Dossier October 2021LHT n°26

Myriam Suchet
Lire en français au pluriel, et jusqu’à entendre l’appel des notes
1Au cours des années passées à élaborer ce que j’appelle un « imaginaire hétérolingue », j’ai souvent cité cette définition de Barbara Cassin : l’intraduisible, c’est « non pas ce qu’on ne traduit pas, mais ce qu’on ne cesse pas de (ne pas) traduire ». Cette citation m’offre ici l’occasion d’une première note que voici1 (je reviens sur cet appareillage en fin d’introduction) et aussi celle d’un calque : je dirai qu’est située toute théorie qui ne cesse de (ne pas) en avoir fini de se situer. Comment déterminer où commence, où s’arrête une situation — surtout quand le vertige des urgences décrétées ou ressenties semble exiger une actualisation perpétuelle ? Est-ce que cette difficulté voue toute théorie située à l’obsolescence ? Je préfère penser que c’est surtout une exigence : si se situer, pour une pensée, implique de ne pas cesser de se situer, alors c’est une responsabilité à toujours et encore transformer cette situation. Il existe, cependant, une condition pour que l’apparente aporie tourne en dynamique bénéfique. Il faut que le débat soit possible, qu’il puisse y avoir palabre2, rapport agonique3. Or c’est précisément ce qui risque de n’être plus possible dans les universités de cette France, en ce tout début d’année 2021.
2La crise, certes, n’est pas nouvelle4. La (contre-)réforme Licence-Master-Doctorat (« LMD »), amorcée en 2002, engageait déjà l’université dans un processus de marchandisation des savoirs et de privatisation5. C’est toute une conception de l’enseignement supérieur et de la recherche qui est mise à mal de façon systématique6. Ces derniers temps, la « loi de programmation pluriannuelle de la recherche »7 renforce la tendance libérale importée du modèle anglo-saxon. C’est pourtant sur une autre scène qu’une importation depuis les « campus nord-américains » se trouve dénoncée… Le 22 octobre 20208, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer évoque des « courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur9 ». Dans la foulée (le 31 octobre 2020), un texte signé d’une centaine de collègues croit bon de dénoncer « les idéologies indigéniste, racialiste et “décoloniale” (transférées des campus nord-américains) [...] nourrissant une haine des “Blancs” et de la France10 ». Le 20 novembre 2020, la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche est votée par le Sénat11, et se trouve augmentée d’un amendement qui introduit un nouvel article dans le code pénal12. Non contents de cet ajout, deux députés ont demandé l’ouverture d’une mission d’information sur « les dérives idéologiques dans les milieux universitaires »13. Le traitement médiatique réservé à ce conflit semble ignorer que le champ identifié comme « postcolonial » est loin d’offrir la moisson d’une pensée unique14.
3Ce numéro15 résonne doublement dans ce contexte : à la fois parce qu’il ne peut que s’y situer, et parce qu’il interroge le rapport de force entre « savoirs situés » et « savoirs objectifs ». Or cette apparente opposition s’avère trompeuse, dans la mesure où les deux paradigmes sont radicalement exclusifs. Dans le paradigme des « savoirs situés », en effet, l’objectivité est elle-même considérée comme « située », y compris par la prétention de ne pas l’être. De son côté, le paradigme des « savoirs objectifs » boute hors du domaine scientifique toute expérience, pratique, ou théorie « située » puisqu’elle ne sera par définition pas reconnue comme un « savoir »16. Pour le dire autrement : une approche située considère toute science objective en tant que situation tandis que l’approche objectiviste (plus qu’objective) ne considère pas le savoir situé comme un savoir. Difficile de s’entendre17 ! Pourtant, reconnaître le caractère situé (donc relatif) d’une position me semble nécessaire pour prendre en compte et dépasser aussi bien les conditionnements que les apports de la subjectivité qui s’y trouve impliquée. Comme un horizon offre une perspective davantage qu’il ne borne un paysage, se situer revient moins à se limiter qu’à prendre l’élan d’un perpétuel dépassement. La « situation » mise en jeu dans un « savoir situé » n’est pas une donnée fixe, mais une trame de relations réciproques, dynamiques18. Pour le dire encore autrement : toute situation est à faire advenir et à transformer19.
4Prenons l’exemple de cet article. Il a été rédigé à l’invitation de Marie-Jeanne Zenetti et de Cyril Vettorato, qui ont lancé l’appel pour ce numéro de Fabula‑LhT en décembre 2019. L’écriture en est entièrement modifiée à l’occasion de la journée d’études organisée le 12 février 2020, en pleine lutte contre la LPPR.
5Après quelques hésitations sur les modalités de cette journée, la rencontre se fait en jonction avec l’université populaire de Paris Diderot20. Seules les contributrices présentes en France métropolitaine ont pu se rendre à l’invitation, le reste des échanges tâchant de se tramer à distance. C’est l’occasion de prendre la mesure des discordances et conflictualités qui traversent le « nous » en effort de constitution21 et le diffractent d’enjeux sous-jacents22. L’inconfort qui en résulte n’est pas rhétorique, ni théorique : il affecte les corps et les pensées, parfois douloureusement23. S’il n’a pas toujours été facile de composer ce texte, j’ai aussi pris plaisir à chercher une façon d’inscrire la situation à même la forme de l’article.
6Cette expérimentation ne dédouanant pas de la traditionnelle (et bien utile) annonce de plan, la voici : je commencerai par poser les implications d’une mise en situation de la notion de « style » avant d’établir une alternative hétérolingue, qui s’appuiera sur deux exemples. La troisième et dernière partie basculera de l’analyse des textes littéraires à celle du texte que vous êtes en train de lire, envisageant la question du style dans le domaine académique. Cette approche « méta », indispensable à toute pratique située, ne sera pas conclue mais poussée à passer à l’acte, par-delà la barre des notes. Et c’est dans cet appareillage que je situe ma véritable proposition : donner à voir les marges pragmatiques dont tout texte scientifique s’accompagne le plus souvent en coulisse. Les notes situent toujours un texte en l’ancrant dans des références avouées, légitimes, tandis que les échanges plus informels sont souvent relégués aux oubliettes. Ici, je vous invite à plonger sous la barre des notes pour accéder à une piste de sous-titres situés. C’est par l’expérience que s’établira, j’espère, l’intérêt de la démarche.
Situé, le style ? Le « s » d’en français comme marque de pluriel
7« L’extrême évidence du rapport que nous entretenons avec notre propre langue est aussi ce qui nous la rend irreprésentable24 » : voici la toute première phrase de l’article de Laurent Jenny paru dans l’inaugural numéro 0 de la revue Fabula‑LhT. Autrement dit : nous évoluons dans notre langue, surtout lorsque nous croyons n’en avoir qu’une seule25, à la manière d’un poisson rouge persuadé de vivre dans un milieu naturel tant les parois de son bocal sont transparentes…
8La stylistique reconduit cette illusion, qui mesure les « figures » à l’aune d’un « propre » supposé inamovible. En effet, la notion de « style » repose sur une idée d’écart, qui perpétue le présupposé d’une norme situé dans le texte (endogène) ou non (exogène). D’où cette affirmation de Michel Beniamino :
L’écart stylistique — si tant est que cette notion a un sens — n’apparaît en toute clarté que dans le cadre strict d’une langue et la stylistique est incapable d’analyser ce phénomène dans le cadre d’une littérature écrite en situation de contacts de langue26.
9Michel Beniamino explique cette « situation » dans un autre texte : « Le problème réside dans le fait que les auteurs de ces travaux ont été formés dans le cadre de la stylistique, c’est-à-dire de la stylistique du français de France. Or, dans le cadre d’un texte produit par un écrivain ayant un répertoire linguistique étendu, la stylistique telle qu’elle existe est inadaptée27 ». Dans cette même perspective, Xavier Garnier affirme que les littératures francophones constituent un cas particulier, où le style constitue « non pas un écart dans la langue mais un écart de la langue elle-même28 ». Faudrait-il, dès lors, forger un terme spécifique pour envisager les littératures francophones ? L’opération aurait l’intérêt de ne pas oblitérer la « spécificité francophone » qui, selon Lise Gauvin, diffère irréductiblement de la situation des lettres françaises :
Tout écrivain doit trouver sa langue dans la langue commune, car on sait depuis Proust et Sartre qu’un écrivain est toujours un étranger dans la langue où il s’exprime, même si c’est sa langue natale. Mais la surconscience linguistique qui affecte l’écrivain francophone — et qu’il partage avec d’autres minoritaires — l’installe encore davantage dans l’univers du relatif, de l’a-normatif29.
10Une autre option, plus radicale, consiste à transformer corrélativement la notion de « style » et la conception de « la langue » afin d’admettre l’hétérogénéité constitutive de tout idiome, même national. D’après Cécile Canut :
La notion de « langue » telle qu’elle est posée par les linguistes ne peut être traitée comme une donnée du réel : ainsi posée, elle est une construction idéologique issue en grande partie de l’Occident pour lequel la langue est un élément identitaire. Assimiler la langue à une substance, voire une « essence », empêche toute compréhension des pratiques fluctuantes des locuteurs, déterminées par un ensemble complexe de phénomènes à la fois discursifs et pratiques30.
11Cette conception de « la langue » n’est pas compatible avec la notion d’écart ni même de variante ou de variété : seule une variation continue peut rendre compte d’une langue qui n’est plus envisagée comme une entité dotée d’une essence mais comme un ensemble de pratiques en transformation31. Autrement dit : il s’agit de lire le « s » d’en français comme une marque de pluriel32.
Pour un imaginaire hétérolingue
12Les approches postcoloniales ont volontiers recours à la théorie de la traduction, parfois pour considérer des cas effectifs, plus souvent pour en faire une métaphore33 ou une analogie34 d’écritures qui mettent en œuvre plus d’une langue à la fois, ainsi que les différences constitutives de chacune35. Rares sont, pourtant, les travaux consacrés à la caractérisation plus fine et précise de cette poétique. Le forgeur du terme « hétérolinguisme », Rainier Grutman, le définit comme « la présence dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principal36 ». Par contraste avec le plurilinguisme ou le multilinguisme, l’hétérolinguisme met l’accent sur la différence37 : il ne s’agit pas d’additionner des langues chaque fois « une » mais de prêter attention aux différences aussi bien externes qu’internes qui diffractent chacune. Dès lors, il s’agit moins de la « présence » d’une autre langue que d’une « mise en scène » par laquelle se joue la différence interne à « la langue » même38.
13Pour mieux saisir ce dont il est question, voici deux exemples39. Aucune représentativité ici, mais deux saisies distinctes le long d’un continuum40 où se dégagent deux seuils : un seuil de lisibilité au-delà duquel l’autre langue est si différente qu’on ne peut même plus la déchiffrer ni l’identifier et un seuil de visibilité au-delà duquel l’autre langue est si peu remarquable qu’on ne la distingue peut-être même pas dans sa différence41. Plutôt que de situer ces deux textes par rapport à leur contexte d’énonciation, je m’intéresse à la manière dont ils situent eux-mêmes, par leur poétique, une différence dans/de « la langue »42.
14Quant à je (Kantaje) de Katalin Molnár (Paris, POL, 1996) est écrit dans une langue qui, à première vue, semble si étrangère qu’on se demande si le texte sera vraiment lisible43. L’étrangeté est exhibée jusqu’à « traduire » le français le plus classique… en « fransé » :
é kan chui venu an Frans, chparlè pa, chparlè peû, chparlè mal, toutfasson, chkonprenè trè mal skon me dizè mé kan chparlé, charplé kom Kornèy é Rassinn : « Ô kruèl souvenir de ma gloire passé ! Euvre de tan jour an un jour éffasé ! »
15Affranchie de la norme, la faute n’en est plus une et l’écrit rejoint, dans toute sa matérialité, la plasticité régénératrice de l’oralité44.
16De son côté, la poésie de Jean Portante ne manifeste aucune trace d’étrangeté — même le titre du recueil, Effaçonner (Echternach, L’orange bleue, 1996), pointe vers un double travail invisible d’effacement et de façonnement :
n’oublie pas d’arroser les plantes
l’eau passe devant les plantes
ce n’est pas à elle d’arroser
qu’elles attendent l’arroseur
17C’est entre les lignes qu’il faut prêter l’oreille pour entendre affleurer les autres langues, qui ne sont pas tant les traces archéologiques préalables au français que son devenir en poésie. Jean Portante explique : « Lorsque j’écris c’est comme si je plongeais une aspirine dans un verre d’eau. Voilà du moins ce que je voudrais. Diluer la langue ainsi utilisée, afin que, dissoute, elle se mette à nu, comme on le dit d’un câble électrique qui, quand on le touche, met à mort. […] Je ne suis donc ni francophone ni vraiment francographe45. »
18Ces deux exemples suffisent à perdre la mesure de l’écart pour prendre celle de la variation par laquelle une langue, le français en l’occurrence, ne cesse de différer d’elle-même. Là où le plurilinguisme et le multilinguisme additionnent des langues autres, l’hétérolinguisme invite à penser « la langue » autrement.
Indiscipline relationnelle
19Cet « autrement » aura eu un effet sur le type de texte que je produis en tant que chercheure. Contrairement au style qui opère volontiers une soustraction du contexte46, l’hétérolinguisme rend perceptible la dimension pragmatique de n’importe quel texte. Si aucun texte littéraire ne parle tout seul, comment continuer à croire à l’absence de source énonciative même pour un positionnement qui se voudrait « neutre, objectif ou ontologique » (tout en favorisant, plus ou moins subrepticement, les points de vue et les intérêts dominants) ? Un texte scientifique n’est certes pas un texte littéraire, mais une attention particulière peut être portée aux indices hétérolingues dans les textes académiques47. Comme le rappellent Deleuze et Guattari, « plus une langue a ou acquiert les caractéristiques d’une langue majeure, plus elle est travaillée par des variations continues qui la transposent en “mineur”48 ». Il existe des études consacrées à la poétique des textes scientifiques, dont le code est particulièrement difficile à « cracker », notamment dans le domaine des sciences dites « dures »49, et dans le courant de l’épistémocritique50. La description que donne Pierre Macherey de « la langue » universitaire est glaçante :
La manière dont l’enseignement universitaire aborde les thèmes qu’il traite, en en « parlant » au titre d’une parole surplombante et désengagée, a pour but premier de les neutraliser, en les coupant artificiellement des conséquences que serait susceptible de déchaîner leur mise en œuvre effective. Entre les murs de l’Université circule une parole ésotérique, d’autant plus libre qu’elle se présente comme déconnectée des enjeux qui échappent à sa prescription […]51.
20Comment traduire cet obscur idiome universitaire en universiterrien à partager52 ? Tout se passe comme si les discours d’enseignement et de recherche s’ingéniaient à effacer les guillemets : il s’agit d’escamoter les indices de l’énonciation au point que plus personne ne semble parler (et assurément pas en « je »). Dans les termes de Robert Vion :
l’effacement énonciatif constitue une stratégie, pas nécessairement consciente, permettant au locuteur de donner l’impression qu’il se retire de l’énonciation, qu’il « objectivise » son discours en « gommant » non seulement les marques les plus manifestes de sa présence (les embrayeurs) mais également le marquage de toute source énonciative identifiable53.
21C’est précisément cette dimension d’adresse qui, à mes yeux (à mes oreilles ?) condense l’essentiel de l’enjeu relatif au caractère situé d’un savoir en train de s’énoncer : à qui parle‑t‑il, qui lui répond — et sur quel ton ? L’un des indices permettant de répondre très concrètement à ces questions est (quasiment) toujours disponible dans un texte scientifique : il s’agit des notes de bas de page, ou de fin de document, comme c’est le cas dans cette revue en ligne. Les références choisies, leur nombre mais surtout la manière de citer et de se référer compose un « portrait de situation », trace les contours d’une figure d’énonciation en recherche — bref, dessine un ethos. Situées sous le texte, les notes forment un soubassement obligé, parfois dénoncé comme contraignant parce qu’il semble illégitime d’avancer une idée sans pouvoir se référer à du pré-existant ou élitiste, parce que la lecture s’en trouve heurtée, complexifiée54. Pourquoi ne pas s’en réjouir, au contraire, et doublement ? Une première fois parce que le traitement des notes permet de situer n’importe quelle énonciation, même la plus effacée. Une seconde fois parce qu’il est possible d’en jouer, comme savent si bien le faire les textes littéraires55, pour en faire un usage qui travaille la différence à l’intérieur de chaque texte, orchestre des voix multiples, offre hospitalité et accueil.
22Davantage qu’une prolongation de l’explicitation, je propose de passer à l’acte en plongeant sous la barre des notes située ci-dessous. J’insiste une fois encore avant cette plongée : si la rédaction de ces notes peut sembler singulière, ce n’est pourtant qu’une manière de grossir le trait, pour révéler de manière un peu plus spectaculaire que de coutume la dimension hétérolingue et polyphonique, donc située, qui habite tout appareillage de référence qui fait l’ordinaire d’un article théorique56.
bibliographie
Corpus primaire
Molnár Katalin, Quant à je (Kantaje), Paris, POL, 1996.
Portante Jean, Effaçonner, Echternach, L’orange bleue, 1996.
Corpus secondaire
De même que j’ai dû réduire l’enquête de cas aux deux seuls exemples mentionnés ci-dessous, je suis contrainte de couper la bibliographie… et ravie d’en profiter pour vous convier à faire l’expérience proposée dans les notes de bas de page / fin d’article !
notes
1 La citation d’ouverture est empruntée à Barbara Cassin, Vocabulaire européen des philosophies, Paris, Seuil, 2004. J’aurais pu citer Henri Meschonnic, Pour la poétique II, Paris, Gallimard, 1973, p. 309 : « l’intraduisible est social et historique, non métaphysique ». Mais j’ai préféré ouvrir avec Barbara Cassin pour plusieurs raisons : parce que c’est une femme, qu’elle est plus contemporaine — et qu’elle a introduit à l’Académie française… un sabre laser !
2 Comme l’affirme Isabelle Stengers : « il n’y a palabre que parce qu’aucun des savoirs présents ne suffit à fabriquer le sens de la situation » (voir « Une politique de l’hérésie. Entretien réalisé par Stany Grelet, Philippe Mangeot et Mathieu Potte-Bonneville », dans Vacarme, en ligne, 2002/2, URL : http://www.vacarme.org/article263.html.) C’est par l’intermédiaire d’une lecture indisciplinée (Isabelle Ginot et Isabelle Launay, « L’école, une fabrique d’anticorps ? », dans Art Press, n° 23, 2002, p. 106-111) que j’ai rencontré cette référence.
3 Cette distinction agonisme/antagonisme me vient de Chantal Mouffe, « Politique et agonisme », dans Rue Descartes, n° 67, 2010/1, p. 25. Celle-ci distingue « antagonisme (rapport ami/ennemi) » et « agonisme (rapport entre adversaires) » pour repenser la démocratie sur des bases moins consensuelles mais plus opérantes.
4 L’idée même de « crise » peut s’avérer instrumentalisée pour justifier le pire : voir Romuald Bodin et Sophie Orange, L’Université n’est pas en crise, Bellecombe-en-Bauges, Du Croquant, 2013, et ACIDES, Arrêtons les frais ! Pour un enseignement supérieur gratuit et émancipateur, Paris, Raisons d’agir, 2015.
5 C’est grâce à l’invitation lancée par la revue Post-Scriptum pour un colloque d’avril 2015 intitulé Montréal comparatiste : tradition vivante (les actes ont paru ici : https://post-scriptum.org/parutions/montreal-comparatiste/), que je lis pour la première fois Bill Readings, Dans les ruines de l'université, trad. Nicolas Calvé, Montréal, Lux, 2014.
6 Cette destruction de l’univerCité est d’autant plus implacable qu’y sévit aussi un « ennemi intérieur », comme l’analyse Normand Baillargeon, Je ne suis pas une PME, plaidoyer pour une université publique, Montréal, Poètes de Brousse, coll. « Essai libre », 2011. Je perçois y compris chez moi-même des traces d’autodénigrement, de lassitude, d’infimes découragements qui laissent subrepticement gagner ce contre quoi je me bats pourtant.
7 Pour (re)trouver les éléments d’information relatives à Loi de programmation pluriannuelle de la recherche votée par le Sénat, voir http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8594.
8 Quand commencer l’archéologie d’une telle « situation » ? Il faudrait sans doute ne pas passer sous silence le traitement médiatique de la censure des Suppliantes en avril 2019. La pièce devait être jouée dans une mise en scène de Philippe Brunet, en Sorbonne. Parmi les analyses, je retiendrai celle d’Achille Mbembe (cité dans « Polémique autour d’une représentation des Suppliantes d’Eschyle », dans lundimatin, n° 187, le 16 avril 2019). Flavia Bujor me recommande de lire Christine Delphy, Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française (1980-2010), Paris, Syllepses, 2010. Elle me rappelle aussi qu’Emmanuel Macron a accusé la communauté universitaire de « casser la République en deux », propos rapporté en juin 2020 par le magazine Les Inrocks ; voir également https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/30/comment-emmanuel-macron-s-est-aliene-le-monde-des-sciences-sociales_6044632_3224.html.
9 Les propos de Michel Blanquer sont transcrits sur https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/blanquer-il-y-a-des-courants-islamo-gauchistes-tres-puissants-dans-les.
10 Le texte signé d’une centaine de collègues s’intitule « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni », en ligne : https://metahodos.fr/2020/11/02/appel-de-cent-universitaires-sur-lislamisme-ce-qui-nous-menace-cest-la-persistance-du-deni/. Qu’une revue en ligne intitulée « Methaodos » reprenne un tel texte laisse perplexe, et leur présentation donne une définition étonnante : « nous appelons la méthode — le vivre ensemble et un pacte social refondé » (https://metahodos.fr/notre-proet/).
11 La LPPR est adoptée alors que la communauté universitaire s’est largement mobilisée (c’est mon cas, en tous cas) pour dénoncer l’atteinte qu’elle porte aux principes mêmes de l’université.
12 Sur la manière dont l’amendement déposé par le sénateur Lafon (n° 147) autorise à restreindre les libertés académiques et les débats scientifiques sous couvert de les défendre, et sur le nouvel article (431-22) dans le code pénal, voir « La grande pénalisation de l’enseignement supérieur : le nouveau délit d’entrave aux débats », https://academia.hypotheses.org/27770.
13 Demande formulée le 25 novembre 2020 par Julien Aubert (Vaucluse) et Damien Abad (Ain), Républicains, URL : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/02/demander-une-sorte-d-enquete-parlementaire-sur-ce-qu-ecrivent-les-universitaires-est-inedit-les-sciences-sociales-dans-le-viseur-du-politique_6061944_3224.html.
14 Cette revue de presse, partielle et partiale, ne rend pas compte de la confusion journalistique qui embrouille considérablement le débat, comme le souligne Ludivine Bantigny sur France culture le 15 novembre 2020 (émission Signes des temps intitulée « Idéologie et université : déni ou droit à la recherche ? », https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/islamisme-et-universite-deni-ou-droit-a-la-recherche).
15 Initialement, j’avais écrit « pour notre numéro », désignant par là le collectif constitué par Marie-Jeanne Zenetti et Cyril Vettorato autour de leur appel, en précisant en note qu’il n’y a « aucune posture de majesté ni d’autorité dans ce “nous” ici ». Mais Heta Rundgren m’incite à changer de formulation, pour dissiper toute illusion inclusive et insister sur le travail de composition effectué ici.
16 L’article d’Aurore Turbiau rappelle la méfiance à l’égard de « la Théorie » soupçonnée d’être par définition (par essence ?) masculiniste. Cette idée se retrouve dans une tout autre situation chez Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples, Londres/Dunedin, Zed Books/University of Otago Press, 1999, p. 40.
17 Le relativisme soulève un enjeu proche, comme le montrent Florent Coste, Paul Costey et Éric Monnet dans « Qui a peur du relativisme ? », dans Tracés, n° 12, en ligne, 2007 : http://journals.openedition.org/traces/209. Dans son article « Le narrateur a-t-il un corps ? », Marion Coste (hasard des patronymes ?!) fait elle aussi le lien avec la question de l’universalisme et l’instauration d’un système duel.
18 Écoutant l’invitée de ma collègue et amie Joanne Clavel, Marie Bardet, présenter son édition d’Haudricourt dans la collection « Biblioteca sensible » aux Éditions Cactus, je note ce passage de Simondon tiré de L’Individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Paris, Jérôme Millon, 2005, p. 225 : « l’essence du vivant est peut-être un certain arrangement topologique que l’on ne peut connaître à partir de la physique et de la chimie, utilisant en général l’espace euclidien ». Après avoir beaucoup hésité, j’enlève cette citation de l’exergue où je l’avais placée, pour ne pas installer d’emblée une figure d’autorité.
19 L’article de Heta Rundgren intitulé « Des mots et des mondes au croisement du féminisme et du réalisme ou des limites d’une expérience théorique » pose ce rapport en abyme entre des textes et des théories dont la fonction est de se donner les moyens d’opérer un changement dans la situation.
20 Jusqu’au premier confinement, l’université populaire Paris Diderot sera l’une des plus actives, déployant un vaste programme de modes de réflexion sous des formats multiples et différents (https://mypads.framapad.org/mypads/?/mypads/group/paris-7-qv1hv576e/pad/view/agenda-universite-pop-1e36o47ro). Comme je suis par ailleurs impliquée dans l’Université buissonnière qui avait aussi lancé une université populaire à Paris Descartes, une telle jonction était essentielle pour moi.
21 Lors de cette rencontre du 12 février, il sera question (tournure impersonnelle employée pour éviter un « nous » pseudo-consensuel) de ces images, qui circulent alors qu’une décision doit se prendre (par qui ?) relativement à la parution, ou non, de ce numéro. Et c’est, précisément, pour ne pas précariser davantage les plus précaires (qui sont ici des auteurEs), que la décision se prendra (collectivement) du publier quand même.
22 Notamment : l’importance d’une publication dans une revue de notoriété respectable diffère considérablement selon nos statuts, tandis que nos approches respectives convoquent des théories parfois incompatibles.
23 À ce propos, Heta suggère la lecture du texte de María Lugones traduit en français par Jules Falquet et Paola Bacchettap, « Attitude joueuse, voyage d’un “monde” à d’autres et perception aimante », dans Théories féministes et queers décoloniales, n° 18, 2011, p. 117-139.
24 Laurent Jenny, « La langue, le même et l’autre », dans Fabula‑LhT, n° 0, en ligne, 2005 : http://www.fabula.org/lht/0/index.php?id=103. C’est manifestement une ligne éditoriale de la revue Fabula‑LhT, ou du moins un fil que je choisis de tirer depuis son numéro fondateur.
25 Pour se débarrasser de l’illusion qu’une langue, quelle qu’elle soit, même française, puisse être « une », (re)lire Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l’autre, Paris, Galilée, 1996. Une autre stratégie est de laisser de l’espace de parole aux étudiant•e•s, et de constater que nous n’avons pas toujours la sensation de parler la même langue… pour s’en réjouir ensemble !
26 Il s’agit d’un texte déjà ancien, mais qui m’apparait toujours aussi pertinent : Michel Beniamino, « Pour une poétique de la xénologie. À propos de la création lexicale dans la littérature franco-créole : comparaisons et hypothèses », dans Études créoles, xx (1), 1997, p. 34.
27 Quelques années plus tard, le même Michel Beniamino, dans La Francophonie littéraire, essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 244.
28 Xavier Garnier, « La littérature africaine francophone : une affaire de style ? », dans Jean-Marc Moura et Lieven d’Hulst (dir.), Les Études littéraires francophones : état des lieux, Lille, Presses de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, coll. « Travaux et Recherches », 2003, p. 238-240. Xavier Garnier est un proche collègue à la Sorbonne Nouvelle, où nous avons notamment monté deux collectifs de réflexion critique : « Penser d’ailleurs » (lectures post- et dé-coloniales) et « Zones Zadir » (écopoétique et géocritique). Jean-Marc Moura, qui codirigeait cet ouvrage, a été mon directeur de thèse.
29 Lise Gauvin est une éminente référence dans le domaine des littératures francophones, incontournable pour les lettres du Québec (elle est d’ailleurs citée ici-même aussi par Mélissa Thériault) ; voir notamment La Fabrique de la langue. De François Rabelais à Réjean Ducharme, Paris, Seuil, 2004, p. 258.
30 Cécile Canut, « Pour une nouvelle approche des pratiques langagières », dans Cahiers d’études africaines, n° 163‑164, en ligne, 2001 : http://etudesafricaines.revues.org/document101.html, consulté le 24 août 2010. Cécile Canut est aussi à l’initiative de l’Université buissonnière mentionnée dans la note 20 ! Cette jonction me semble confirmer l’affinité entre désessentialisation de « la langue », décloisonnement disciplinaire et co-élaboration de savoirs situés.
31 William Labov, Sociolinguistique, trad. Alain Kihm, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1976, p. 264. Comme l’explique Pierre Encrevé dans la présentation de l’ouvrage (p. 31) : « la variation inhérente, c’est l’hétérogénéité installée au cœur de tout dialecte propre, de tout système linguistique ».
32 Pour le dire de façon plus poétique avec Abdelkébir Khatibi : « la langue française n’est pas la langue française : elle est plus ou moins toutes les langues internes et externes qui la font et la défont » (« Bilinguisme et littérature », Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983, p. 188). Je me permets de renvoyer aussi au n° 12 de cette même revue, intitulé La Langue française n’est pas la langue française, que j’ai codirigé avec Samia Kassab : http://www.fabula.org/lht/12/introduction.html.
33 L’une des figures phares de la pensée postocoloniale et plus précisément de la traduction comme pierre angulaire est Homi Bhabha, « The Third Space », dans Jonathan Rutherford (dir.), Identity: Community, Culture, Difference, Londres, Lawrence & Wishart, 1990, p. 210-211.
34 Dans mon parcours, cette lecture aura été plus fondatrice encore que celle de Bhabha : Maria Tymoczko, « Post-colonial writing and literary translation », dans Susan Bassnett et Harish Trivedi (dir.), Postcolonial Translation Theory and Practice, Londres, Routledge, 1999, p. 19-20.
35 Faute de place, je coupe la très belle citation de Samia Mehrez, « Translation and the Postcolonial Experience: the Francophone North African Text », dans Lawrence Venuti (dir.), Rethinking Translation, Discourse, Subjectivity, Ideology, Routledge, New York, 1992, p. 121. C’est en lisant Samia Mehrez que me vient pour la première fois l’idée d’inverser le rapport hétérolinguisme-traduction pour ne plus penser le premier par analogie avec la seconde et, au contraire, redéfinir celle-ci à partir de celui-là.
36 Rainier Grutman, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au xixe siècle québécois, Québec, Fides, 1997, p. 37. La même année, Naoki Sakai fait paraître Translation and Subjectivity, où il oppose le régime (ou mode) homolingue de traduction et le mode hétérolingue, qui ne présuppose pas l’identité ni la transparence des langues — voir Naoki Sakai, Translation and Subjectivity, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997, p. 12-13.
37 Lors du colloque ArTeC Traduire la performance / performer la traduction qui a eu lieu en décembre 2019 aux Laboratoires d’Aubervilliers, l’interprétation simultanée en langue des signes française aura souligné l’inconvénient du préfixe « hétéro- » qui peut aussi s’entendre (ou plutôt se signer) au sens normatif (et sexuel) de « straight ».
38 Allez, je me cite moi-même ! Dans mon ouvrage L’Imaginaire hétérolingue, ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues (Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 19), j’ai proposé de redéfinir l’hétérolinguisme comme « la mise en scène d’une langue comme plus ou moins étrangère le long d’un continuum d’altérité construit dans et par un discours (ou un texte) donné ». Ce livre est tiré de ma thèse, soutenue en 2010 en cotutelle entre Lille 3 et Concordia University.
39 Avant de couper drastiquement dans ce texte pour le mettre aux normes, figuraient ici une quinzaine de « cas ». L’enquête par cas, revendiquée notamment par des artistes comme franck leibovici (sans majuscules, dont je connais le travail grâce à Virginie Bobin), est présentée par Josep Rafanell i Orra comme une occasion de « savoir relationnels » et « positionnels » ouvrant « des perspectives partielles qui, en nous orientant dans notre manière d’être là, nous invitent à prendre parti » (Fragmenter le monde, Paris, Divergences, 2017, p. 83). Certains des « cas » que je voulais évoquer se trouvent dans les actes d’un colloque organisé par Valentin Feussi et Joanna Lorilleux (dir.) : (In)sécurité linguistique en francophonies. Perspectives in(ter)disciplinaires, Paris, L’Harmattan, 2020.
40 La forme du continnum me vient de Louis-Jean Calvet et Lia Varela, « De l’analogique au digital. À propos de sociologie du langage et/ou sociolinguistique et/ou linguistique », dans Langage et Société, n° 89, 1999, p. 25-58.
41 C’est Jacqueline Authier-Revuz qui aura attiré mon attention sur le « tracé de frontière, celui de la place, circonscrite, qu’il reconnaît à l’autre discours, extérieur, assurant par là même les contours d’un “intérieur” du dire de soi ». Elle précise qu’un même procédé formel (de balisage, par exemple), peut marquer une étrangeté ou au contraire une forme de connivence ; voir « La représentation du discours autre : un champ multiplement hétérogène », dans J.M. Lopez Muñoz et alii (dir.), Le Discours rapporté dans tous ses états, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 53. Pour continuer à situer ce propos et rendre compte de la manière dont les situations peuvent éclairer les contradictions qui nous traversent, je note avec stupeur que la même Jacqueline Authier-Revuz a signé, en septembre 2020, une tribune à l’encontre de l’écriture inclusive : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les.
42 Les guillemets me servent à rappeler le caractère toujours construit, historique, contingent, des frontières de « la langue ». Quant au slash, je l’emprunte à Anne Tomiche, « Poétiques de l’altération dans/de la langue », dans id. (dir.), Altérations, créations dans la langue : les langages dépravés, Clermont-Ferrand, PU Blaise-Pascal, 2001, p. 14.
43 Pour une réflexion plus poussée, cf. Amanda Murphy, « Poétiques hétérolingues : le queering des Langues ? L’exemple de Katalin Molnár », De Genere, en ligne, 2020 : https://www.academia.edu/41345691/Po%C3%A9tiques_h%C3%A9t%C3%A9rolingues_le_queering_des_Langues_Lexemple_de_Katalin_Moln%C3%A1r.
44 Quelle surprise et quel plaisir de découvrir la police de caractères orthographico-phonético-plastique Quantanje et le Kouije de Pierre di Scullio ! Pour constater par vous-même l’étrange coïncidence, voyez http://www.quiresiste.com/projet.php?id_projet=48&lang=fr&id_gabarit=0.
45 Je le cite parce que la lecture en est pour moi récente… et enthousiasmante ! Jean Portante, « Le travail de la baleine », dans Corinne Blanchaud (dir.), Pour la poésie. Poètes de langue française (xxe-xxie siècle), Vincennes, PU de Vincennes, 2016, p. 147-154.
46 Jean-Michel Adam pose le problème sous la forme de l’équation « TEXTE = Discours – Conditions de production » et souligne caractère problématique de l’opération de « soustraction du contexte » dans Linguistique textuelle : des genres de discours aux textes, Paris, Nathan, coll. « Fac », 1999, p. 23.
47 Ce questionnement relatif à l’hétérolinguisme des textes académiques nous occupe aussi au sein du Groupe de Recherche-Action en Sciences Sociales (le GRASS) qui se réunit une fois par mois, en moyenne, à Montpellier : https://www.fabriquesdesociologie.net/groupe-recherche-action-en-sciences-sociales-grass/. Il s’avère que nous avons un homonyme lui aussi montpelliérain (mais pas seulement) qui désigne, précisément, un « Groupe de Réflexion Autour des Savoirs Situés » ! — URL : https://crises.www.univ-montp3.fr/fr/doctorants/s%C3%A9minaire-jeunes-chercheures-grass.
48 Citer Deleuze et Guattari, comme savoir prononcer « déterritorialisation » du premier coup sans buter permet toujours (encore) de ménager un effet. Force est d’admettre que je sacrifie au rite… C’est que j’ai véritablement eu un déclic le jour où j’ai compris l’enjeu de la citation suivante, que je partage du coup avec vous (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Minuit, 1980, p. 130) : « Il n’y a donc pas deux sortes de langues, mais deux traitements possibles d’une même langue. Tantôt l’on traite les variables de manière à en extraire des constantes et des rapports constants, tantôt de manière à les mettre en état de variation continue. [...] Constante ne s’oppose pas à variable, c’est un traitement de la variable qui s’oppose à l’autre traitement, celui de la variation continue. [...] “Majeur” et “mineur” ne qualifient pas deux langues, mais deux usages ou fonctions de la langue. »
49 Jean-Marc Lévy-Leblond, « La langue tire la science », Paris, EHESS, 2009, https://collectiflieuxcommuns.fr/218-la-langue-tire-la-science.
50 Par exemple le séminaire initié par Paule Petitier (Paris Diderot) : La Science en langue commune. Voir aussi : Baudouin Jurdant, « Parler la science ? », dans Alliage, n° 59, 2006, p. 57-63 et Fernand Hallyn, Les Structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell, Paris, Seuil, 2004 ; J.-M. Lévy-Leblond, « La science au défi de la langue », dans Synergies Europe, n° 8, 2013, p. 19-28.
51 Pierre Macherey, La Parole universitaire, Paris, La Fabrique, 2011, p. 229. Nous avons travaillé à expliciter le code du langage universitairien dans le cadre du projet de pédagogie innovante Agilabil (financement Idex USPC 2015-2016, http://agilabil.tumblr.com/).
52 Vous pouvez aussi tendre une oreille vers le Manuel de langue universiterrienne, amorcé avec David Christoffel dans le cadre du projet Montre-moi ta langue (financé par la Sorbonne Nouvelle entre 2015 et 2016) : https://soundcloud.com/radio-training/sets/comment-parler-universitarien.
53 Robert Vion, « “Effacement énonciatif” et stratégies discursives », dans André Joly et Monique De Mattia (dir.), De la syntaxe à la narratologie énonciative, Paris, Ophrys, 2001, p. 18. Bruno Latour invite les étudiants à remettre les énoncés en bulle c’est-à-dire, très concrètement, à les entourer à la manière des phylactères des bandes dessinées, pour leur restituer leur source énonciative. Voir Cogitamus : six lettres sur les humanités scientifiques, Paris, La Découverte, 2010, p. 81-82.
54 Nous avons eu l’occasion d’en discuter abondamment avec Léa Laval au cours de la rédaction de sa thèse de doctorat, Travailler les savoirs pour une université autrement populaire, soutenue le 15 novembre 2019 à Paris 8 — merci !
55 Voir par exemple Peuls de Tierno Monénembo, paru à Paris au Seuil en 2014 (avec 130 notes de bas de page), ou encore Vengeance du traducteur de Brice Matthieussent, paru à Paris chez POL en 2009 et qui a reçu le Prix du… style ! La boucle est bouclée ? Pas sans une dernière référence à Lise Gauvin : « Le statut de la note : didascalie ou diégèse (Beauchemin, Gauvin, Ducharme) », dans Écrire pour qui ? L’écrivain francophone et ses publics, Paris, Karthala, 2007, p. 17-36.
56 Last but not least, c’est avec gratitude que je révèle que l’usage polyphonique des notes de bas de page m’a été fortement inspiré par Vinciane Despret, qui l’active (très différemment) dans son ouvrage Au Bonheur des morts, Paris, La Découverte, 2015.
résumés
Cet article s’efforce de se situer à la fois en théorie et en pratique. Côté théorie, il envisage les implications d’une mise en situation de la notion de « style » et propose une alternative hétérolingue appuyée sur deux exemples. Côté pratique, il invite à lire l’appareillage des notes comme une piste de sous-titres révélant la marge pragmatique d’ordinaire escamotée et pourtant bien présente dans les textes scientifiques.
This essay is both theoretically and practically situated. It considers the notion of “style” within the framework of standpoint theory and suggests an alternative by shifting to a heterolingual imaginary. While doing so, the footnotes are triggered as situated subtitles, revealing the pragmatic margin usually kept hidden in academic texts.
plan
mots clés
En français au pluriel, Imaginaire hétérolingue, Notes, Style
auteur
Myriam Suchet
myriam.suchet@sorbonne-nouvelle.fr Université Sorbonne Nouvelle — Institut Universitaire de France
pour citer cet article
Myriam Suchet, « Lire en français au pluriel, et jusqu’à entendre l’appel des notes »,