Édition
Nouvelle parution
T.-S. Gueullette, Contes

T.-S. Gueullette, Contes

Publié le par Marc Escola (Source : J.-F. Perrin)

Compte rendu publié Acta fabula : "Philologues & conteurs d’hier à aujourd’hui" par Eddie Breuil.

 

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Thomas-Simon Gueullette, Contes

Édition critique établie sous la direction de Jean-François Perrin, avec la collaboration de Christelle Bahier-Porte, Marie-Françoise Bosquet, Régine Daoulas, Carmen Ramirez.

Paris : Éditions H. Champion, coll. "Sources classiques", Série "Bibliothèque des Génies et des fées", 3 vol., 2396 p., 2010.

relié, 14 x 22 cm

EAN 9782745318831.

Prix 370EUR

Présentation de l'éditeur :

Ces trois volumes de la Bibliothèque des Génies et des Fées présentent une édition critique des recueils de contes de Thomas-Simon Gueullette : vol. 1 : Les Soirées Bretonnes (éd. C. Bahier-Porte), Les Mille et Un Quarts d’Heure, Contes Tartares (éd. C. Ramirez) ; vol. 2 : Les Aventures merveilleuses du mandarin Fum-Hoam, Contes Chinois (éd. J-F. Perrin), Les Sultanes de Guzarate, ou les Songes des hommes éveillés, Contes Mogols (éd. J-F. Perrin) ; vol. 3 : Les Mille et Une Heures, Contes Péruviens (éd. M-F Bosquet et R. Daoulas).

L’ensemble offre une introduction générale et les édition annotée des recueils (chacun bénéficiant d’une introduction littéraire, d’une histoire des éditions, d’une notice critique sur les sources), avec au volume 3 un ensemble d’annexes rassemblant toute la documentation disponible utile, les résumés des contes, un index des noms de personnages, une bibliographie.

T.-S. Gueullette (1683-1766) est un magistat du XVIIIe siècle passionné de littérature : il écrit du théâtre (parades), documente l’histoire du genre, fait de l’édition critique (romans médiévaux, Fables de Bidpaï, etc.) et se fait surtout connaître par ses recueils de contes orientaux. Le XVIIIe siècle les mettait au même niveau que les Mille et Une Nuits ou les Mille et Un Jours et ils furent traduits dans les principales langues européennes jusqu’au XIXe siècle, particulièrement en Angleterre, tandis que la France romantique les lisait dans Le Cabinet des fées ; parallèlement, la philologie et la science orientaliste naissante y reconnaissaient un moment signalé de l’histoire de la transmission de la matière d’Orient et de la tradition narrative européenne ancienne jusqu’à Straparole. Les Contes Tartares mis à part, l’oeuvre contée de Gueullette n’avait jamais été rééditée en France depuis l’édition du Cabinet des fées.

Cette édition critique s’inscrit dans les recherches menées depuis une quinzaine d’années sur le conte merveilleux de l’Âge classique, désormais conçu comme un forme littéraire à part entière, en dialogue avec l’ensemble des autres genres ; elle est le fruit d’un travail d’équipe tant les problèmes soulevés par cette oeuvre sont complexes, en particulier dans le domaine des sources. Gueullette puise en effet sa matière sur tous les rayons de la bibliothèque : matière de contes certes, mais aussi (et surtout) romans baroques, nouvelles italiennes, fabliaux, exempla, théâtre, ainsi que la littérature savante : la Bibliothèque orientale de d’Herbelot notamment, ou encore l’ample matière des récits de voyages disponibles à son époque. On prend la mesure en étudiant ces recueils, de ce qui se joue certainement en filigrane et à l’échelle européenne, d'une vaste translatio en cours de l'ancienne littérature narrative vers le siècle des Modernes.

Sur le plan de la poétique, ces recueils offrent un étonnant dispositif rhétorique où tout l’art du récit consiste à disposer ingénieusement une matière pour l’essentiel empruntée, selon une poétique très travaillée de la variété, des contrastes réglés et des enchâssements bien bouclés. Très peu d’invention à proprement parler, mais une assimilation profonde de la machinerie narrative des Mille et Une Nuits, doublée d’une exceptionnelle virtuosité à monter des plagiats de différents niveaux et d’échelles variables : art de la greffe et de l’hybridation, art du collage et de l’agencement méticuleux, des alternances de registres et de climats, de l’entrelacs des fils narratifs, des interactions entre dispositifs encadrants et « soirées » encadrées.

Ce qui ne va pas sans effets de sens : Gueullette travaille avec l'encyclopédie de son temps qu'il aborde comme une textualité généralisée des savoirs et des croyances dont il casse les ordonnances, mélange les pages et recompose les textes, en questionnant les savoirs par les fictions, les discours par les récits, les croyances par les fables, et vice versa, selon un point de vue sceptique teinté d’épicurisme. À cet égard, le succès de ses recueils doit sans doute être analysé comme lié à l'émergence d'un nouveau public avide de l'Autre et de l'Ailleurs, affamé de science et de technique, prêt à questionner jusqu’à un certain point ses propres croyances, mais partagé pour longtemps encore entre crédulité et incrédulité à l'égard des merveilles et des curiosités qu'on lui conte. Les recueils de Gueullette nous parlent ainsi d'une transmutation en cours.

Jean-François Perrin