Acta fabula
ISSN 2115-8037

2022
Mai 2022 (volume 23, numéro 5)
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Guillaume Cousin

Philothée O’Neddy, romantique tout feu tout flamme

Philothée O'Neddy, romantic all fire and flame
Philothée O’Neddy, Feu et flamme et autres textes, éd. Aurélia Cervoni, Paris : Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine », série « Bibliothèque nervalienne », 2021, 293 p., EAN 9782745356505.

1Parmi les « petits romantiques » ou « romantiques marginaux », Philothée O’Neddy est sans doute le plus célèbre des moins connus. Aurélia Cervoni rappelle en effet, dans sa préface intitulée « Philothée O’Neddy, l’autre “lycanthrope” » (nous reviendrons sur cette appellation), qu’O’Neddy a appartenu au Petit Cénacle de Jehan Duseigneur aux côtés de Borel, Nerval et Gautier, mais aussi d’Alphonse Brot, Auguste Maquet ou bien encore Jules Vabre, célèbre pour un titre sans œuvre, le fameux Essai sur l’incommodité des commodes. O’Neddy, aux yeux de la postérité, occupe donc une place intermédiaire, il n’est ni tout à fait connu, ni tout à fait inconnu. Pour reprendre une formule de Pascal Brissette, O’Neddy n’a eu ni la gloire ni la malédiction mais un « malheur moyen1 ».

2La publication de cette première édition critique de Feu et flamme, recueil de 1833, est donc importante : cela faisait presque un siècle que ce recueil poétique n’avait pas été réédité, la dernière édition ayant été procurée par Marcel Hervier aux Éditions des presses françaises en 1926. Hervier y écrivait déjà, à propos des Jeunes-France, que leur « oubli est injuste ; car si aucune œuvre ne s’impose, du moins la richesse du tempérament, la sincérité du sentiment, la valeur poétique de mainte pièce, le souci du style permettent qu’on s’y attache2. » Depuis un siècle, les études sur le romantisme ont jeté une lumière nouvelle sur ces auteurs, en particulier sur Nerval, Gautier et, plus récemment, Borel. Le travail d’A. Cervoni donne ainsi une nouvelle visibilité à la principale œuvre d’un de ces jeunes hommes qui occupèrent une place certes mineure mais assez importante pour éveiller l’intérêt d’un lecteur de 2022. Car ne nous y trompons pas : l’œuvre d’O’Neddy n’a pas de valeur uniquement au regard de l’histoire littéraire, mais aussi du point de vue du texte lui-même. Dans l’avant-propos du Bulletin de la Société Théophile Gautier consacré à O’Neddy, le premier volume de ce genre, Anthony Glinoer écrit à ce sujet :

L’enjeu d’une telle mise en lumière n’est pas mince. Il est même double, à l’image de cet écrivain qui a su jouer du pseudonyme comme peu d’autres. Avec Philothée O’Neddy on retrouve une sorte de quintessence du romantisme exacerbé du Petit Cénacle ; avec Théophile Dondey, son alter ego, on rencontre un homme complexe, critique hugolâtre sans concession, petit fonctionnaire retiré de la vie littéraire mais pas de la création artistique, homme brisé par les contingences, poète atteint d’un complexe d’infériorité paralysant mais que n’a jamais tout à fait quitté le « feu » sacré. À O’Neddy le volcanisme romantique, à Dondey le retrait petit-bourgeois dans la parole privée3.

3Le volume proposé par A. Cervoni se compose de trois principaux ensembles : une introduction qui présente O’Neddy, sa réception critique contemporaine puis universitaire ; le recueil Feu et flamme ; une anthologie de « Documents » de et sur O’Neddy.

4La présentation biographique exploite les quelques documents, principalement des témoignages extérieurs, dont nous disposons : la Lettre inédite de Philothée O’Neddy à Charles Asselineau (1862), le « médaillon » d’O’Neddy par Gautier, repris dans son Histoire du romantisme (1874), et la notice biographique d’Ernest Havet, publiée en tête du second tome des Œuvres complètes (1877-1878) d’O’Neddy. Ces sources sont déjà connues des spécialistes, mais l’intérêt de cette édition est de les rassembler dans un seul et unique volume.

5A. Cervoni concentre son propos sur les liens de Théophile Dondey avec les autres membres du Petit Cénacle, dans le cadre duquel est rédigé et publié Feu et flamme. C’est d’ailleurs en référence à Pétrus Borel qu’A. Cervoni intitule son introduction « Philothée O’Neddy, l’autre “lycanthrope” » ; néanmoins, on pourra regretter que cette analogie ne soit pas justifiée ou commentée dans le corps de l’introduction, d’autant plus qu’est cité le passage de la préface de Feu et flamme où O’Neddy « prend ses distances avec ses camarades » (p. 18) : O’Neddy y concède la présence de « quelques fortes empreintes de lycanthropie » mais ajoute aussitôt que ce « ne sont, pour la plupart, que des boutades fougueuses » (cité ibid., texte p. 43). José-Luis Diaz a en effet montré que pour Borel il ne s’agit pas de jouer : « Et qu’on ne vienne pas lui dire que ce n’est qu’un jeu. Il y a, dans la papauté de “Pétrus Borel le Lycanthrope”, comme dans celle d’André Breton, une raideur charismatique qui se gendarme dès que le scepticisme se montre4. » En réalité, c’est moins dans la lycanthropie que Borel et O’Neddy se retrouvent que dans la scénographie auctoriale globale, dont la lycanthropie n’est qu’un élément, qu’ils mettent en place. José-Luis Diaz a parfaitement montré comment Borel, O’Neddy et Charles Lassailly, l’auteur des Roueries de Trialph, construisent l’image de « brigands de la pensée » (p. 56), le « pacte Jeune-France » reposant sur la foi « en la vérité de la vie passionnelle et en la sainteté de la révolte5 ».

6Le volume propose en revanche un riche panorama de la réception d’O’Neddy et de son recueil. A. Cervoni ajoute même à la connaissance du public un compte rendu jusque-là inconnu, publié dans La Tribune politique et littéraire du 23 décembre 1833, mentionné dans l’introduction et reproduit dans les « Documents » (p. 187-188). Les textes contemporains de la publication, qu’il s’agisse des deux comptes rendus ou bien des lettres de Béranger et Chateaubriand, s’accordent tous à voir dans Feu et flamme l’œuvre d’un jeune poète talentueux mais trop soumis au modèle byronien. Ainsi Béranger critique-t-il « la tendance aristocratique de notre jeune École Byronienne » (p. 184), quand Chateaubriand reproche à O’Neddy de profaner « les dons » qu’il a reçus « de la Nature » (p. 185). Le nombre restreint de documents constituant la réception immédiate du recueil confirme la formule d’O’Neddy, selon lequel « le recueil dut faire son chemin tout seul, c’est-à-dire qu’il ne l’a pas fait du tout » (p. 224). Contrairement à Gautier ou Borel, qui ont poursuivi leurs œuvres malgré l’échec de leurs premiers recueils (Rhapsodies pour l’un, Poésies pour l’autre), O’Neddy cesse de publier — mais non d’écrire. A. Cervoni cite la touchante anecdote racontée par Gautier en 1872 : à l’occasion d’un banquet donné en l’honneur de Célestin Nanteuil — dessinateur et graveur, membre du Petit Cénacle —, Gautier retrouve un O’Neddy vieilli, sorti « des catacombes de cette vie mystérieuse où il s’était plongé » (p. 240), et lui demande quand sortira son second volume de vers. « Il nous regarda de ses yeux bleus, effarés et troubles, et nous répondit avec un soupir : “Oh ! quand il n’y aura pas de Bourgeois !” » (ibid.) Gautier était en effet persuadé qu’O’Neddy aurait pu avoir une œuvre bien plus importante :

S’il ne s’était retiré si tôt, il se serait fait assurément une place dans le bataillon sacré. Il avait cette qualité rare en art, la force ; mais il s’est découragé dès le début par une de ces lassitudes dont le secret reste dans l’âme et plus souvent encore dans le cœur du poète. (p. 237)

7Ernest Havet, dans sa notice ajoutée en tête des Poésies posthumes (1877) et qu’A. Cervoni reproduit en partie, écrit à propos du sonnet Les Deux Lames et de la pièce de vers Une fièvre de l’époque (reproduite p. 189-195) qu’ils « contiennent l’expression douloureuse d’un sentiment dont il a porté le poids toute sa vie, la conscience d’un talent qui ne peut se faire reconnaître6. » Une fièvre de l’époque formule en effet l’échec de ces « Esprits de second rang, poètes incomplets, / Moins artistes, hélas ! qu’artistiques reflets » (p. 189), victimes du spleen, d’un guignon qui dans Feu et flamme prend les traits du Destin. A. Cervoni indique d’ailleurs à juste titre, dans son introduction, l’influence d’O’Neddy sur Baudelaire.

8Ajoutons, enfin, qu’A. Cervoni fait le choix, pour son annotation, de s’en tenir aux variantes manuscrites les plus significatives et à l’identification de références intertextuelles.

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9Cette nouvelle édition, la première critique, de Feu et flamme de Philothée O’Neddy permettra aux curieux et aux spécialistes d’accéder plus facilement à ce recueil. Si l’appareil critique ne propose pas véritablement d’analyse de l’œuvre, il offre une contextualisation bienvenue ainsi qu’un ensemble de documents (biographie, bibliographie, références intertextuelles…) qui permettent de mieux connaître O’Neddy. Il faut donc saluer cette initiative, qui donnera naissance, à n’en pas douter, à de nouvelles lectures de ce jeune poète dont l’esthétique et la poétique sont représentatives de la production littéraire du Petit Cénacle.