Collectif
Nouvelle parution
S. Borja, C. de Montlibert (dir.), Pierre Bourdieu. Points de vue

S. Borja, C. de Montlibert (dir.), Pierre Bourdieu. Points de vue

Publié le par Université de Lausanne

Ce livre, « Un regard sociologique », rassemble des analyses de différentes dimensions de l’oeuvre de Pierre Bourdieu menées par des collaboratrices et des collaborateurs proches du  professeur au Collège de France. Il vise à rendre compte des conditions de production des enquêtes, des concepts et des modèles que Pierre Bourdieu a développés. Ce regard souligne l’importance d’une cumulativité critique  qui sous-tend l’ensemble de ses travaux alors que d’autres  présentent  le modèle d’analyse de  l’État que Bourdieu a construit, modèle qui  explique, en partie, les raisons qui ont pu conduire à son engagement politique.

Liste des auteurs : Lucien Braun, Jacques Budin, Patrick Champagne, Gaspard Fontbonne, Rose-Marie Lagrave, Remi Lenoir, Gérard Mauger, Christian de Montlibert, Louis Pinto, Andrea Rapini, Loïc Wacquant. Illustration de Joëlle Labiche et Yves Carreau.

Présentation

Si la collection « Champ social » des éditions du Croquant réédite le n°47-48 de février -mars 2015 consacré à Pierre Bourdieu de la revue Regards sociologiques, c’est à la fois parce que ce numéro est devenu introuvable, mais surtout parce qu’il rassemble un dossier d’une grande diversité et d’une exceptionnelle densité.

La revue Regards sociologiques avait consacré un numéro à Pierre Bourdieu pour honorer une dette symbolique à un chercheur dans lequel elle se reconnaissait et qui l’avait soutenue dès ses débuts, mais surtout parce qu’elle voyait, comme beaucoup d’autres, dans le travail de Bourdieu une contribution majeure au développement de la sociologie.

Les contributions rassemblées dans cet ouvrage, agrémentées de l’œuvre d’artistes qui se sont intéressés à Bourdieu, multiplient les perspectives sur son œuvre : étude des conditions de production des enquêtes, des concepts et des modèles, développement des concepts-clés, construction d’un modèle cohérent de l’État, retour sur tel aspect de la domination masculine, explicitation de ce qu’implique un engagement politique réflexif, restitution de la vivacité de ses cours et de la cérémonie de remise de la médaille d’or du CNRS, exploration des rapports de Bourdieu avec l’œuvre de Mauss, de Wittgenstein et de Marx, etc. 

Un premier ensemble d’articles montre dans quelles conditions Bourdieu réalise ses premiers travaux en Algérie où il est confronté aux effets du colonialisme, du racisme et de la guerre. La contribution d’Andrea Rapini retrace les déplacements de Bourdieu et de Sayad au cours de leur enquête sur Le Déracinement. Elle est complétée par un entretien de Tassadit Yacine avec Jacques Budin (un étudiant enquêteur de l’équipe de Bourdieu et de Sayad). Christian de Montlibert met en évidence un triple combat dans les travaux « algériens » de Bourdieu : contre la méconnaissance des cultures qui coexistent alors en Algérie, contre le mépris raciste et contre des conceptions politiques dont il pensait qu’elles risquaient d’obérer l’avenir. 

Dans le contexte des années 1980, Remi Lenoir s’interroge ensuite sur « le dit et l’écrit » dans l’œuvre de Bourdieu : quel statut accorder aux transcriptions de ses cours et séminaires ? Comment restituer par écrit la vivacité verbale qui caractérisait Bourdieu enseignant ? À propos du discours qu’il prononce à l’occasion de la cérémonie de la remise de la médaille d’or du CNRS, Loïc Wacquant souligne l’accent qu’il met sur les tensions entre science, autorité et pouvoir, la puissance symbolique de l’État et les raisons qui conduisent le sociologue à s’engager dans le débat civique. 

Rémi Lenoir développe les différents niveaux impliqués dans le concept de capital social et montre l’importance qu’a eue pour Bourdieu l’œuvre de Mauss. À propos du concept d’habitus Gaspard Fontbonne met en évidence les effets épistémologiques de la lecture de Wittgenstein. Quant à la domination masculine, Rose-Marie Lagrave éclaire les contradictions, paradoxes et malentendus engendrés par ce livre : il faut tenir compte, selon elle, du contexte scientifique et du rapport de Bourdieu aux recherches féministes. 

Un autre ensemble de travaux présente son modèle d’analyse de l’État et s’interroge sur l’engagement politique de Bourdieu. Patrick Champagne analyse le cheminement de Bourdieu pour penser la construction de l’État au fil d’un double processus de concentration des différentes espèces de capital dans un petit nombre de mains. En grande partie par le système scolaire, l’État unifie, homogénéise, standardise les manières de faire et de penser. À propos d’une intervention de Bourdieu sur la crise de l’État, Rémi Lenoir souligne l’importance qu’il attribuait aux transformations des représentations des agents dominants. Lucien Braun, alors directeur des Presses Universitaires de Strasbourg, questionne Bourdieu sur l’avenir de l’autonomie universitaire dans un contexte où l’édition universitaire est de plus en plus dépendante de groupes financiers.

Cet ouvrage se clôture par des analyses de la dimension critique de la sociologie de Pierre Bourdieu qui n’a pas cessé d’insister sur la nécessité d’une démarche réflexive. Après avoir rappelé les prises de position « messianiques » de Marx sur l’avènement d’une société sans classes, Gérard Mauger souligne l’importance accordée par Bourdieu au « travail de représentation » dans toutes mobilisations collectives, à commencer par celle du « peuple », objet de prédilection pour des intellectuels. Après avoir rappelé les confusions autour de l’appellation « sociologie critique », Louis Pinto montre qu’elle n’est ni un accessoire, ni un abus de pouvoir, mais une sorte de nécessité qui conduit à s’interroger premièrement sur les pouvoirs, les limites et les prétentions de la connaissance, deuxièmement sur les capacités à dire le vrai des connaissances « indigènes » , troisièmement sur les effets de dévoilement de l’ordre social.

Enfin ce livre est ponctué par le travail de deux artistes, Joëlle Labiche et Yves Carreau, qui offrent leurs interprétations des «  regards  » de Pierre Bourdieu  : de ceux de prédécesseurs, de contemporains et de membres de ses équipes de travail.