Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Isabelle Lachance le 26 Fevrier 2000 à 23:05:47: en réponse à Malcommodité théorique? posté par René Audet le 21 Fevrier 2000 à 14:52:48: |
Je ne crois pas que c'est parce que "la fiction est spécifique à certaines approches" que je considère que la rhétorique et la sociocritique peuvent davantage servir l'étude d'un tel corpus. En fait, c'est davantage en raison de la nature référentielle de ces récits. Je crois que de les aborder par le biais de la fiction (comme le fait Lestringant) nous les fait prendre pour ce qu'ils ne sont pas, voire : nous empêche de les lire vraiment et de comprendre les particularités ("singularitez"?!)de leur mise en texte. En effet, si l'étude des processus narratifs de ces textes nous portent à en considérer certains, comme la prosopopée ou la sermonatio, comme des simulacres de fiction, c'est justement parce que ces textes se donnent comme de l'histoire et non de la fiction. Ainsi, l'utilisation de ces processus devient signifiante.
Il faut en plus ajouter à cela que les auteurs qui m'intéressent adoptent une vision de la fiction fortement influencée par leur allégeance religieuse, laquelle choisira parmi les courants néo-platoniciens ou néo-aristotéliciens la conception de la mimèsis (de la représentation) qui "sert ses intérêts". En effet, pour des protestants militants, adhérer la conception platonicienne de la mimèsis, c'est renforcer leur prise de position quant à l'utilisation de l'image (langagière ou pictural) dans la pratique religieuse. Cette pensée, de manière très cohérente, orientera les historiens "méthodistes" de la fin du XVIe s., principalement des protestants, vers un rejet des arts de représentation comme véhicules de transmission des savoirs historiques et/ou (souvent ET) moraux, dans la mesure où le Faux (la représentation de la Nature et non la Nature) ne peut être apte à enseigner le Vrai. Les pensées qui tiennent davantage de la Poétique et de la Politique d'Aristote ne rejettent pas les arts mimétiques comme instruments d'apprentissage. Ainsi, pour eux (comme pour Cicéron, d'ailleurs), peu importe qu'un exemple servant à illustrer une thèse soit vrai ou non, pourvu qu'il demeure vraisemblable dans le contexte et selon "l'opinion publique". Dans les récits de voyage ou les différentes "Histoires", ceci peut résulter en des descriptions qui nous paraissent fantaisistes, mais qui se justifiaient par leur finalité (téléologique, exemplaire ou autre).
C'est donc une situation d'un auteur dans un champ de pratique (p. ex. le champ en constitution de la pratique historique savante à la fin du XVIe ou le champ des voyageurs) qui nous aidera à comprendre ses prises de positions rhétoriques (p. ex. : experientia est rerum magistra OU respect des autorités et des lieux communs, quitte à produire des écrits qui nous paraissent invraisemblables) et son utilisation des ressorts narratifs habituellement dévolus à la fiction (p. ex. la narration omniciente, le discours rapporté "selon la convenance" au caractère du "personnage").