Dossier December 2012LHT n°10

Catherine Depretto
La « Dominante » de Roman Jakobson, ou comment parler du formalisme russe dans la Tchécoslovaquie de 1935
1Questions de poétique (1973) est l’anthologie en français la plus complète de textes de Roman Jakobson, consacrés à la théorie de la littérature, ainsi qu’à celle des autres arts (cinéma, musique, peinture). Réunissant des études s’échelonnant de1919 à 1972, le volume parut dans la collection « Poétique » des Éditions du Seuil, dirigée par Gérard Genette et Tzvetan Todorov, également maître d’œuvre de l’ouvrage1. Les années « formalistes » de Jakobson y sont représentées par des extraits de ses deux contributions principales, La poésie russe contemporaine (sur Khlebnikov, 19212) et Du vers tchèque (1923), tous deux parus en volumes, auxquelles on peut ajouter les thèses rédigées avec Iouri Tynianov à Prague en 1928, « Problèmes des études littéraires et linguistiques », ainsi qu’un texte sur la dominante, daté de 19353.
2Une note de bas de page indique que l’étude sur la dominante a été publiée pour la première fois en anglais4 et surtout qu’elle fait partie d’un ensemble inédit de cours sur le formalisme, faits en tchèque par Jakobson à l’Université Masaryk de Brno en 1935. Aujourd’hui, ce cours est accessible, dans sa version originale, grâce à une édition commentée et annotée de Tomáš Glanc parue en 2005, suivie, en 2011, de sa traduction en russe5.
3Cet ensemble, intitulé « L’école formelle et la critique littéraire russe contemporaine » est intéressant à plus d’un titre. Il permet de replacer dans son contexte l’extrait consacré à la dominante et nous renseigne sur l’image que Jakobson donnait du mouvement russe à ses auditeurs tchèques dans les années 1930. Cependant, si ces cours sont pour l’essentiel rédigés, ils n’étaient sans doute pas destinés à être publiés : aussi comportent-ils des passages pluselliptiques (en particulier les deux dernières pages) et sont-ils dépourvus de références. L’éditeur pense pouvoir affirmer toutefois que Jakobson y attachait de l’importance car, dans les années 1960, il aurait fait passer à ses collègues tchèques une version dactylographiée deces cours, relue par ses soins6. Quoi qu’il en soit, le statut un peu particulier de ce texte doit être présent à l’esprit lors de l’analyse : on ne sait ni sous quelle forme exacte il a été lu, ni à quel public précis il était destiné…
La dominante et son contexte
4À consulter l’ensemble du cours de 1935, on comprend le choix des éditeurs d’avoir privilégié les pages consacrées à la dominante : c’est le seul passage qui s’arrête en détail sur une notion centrale du formalisme russe, fortement valorisée par Jakobson7. Pourtant, celui-ci n’est pas le premier à en avoir parlé. Le mérite en revient à Boris Eikhenbaum qui en donne une première définition dans La Mélodique du vers lyrique russe en 19228 (première parution en livre, ensuite réédité en ouvrage) ; la notion est ensuite retravaillée par Tomachevski et par Tynianov9. La présentation qu’en fait Jakobson reprend son propre appareil terminologique, en particulier sa notion de fonction esthétique (voir son texte plus tardif, « Linguistics and poetics10 »), mais ne fait pas référence aux travaux de ses anciens compagnons. La dominante lui permet surtout de mettre en évidence l’évolution du mouvement et la plus grande profondeur conceptuelle à laquelle il est parvenu après les slogans initiaux sur l’œuvre d’art, somme de procédés, façon indirecte de se démarquer de Chklovski. C’est, en particulier, grâce à l’idée de « changement de dominante » que les formalistes ont commencé à envisager l’histoire littéraire, ou, dans la terminologie tynianovienne, l’évolution littéraire. Ils ont conceptualisé ce qui tenait à cœur à Jakobson, à savoir l’imbrication entre système et diachronie, qui fait que tout système porte en lui-même les éléments de son évolution et que toute diachronie possède également un caractère systémique :
Ce fut la recherche formaliste qui démontra clairement que le changement, l’évolution ne sont pas uniquement des assertions d’ordre historique (d’abord il y a A, puis A1 s’installa à la place de A), mais que le changement est aussi un fait synchronique directement vécu, et une valeur artistique pertinente. Le lecteur d’un poème ou le spectateur d’un tableau est réellement attentif à deux ordres : d’un côté, le canon traditionnel ; de l’autre la nouveauté artistique comme déviation de ce canon. C’est sur la toile de fond de la tradition que l’innovation est perçue. Les études formalistes ont démontré que c’est cette simultanéité entre le maintien de la tradition et la rupture avec la tradition qui forme l’essence de toute nouvelle œuvre d’art11.
5Si Jakobson illustre son propos d’exemples originaux pris à la culture tchèque, il n’oublie pas de mentionner les derniers travaux des formalistes russes, caractéristiques de ce tournant en direction de l’histoire de la littérature, ceux d’Eikhenbaum, Tynianov et de leurs élèves sur la poésie et la prose du xixe siècle, mais aussi ceux de Goukovski sur le xviiie siècle ou de Vinogradov sur Gogol. Mais l’accent mis sur la notion de dominante est surtout l’occasion pour Jakobson d’insister sur les correctifs apportés aux premières assertions du formalisme et de dresser la liste de ses erreurs, ce par quoi s’achève ce cours. Cette partie, non rédigée, nécessiterait un commentaire ligne à ligne qu’il n’est pas possible d’envisager ici. Elle montre, de la part du linguiste, la volonté d’analyser les insuffisances théoriques du formalisme, d’évoquer les polémiques qui l’ont opposé aux courants adverses et s’achève sur l’extinction du mouvement, due, selon lui, à des facteurs autant intérieurs qu’extérieurs12.
6Jakobson affirme ainsi sa différence par rapport au formalisme de ses débuts. Cette évolution se manifeste également dans l’attention portée à la genèse du mouvement et à l’hommage rendu à ses prédécesseurs slaves, le linguiste ukrainien Oleksander (Aleksandr) Potebnia (1835-1891), le comparatiste russe Aleksandr Vesselovski (1838-1906) et le poète symboliste Andreï Biély (1880-1934). Cette attitude déférente rompt avec la volonté affichée des formalistes russes de se présenter comme un groupe de la rupture, peu soucieux de ses racines historiques. Les références à ces trois auteurs, présentes dans leurs premiers travaux, étaient faites le plus souvent sur le ton de la polémique et c’est avant tout contre Potebnia, Vesselovski ou Biély que le mouvement entendait se positionner. Quant à Jakobson, c’est un adversaire déclaré de tout ce qui est génétique, recherche d’origine, un critique sévère des travaux de métrique des symbolistes, en particulier de ceux de Brioussov (qu’il mentionne également13). Plus généralement, Jakobson donne l’impression dans ces cours de dresser en réalité un panorama de l’ensemble des travaux consacrés en terrain russe aux questions de poétique et se montre en la matière particulièrement éclectique14. Il adopte un point de vue totalement inverse de celui des formalistes de Russie, en particulier de Boris Eikhenbaum qui a toujours insisté pour dire distinguer l’école formelle des études de la forme. Les études formelles classiques, selon lui, reposent sur une conception dualiste de la forme, du type contenant/contenu où la forme est l’enveloppe qui sert à présenter le contenu, le plus important en définitive. Or, pour les formalistes, la forme est une unité dynamique forme/matériau ; il n’y a pas de forme sans matériau et réciproquement.
7Si Jakobson tient à ce point à élargir le spectre de ceux qui en Russie sont formalistes sans le savoir, c’est qu’il a tenté dans les premiers cours d’établir que le formalisme russe est un phénomène russe et slave qui se suffit à lui-même et qu’il est le point d’aboutissement d’une tradition nationale. Contrairement à ce que prétend la science occidentale (romano-germanique), non seulement il y a en Russie une tradition d’étude de la forme, mais une tradition plus riche qu’en Occident et pour ce faire Jakobson a dressé un vaste panorama de la littérature russe depuis le Moyen Age jusqu’à l’époque actuelle, dans lequel il s’évertue à montrer la récurrence de tendances anti-positivistes et d’un intérêt pour les questions formelles. Ce panorama réunit en un tout l’héritage de Byzance, les textes vieux-russes, le xviiie, le xixe, y compris les maîtres du roman russe, et finit par Plekhanov et Boukharine (mentionné pour son discours sur la poésie au premier Congrès des écrivains soviétiques en 193415).En insistant sur la constante anti-positiviste qui se retrouverait dans le formalisme russe, Jakobson contredit un trait original du mouvement, revendiqué par ses principaux porte-parole, à savoir son caractère fondamentalement positiviste. Les formalistes de Russie, le groupe de Petrograd en particulier, refusent les catégories esthétiques a priori et partent de l’analyse de faits littéraires concrets :
Le formalisme russe est intéressant en ce qu’il affirme l’autonomie des catégories esthétiques par en-bas, à partir de l’étude du processus même de l’évolution historico-littéraire et de sa propre conception de ce qui est scientifique, et non par en-haut (à partir de la sphère de la source éternelle du beau, de la sanction supérieure de l’art verbal ou d’une recherche spirituelle)16.
8En dotant le formalisme d’une généalogie russe, Jakobson minimise sa dimension de rupture, estompe son lien avec le futurisme alors que dans les années 1960, il insistera, à l’inverse, sur l’importance de l’avant-garde dans sa genèse17.
Quel formalisme et pourquoi ?
9Le contexte universitaire, national et historique explique sans doute, pour une bonne part, cette façon inattendue de présenter le formalisme russe. Il s’agit tout d’abord de cours universitaires, dispensés dans le cadre d’une chaire de philologie russe que Jakobson avait eu le plus grand mal à obtenir18. On peut comprendre alors qu’il mette l’accent sur la tradition russe dans une perspective à la fois érudite et généraliste. D’autre part, si dans ses entretiens et récits rétrospectifs, Jakobson a pu donner l’impression que son intégration dans le milieu intellectuel tchèque de l’entre-deux-guerres s’était faite de façon harmonieuse, on sait aujourd’hui que sa personnalité suscitait de farouches oppositions. Celles-ci tenaient à la fois aux liens qu’il avait maintenus avec l’Union soviétique (il ne renonce à la citoyenneté soviétique qu’en 1937), comme à certaines de ses publications sur la langue tchèque. Pour résumer, son élection à l’Université Masaryk souleva de vives réticences ; les arguments scientifiques avancés par ses principaux détracteurs tournaient autour de sa conception trop internationaliste de la science19. Dans ces cours, Jakobson tiendrait alors à montrer qu’il est bien un slaviste (un russiste) et connaît parfaitement son domaine, que le mouvement auquel il a appartenu à ses débuts est une affaire slave et que, pour cette raison, les Tchèques sont les mieux à même de l’apprécier, d’où sa bonne diffusion dans leur pays. Ce serait une façon détournée de répondre à ses détracteurs.
10Plus généralement, la volonté de faire du mouvement russe une affaire slave est peut-être un reflet de son engouement pour l’eurasisme dans les années 1920. Renouant avec le nationalisme russe de grande puissance, ce courant de pensée s’est développé après la Révolution d’octobre 1917 dans les milieux de l’émigration; il mettait en avant l’idée que la Russie, n’étant ni de l’Europe, ni de l’Asie, avait une position géopolitique à part, spécifique et partant (sans que cela soit dit toujours aussi crûment) était supérieure aux pays d’Europe occidentale (romano-germaniques)20. Plusieurs représentants majeurs de l’eurasisme faisaient partie de l’entourage de Jakobson, Nicolas Troubetzkoy, son interlocuteur scientifique privilégié, en poste à Vienne, co-fondateur avec lui de la phonologie structurale21 et le géographe Piotr Savitski (1895-1968) qui participa également au Cercle linguistique de Prague22. Certes, dans les cours de 1935, la doctrine des eurasiens n’est pas présente en tant que telle, mais les passages qui soulignent l’opposition entre l’Occident et la Russie ont une coloration géopolitique qui y fait penser. Dans un article écrit un peu auparavant, « Sur les perspectives actuelles de la slavistique russe » (1929)23, Jakobson développe déjà l’idée d’une spécificité intellectuelle russe, caractérisée par des tendances anti-positivistes, anti-causalistes qui la prédisposent à être tout naturellement structuraliste (renvoi aux conceptions d’un géographe russe de la fin du xixe, Dokoutchaev) et qui font du formalisme en critique littéraire une parfaite émanation. D’une façon générale, dans l’entre-deux-guerres, Roman Jakobson comme Nicolas Troubetzkoy sont animés de la volonté de promouvoir la science russe sur la scène internationale24, volonté qui correspond, certes, au désir de populariser une pensée linguistique novatrice, mais qui a également une dimension nationale. La polémique farouche qui opposa plus tard et dans un autre contexte Jakobson au slaviste français André Mazon qui contestait l’authenticité du Dit d’Igor, un texte fondateur de l’identité russe, relève du même ordre de considérations25.
11Aussi ces cours sur « L’école formelle et la critique littéraire russe contemporaine » nous renseignent, en définitive, assez peu sur le formalisme russe et ne peuvent être utilisés comme source pour écrire l’histoire du mouvement (on peut comparer de ce point de vue avec l’article de Tomachevski, paru en 1928 dans la Revue des études slaves, « La nouvelle école d’histoire littéraire en Russie »). Ils sont surtout révélateurs de la trajectoire intellectuelle de Roman Jakobson. Ils montrent sa sensibilité aux questions de politique scientifique, son inscription dans les débats idéologiques et politiques de l’époque, son attachement constant à la Russie comme à tout ce qui est slave26. Néanmoins, ce qui relève de la dimension idéologique du discours n’affecte pas le noyau scientifique de sa pensée, comme le montre le passage sur la dominante qui n’est pas touché par ce contexte géopolitique et qui peut se lire indépendamment de l’ensemble. Au même moment, Jakobson publie d’autres travaux importants de poétique : « Qu’est-ce que la poésie ? » 1934 et « Notes marginales sur la prose du poète Pasternak » 193527.
12Cependant le fort ancrage russo-slave donné par Jakobson à la présentation du formalisme dès les années 1930 explique aussi sans doute pourquoi la question de ses sources européennes est longtemps restée secondaire alors que c’est aujourd’hui le principal angle d’approche28. Le seul nom de savant étranger mentionné dans cette perspective est celui du philosophe, psychologue et pédagogue Johann Friedrich Herbart (1776-1841) et encore s’agit-il de le rendre responsable de tout ce qui est vieilli dans l’héritage de Potebnia29 !
13Même si Jakobson n’a jamais repris une vision aussi russo-centriste du formalisme, une partie du « canon » mis en avant dans le cours de 1935 réapparaît dans les présentations du mouvement qu’il a pu inspirer par la suite, dans la monographie de Victor Erlich, par exemple. Pourtant, la notion même de « dominante » qu’il considère comme « l’un des concepts les plus fondamentaux, les plus élaborés, et les plus productifs de la théorie formaliste russe » vient de l’ouvrage de Broder Christiansen, Philosophie de l’art (1909), traduit en russe en 1911, ainsi que le déclare Boris Eikhenbaum lui-même30…
14Cet épisode montre que les idées et le langage scientifiques échappent difficilement au contexte historique et idéologique. Si dans la Russie soviétique de 1919, il était fondamental pour Jakobson de positionner le Cercle linguistique de Moscou contre Potebnia31, dans l’Université tchèque de 1935, il lui semble nécessaire d’en reconnaître l’héritage.
15Jakobson a laissé l’image d’un savant international, tirant bénéfice de ses contacts avec différents milieux linguistiques32, mais il était aussi, fondamentalement, un philologue russe, ainsi qu’il est gravé sur sa tombe. Cet aspect de sa personnalité scientifique, intellectuelle transparaît assez peu de l’image, donnée de lui dans la France des années 1960-1970, où l’accent a davantage été mis sur la composante internationale de son parcours et de son œuvre. Une fois décanté ce qui relève de la conjoncture, ce texte de 1935 lève donc le voile sur un aspect moins familier, mais tout aussi essentiel de sa personnalité, son attachement à la culture russe et slave33. Il montre aussi la spécificité de son approche du formalisme qui, sur deux points essentiels, la question du positivisme et celle de la téléologie, se distingue assez sensiblement de l’Opoïaz de Petrograd. Si pour Tynjanov, le système est un pur jeu de corrélations-fonctions, pour Jakobson le système tend vers la réalisation d’un but. Cette conception est directement liée à sa volonté d’intégrer le formalisme à l’histoire culturelle de la Russie, d’en faire un produit de son développement intellectuel et, partant, de le présenter comme un tout. L’épithète « russe », adjointe à formalisme n’était sans doute pas pour lui un simple qualificatif, mais renvoyait à l’essence même du phénomène.
bibliographie
AVTONOMOVA (Natalia), « Roman Jakobson : deux programmes de fondation de la slavistique 1929/1953 », Cahiers de l’ILSL, n° 9, 1997, p. 5-20, repris dans AVTONOMOVA (Natalia), Otkrytaja struktura : Jakobson-Baxtin-Lotman-Gasparov [Structure ouverte : Jakobson-Baxtin-Lotman-Gasparov] Moscou, Rosspen, 2009, p. 27-103.
DMITRIEV (Aleksandr), « Autonomie esthétique et déterminisme historique : la théorie russe en sciences humaines dans le premier tiers du xxe siècle dans une perspective de sécularisation », Russkaja teorija 1920-1930-e gody [La Théorie russe années 1920-1930], éd. ZENKIN (Sergueï), Moscou, RGGU, 2004, p. 11-48.
GINDIN (Sergueï), « Le premier conflit entre les deux générations de fondateurs des études métriques russes » et « Comment le Cercle linguistique de Moscou luttait contre Brioussov et Potebnia », Novoe Literaturnoe Obozrenie [Nouveau panorama littéraire], n° 86, 2007, p. 64-78.
GLANC (Tomáš), « Le lexique du linguiste : la langue des cours de Jakobson sur le formalisme russe (1935) », Cahiers de l’ILSL, Lausanne, n° 14, 2003, p. 121-132.
EIKHENBAUM (Boris), « La mélodique du vers lyrique russe » [1922], O poezii [De la poésie], p. 327-511.
–––, « Axmatova » [1923], ibidem, p. 75-147.
–––, « Théorie de la méthode formelle » [1925], Théorie de la littérature : textes des formalistes russes, sous la dir. de TODOROV (Tzvetan), Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 31-75.
HELLER (Leonid), « Des signes et des fleurs, ou Victor Chklovski, Broder Christiansen et la “sémiologie formaliste” », De la littérature russe : Mélanges en l’honneur de Michel Aucouturier, Paris, IES, 2005, p. 201-215.
JAKOBSON (Roman), « Über die heutigen Voraussetzungen des russischen Slavistik » [Sur les perspectives actuelles de la slavistique russe], Slavische Rundschau, 1929, Jg 1, n° 8, p. 629-646.
–––, Moudrost starých Čechů [La sagesse des anciens Tchèques], New York, Nákladem Česko-slovenského kulturniho kroužku v New Yorku, 1943.
–––, « Linguistique et poétique », Essais de linguistique générale 1, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 209-248.
–––, « La dominante », Questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 145-151. repris Huit questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1977 et dans Selected Writings 3, « Poetry of Grammar and Grammar of Poetry », The Hague-Paris-New-York, Mouton, 1981, p. 751-756.
–––, Russie folie poésie, éd. TODOROV (Tzvetan), Paris, Éditions du Seuil, 1986.
–––, Formalistická škola a dnešní literární věda ruská, [ L’école formelle et la critique littéraire russe contemporaine], Brno 1935, GLANC (Tomáš) éd., Praha, Academia, 2005.
–––, Formal’naja škola i sovremennoe russkoe literaturovedenie [L’École formelle et la critique littéraire russe contemporaine], éd. GLANC (Tomáš), traduit du tchèque par E. Bobrakova-Timoškina, Moskva, Jazyki slavjanskix kul’tur, 2011.
LARUELLE (Marlène), L’Idéologie eurasiste russe ou Comment penser l’empire, préf. Patrick Sériot, Paris-Montréal, L’Harmattan, coll. « Essais historiques », 1999.
Readings in Russian Poetics: Formalist and Structuralist Views, sous la dir. de MATEJKA (Ladislav) et POMORSKA (Krystyna), Cambridge-London, MIT Press, 1971.
MEDVEDEV (Pavel), La Méthode formelle dans les études littéraires [1928], tr. fr. Bénédicte Vauthier et Roger Comtet, Toulouse, PUM, 2007.
ROUDET (Robert), « André Mazon et le Slovo d’Igor », Revue des études slaves, t. LXXXII, fasc. 2, 2011, p. 55-67.
SERIOT (Patrick), Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale, Paris, PUF, 1999.
–––, « Lingvistika geografov i geografija lingvistov. R.O. Jakobson i P.N. Savickij » [La linguistique des géographes et la géographie des linguistes], Roman Jakobson. Teksty, dokumenty, issledovanija [Roman Jakobson. Textes, documents, recherches], sous la dir. de BARAN (Henryk) et GINDIN (Sergueï), Moscou, RGGU, 1999, p. 348-353.
ŠTOKMAR (Mixail), Bibliografija rabot po stixosloženiu [Bibliographie des travaux de versification], Moscou, GIXL, 1933.
TODOROV (Tzvetan), Devoirs et délices : une vie de passeur, entretiens avec Catherine Portevin, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 2006.
–––, « Jakobson et Bakhtine », La Signature humaine. Essais 1983-2008, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 103-137.
TOMACHEVSKI (Boris), « Question du rythme du vers » (1922), O stixe [Du vers], Leningrad, Priboj, 1929, p. 3-36.
–––, « La nouvelle école d’histoire littéraire en Russie », Revue des études slaves, t. VIII, fasc. 3-4, 1928, p. 226-240.
TROUBETZKOY (Nicolas), L’Europe et l’humanité. Écrits linguistiques et paralinguistiques, éd. préparée par Patrick Sériot, Liège, Mardaga, 1996.
–––, Correspondance avec Roman Jakobson et autres écrits, éd. établie par Patrick Sériot, Lausanne, Payot, 2006.
TYNIANOV (Iouri), « De l’évolution littéraire », Théorie de la littérature : textes des formalistes russes, sous la dir. de TODOROV (Tzvetan), Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 120-137.
VOLOCHINOV (Valentin), Marxisme et philosophie du langage [1929] ; nouvelle traduction parue avec une préface de Patrick Sériot, Limoges, Lambert-Lucas, 2010.
notes
1 Tzvetan Todorov avait fait la connaissance de Jakobson à l’occasion de la préparation de l’anthologie de textes des formalistes russes (1966), pour laquelle le linguiste avait accepté d’écrire la préface, « Vers une science de l’art poétique ». À partir de ce moment-là, Todorov devint en quelque sorte son éditeur en français, en particulier pour tout ce qui relevait de la théorie de la littérature (voir Tzvetan Todorov, Devoirs et délices : une vie de passeur, Entretiens avec Catherine Portevin, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 2006, p. 83).
2 Traduit jusqu’à présent en français par « La nouvelle poésie russe ».
3 Repris dans Roman Jakobson, Huit questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1977, ainsi que dans ses œuvres choisies, Selected Writings 3, Poetry of Grammar and Grammar of Poetry, TheHague-Paris-New-York, Mouton, 1981, p. 751-756.
4 Readings in Russian Poetics: Formalist and Structuralist Views, sous la dir. de Ladislav Matejka et Krystyna Pomorska, Cambridge-London, MITPress, 1971 (l’anthologie ne comprend pas seulement des contributions de Jakobson).
5 Roman Jakobson, Formalistická škola a dnešní literární věda ruská: Brno 1935, éd. Tomáš Glanc, Praha, Academia, 2005 ; traduction en russe : Formal’naja škola i sovremennoe russkoe literaturovedenie, Tomáš Glanc (éd.), traduit du tchèque par E. Bobrakova-Timoškina, Moskva, Jazyki slavjanskix kul’tur, 2011. Ces cours sont analysés par Tomáš Glanc dans la postface des deux éditions citées, « Le formalisme de Jakobson », ainsi que dans l’article « Le lexique du linguiste : la langue des cours de Jakobson sur le formalisme russe (1935) », Cahiers de l’ILSL, Lausanne, n° 14, 2003, p. 121-132.
6 Le manuscrit original (cahiers) se trouve dans les archives personnelles de Stephen Rudy à New York.
7 Roman Jakobson, « La dominante », Questions de poétique, op. cit., p. 145.
8 Boris Eikhenbaum, « La mélodique du vers lyrique russe », repris dans O poezii [De la poésie], p. 332. Voir également dans son étude sur Axmatova, ibidem, p. 106. La notion est reprise dans son article bilan de 1925, « Théorie de la méthode formelle », Théorie de la littérature : textes des formalistes russes, éd. Tzvetan Todorov, Paris, Éditions du Seuil, 1966,p. 74, point 4.
9 Iouri Tynianov, « De l’évolution littéraire », Théorie de la littérature, op. cit., p. 130 ; Boris Tomachevski, « Question du rythme du vers » (1922), O stixe [Du vers], Leningrad, Priboj, 1929, p. 27.
10 Roman Jakobson, « Linguistique et poétique », Essais de linguistique générale 1, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 209-248.
11 Id., « La dominante », Questions de poétique, op. cit., p. 150-151.
12 Voir, p. 83 de l’édition en russe : « Cet arrêt du formalisme ne fut pas seulement déterminé par des interventions extérieures, mais par les contradictions internes auxquelles étaient arrivées les recherches formelles. Le formalisme avait été incapable d’assimiler une conception dialectique conséquente du développement de l’art dans ses rapports avec les autres composantes de la vie sociale ». La question des causes de l’extinction du mouvement reste sans doute impossible à trancher, mais la pression extérieure joua un rôle décisif dans la fin des recherches. À la fin des années vingt, les formalistes de Leningrad furent chassés de l’Institut d’histoire des arts où ils enseignaient. Boris Jarkho fut arrêté à Moscou au milieu des années trente ; le Gakhn où il travaillait avait lui aussi été démantelé à la fin des années vingt. Jakobson n’ignorait rien de ces faits ; cependant, il a toujours insisté sur le rôle des facteurs internes dans l’extinction du groupe russe, imputable à son enfermement dans une conception simpliste du mot, conséquence du manque de culture linguistique de ses membres et de son incapacité à passer à une vision structuraliste. » (Id., « Réponses », Russie folie poésie, Tzvetan Todorov (éd.), Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 43).
13 Sergueï Gindin, « Le premier conflit entre les deux générations de fondateurs des études métriques russes » et « Comment le Cercle linguistique de Moscou luttait contre Brioussov et Potebnia », Novoe Literaturnoe Obozrenie [Nouveau panorama littéraire], n° 86, 2007, p. 64-78.
14 Jakobson peut avoir été incité à dresser ce panorama par la Bibliographie des travaux de versification [Bibliografija rabot po stixosloženiu] de Mixail Štokmar, parue en URSS en 1933. L’ouvrage énumère les principaux traités, ouvrages et articles, parus sur le sujet en russe, ukrainien, biélorusse depuis le xvie siècle. Jakobson en a fait un long compte rendu dans la revue de slavistique tchèque, Slavia en 1935, vol. XII, n° 2-3, p. 416-431. Tout en soulignant l’intérêt de l’entreprise, il conteste le point de vue exposé par L. Timofeev dans l’introduction sur l’absence de bonne étude d’ensemble du vers russe, regrette que l’ouvrage ne propose pas de conception de l’histoire des études sur le vers en Russie et le complète par un nombre important de références.
15 Bon résumé dans Tomáš Glanc, « Le lexique du linguiste : la langue des cours de Jakobson sur le formalisme russe (1935) », art. cit., p. 122.
16 Aleksandr Dmitriev, « Autonomie esthétique et déterminisme historique : la théorie russe en sciences humaines dans le premier tiers du xxe siècle dans une perspective de sécularisation », Russkaja teorija 1920-1930-e gody [La Théorie russe années 1920-1930], Sergueï Zenkin (éd.), Moscou, RGGU, 2004, p. 35.
17 Tzvetan Todorov, « Jakobson et Bakhtine », La Signature humaine. Essais 1983-2008, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 108-109.
18 Sur ces difficultés, voir NicolasTroubetzkoy, Correspondance avec Roman Jakobson et autres écrits, édition établie par Patrick Sériot, Lausanne, Payot, 2006, p. 342-344. Nommé finalement le 1er janvier 1934, il ne fut titularisé que trois ans plus tard.
19 Sur tout cet aspect, voir Tomáš Glanc, édition en russe, op. cit., p. 109-111 ; documents, p. 122-173.
20 La bibliographie sur la question étant très abondante, nous nous limitons volontairement à deux titres, Marlène Laruelle, L’Idéologie eurasiste russe ou Comment penser l’empire, préf. Patrick Sériot, Paris-Montréal, l’Harmattan, coll. « Essais historiques », 1999 et Patrick Sériot, Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale, Paris, PUF, 1999. C’est ce dernier qui a exploré systématiquement le contexte eurasien de la pensée linguistique de Jakobson et de Troubetzkoyà partir des années 1990.
21 Nicolas Troubetzkoy, L’Europe et l’humanité. Ecrits linguistiques et paralinguistiques, éd. préparée par Patrick Sériot, Liège, Mardaga, 1996.
22 C’est Savickij qui fut son parrain lors de son baptême orthodoxe, le 17 octobre 1938, acte publié par Georgui Levinton, Tynjanovskij sbornik [Recueil Tynianov] 13, Moscou, Vodolej, 2009, p. 567. Voir également Patrick Sériot, « Lingvistika geografov i geografija lingvistov. R.O. Jakobson i P.N. Savickij » [La linguistique des géographes et la géographie des linguistes], dans Roman Jakobson. Teksty, dokumenty, issledovanija, sous la dir. de HenrykBaranet de Sergueï Gindin, Moscou, RGGU, 1999, p. 348-353. Dans ses Dialogues avec Krystyna Pomorska (Paris, Flammarion, 1980), Jakobson revient sur cette influence de l’eurasisme et rend en particulier hommage à Savickij, « ce visionnaire perspicace de la géographie structurale », p. 88.
23 Roman Jakobson, « Über die heutigen Voraussetzungen des russischen Slavistik », Slavische Rundschau, 1929, Jg 1, n° 8, p. 629-646. La revue paraissait en allemand à Prague. Si Jakobson a autorisé la publication de la brochure de 1931 dans ses œuvres choisies (vol. 1, La Haye, Mouton, 1971, p. 144-201), il n’en va pas de même pour l’article de 1929 (fragments en français publiés dans Change, tr. Jean-Pierre Faye, n° 19, 1972, p. 182-193). À ce sujet, voir Natalia Avtonomova, « Roman Jakobson : deux programmes de fondation de la slavistique 1929/1953 », Cahiers de l’ILSL, n° 9, 1997, p. 5-20, repris dans Otkrytaja struktura : Jakobson-Baxtin-Lotman-Gasparov, Moscou, Rosspen, 2009, p. 27-103.
24 Voir Nicolas Troubetzkoy, Correspondance avec Roman Jakobson…,op. cit.
25 Voir parmi les dernières publications, Robert Roudet, « André Mazon et le Slovo d’Igor », Revue des études slaves, t. LXXXII, fasc. 2, 2011, p. 55-67.
26 Voir Moudrost starých Čechů [La Sagesse des anciens Tchèques], New York, Nákladem Česko-slovenského kulturniho kroužku v New Yorku, 1943.
27 Roman Jakobson, Questions de poétique, op. cit., p. 113-126 ; p. 127-144.
28 La dimension européenne du formalisme russe était aussi affirmée dans plusieurs ouvrages, parus à la fin des années 1920 et émanant certes de courants adverses, il s’agit de La Méthode formelledans les études littéraires de Pavel Medvedev (1928, tr. fr. Bénédicte Vauthier et Roger Comtet, Toulouse, PUM, 2007) et de Marxisme et philosophie du langage de Valentin Volochinov (1929 ; nouvelle traduction parue avec une préface de Patrick Sériot, Limoges, Lambert-Lucas, 2010).
29 Voir dans l’édition en russe, p. 30, 31, 42.
30 Et l’influence de cet ouvrage de Christiansen déborde largement ce simple emprunt terminologique, voir à ce sujet, Leonid Heller, « Des signes et des fleurs, ou Victor Chklovski, Broder Christiansen et la “sémiologie formaliste” », De la littérature russe : Mélanges en l’honneur de Michel Aucouturier, Paris, IES, 2005, p. 201-215.
31 Voir par exemple le procès-verbal de la réunion du CLM du 1er novembre 1919 : à propos d’un ouvrage du linguiste Jagitch, objet de la discussion, Jakobson aurait déclaré : « Jagitch ne nous donne pas grand-chose. Il faut prendre ceux dont la popularité a une influence néfaste. Et en premier lieu Potebnia. Sa popularité grandit. C’est lui qui est le plus souhaitable comme objet de polémique », dans Sergueï Gindin, article cité, p. 73 (nous soulignons).
32 Roman Jakobson et Krystyna Pomorska, « Le rôle des milieux internationaux dans le développement de la théorie linguistique », Dialogues, Paris, Flammarion, 1980, p. 39-54.
33 Il n’abandonna définitivement l’idée de rentrer en URSS qu’après l’écrasement du Printemps de Prague.
résumés
L’article replace dans son contexte l’étude sur la dominante de Roman Jakobson, publiée dans Questions de poétique (Éditions du Seuil, 1973), l’anthologie en français la plus complète parmi ses contributions à l’étude de la littérature. Ce texte fait en effet partie de « L’école formelle et la critique littéraire russe contemporaine », ensemble de cours dispensés par le linguiste à l’Université de Brno en 1935 et désormais accessibles dans leur intégralité (en tchèque, 2005 et en russe, 2011). Ces leçons constituent un maillon essentiel de l’histoire de la diffusion du formalisme russe en Europe. Elles témoignent de l’évolution du premier formalisme vers une approche plus complexe du fait littéraire, mais montrent également l’originalité de la posture adoptée par Jakobson, qui présente le formalisme comme l’aboutissement naturel de la culture russe depuis le Moyen Âge et esquisse une généalogie du mouvement qui tend à minimiser ses liens avec l’avant-garde, sa force de rupture et sa dimension européenne.
pour citer cet article
Catherine Depretto, « La « Dominante » de Roman Jakobson, ou comment parler du formalisme russe dans la Tchécoslovaquie de 1935 »,