Acta fabula
ISSN 2115-8037

2013
Mai 2013 (volume 14, numéro 4)
titre article
Caroline Descotes

Les métamorphoses du monologue

Clotilde Thouret, Seul en scène. Le Monologue dans le théâtre européen de la première modernité (1580‑1640), Genève : Droz, coll. « Travaux du grand siècle », 2010, 429 p., EAN 9782600014311.

1En prenant pour objet de son ouvrage le monologue dans le théâtre européen de la première modernité, Clotilde Thouret ne choisit pas la facilité, et ce à plusieurs égards. Tout d'abord, le sujet est énorme d'un point de vue bibliographique, aussi bien pour les sources que pour la littérature critique qu'il a suscitée. Qui plus est, l'optique comparatiste qu'elle adopte complique d'emblée la tâche qu'elle s'est assignée : son ouvrage étudie, en effet, les théâtres anglais, espagnol et français, entre 1580 et 1640. Cela entraîne automatiquement une amplification bibliographique, outre le fait que traiter la littérature dramatique de plusieurs pays lui interdit toute réduction générique du sujet. On aurait pu regretter qu'elle n'ait pas étendu son étude aux théâtres allemand et italien, mais élargir ainsi son propos aurait mis en danger le principe de rigueur intellectuelle de l'ouvrage et l'idée même de synthèse. Il fallait, en l'occurrence, résister à une certaine tentation encyclopédique, chose à laquelle l'auteur a par ailleurs très bien réussi dans la constitution de son corpus, dirigée par un principe de sélection éclairée.

2Une autre difficulté du sujet consistait dans les a priori que la critique pouvait avoir sur le monologue, notamment en ce que, souvent, il est conçu comme le lieu nécessaire de l'expression d'une intériorité, et en ce que cette expression refléterait radicalement cette dernière. Il fallait donc identifier ces présupposés, pour mieux se garder de les prendre pour acquis, ce qui n'est guère aisé quand on aborde un sujet aussi monumental.

3Enfin, Cl. Thouret a adopté, dans son étude, une approche pluridisciplinaire. Elle ne se contente pas ici de considérer le monologue dans sa seule dimension dramaturgique ou poétique, mais ouvre sa réflexion à d'autres considérations, en tentant d'articuler logique dramaturgique et logiques historique et anthropologique — en faisant notamment appel aux travaux de l'historien Norbert Elias1. Elle a donc le souci de replacer le monologue dans un contexte singulier, dont elle a parfaitement perçu et su rendre la spécificité. Cependant, cela ne l'a pas pour autant empêchée d'esquisser les singularités propres aux trois pays considérés. Cette volonté d'appréhension globale, à la fois synthétique et complexe, témoigne de l'ambition de son projet critique. On peut regretter, parfois, que cette approche pluridisciplinaire ne soit pas encore plus approfondie, notamment dans la troisième partie de l'ouvrage2, dans l'étude du rapport entre expression d'une intériorité et anthropologie, les réflexions menées par l'auteur étant alors particulièrement stimulantes.

4Nombre d'écueils attendaient donc Cl. Thouret ; elle les a contournés par une répartition méthodique des domaines, en considérant tout d'abord le sujet sous son angle poétique, puis dramaturgique, et enfin anthropologique. Son ouvrage comporte donc trois parties. La première, intitulée « Poétique du monologue baroque », s'applique à définir la convention du monologue, le cadre de sa réception et ses enjeux poétiques, le monologue impliquant un régime spécifique de la parole, du fait de la rupture énonciative qu'il instaure. La seconde partie, « Au cœur du spectacle : construction de la représentation et efficacité dramatique », considère le rôle du monologue dans la construction du spectacle baroque, en tant qu'outil structurant de la représentation, et agent d'un rapport médiatisé entre la scène et la salle. Enfin, la troisième partie, « Dramaturgies de l'intériorité », étudie le monologue comme point d'ancrage d'une intériorisation de la dramaturgie, que les dramaturges cherchent à inscrire pleinement dans le fil de l'intrigue : Cl. Thouret y montre comment le monologue, peu à peu, devient le lieu privilégié de l'expression d'un moi, sous toutes ses formes.

Défense & illustration de la complexité du monologue

Pour une histoire du monologue

5Le monologue n'est pas une forme figée : il dépend étroitement de l'époque et de l'endroit dans lesquels il s'illustre, et Cl. Thouret le montre en rendant compte de son évolution dans le cadre des bornes chronologiques qu'elle s'est fixées. Cette évolution se fait dans le sens d'une intériorisation : le monologue, progressivement, se spécialise dans l'expression des sentiments de celui qui le prononce. D'autres modalités étaient possibles : à l'origine, rien ne prédestinait le monologue à l'expression exclusive d'une intériorité. Mais comme c'est ce à quoi ce que Cl. Thouret nomme prudemment — et à bon escient — la « première modernité » (refusant en cela de plaquer un terme théorique sur une période dont la complexité déborde toute tentative de théorisation) a abouti, notamment grâce aux dramaturges dits « classiques », les générations suivantes ont pu penser qu'il s'agissait là de l'essence du monologue.

6Cependant, Cl. Thouret prend également acte de la discontinuité du processus selon les pays. En effet, si l'Angleterre, l'Espagne et la France évoluent bel et bien dans une même direction, les modalités de cette évolution sont fort différentes selon le pays où on se situe. Ainsi le monologue anglais se caractérise‑t‑il surtout par sa souplesse théorique et son hybridité générique : il ménage une marge d'interprétation plus grande au spectateur — ce que Cl. Thouret analyse très finement à travers les célèbres exemples shakespeariens de Macbeth et d'Hamlet, dans sa troisième partie. Elle définit alors le monologue anglais comme une « convention sans contrainte forte3 », caractérisée par la souplesse et la variété, auquel elle oppose notamment la dimension « codée4 », plus poétique, du monologue espagnol, qui ne cherche pas à se dissimuler sous des procédés prétendument plus réalistes. Quant à la France, elle cherche à mettre en place la mimèsis la plus parfaite possible, en dissimulant la convention et tout ce qui peut rappeler le côté artificiel de la représentation. Cl. Thouret montre ainsi que l'évolution du monologue, bien qu'orientée vers une même fin, connaît des parcours divers.

7Cette évolution, bien que plurielle, fonde le lien que Cl. Thouret établit entre approche dramaturgique et approche anthropologique, en faisant un parallèle entre la prise de conscience du moi de l'époque, et le processus d'intériorisation du monologue. Elle défend donc l'idée que le monologue a une histoire ; elle va même plus loin en défendant la thèse selon laquelle le théâtre de la première modernité se situe au cœur de la problématique de l'identité du sujet — tout particulièrement à une époque d'effervescence dramatique et d'interrogations sur la mimèsis.

Monologue & ambiguïté énonciative

8Car, au fond, c'est bien fondamentalement de mimèsis qu'il est question : le monologue remet en question l'idée même de reconstitution à l'identique du réel, car il exhibe la double énonciation de la parole théâtrale. Cl. Thouret le rappelle régulièrement, la parole solitaire n'est pas naturelle : elle introduit le trouble dans le régime de la représentation, en ce qu'elle montre la rupture d'un équilibre, puisqu'il n'y a personne pour écouter le locuteur. Le monologue met ainsi en danger la représentation : l'identité du personnage devient incertaine — même si parfois, précisément, l'intérêt et l'originalité d'un monologue tient à cette indécision : c'est d'ailleurs en ce sens que Cl. Thouret analyse la réussite du fameux monologue d'Hamlet, dans lequel elle voit le lieu de l'entremêlement de la voix du personnage et de l'acteur. Quant à la parole solitaire, elle n'échappe pas à cette ambiguïté : le monologue est‑il une parole réellement proférée, ou équivaut‑il à une réflexion silencieuse du personnage ?

9Or, la première modernité prend conscience du fait que le monologue est une forme dramatique spécifique et problématique : c'est cette prise de conscience et le besoin qu'ils ont ressenti de régler un spectacle un peu trop « baroque » qui ont incité les théoriciens à s'exprimer sur la question. Ainsi s'instaure un véritable débat sur le sujet, et ce à l'échelle européenne. Les théoriciens — le plus souvent français, espagnols et italiens — se font alors les ardents défenseurs de la mimèsis la plus parfaite possible et ne se privent jamais de rappeler l'exigence de vraisemblance aux dramaturges, qui ne doivent pas montrer de façon trop brutale la double énonciation, pourtant essentielle à la représentation théâtrale. C'est pourquoi ils leur recommandent notamment d'éviter les adresses directes au public, qui rappellent immédiatement le caractère artificiel du spectacle.

10Les dramaturges font alors l'essai de toutes les ressources à leur disposition pour combler le vide mis en évidence par le monologue et mettre en place cette fameuse mimèsis prônée par les théoriciens : ajout d'un confident purement figuratif pour légitimer la parole du locuteur, jeu de questions‑réponses du locuteur lui‑même, apostrophe adressée à une entité allégorique... Dans tous les cas, il s'agit de rétablir l'équilibre de l'énonciation par un dialogisme artificiellement reconstitué. On voit donc bien le souci, ici, que pouvaient avoir les dramaturges de régler le problème énonciatif posé par le monologue.

11Le problème, dès lors, était d'informer le spectateur en lui dissimulant l'apport d'information, en intégrant le monologue à l'économie dramaturgique, c'est‑à‑dire en prenant pour prétexte l'expression des sentiments du personnage : l'enjeu, ici, est donc de faire passer le monologue d'un régime diégétique à un régime mimétique, comme l'écrit Cl. Thouret. Ainsi la passion du personnage justifiait‑elle la parole solitaire ; cependant, cela ne la rendait pas vraisemblable pour autant, puisque personne ne parle seul à voix haute, dans le monde réel. On en arrive donc rapidement à une impasse. La solution, dès lors, réside dans une acception souple à la fois de la règle de vraisemblance, et du principe du monologue : le tour de force étant impossible, il faut se rendre à l'évidence que le dramaturge de talent — ou plutôt de génie — est celui qui sait le mieux faire oublier le problème au spectateur averti, quand bien même ce ne serait que pour le temps de la représentation.

Contre un monologue nominatif

12La complexité énonciative du monologue se double, enfin, d'une progressive complexité dans l'expression de l'intériorité du personnage. En effet, Cl. Thouret défend la thèse selon laquelle le monologue de la première modernité en vient à révéler l'intériorité en question au lieu de simplement la nommer. Selon elle, on aurait donc plutôt affaire à une dramatisation de l'identité qu'à sa présentation directe, à la fin de la période étudiée. Le monologue serait donc un moment de reconfiguration, où le langage se fait mimétique de ce qu'il suggère : il ne fait pas que désigner simplement les sentiments du personnage, mais les fait comprendre en les intégrant à l'élocution.

13Cet état de fait est donc particulièrement à même de restituer l'expérience d'un sujet en crise : c'est alors que Cl. Thouret parle de « volonté en clair‑obscur » et « d'identité en devenir ». Cette crise du sujet répond souvent à celle du langage : le monologue se fait alors le miroir de cette crise — Shakespeare en est le représentant le plus caractéristique, notamment dans son Jules César, avec le personnage de Brutus. Le discours monologué se fait ainsi l'image de la complexité intérieure du personnage, et déploie le processus de la volonté : il ne contribue pas toujours à clarifier les choses pour le spectateur, puisque c'est souvent un moi en crise qui est présenté au spectateur. Ainsi en témoigne ce que notre auteur appelle « l'intériorité sans langage » d'Hamlet, dont Shakespeare dessine une profonde perspective intérieure par le fait même qu'Hamlet ne confie pas ses pensées réelles. Cl. Thouret fait donc le lien entre affirmation du sujet, inscription de l'action de celui‑ci dans le monde et élaboration d'une parole spécifique, qui passe par le monologue.

Éclairer le monologue par les réalités du théâtre

Le monologue & ses parents : l’auteur & l’acteur

14Une des qualités de l'ouvrage de Cl. Thouret est de prendre en compte de façon complexe la question des réalités du théâtre, de la rédaction de l’œuvre à sa représentation, sans s'arrêter au seul texte. Or, la première modernité, en particulier, veut que le monologue soit favorable à la mise en valeur de l'auteur et de l'acteur : il offre au premier la possibilité d'acquérir une dignité d'auteur, et de ne plus être considéré comme un simple « poète à gages » à la condition précaire. Il constitue également pour l'acteur un morceau de choix, un véritable « cadeau », comme le dit Cl. Thouret, où le comédien peut déployer tout son art et se faire reconnaître comme un grand acteur. A priori, acteur et auteur devraient œuvrer dans le même sens, et pourtant le monologue reste le lieu d'une tension entre les deux, chacun voulant faire reconnaître sa valeur propre.

15Il en découle une dimension rhétorique du monologue, et ce pour ses deux parents : le dramaturge, de fait, a recours aux codes de l'éloquence pour montrer sa virtuosité d'écriture et légitimer son statut d'auteur ; quant à l'acteur, il a besoin de l'art expressif de l'orateur pour toucher le public. Car dans la mesure où le monologue doit être spectaculaire pour capter l'attention du public, selon la logique du « morceau de bravoure » que nous évoquons ci‑dessous, il s'agit d'être efficace. Or, le théâtre de la première modernité, tout imprégné de la tradition de l'éloquence, se faisait une conception rhétorique de l'effet pathétique. Pour plaire au spectateur, l'auteur et l'acteur devaient toucher : et ce but ne pouvait être atteint que par l'usage de toutes les ressources de l'orateur — aussi bien au niveau de la dispositio pour l'auteur, que de l'actio pour l'acteur. On voit donc ici l'importance du rôle des conditions de création — littéraire et scénique — du monologue.

Le monologue, un agent de médiation entre la scène & la salle

16Cl. Thouret ne manque pas d'intégrer à sa réflexion une donnée aussi fondamentale que celle de la présence du spectateur. De fait, ce n'est pas une mince affaire, pour un dramaturge, de satisfaire son public ; et notre ouvrage a l'intérêt considérable de montrer exactement pourquoi et en quoi le monologue est un lieu privilégié de l'interaction qui s'instaure entre la scène et la salle.

17Il apparaît effectivement que le monologue, conçu à l'époque comme un « morceau de bravoure », attire bien plus facilement l'attention du public. Et rappeler la réalité du public de l'époque contribue à éclairer ce rapport médiatisé qu'instaure le monologue entre la scène et la salle. En effet, on sait que le public n'a alors rien à voir avec le public de théâtre actuel : il n'était ni silencieux, ni discipliné ; son attention n'était pas acquise à l'acteur ; et l'on venait tout autant pour discuter avec son voisin que pour voir une pièce. Mais le monologue était attendu du public, qui lui portait plus facilement son attention. De ce fait, le dramaturge se devait de lui porter un soin tout particulier, en vue de tirer de son efficacité dramaturgique tout le profit possible.

18Ainsi le monologue a‑t‑il des utilités plurielles dans le cadre de la représentation : tout d'abord, il peut régler la réception du propos par le spectateur. De ce point de vue, il a ce que Cl. Thouret nomme une fonction « architecturale et chorale5 », notamment, par exemple, par le biais de presenters dans le théâtre élisabéthain. Les monologues d'introduction et de conclusion sont en effet nombreux dans le théâtre de la première modernité : ils constituent d'une part une étape dans le parcours liminaire progressif et font entrer les spectateurs dans l'action, d'autre part le moment de la sortie de l'action. Ici, le monologue est exploité dans ses fonctions méta‑dramatiques, même si cette configuration tend à s'effacer vers la fin de la période.

19Sur un plan non méta‑théâtral, le monologue a plusieurs autres fonctions de médiation auprès du public : notamment, il fournit les informations nécessaires pour la suite des événements. Mais il peut aussi faire avancer l'action, en particulier quand on a affaire à une sorte de faux monologue — c'est‑à‑dire quand un personnage entend un autre soliloquer, ou quand le personnage qui parle fait semblant de croire que personne n'est là, alors qu'il se sait écouté. Dans ce cas, il n'y a nullement ralentissement de l'action — c'est pourquoi le monologue ne peut être considéré comme une forme essentiellement non théâtrale —, et le monologue assure la continuité fictionnelle : il constitue ce que Cl. Thouret nomme une « scène de nécessité et d'éclaircissement6 ».

20Enfin, notre auteur rappelle une constante de l'époque : le dramaturge écrit aussi le monologue pour la salle. L'horizon d'attente du public de l'époque — car la faveur du monologue est étroitement dépendante de l'époque — est très clair sur ce point : le monologue est le clou du spectacle. Il faut donc satisfaire l'attente du public, ce qui n'exclut pas de jouer avec celle‑ci, sur le mode de la réécriture, soit sur celui de la mise en attente du spectateur. Dans le premier cas, le dramaturge compte sur le plaisir de la reconnaissance et sur la communauté culturelle qui le lie au public ; dans le second, il tient ce dernier en haleine en reculant le monologue.

Monologue & construction de l'espace scénique

21Enfin, Cl. Thouret s'attache à montrer les rapports qu'entretient le monologue avec la gestion de l'espace : elle éclaire en cela un des points les plus fondamentaux du sujet. Il apparaît en effet que, bien loin d'être une simple parole déclamée, le monologue est actif au sein même de la représentation, en ce qu'il contribue à construire l'espace scénique. Cl. Thouret va même plus loin en affirmant qu'il métamorphose véritablement celui‑ci : ainsi, à la souplesse énonciative du monologue se superpose la souplesse de l'espace scénique. Le monologue, en rappelant au spectateur que le locuteur ne parle pas seulement aux autres personnages, mais aussi au public lui‑même, dénonce la superposition des deux lieux : le lieu fictif et le lieu réel.

22Les dramaturges de la première modernité, au lieu de nier cet état de fait, mettent à profit toutes les ressources du monologue pour tenter de sauver ce qu'ils peuvent de la plasticité scénique qui leur est de plus en plus refusée par les théoriciens, adeptes de la vraisemblance. Le monologue devient alors un véritable agent de modification et d'aménagement de l'espace scénique. Ces aménagements sont multiples, et les métamorphoses de l'espace vont de la distorsion — le monologue suggère alors une distance entre deux personnages, puisque l'un des deux n'est pas censé entendre ce que l'autre dit à l'autre bout de la scène — à la multiplicité — par la superposition des énonciations au sein même de la scène. Selon une tout autre logique, le monologue peut également suggérer l'évolution psychique d'un personnage tout en accompagnant le mouvement physique de celui‑ci : non seulement il se fait l'image de la conscience du personnage, mais il figure le passage d'un lieu à un autre, ce qui a pour considérable avantage de damer le pion à tous ceux qui voudraient reprocher au dramaturge de ne pas avoir respecté la règle de l'unité de lieu. Le monologue, au lieu de gommer la complexité spatiale de la scène, contribue ainsi à brouiller l'espace, et les dramaturges font preuve d'une singulière inventivité sur ce point.

23Encore une fois, le recours à la réalité extra‑textuelle des œuvres permet de les éclairer au mieux : ici, Cl. Thouret étudie avec rigueur un des points essentiels du monologue moderne.

Pour une approche transversale des œuvres théâtrales

24Par « transversale », nous entendons aussi bien le fait de recourir à d'autres disciplines que le fait de replacer l’œuvre théâtrale dans le cadre des réalités dont elle dépend, de l'acteur au public, en passant par l'auteur. Clotilde Thouret n'est bien évidemment pas la seule à le faire : cependant, il nous semble qu'elle approfondit cette démarche par un véritable souci de montrer ce que le lien qui unit œuvre et contexte peut avoir d'essentiel — au sens philosophique du terme — pour l'un et pour l'autre. Elle met ainsi en place une critique proprement théâtrale, sans pour autant nier l'importance de la critique textuelle, tout aussi fondamentale. La parole dans le cadre de l’œuvre théâtrale étant spécifique au genre, notamment par rapport à celle de l’œuvre romanesque, peut‑être est‑il temps d'approfondir plus encore, sans pour autant s'y limiter, à la suite et dans le sens de ce travail extrêmement stimulant, cette spécificité de la critique théâtrale par rapport à la critique des autres genres littéraires.