Acta fabula
ISSN 2115-8037

2022
Janvier 2022 (volume 23, numéro 1)
titre article
Samy Ben Messaoud

La France des Lumières au prisme des Mémoires de Trévoux, un périodique jésuite.

Enlightenment France through the lens of Mémoires de Trévoux, a Jesuit periodical
Christian Albertan, Les Mémoires de Trévoux, 1751-1762 : un moment dans l’histoire religieuse et intellectuelle de la France du XVIIIe siècle, Paris : Honoré Champion, coll. « Les Dix-huitièmes siècles, 210 », 2020, 3 vol., 1842 p., EAN 9782745352545.

1L’histoire de la littérature comme l’étude des Lumières bénéficient depuis quelques décennies d’une nouvelle source de documentation, la presse périodique du dix-huitième siècle. En effet, le Dictionnaire des journaux, publiés en 1991 sous la direction de Jean Sgard, constitue un travail « monumental […] qui a renouvelé de fond en comble notre approche des périodiques anciens », affirme Christian Albertan (p. 10). Les « archives du présent que sont les journaux1 » offrent des informations circonstanciées sur la réception des livres, leurs auteurs, ainsi que les multiples controverses littéraires ou philosophiques. Elles sont étudiées dans le détail en s’appuyant sur les Mémoires de Trévoux.

2Quand l’Europe parlait français2, les journaux et gazettes du dix-huitième siècle formaient un puissant moyen de diffusion des informations à travers les grandes métropoles du continent. Outre les belles-lettres, la philosophie, les sciences et la théologie, ces feuilles périodiques couvraient les événements marquants de l’époque : guerres3, épidémies, famines, commerce, régicide (l’attentat de Damiens sur Louis XV4), etc. De Londres à Berlin en passant par Amsterdam et Moscou, la presse périodique d’expression française jouissait d’une grande audience en Europe. La présente étude de Ch. Albertan sur les Mémoires de Trévoux renouvelle en profondeur nos connaissances sur ce périodique jésuite, l’un des plus connus et influents à l’époque des Lumières. L’examen matériel de cette feuille5 fournit aux lecteurs des informations détaillées sur l’ensemble de la collection des Mémoires de Trévoux.

3Toutefois, l’auteur limite son étude thématique de ce périodique à la décennie 1751-1762 : un moment important dans l’histoire des idées en France vu le nombre d’innovations esthétiques et philosophiques. Ainsi, la parution de l’Encyclopédie avait engendré de violentes batailles6 entre les journalistes des Mémoires de Trévoux et les philosophes des Lumières, tels que Voltaire, Diderot et d’Alembert. Les polémiques théologiques faisaient rages. Elles sont examinées d’une manière exhaustive par Ch. Albertan :

La lutte contre l’irréligion — on ne s’en étonnera pas — est une des préoccupations majeures de l’équipe rédactionnelle des Mémoires de Trévoux de notre période. Ce combat est dans le droit fil des engagements pris par les tout premiers rédacteurs du périodique jésuite et constamment renouvelées par leurs successeurs. Les uns et les autres disent aspirer à l’impartialité en tout, sauf en ce qui regarde « la religion, les bonnes mœurs et l’état », en quoi il n’est jamais permis, selon eux, de rester neutre. (p. 1052)

4Sur les thématiques religieuses, les journalistes jésuites avaient adopté une approche ouvertement partisane. Aucune ambiguïté ni discussion possible au sujet de la doctrine théologique des disciples de Saint-Ignace : le catholicisme ultramontain.

5Quant à la Destruction des jésuites en France, pour reprendre une célèbre formule de d’Alembert, titre d’un ouvrage, elle avait eu pour conséquence la suppression des Mémoires de Trévoux. L’auteur consacre à cet événement, « le départ des jésuites » (p. 471), une enquête fouillée. Pour cela, Ch. Albertan a mené des recherches dans plusieurs fonds d’archives en France et à l’étranger. Étant donné la complexité du chantier, l’auteur précise dès le sous-titre, que son enquête sera limitée à « l’histoire religieuse et intellectuelle de la France du xviiie siècle ». Les Lumières en vogue en Europe occupaient les débats académiques et cénacles littéraires.

6La qualité scientifique de cette enquête est illustrée d’emblée par la densité de l’apparat critique qui accompagne les analyses historiques de l’auteur. Les documents d’archives et manuscrits inédits occupent une place de choix dans les notes. Ils jettent une lumière neuve sur les Trévousiens ou les journalistes du périodique jésuite. Ce qui en dit long sur la rigueur de la méthodologie critique adoptée par Ch. Albertan. Mais l’auteur tempère en observant : « le propre de la recherche historique n’est-il pas de ne déboucher que sur des bilans et des acquis provisoires » (p. 10) ? Assurément, la presse périodique comme l’ensemble des disciplines des sciences sociales bénéficient de l’apport régulier de connaissances nouvelles, résultant des travaux universitaires. À l’ère du numérique, les humanités sont en constante évolution à l’échelle mondiale.

7Intitulée Mémoires pour l’Histoire des Sciences et des Beaux-arts. Recueillis par l’ordre de son Altesse Sérénissime Monseigneur Prince souverain de Dombes, cette feuille était considérée à l’époque des Lumières bien plus qu’un périodique érudit, « l’organe officiel » (p. 17) d’une congrégation religieuse, la Société de Jésus. La formule choisie par Ch. Albertan est pertinente :

Le périodique jésuite passe ainsi couramment pour un « journal de moines » destiné à un étroit public, qu’on imagine volontiers confit en dévotion, même si la philosophie des Lumières et les questions de religion ne sont pas les seules, tant s’en faut, à avoir retenu l’attention des rédacteurs. Ceux-ci s’adressent, en fait, à un public qui ne leur est pas systématiquement acquis. […] Le Journal de Trévoux est donc passé à la postérité — il n’est guère de chercheur ou même d’esprit curieux, et cultivé qui ne connaisse au moins son nom. (p. 20)

8La renommée des Mémoires de Trévoux fut grande tout au long du dix-huitième siècle : « À l’étranger, plusieurs Cours princières, et notamment celle de de Parme, se font adresser le périodique jésuite » (p. 707). L’étude des bibliothèques de savants et l’examen des collections de bibliophiles à l’époque des Lumières apportent ici une éloquente illustration.

9Les Mémoires de Trévoux étaient un journal périodique mensuel, dirigé par des prêtres jésuites, souvent régents ou professeurs au collège Louis-le-Grand de Paris. Cette périodicité est soumise à la censure, « une affaire complexe » (p. 790), selon l’auteur. S’agissant du travail strictement journalistique des rédacteurs, il s’effectuait à l’instar des Nouvelles ecclésiastiques, feuille janséniste, dans un environnement religieux clairement identifié, celui de l’appartenance à la congrégation des disciples de Saint-Ignace. Aussi « l’antijansénisme presque viscéral des jésuites » (p. 54, note 61) représente plus qu’un simple antagonisme entre deux journaux, une radicale opposition religieuse. Si les journalistes jésuites étaient proches du pouvoir royal, les jansénistes travaillaient dans la clandestinité sous la menace permanente de la police, qui les poursuivait sans relâche depuis la fin du règne de Louis XIV. Pour mieux comprendre la philosophie ainsi que la représentation du monde, qui sous-tendaient l’ensemble des textes ou articles de recension, publiés dans les Mémoires de Trévoux, Ch. Albertan a inséré dans son étude une « Chronologie générale7 ». Outre la contextualisation de cette feuille, l’auteur énumère les moments marquants de son histoire ; des informations utiles aux lecteurs non-initiés à l’histoire de la presse ancienne. Cette enquête comporte trois grandes parties : « le mode d’élaboration du journal, sa réception et, enfin les interprétations que l’on peut donner aujourd’hui du texte » (p. 35).

Présentation générale

10Les Mémoires de Trévoux proposaient à leurs lecteurs du siècle des Lumières un périodique savant, comparable à ceux des Nouvelles de la République des Lettres, célèbre feuille de Pierre Bayle, et le Journal des savants, une revue encore en activité aujourd’hui. Néanmoins, les Mémoires de Trévoux se démarquent par leur hostilité ouverte aux partisans des Lumières et surtout leur volonté « de faire courber l’échine aux Encyclopédistes » (p. 25). C’est du moins l’une des principales caractéristiques du corpus étudié par Ch. Albertan. Toujours est-il, les feuilles périodiques érudites consacraient la majeure partie de leurs livraisons à des articles de recension de livres écrits en langues anciennes et vernaculaires. Ainsi la réception des livres et leur diffusion dans la République des lettres se faisaient par l’intermédiaire d’extraits, pour reprendre la terminologie journalistique de la presse du dix-huitième siècle :

Article-type paraissant dans une revue littéraire ou scientifique de l’Ancien Régime. Dans les journaux du début du XVIIIe siècle, les extraits ne sont que des résumés d’ouvrages récemment parus mettant en principe en valeur leurs qualités. L’extrait devient par la suite, notamment sous l’impulsion de journalistes comme Desfontaines ou Fréron, une analyse critique. L’auteur recensé fournit parfois aux journalistes l’extrait de son ouvrage ou un précis de celui-ci. (p. 1641)

11Cette définition offre des informations primordiales pour la compréhension du fonctionnement d’un périodique ancien et par là même saisir la logique qui sous-tend les articles de recension. Le riche « Glossaire » (p. 1633-1660), élaboré par l’auteur, s’avère ici d’une grande utilité aux lecteurs de cette enquête sur les Mémoires de Trévoux. Ch. Albertan précise en préambule : « On trouvera dans ce glossaire la définition des termes utiles à la compréhension de l’ensemble des documents relatifs à notre question » (p. 1633). En effet, le glossaire propose une définition sémantique des principales notions journalistiques, ainsi que des termes techniques spécifiques à la Société de Jésus8. Autant d’informations pratiques facilitent de fait, la lecture des Mémoires de Trévoux. Outre cette précaution lexicologique, un regard attentif s’imposait sur la langue du dix-huitième siècle, distincte à bien des égards de celle du français d’aujourd’hui. Mais l’historien de la presse ancienne ne pouvait s’engager dans cette voie.

12Par ailleurs, l’une des qualités majeures de cette foisonnante enquête historique réside dans le caractère méticuleux des analyses menées par Ch. Albertan. Comme les chercheurs en médecine, l’auteur dissèque avec une infinie patience ce périodique, du reste disponible dans un grand nombre de bibliothèques en France9. Ce constat est certes factuel mais assez significatif concernant la diffusion des Mémoires de Trévoux dans la République des Lettres au temps des Lumières. Les statistiques réalisées par l’auteur sont éclairantes à propos des matières et disciplines du savoir, étudiées dans chaque livraison. Les chiffres sont formels, ce périodique consacre une large partie de son contenu aux belles-lettres, beaux-arts, histoire et religion. Quant aux sciences et techniques, elles occupent en moyenne 20 % de chaque livraison (1751 : 25%, 1752 : 17%, 1753 : 29 %, 1754 : 19%, 1755 : 21%, 1756 : 33%, 1757 : 23%, 1758 : 15%, 1759 : 20%, 1760 : 18%, 1761 : 21%, 1762 : 23%)10. Pour mieux illustrer son propos, Ch. Albertan propose l’étude d’un cas particulier, afin de mieux souligner la diversité des sujets traités dans cette feuille périodique :

Si on examine, par exemple, pour préciser les choses la liste des ouvrages recensés dans le Journal de Trévoux en 1751, année pourtant particulière, marquée par la parution de la thèse de l’abbé de Prades, les débuts de l’Encyclopédie et tant d’autres affaires à caractère religieux, on constate que la religion est nettement distancée, en chiffres bruts, par toutes les autres matières-clés dont il vient d’être question. Parmi les quelque 116 recensions, lettres et dissertations contenues dans le périodique jésuite de cette année-là, les articles relatifs à la religion (15) viennent assez loin derrière la masse des extraits portant sur l’histoire (22), les sciences (24) et les belles-lettres (36). Le contenu du Journal de Trévoux de cette année n’a rien d’exceptionnel et l’on est amené à faire des remarques similaires sur la ventilation de la masse éditoriale du reste de la période. Quelques années plus tard, en 1755, par exemple, la religion (14 articles sur 108) est à nouveau largement devancée par les belles-lettres (32 articles), l’histoire (21 articles) et les sciences (18 articles). À l’autre bout de la période, on observe encore le même phénomène. (p. 645-646)

13Ces statistiques expriment une réalité différente des représentations erronées des Mémoires de Trévoux. Ch. Albertan déconstruit les préjugés et a priori constatés dans des travaux savants au sujet du périodique jésuite : « Nous n’adhérons pas aux reproches que l’on fait au xviiie siècle aux Mémoires de Trévoux ou au jugement sévère de R. Pomeau » (p. 648). L’analyse de l’auteur est à la fois bien informée et solidement étayée. D’ailleurs, l’une des qualités essentielles de cette étude réside dans la clarté des explications. Quant aux jugements portés sur tel ou tel point de la longue histoire des Mémoires de Trévoux, Ch. Albertan s’en remet à son lecteur en lui laissant le soin de s’exprimer selon son libre-arbitre. Et l’auteur ajoute qu’il avait tenté « de comprendre et ne pas juger » (p. 34). L’approche herméneutique de cette feuille nécessite une bonne connaissance des Lumières, afin d’éviter des commentaires superficiels ou complètement fautifs. La production journalistique obéit à des normes rhétoriques spécifiques, celle de la prose didactique destinée à un public érudit. Les articles de recension, publiés dans cette feuille, demeurent au-delà des considérations philosophiques ou théologiques d’une bonne facture stylistique11, tant le soin accordé par les rédacteurs au contenu des extraits comme au discours journalistique est important :

La plupart des extraits du Journal de Trévoux présentent bien d’autres qualités : ceux qui portent sur les sciences s’appuient sur une information solide et sans cesse actualisée, ceux qui traitent de matières religieuses, littéraires ou historiques largo sensu reposent, quant à eux, sur une érudition et science bibliographique quasiment irréprochables. (p. 227)

14Le contenu de ce périodique se caractérise par sa grande richesse thématique. Cependant, l’auteur, lecteur critique des Mémoires de Trévoux, avait découvert néanmoins des articles de mauvaises factures. Publié « en septembre 1758, d’un ouvrage anglais, An estimate of the manners and Principles of the the Times, cet extrait contient effectivement de grossières erreurs » (p. 224). Les journalistes trévousiens étaient polyglottes. Pour cela, il suffit de consulter « l’Index operum » (p. 1743-1770), un nouvel indice concernant la variété thématique du contenu de cette feuille de qualité. Les articles varient de taille en fonction des sujets traités, les disciplines du savoir et le goût des lecteurs pour les Anciens. Les auteurs contemporains bénéficient d’un intérêt similaire voire plus grand tant les journalistes jésuites étaient curieux de tout.

15Par ailleurs, « certaines recensions ne sont que de simples notes de lectures — appelées “notices” par les rédacteurs — dans lesquelles le journaliste rend compte rapidement, parfois d’une manière expéditive, d’un ouvrage » (p. 875). Les contraintes matérielles et la disponibilité des journalistes expliquent parfois la brièveté des recensions. Mais au-delà de ces contraintes matérielles, la publication du journal nécessite un important investissement intellectuel de la part de son directeur et principaux rédacteurs :

En 1754, par exemple, Grosley adresse au P. Berthier une dissertation de pure érudition sur un épisode mineur de la vie d’Hannibal. Le directeur de la revue jésuite accepte de publier la contribution […], mais procède avant de le faire à de nombreuses vérifications. Il relit à cet effet des passages entiers de Tite-Live, de Polybe et de Cornelius Nepos. […] Tout ce travail, digne d’un membre de l’Académie des Inscriptions, n’a pour résultat que sur quelques notes destinées à accompagner le texte transmis par Grosley. Efforts impressionnants, peu gratifiants et qui, on l’a vu, valent souvent aux rédacteurs d’essuyer critiques et moqueries. (p. 235)

16En effet, les critiques les plus cinglantes émanent de Voltaire et auteurs de l’Encyclopédie. Les coulisses de la fabrique des Mémoires de Trévoux révèlent aux lecteurs d’aujourd’hui des aspects difficiles, voire ingrats du travail journalistique. La situation est sensiblement équivalente ou même pire pour les autres périodiques de cette époque. Le nombre grandissant de journaux augmente en effet les contraintes matérielles et financières. Nous découvrons grâce à l’enquête de Ch. Albertan, la face cachée des conditions de travail journalistique. Ce « prolétariat littéraire » (p. 151) est souvent oublié et même ignoré des historiens de la presse.

17S’agissant des « Nouvelles littéraires », elles provenaient de la province et des grandes capitales européennes. Pierre Bayle figure parmi les premiers correspondants des Mémoires de Trévoux. L’auteur puise cette information dans les papiers du P. Léonard, « un des concepteurs du Journal de Trévoux » (p. 175). Ch. Albertan mentionne un autre correspondant de cette feuille aussi étonnant qu’inattendu : Prosper Marchand, « cet érudit protestant, fort critique à l’égard des catholiques, fournit régulièrement des nouvelles littéraires au P. Tournemine destinées aux Mémoires de Trévoux » (p. 175). Le cas de François Masclef est encore plus singulier : « Quoique janséniste intransigeant, [Masclef] adresse, quant à lui, des dissertations sur les langues orientales aux Mémoires de Trévoux » (p. 188-189). Aussi les dernières pages de chaque livraison sont réservées aux brèves informations traitant de sujets les plus divers :

La rubrique des Nouvelles des Mémoires de Trévoux répond parfaitement à l’attente de ces lecteurs, parfois même avec une surprenante rapidité. En février 1751, par exemple, la rédaction jésuite inclut à la hâte dans ses Nouvelles littéraires une réponse à la lettre ouverte de Diderot au P. Berthier relative à l’Encyclopédie. […] En 1755, une brochure du même Diderot sur la peinture dite en cire, pourvue d’une permission tacite du 17 avril 1755, est ainsi annoncée moins de quinze jours plus tard, dans le numéro de mai des Mémoires de Trévoux. (p. 618-619)

18Peinture, estampes, architecture, les journalistes de la feuille jésuite avait privilégié l’annonce des nouveautés et dernières créations artistiques, une pratique répandue dans les périodiques. « Avec de telles annonces fort proches de la publicité contemporaine, le Journal de Trévoux, le Journal des savants et l’Année littéraire, contribuent activement de la vogue de l’architecture du milieu du xviiie siècle » (p. 988). Les dernières pages des Mémoires de Trévoux recèlent d’importantes informations pour l’historien moderne et les spécialistes des Lumières. Au-delà de l’impératif matériel, puisque ces pages sont destinées à « boucler des numéros n’atteignant pas le nombre de pages voulues » (p. 613), nous lisons dans cette partie du périodique d’autres informations pratiques, telles les corrections ou les tables de chaque livraison. Toutes ces pages sont également examinées par Ch. Albertan : « Notre attention doit cependant rester là aussi en éveil. En effet, aux errata sont parfois mêlées des additions ou de courtes notes ou nuançant ce qui a été dit antérieurement. On a affaire […] parfois même à de discrets repentirs » (p. 624). Le corpus des Mémoires de Trévoux (1751-1762) est étudié dans son intégralité, une exigence scientifique remarquable.

Les Trévousiens

19Quoique résidant à Paris, le directeur des Mémoires de Trévoux comme le reste des journalistes sont désignés par le qualificatif de Trévousiens, ou « jésuites triés sur le volet » (p. 1052). Les Trévousiens sont identifiés par leur appartenance à ce périodique, imprimé dans la ville de Trévoux : « Tirant avantage de l’exterritorialité de ces presses, […] le journal échappe au monopole dont jouissait dans le royaume de France au début du XVIIIe siècle le déjà célèbre Journal des savants » (p. 577). Certes, le Dictionnaire de Trévoux s’imprimait aussi dans cette ville, mais la renommée du Mémoires de Trévoux, acquise peu de temps après leur création, lui confère une place de choix au sein de la République des Lettres. Les recherches de Ch. Albertan sur les Trévousiens (biographie, journalisme, controverses, etc.) représentent l’une des principales difficultés de cette enquête :

Les journalistes attitrés des Mémoires de Trévoux de notre période ont tout d’abord en commun le titre de scriptor, qui ne leur est d’ailleurs pas réservé. Ils appartiennent de ce fait à l’élite d’une Compagnie dont on sait la dilection pour les choses intellectuelles. Ils ont, en outre, des profils et des états de services comparables, on pourrait même dire superposables. Ce sont des individus d’exception au sein de la Société : ils ont longtemps enseigné avec distinction — notamment la philosophie et la théologie dans les grands collèges de la Compagnie. […] La qualité de professeurs de philosophie et plus encore de théologie doit retenir ici l’attention. […] Nos Trévousiens répondent tous sans exception à ces critères. (p. 171-172)

20Les journalistes ou directeurs des Mémoires de Trévoux sont des prêtres ordonnés, après avoir effectué leur noviciat au sein de la Compagnie de Jésus. Il s’agit d’une élite intellectuelle, des élèves brillants, ayant suivi un cursus pédagogique de qualité. Descartes et Voltaire étaient les élèves des jésuites, au collège de La Flèche pour le premier et Louis-le-Grand pour le second.

21Alors que les feuilles périodiques du dix-huitième siècle étaient, sauf de rares exceptions, l’œuvre d’hommes de lettres plutôt besogneux et même médiocres, les Mémoires de Trévoux bénéficiaient de la compétence de journalistes hautement versés dans les belles-lettres et sciences religieuses. Si l’identité des journalistes n’est pas mentionnée dans les livraisons des Mémoires de Trévoux, les lecteurs savaient que cette feuille « est un ouvrage écrit à plusieurs mains » (p. 156). L’identification des journalistes de Trévoux a nécessité des recherches dans plusieurs fonds d’archives. Plusieurs journalistes des Mémoires de Trévoux étaient déjà identifiés, mais nous ne savions rien concernant leurs contributions au journal : « Comme ses collègues qui portent le titre de scriptor, Jean François Joseph Fleurieu est sans doute aussi appliqué à d’autres tâches d’écriture, mais dont on ignore tout » (p. 164). Parmi les sources incontournables pour les recherches sur les journalistes jésuites, les papiers du P. Léonard et les travaux du P. Carlos Sommervogel occupent une place de choix dans cette enquête. Aussi les investigations menées par l’auteur lui permettent d’enrichir nos connaissances à propos du travail rédactionnel du directeur des Mémoires de Trévoux, le P. Berthier, ainsi que les différentes collaborations des journalistes occasionnels :

L’équipe rédactrice des Mémoires de Trévoux de notre période n’est assurément resserrée que sur le papier et dans l’esprit de certains de ses adversaires. Nous avons affaire, en fait, à une machine assez lourde et complexe : la rédaction de la revue jésuite étend au loin ses ramifications et utilise un travail produit en amont par un nombre non négligeable et variable de personnes. Présentée comme l’œuvre d’un seul individu, le périodique jésuite est une œuvre largement collective. (p. 213)

22En effet, « la ruche trévousienne » (p. 186) réunit diverses plumes, et les contributeurs sont nombreux. La participation de tous ces journalistes malgré la diversité de leurs convictions religieuses contribue à la réussite éditoriale de cette feuille érudite. Néanmoins, plusieurs contributeurs « conservent l’anonymat » (p. 191). Les contributeurs aux Mémoires de Trévoux viennent également d’horizons différents. Le cas de Diderot est à ce propos emblématique, puisqu’il avait « adressé, sous le voile de l’anonymat, une dissertation sur Newton au journal » (p. 192). Ch. Albertan ajoute en note des sources probantes pour étayer son assertion.

23Les Trévousiens travaillaient sans relâche pour assurer la périodicité de leur feuille. Apparemment homogène et uni, les rédacteurs jésuites étaient en proie à des tensions personnelles. Ch. Albertan analyse quelques faits relatifs à un conflit interne. Sa restitution des tenants et aboutissants de cet épisode de la vie des Mémoires de Trévoux est bien documentée. Il s’appuie pour cela sur source directe et fiable, celle du le P. Léonard, son « informateur dans cette affaire » (p. 251). Parmi les péripéties de cette affaire, l’auteur relate la mise à l’écart du P. Édouard de Vitry, journaliste jésuite, nommé en province. Il souligne aussi les « voix divergentes » (p. 254-260) et les « déchirements au sein de la Compagnie » (p. 260-271). Connu pour sa rigidité concernant le respect scrupuleux des dogmes religieux, le P. Tournemine s’était opposé à la publication d’un article du P. Merlin sur un livre du P. Balthus jésuite (p. 273-274). Toutes ces dissensions internes expriment la divergence des opinions parmi des Trévousiens. Ce constat dénote une pluralité complexe des opinions, et une réfutation du « mythe de la pensée unique » (p. 249) chez les journalistes jésuites.

24Ch. Albertan insère à la fin de son ouvrage des « Notices biographiques ». Il s’agit de contributeurs méconnus au périodique jésuite. Outre les journalistes, cette liste contient aussi des informations concernant les adversaires des jésuites ainsi que des personnages de premier ordre : le duc du Maine, Sartine et Malesherbes (p. 1619-1632). La source documentaire des archives a permis la reconstitution du curriculum vitae de Trévousiens, tels Pierre-Joseph Plesse (p. 466-467) et Guillaume-François Berthier (p. 144-145). Les principaux repères d’une vie austère et érudite sont énumérés.

25Le premier chapitre de cet ouvrage est consacré au P. Berthier, « préfet du journal » (p. 72), et constitue une mise en valeur d’un personnage éminent au sein de la Compagnie de Jésus et la République des Lettres. L’auteur précise en préambule les erreurs constatées dans les dictionnaires biographiques à propos du P. Berthier, objet de virulentes critiques de la part des philosophes. Dans ce chapitre intitulé « Le mythique “journaliste de Trévoux” : le Père Berthier » (p. 41-150), Ch. Albertan raconte la vie du savant jésuite. Né en 1704 à Issoudun dans l’Indre, Berthier avait fait ses « premiers pas dans la Compagnie » (p. 47), avec un noviciat à Paris en 1722. Après ses années de formation et études de théologie, le P. Berthier enseigne la physique à Rennes (1738), la logique à Rouen (1739), puis la théologie au collège Louis-le-Grand (1740). Nommé directeur des Mémoires de Trévoux en 1745, Berthier poursuit les travaux d’une œuvre collective d’une grande envergure : l’Histoire de l’Église gallicane. Son œuvre fut prolifique.

26Le P. Berthier « apparaît avant tout comme le directeur des Mémoires de Trévoux, une figure emblématique des Anti-Lumières et un piètre personnage, voué à l’exécration des siècles » (p. 42). C’est dire l’ampleur de l’antagonisme entre le périodique jésuite et les partisans des Lumières. Le lecteur suit l’itinéraire du P. Berthier et son évolution en tant que prêtre, versé dans la théologie, puis le journaliste connu pour sa fermeté et même son « intransigeance » (p. 93) en matière de doctrine ou dogmes religieux. L’auteur connaît parfaitement la riche carrière du P. Berthier journaliste, théologien et pédagogue (éducation du duc de Berry, futur Louis XVI, p. 135). Le lecteur découvre quelques détails concernant sa psychologie, un homme discret et même « secret » (p. 102). Il décède le 15 décembre 1782 à la suite d’une chute accidentelle. La documentation réunie par l’auteur est de grande qualité. Elle pourrait donner naissance à une monographie sur le P. Berthier.

Le journalisme polémique

27Les débuts de cette feuille périodique sont marqués par une virulente controverse avec Boileau, illustre figure du règne de Louis XIV. Ch. Albertan évoque ainsi les démêlés des journalistes jésuites avec Boileau : « Une longue tradition, remontant aux origines du journal, fait de ses rédacteurs des juges implacables. Boileau est, semble-t-il, le premier à avoir qualifié dans une de ses épigrammes du début du siècle les rédacteurs des Mémoires de Trévoux d’Aristarque » (p. 214). Le mot employé par Boileau à l’encontre des jésuites est repris par les encyclopédistes, une image qui matérialise une convergence d’idées entre l’auteur du Lutrin et Edme François Mallet contre le périodique jésuite : « Un Aristarque signifie donc censeur. […] Il faut encore observer que le nom d’Aristarque seul ne se prend point en mauvaise part comme celui de Zoïle12. » Or si nous lisons attentivement l’article « Aristarque » de l’Encyclopédie, nous ne constatons aucune charge polémique contre les journalistes de Trévoux. La référence à Boileau représente ici une illustration de la notion d’Aristarque. Boileau figure parmi les poètes classiques les plus cités dans l’Encyclopédie. Il est entre autres mentionné par Voltaire dans l’article : « Esprit », Marmontel dans l’article : « Critique » et d’Alembert dans l’article : « Goût ». Les philosophes des Lumières, tels Voltaire et d’Alembert, lecteurs de Boileau, appréciaient évidemment l’esprit caustique du poète satirique.

28Ch. Albertan met l’accent sur les critiques de d’Alembert à propos des journalistes de Trévoux, accusés « d’être tout à la fois pointillistes, incompétents dans plusieurs domaines et, surtout d’une grande partialité » (p. 215). Les moqueries de d’Alembert, quoique partagées par Voltaire, « qui dans leur correspondance, qualifient usuellement de “menstrues” les ordinaires du mensuel jésuite et d’“insectes” ses auteurs » (p. 1601) ne doivent pas occulter les multiples références du chevalier de Jaucourt aux Mémoires de Trévoux, comme source érudite ou argument d’autorité dans ses articles de l’Encyclopédie. Ce constat confirme l’hypothèse de Ch. Albertan à propos des Mémoires de Trévoux et l’Encyclopédie, deux entreprises éditoriales collectives. « L’interpénétration de l’histoire du journal et celle de l’œuvre emblématique des Lumières est d’ailleurs telle qu’elle invite à englober dans notre décennie — entendue au sens large — l’année 1751, année de la parution du premier tome de l’Encyclopédie » (p. 25).

29L’étude des controverses n’est pas aisée surtout quand elles se prolongent dans le temps : « Personne n’ignore que ce qui aigrit M. Despréaux contre les journalistes de Trévoux, ce fut un extrait peu favorable qu’ils insérèrent dans les Mémoires du mois de septembre 1703 à l’occasion de l’édition de ses ouvrages qui avait paru en 1701. Ce démêlé se termina par quelques épigrammes de part et d’autre », explique Brossette dans son édition des Œuvres de Boileau13. L’animosité des jésuites de Trévoux, notamment le P. Tournemine, à l’encontre de Boileau se poursuivra avec la même virulence jusqu’à son décès. Ami de longue date du P. Bouhours et du P. Bourdaloue, célèbres auteurs jésuites, Boileau avait subi de sévères critiques de la part des journalistes de Trévoux.

30Les Mémoires de Trévoux, « publication notoirement hostile aux philosophes » (p. 404), sont ouvertement opposés aux Lumières. Leur « face à face avec les philosophes » (p. 484) fut un duel extrêmement fort tant les positions étaient divergentes. Le P. Berthier considérait le libertinage comme une pensée dangereuse pour la religion. Aussi cette feuille querelleuse défend un catholicisme traditionnel soumis à l’autorité du Pape. Le gallicanisme et les ultramontains sont irréconciliables. D’où leur ferme opposition aux jansénistes, adversaires de la bulle Unigenitus. « Ce périodique apparaît bien comme une arme efficace employée par les jésuites contre les adversaires continûment combattus par la Compagnie au xviiie siècle : l’irréligion, le protestantisme et le jansénisme. » (p. 1052) Le catholicisme représente la pierre angulaire du périodique jésuite, il conditionne les vues des journalistes.

31Enseigné dans les collèges des oratoriens, la danse n’attire pas l’attention des rédacteurs jésuites. Quant au théâtre, autre activité artistique relevant des belles-lettres, il suscite la réprobation des Trévousiens : « Les Mémoires de Trévoux se conforment sagement, en apparence, à l’avis de l’Église en matière de théâtre. D’un bout à l’autre de notre période, les journalistes jésuites condamnent les activités théâtrales et apportent un soutien sans failles aux auteurs qui les prohibent » (p. 1010). Ch. Albertan rappelle que Nicole, Bossuet et Antoine Arnauld considéraient le théâtre, « une école du pêché » (p. 1010). Deux positions similaires entre des penseurs ou théologiens qui n’appartenaient pas à la même école spirituelle.

32« Face aux protestants comme face à tous les auteurs frondant la religion, les rédacteurs de Trévoux peuvent, on le voit, se départir de leur ton ordinairement mesuré pour se jeter dans la polémique la plus vive. » (p. 1111) Les journalistes jésuites demeurent à l’instar du P. Berthier intransigeants à propos des interdictions prononcées contre les protestants : « Ils justifient bien évidemment la révocation de l’Édit de Nantes. » (p. 1121) Avec Helvétius, les Mémoires de Trévoux se montrent également extrêmement virulents à propos de l’Esprit en publiant « des articles très durs » (p. 435). La philosophie matérialiste d’Helvétius a déclenché « une véritable tempête tout à la fois contre le livre et son auteur » (p. 407). Il s’ensuit une interdiction de l’Esprit en France et sa mise à l’index par le Pape.

33Les Anti-Lumières expriment leur ferme opposition aux philosophies des Lumières en vilipendant leurs livres. Ainsi, Voltaire est un « auteur honni des jésuites » (p. 1239, note 312) comme la plupart des encyclopédistes. Ch. Albertan délimite le champ de la discorde, plus précisément aux « articles de littérature et d’érudition » (p. 1346). Quant aux sciences et métiers, ils emportent souvent les suffrages des Trévousiens.

Conclusion

34L’enquête globale14 de Ch. Albertan sur les Mémoires de Trévoux et les Trévousiens offre un récit exhaustif sur cette feuille et ses rédacteurs. Ce périodique publiait les contributions d’auteurs de renom : « Le grand Leibniz [était] en relation suivie avec de nombreux jésuites. » (p. 192) Plusieurs générations d’hommes de lettres et savants européens lisaient le périodique des jésuites :

Le Journal de Trévoux est, certes, conçu dans une optique religieuse marquée, mais il reste avant tout un périodique généraliste et savant. On y trouve, à cet égard des connaissances bibliographiques encyclopédiques, une érudition impressionnante et des exposés scientifiques de très haute tenue. Son contenu est finalement fort proche de celui du Journal des savants, le modèle indiscuté en Europe des journaux érudits. (p. 656-657)

35Ce détail n’avait pas échappé aux libraires du dix-huitième siècle. Le Journal des savants combiné avec les Mémoires de Trévoux fut une publié à Amsterdam de 1754 à 1763.

36Quoique allégée, la bibliographie de Ch. Albertan (p. 1673-1739) est un modèle du genre. Les « Sources manuscrites » (p. 1679-1688) forment une importante somme de documents consultés par l’auteur. À ce propos, Ch. Albertan précise qu’il n’existe pas « d’archives constituées » (p. 35) des Mémoires de Trévoux. C’est pourquoi, « le chercheur doit alors se faire orpailleur » (p. 30) pour retrouver des documents susceptibles de le renseigner sur le journal. L’exercice n’est pas aisé à cause des destructions d’archives au moment de l’expulsion des jésuites de France (p. 27). Quant aux « Sources imprimées », consultées par l’auteur, elles offrent aux lecteurs, malgré quelques oublis ou mises à jour15, une documentation exceptionnellement riche. Cette étude, composée de trois épais volumes, corrige de nombreuses erreurs sur la feuille jésuite. Le cas de la notice « Berthier16 », publiée dans le Dictionnaire des journalistes, dont la refonte est complète, en est l’illustration. On relèvera aussi le point suivant : « les jésuites ne se contentent d’ailleurs pas de rendre compte dans leurs journaux des ouvrages dans lesquels il est question de l’inoculation, ils contribuent eux-mêmes à mieux faire connaître le procédé » (p. 1505), note Ch. Albertan. L’auteur rappelle « l’inconfort de la situation dans laquelle se trouvent les Trévousiens. […] Ils sont gens d’Église et sont confrontés en même temps […] à un problème de santé publique, qui se double de ce que nous appellerions aujourd’hui un problème de bio-éthique » (p. 1512). Si l’auteur essaye de contextualiser les problématiques scientifiques, cette discipline ne bénéficie pas de commentaires exhaustifs17. Ch. Albertan avoue être contraint de faire des choix difficiles : « Il nous a fallu aussi renoncer pour des raisons d’économie générale à traiter certains sujets, au demeurant fort intéressants, et bien des choses ont probablement échappé à notre vigilance18 » (p. 35). Contrairement aux apparences, la lecture des Mémoires de Trévoux demeure un exercice délicat. D’où la nécessité « d’apprendre à décrypter le texte est faussement anodin de la célèbre revue jésuite » (p. 573). Ch. Albertan souligne les difficultés du décodage des articles : « Entrer dans la lecture fine des Mémoires de Trévoux n’est pas, on le voit, chose aisée. Il faut, autant que faire se peut, se rapprocher du système de perception d’un lecteur du temps des Lumières, qui spontanément sait replacer un propos dans son contexte » (p. 919-920).

37Le thème de la franc-maçonnerie est à ce propos significatif. L’auteur signale des contacts entre les Mémoires de Trévoux et les « milieux maçonniques » (p. 321, note 215), il évoque aussi la censure de « la Lettre et consultation sur la société des francs-maçons, qui relaie en France la condamnation papale des francs-maçons » (p. 770). Spécialiste de l’histoire de la franc-maçonnerie, Michel Chomarat avait étudié ce sujet encore aujourd’hui méconnu : « Les Mémoires de Trévoux ne vont pas hésiter à consacrer deux articles, en mai et juin 1731, soit 35 pages au total, à l’édition des Voyages de Cyrus, publiée à Londres en 1730. Il est vrai que leur auteur à cette époque était déjà franc-maçon. […] Dès le début, la notice est très favorable à Ramsay »19. Notons enfin, Jacques Pernetti, qui « logeait au collège Louis-le-Grand avec l’élève qu’il suit » (p. 919), était franc-maçon20.

38Parmi les conclusions novatrices de Ch. Albertan, ses pertinentes observations sur les « Lumières chrétiennes » (p. 1611) révèlent un aspect peu connu des Mémoires de Trévoux : « Les Trévousiens ne nient pas les “Lumières”, ils relativisent l’importance et s’efforcent à les concilier avec la foi. Opposer de manière manichéenne Lumières et anti-Lumières est réducteur dans le cas du Journal de Trévoux » (p. 1611). De leur côté, les auteurs de l’Encyclopédie ont puisé dans les Mémoires de Trévoux de multiples références (24 exactement) pour leurs articles sur la géographie, médecine, belles-lettres, histoire ancienne, etc.

39Si l’apogée des Mémoires de Trévoux, une brillante réussite éditoriale, résulte du travail des journalistes jésuites, la fin de ce périodique est la conséquence directe de l’expulsion des disciples de Saint-Ignace de France. Ces expulsions ont débuté en 1759 au Portugal se poursuivront jusqu’au 16 août 1773, date de la promulgation du Dominus ac Redemptor, bref du pape Clément XIV actant définitivement la suppression universelle de la Compagnie de Jésus.