art : ce leitmotiv suppose bien un certain transfert sur l’existence humaine de propriétés et de fonctions qui seraient celles habituellement reconnues à l’art (selon, nous l’avons dit, une conception moderne de l’art), et qui permettraient précisément d’établir, par le décalage que ce transfert suppose, un rapport nouveau. Or c’est sans doute au prix de ce détour par l’esthétique de l’existence que la critique chez Foucault peut véritablement apparaître comme « effort pour queeriser la réalité », selon la formule de Danielle Perrot-Corpet commentant la lecture qu’en fait Butler (2018, § 24). Nous pouvons identifier trois façons complémentaires par lesquelles l’existence peut être ressaisie à travers le prisme de l’art, entendu comme modèle vital.
Sens de l’esthétique
20Le premier sens de l’art qui semble structurant pour le concept d’esthétique de l’existence, c’est l’idée moderne de l’œuvre comme invention à la fois originale et artificielle. C’est-à-dire, très schématiquement, une création qui, pour être reconnue comme art, se doit de faire surgir quelque chose de neuf, qui ne vise pas comme idéal l’imitation stricte du réel, de la nature ou d’autres chefs-d’œuvre. Une production dont la responsabilité revient à l’artiste, dans la fragilité d’un processus créatif qui peut toujours échouer, dont l’origine est résolument humaine et appartient à la catégorie de l’artificialité. On pense bien sûr à la valorisation dans le dandysme de l’artifice et de l’artificiel comme ce qui dépasse la nature, où la pratique artistique tente de se débarrasser de tout essentialisme de la beauté, de tout l’appareillage pesant d’une pensée du mimétique et de ses modèles. On pourrait commenter en ce sens l’« Éloge du maquillage » de Baudelaire ([1863] 2024, p. 447-450), où ce dernier critique le préjugé selon lequel le bien serait plutôt naturel qu’artificiel. C’est en s’appropriant ce positionnement que l’esthétique de l’existence peut être érigée chez Foucault en opposition à toutes les traditions qui présupposeraient une essence du sujet toujours déjà-là (héritage cartésien), essence à laquelle être fidèle, authentique (critique par exemple de l’authenticité sartrienne), à dévoiler ou à déchiffrer dans l’exercice psychanalytique, au lieu d’un sujet projeté dans le devenir, toujours à inventer et créer – conception du sujet que Foucault appelle de ses vœux et tente de formuler.
21Ce n’est d’ailleurs qu’à la lumière de celle-ci que peuvent se comprendre les réflexions de Foucault sur le devenir gay lié à l’invention d’un art de vivre, réflexions par ailleurs transposables dans leur principe à d’autres situations de devenir minoritaire, en particulier touchant à la sexualité. Dans un entretien publié en 1984, Foucault avance l’idée selon laquelle
[l]a sexualité est quelque chose que nous créons nous-mêmes – elle est notre propre création, bien plus qu’elle n’est la découverte d’un aspect secret de notre désir. Nous devons comprendre qu’avec nos désirs, à travers eux, s’instaurent de nouvelles formes de rapports, de nouvelles formes d’amour et de nouvelles formes de création. Le sexe n’est pas une fatalité ; il est une possibilité d’accéder à une vie créatrice. (2001d, p. 1554.)
22Non seulement la subjectivation minoritaire doit passer par des opérations de création qui produisent un « art de vivre », mais, en outre, celles-ci sont intimement liées à une conception de l’identité qui n’est pas la « découverte » d’une essence toujours déjà présente mais relève, dit-il plus loin, de « rapports de différenciation, de création, d’innovation » :
Eh bien, si l’identité n’est qu’un jeu, si elle n’est qu’un procédé pour favoriser des rapports, des rapports sociaux et des rapports de plaisir sexuel qui créeront de nouvelles amitiés, alors elle est utile. Mais […] si les gens pensent qu’ils doivent « dévoiler » leur « identité propre » et que cette identité doit devenir la loi, le principe, le code de leur existence […], alors je pense qu’ils feront retour à une sorte d’éthique très proche de la virilité hétérosexuelle traditionnelle. Si nous devons nous situer par rapport à la question de l’identité, ce doit être en tant que nous sommes des êtres uniques. (p. 1558.)
23Le principe d’identité n’est pas rejeté suivant une volonté de pure désidentification, mais il n’est pas non plus compris comme fixité du soi dans le temps. L’identité doit être entendue ici comme espace de relation, de tension, de jeu au sein duquel il s’agit d’inventer, dans un effort sans cesse relancé, une forme singulière puisque ne devant correspondre à aucun modèle a priori. Judith Butler insiste néanmoins sur le fait que cette création de soi n’est bien entendu pas exempte de toute contrainte, ne relève pas d’une liberté démiurgique du sujet qui pourrait se modeler à loisir, mais doit toujours composer avec un contexte politique et ses normes.
24Ce « principe d’une critique et d’une création permanente de nous-mêmes dans notre autonomie » (Foucault, 2001a, p. 1392) ouvre grand la voie aux possibilités d’invention de soi comme aux pratiques de désassujettissement qui constitueront des fers de lance de la théorie queer. Mais elles sont aussi au cœur de nombreux débats au sein des queer studies quant à la naïveté d’un discours vantant « les limbes heureuses [sic] de la non-identité » (Foucault, 2001e, p. 940), ses impensés du point de vue des corps et des sexualités, voire le retournement de la théorie queer contre des revendications identitaires avancées par de nombreuses voix LGBTQIA+, qui entraîne le refus du terme « queer » par des franges du milieu militant qui peuvent y voir une forme de dépolitisation.
25Mais l’esthétique de l’existence ne suppose pas seulement une identité à inventer, elle renvoie aussi à des identités qui n’existent qu’au travers de procédés créatifs qui sont ceux d’une visibilisation, d’une mise en forme sensible. Ce concept peut apparaître alors indispensable à une critique de l’identité lorsque celle-ci sert d’outil de normalisation aux mains de structures d’oppression, mais également indispensable aux courants militants qui entendent user des catégories identitaires comme points de ralliement à partir desquels lutter contre cette oppression, selon les deux versants de l’identité travaillés par Butler dans Trouble dans le genre ([1990] 2006, p. 59-111), en rendant possible la mise en forme des subjectivités minoritaires ou déviantes. Foucault peut lui aussi être lu en ce sens lorsqu’il affirme que la stabilisation des libertés et droits homosexuels sera nécessairement liée à
[…] la création de nouvelles formes de vie, de rapports, d’amitiés, dans la société, l’art, la culture, de nouvelles formes qui s’instaureront à travers nos choix sexuels, éthiques et politiques. Nous devons non seulement nous défendre, mais aussi nous affirmer, et nous affirmer non seulement en tant qu’identité, mais en tant que force créatrice. (Foucault, 2001d, p. 1555.)
26Le deuxième sens que l’on peut attribuer à l’esthétique de l’existence se rapporte ainsi à la capacité de l’art de faire forme, de faire émerger par ses mots et ses images dans le champ du visible, du dicible ou de l’audible ce qui y était autrefois inapparent. Nous insistions sur la part d’invention et de création du soi ; mais si Foucault parle d’esthétique et non de poétique de l’existence, s’il évoque la nécessité, depuis l’Antiquité, de se donner forme pour « se reconnaître mais aussi être reconnus par les autres » (2001c, p. 1550), c’est bien qu’il est question non pas d’un raffinement autocentré et autotélique de soi, mais de la prise du sujet au sein de jeux de réception et de sensibilité. Il s’agit donc pour Foucault de mettre en lumière à la fois la possibilité de travailler sur la forme même des vies, mais aussi celle de se rapporter à elles comme formes – ouvrant à la question très actuelle des formes de vie et de leur possible reconnaissance (Ferrarese, 2013 ; Ferrarese et Laugier, 2018). Ainsi, en stylisant, l’art fait apparaître des singularités qui peuvent désormais faire l’objet d’une reconnaissance, et qui a minima se manifestent à même la forme de l’art.
27Cette fonction se trouve au cœur du dandysme : par une attention à soi d’ordre esthétique, par une science de l’apparence et des manières, il s’agit de donner forme et corps à une singularité. Le dandy, note Barbey d’Aurevilly dans son livre consacré à Brummel, ne suit pas la mode, il la devance, il la produit : il s’agit pour lui de créer une mode qui soit en fait un mode d’existence, à lui propre et revendiquant une certaine qualité. Se formalisant, l’existence devient potentiellement objet d’attention, d’analyse ou d’évaluation esthétique. À travers ces opérations se trouve la possibilité de bouleverser nos représentations : non seulement de faire voir, entendre, sentir des existences – ou des dimensions de l’existence – qui demeuraient invisibilisées par la norme, mais aussi de modifier plus essentiellement les conditions de la visibilité, celles du dicible et, à travers elles, celles de l’intelligibilité elle-même.
28Cette propriété est reconnue explicitement par Foucault dans Le Courage de la vérité, qui met en avant l’idée de l’art moderne saisi non comme représentation, mais comme un rapport actif
[…] de l’ordre de la mise à nu, du démasquage, du décapage, de l’excavation, de la réduction violente à l’élémentaire de l’existence. Cette pratique de l’art comme mise à nu et réduction à l’élémentaire de l’existence est quelque chose qui se marque d’une façon de plus en plus sensible à partir sans doute du milieu du xixe siècle. L’art (Baudelaire, Flaubert, Manet) se constitue comme lieu d’irruption de l’en-dessous, de l’en-bas, de ce qui, dans une culture, n’a pas droit, ou du moins n’a pas de possibilité d’expression. (Foucault, [1984] 2009, p. 173.)
29Cette irruption peut se faire sous la forme de l’éclat, du scandale, de la manifestation par l’existence même d’autres possibilités de pensée et de vie. Le militantisme, pour Foucault, constitue une telle réorganisation du visible, lui qui « doit manifester directement, par sa forme visible, par sa pratique constante et son existence immédiate, la possibilité concrète et la valeur évidente d’une autre vie, une autre vie qui est la vraie vie » (p. 170). On rencontre à travers la question du militantisme d’autres enjeux que ceux du dandysme, bien sûr, mais c’est ce dernier qui le rend pensable comme esthétique de l’existence, et met en lumière la puissance transgressive d’un travail des formes et des styles appliqué à la vie même. Avec le dandysme, il s’agit d’abolir l’étanchéité de l’art et de la vie en démontrant que la vie peut constituer une œuvre à mettre en forme, tandis que l’art n’est plus une pratique locale mais s’étend à toutes les dimensions de l’existence. Cette réciprocité est analysée par Foucault, toujours dans Le Courage de la vérité, alors qu’il lie les concepts de la vie vraie et de la vie œuvre d’art autour du thème de la vie artiste et de la capacité de l’art à faire rupture par rapport « aux dimensions et aux normes ordinaires » ([1984] 2009, p. 172).
30Une troisième acception de l’esthétique de l’existence peut alors résider dans la qualification, la valorisation que suppose ce travail de l’art. Esthétiser, en ce sens, ce n’est pas seulement inventer, ou donner à voir, c’est rendre intéressant, important, séduisant, c’est donner une valeur sur le plan des échanges sensibles. Or l’esthétique de l’existence n’est pas normative quant aux conditions de cette valeur. Au contraire, c’est le geste de l’art moderne que de briser toujours en partie les codes dans le mouvement de son instauration. Chaque artiste n’existe qu’à subvertir à un degré variable ce qui lui préexiste pour faire exister une pratique et un style nouveaux. Foucault ne peut être plus clair sur ce point :
Et par là même l’art établit à la culture, aux normes sociales, aux valeurs et aux canons esthétiques un rapport polémique de réduction, de refus et d’agression. C’est ce qui fait de l’art moderne, depuis le xixe siècle, ce mouvement par lequel, incessamment, chaque règle posée, déduite, induite, inférée à partir de chacun des actes précédents, se trouve, par l’acte suivant, rejetée et refusée. ([1984] 2009, p. 174.)
31Les textes fondateurs de notre conception du dandysme – ceux de Barbey d’Aurevilly et de Baudelaire au premier chef – notent comme l’un de ses traits les plus saillants sa résistance de principe à toute norme générale, tendance exacerbée jusqu’à la caricature. Le dandysme est essentiellement subversif, à tel point qu’il échappe même à toute définition qui prétendrait le circonscrire ou en donner la loi. Si Baudelaire note par exemple que les dandys se situent toujours dans la pluralité, c’est le caractère d’opposition et de révolte qui caractérise le mieux son concept, la nécessité de combattre la trivialité autant que la morale et les formes de vie socialement promues.
32Une façon de formuler la chose serait de dire que l’esthétique de l’existence possède une charge transgressive dans le geste qu’elle rend possible de requalifier sur un plan, celui de l’esthétique, ce qui pourrait être réprimé, condamné ou minoré sur d’autres, ceux par exemple de la norme morale, de la loi, de la religion, de la politique, de la métaphysique. À propos de l’amour des garçons, Foucault reconnaît que l’attention esthétique à la forme de vie engage toujours déjà une valeur : « Il faut garder à l’esprit que cet “ascétisme” n’était pas une manière de disqualifier l’amour des garçons ; c’était au contraire une façon de le styliser et donc, en lui donnant forme et figure, de le valoriser. » (Foucault, 2015a, p. 951 ; nous soulignons.)
33Mais, de même que toute démarche artistique n’obtient pas une valeur de principe du seul fait de s’inscrire dans le champ des pratiques d’art et d’être reconnue comme telle – elle demeure soumise au jugement réflexif et critique de ses destinataires –, de même chaque esthétique de l’existence singulière n’a de valeur qu’au regard d’un jugement précisément « esthétique », jugement jamais définitif ni déterminant, mais réfléchissant a posteriori la valeur subjective de chaque forme à travers les possibles qu’elle crée. Il faut d’ailleurs souligner que l’esthétique de l’existence est souvent mobilisée par Foucault dans un rapport de concurrence. Il s’agit non pas d’opposer une vie esthétisée à une vie ordinaire, mais de confronter entre elles des façons de sculpter son existence, des formes de vie différentes dont il ne revient qu’à la critique (celle potentiellement mise en œuvre par toute subjectivité à laquelle se présentent ces formes) d’opérer le partage.
34Au terme de cette réflexion à partir de Foucault qui a mêlé de nombreux fils, il peut être utile de ressaisir de façon synthétique leurs croisements. La thématique de l’esthétique de l’existence, développée à la fin de la vie de l’auteur, constitue à la fois un motif et une orientation plus générale de sa pensée, nourrie en particulier par la littérature du xixe siècle et le dandysme, qui font d’ailleurs déjà une place intéressante à certaines vies queers2. Dans ce concept culminent diverses formes de la critique préalablement développées par Foucault, de l’art de penser autrement à celui de n’être pas tellement gouverné, en ouvrant la possibilité de subjectivations politiques. L’esthétique foucaldienne de l’existence peut ainsi se comprendre successivement comme 1) pratique d’invention de soi hors de toute essence ou nature prévalente, par exemple celle du sexe ; 2) mise en forme d’existences inaudibles ou invisibles qui pénètrent ainsi performativement dans le champ des représentations et bousculent le partage du sensible ; 3) qualification par l’esthétique de vies ou de corps disqualifiés sur le plan de la morale ou de la norme sociale, subvertissant ainsi certains des codes et valeurs traditionnels.
35L’esthétique de l’existence rend donc formulables le principe d’une identité fluide, sujette aux transformations, mais aussi l’idée de performance, de récit, de (ré)écriture de soi, qui seront au cœur des théories de la subjectivation minoritaire et de la théorie queer. En double-fond, c’est de la nécessité de façonner une contre-culture et de la possibilité d’employer l’expression artistique comme une arme politique qu’il est question ici. L’esthétique de l’existence est certes un prisme à travers lequel nous pouvons relire la pensée du dernier Foucault, mais elle est aussi essentielle pour y relier ses réflexions touchant aux « déviances » de genre ou de sexualité – réflexions déjà bien présentes dès le cours de 1975 sur Les Anormaux. Des dispositifs de discipline et de contrôle de l’individu, dont fait état ce cours, se distingue l’esthétique de l’existence comme concept permettant de repenser les vies pour en valoriser, par la médiation de l’art, la singularité, le potentiel subversif, et de les visibiliser comme telles. Pas encore de pensée revendiquée queer chez Foucault, dont les écrits témoignent d’ailleurs d’une absence flagrante de considération pour la question du genre. Mais de nombreux éléments qui vont en constituer une forme de généalogie, et pourraient être poursuivis encore au-delà pour réfléchir aux rapports contemporains de la théorie queer à l’esthétique.

