Acta fabula
ISSN 2115-8037

2003
Automne 2003 (volume 4, numéro 2)
titre article
Maya Lavault

L’Albertine disparue de J. Milly : ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre

Marcel Proust, Albertine disparue. Deuxième partie de Sodome et Gomorrhe III, édition intégrale établie, présentée et annotée par Jean Milly, GF-Flammarion, 2003, 433 p., EAN 9782080711533.

1Parmi tous les volumes d’À la recherche du temps perdu, c’est Albertine disparue dont l’édition a donné lieu aux plus grandes modifications par rapport au manuscrit de Proust. De 1925 à 1994, pas moins de six versions distinctes de ce volume ont vu le jour aux Éditions Gallimard, tantôt sous le titre Albertine disparue, tantôt sous celui de La Fugitive.

2Lorsqu’en 1925, Gaston Gallimard confie à Robert Proust, le frère de Marcel, et à Jacques Rivière, puis à la mort de celui-ci, à Jean Paulhan, le soin de publier la suite de La Prisonnière, sous titrée Première partie de Sodome et Gomorrhe III, ils établirent le texte non pas à partir de la dactylographie originale que Proust était en train de revoir entièrement au moment de sa mort, mais à partir du double vierge de cette dactylographie, sur laquelle ils reportèrent le titre Albertine disparue ainsi que quelques additions, sans tenir compte des importantes suppressions effectuées par l’écrivain sur l’original. C’est la découverte en 1986, dans les papiers de la nièce de Proust, de cette dactylographie originale, puis sa publication chez Grasset en 1987 par Nathalie Mauriac, qui a révélé d’une part l’inachèvement structural d’À la recherche du temps perdu, de l’autre le coup de force éditorial opéré par les éditeurs de Gallimard en 1925. Parue sans avertissement de l’éditeur, contrairement à celle de La Prisonnière en 1923, la première édition d’Albertine disparue avait permis, en jetant un voile – qui ne se dissipa que soixante ans plus tard – sur l’existence de la dactylographie originale, de poursuivre la publication de la Recherche en présentant l’œuvre comme complète et achevée. La publication de la première dactylographie revue par l’auteur quelques jours avant sa mort a donc remis en question le contenu, la construction, mais aussi la place dans le roman du volume Albertine disparue, et montré la nécessité d’une réédition du roman proustien, et particulièrement de ses volumes posthumes.

3C’est à cette tâche que Jean Milly s’est attelé depuis plusieurs années, en fournissant une nouvelle édition complète de la Recherche aux éditions Flammarion, dans la collection GF. Il avait proposé en 1986 la première édition génétique d’albertine disparue sous le titre La Fugitive (Albertine disparue), établie d’après le manuscrit autographe, dont fait partie la dactylographie qui avait servi à établir l’édition de 1925. En 1992, il propose une nouvelle édition d’Albertine disparue, publiée chez Slatkine, qui prend cette fois en compte la découverte de la dactylographie originale. L’édition de 2003, parue chez Flammarion, est une version corrigée de celle de 1992, accompagnée d’une présentation génétique, de notes, et d’annexes, dont des documents présentant l’accueil fait à l’ouvrage par la critique, ne bibliographie et une chronologie.

4Dans son introduction, J. Milly réexamine le dossier génétique d’Albertine disparue, et offre de nombreux éléments de réflexion aux problèmes génétiques et éditoriaux ouverts par l’édition établie par Nathalie Mauriac en 1987 : en reprenant la dactylographie dont Proust n’avait pu achever la révision, elle invalide les éditions précédentes sans pour autant les remplacer, puisqu’elle présente un avant-texte tronqué qui s’enchaîne mal avec le Temps retrouvé. Le projet de J. Milly, pour qui toutes les éditions existantes d’Albertine disparue sont abusives ou erronées, est d’offrir au lecteur « une édition qui soit à la fois authentique et critique » (p. 10), qui tienne compte de la dactylographie retrouvée, tout en tentant d’échapper aux partis pris éditoriaux qui ont prévalu jusque là et n’ont pas su éviter les deux écueils qu’il dénonce : se substituer à Proust en donnant une fin hypothétique à son œuvre, ou bien publier les états successifs du texte, parmi lesquels le lecteur est invité à faire son choix sous prétexte de lui livrer une édition vraiment « authentique ».

5Il choisit une voie médiane en proposant, à partir de tous les documents possédés, une édition intégrale du texte qui, grâce à des signes diacritiques clairs, met en évidence les différents états chronologiques du texte sans pour autant entraver la lecture et donne en annexe les fragments abandonnés du manuscrit ou des textes récupérés en vue de la version finale. D’où un texte « entièrement authentique, quoique artificiellement reconstitué » : « Il contient tous les éléments narratifs et thématiques de tous les états d’Albertine disparue, à leur place dans le récit et avec l’indication visualisée de leur chronologie génétique. Il porte des traces assez évidentes d’inachèvement, tout en conservant une forme générale « bouclée » et orientée vers le Temps retrouvé. Il se présente à la fois comme le vivier du matériau proustien, avec ses mises en forme et ses orientations (ou désorientations) successives, et comme un texte qui peut être sans gêne lu de bout en bout. Bref, il reflète l’ambiguïté de la situation à la mort de Proust (p. 67).

Albertine disparue : un problème génétique & éditorial

6Retraçant la genèse d’Albertine disparue, J. Milly montre à quel point le problème de l’édition de ce volume est crucial pour l’ensemble de la Recherche, dans la mesure où la dactylographie retrouvée ouvre une faille dans l’architecture de l’œuvre et semble invalider la fin connue du roman. Ce que montre avec conviction J. Milly, c’est que chaque nouvelle édition, en ignorant – volontairement ou non – la dactylographie originale qui propose un remaniement total, mais interrompu par la mort de Proust, de la fin du roman, élit en fait un scénario d’écriture qui entend rendre compte, le plus fidèlement possible, des choix de Proust et révéler ses intentions véritables.

Avant 1987 : le problème du titre

7Le premier problème rencontré par les éditeurs tient au choix d’un titre pour le volume qui fait suite à La Prisonnière et que Proust hésite, en 1922, à intituler La Fugitive. Après la guerre, il annonce à Gaston Gallimard et à Jacques Rivière que les volumes suivant Sodome et Gomorrhe s’intituleront Sodome et Gomorrhe II, III, IV, puis, en décembre 1922 les encarts publicitaires de la NRF annoncent à la suite de Sodome et Gomorrhe I et II un Sodome et Gomorrhe III sous presse, composé de La Prisonnière et d’Albertine disparue, et à paraître « Sodome et Gomorrhe en plusieurs volumes (suite) » et « Le Temps retrouvé (fin) ». Ces encarts témoignent de la position ambiguë des éditeurs qui affirment en même temps que le roman est achevé (puisque Proust a posé de sa main le mot « fin » au bas de la dernière page du manuscrit du Temps retrouvé) et indéterminé dans ses dimensions et son découpage en volumes. Les premières éditions, de 1925 à 1932 à la NRF, proposent le titre Albertine disparue, le sous-titre Sodome et Gomorrhe III disparaissant dans celle de 1932. Robert Proust refuse à Gallimard de communiquer le manuscrit original d’Albertine disparue pour établir le texte critique. La Pléiade propose en 1954 une nouvelle édition, établie à partir du manuscrit et non de la dactylographie : La Prisonnière. Première partie de Sodome et Gomorrhe III y est suivie de La Fugitive. Deuxième partie de Sodome et Gomorrhe III, suivant les indications données par la correspondance de Proust en 1922. Le texte diverge par rapport au texte de la NRF de 1925, en particulier en ce qui concerne la limite entre La Fugitive et La Prisonnière. Les éditions suivantes, dans Le Livre de poche et chez Folio Gallimard, respectivement en 1967 et 1972, reprennent le même texte que La Pléiade, mais avec un retour non expliqué au titre Albertine disparue. À partir de 1962, date à laquelle la Bibliothèque Nationale achète les manuscrits de Proust, parmi lesquels la dactylographie d’Albertine disparue qui présente de multiples corrections de la main de Robert Proust, mais aucune de Marcel, les éditions suivantes chez Flammarion et Laffont, en 1986 et 1987, se fondent sur ces nouveaux documents disponibles et choisissent pour titre La Fugitive.

8En 1987, Nathalie Mauriac et Étienne Wolf proposent une nouvelle édition intitulée Albertine disparue, fondée sur le texte de la dactylographie originale retrouvée, abondamment remaniée par Proust lors des dernières semaines de sa vie. Outre quelques additions, et la répétition du titre Albertine disparue, les dernières corrections de Proust consistent en de vastes suppressions : plusieurs lignes au tout début du volume, puis les deux cent cinquante pages environ qui séparaient l’annonce de la mort d’Albertine de l’épisode à Venise, et enfin, deux pages après le départ de Venise, le texte porte la mention autographe « Fin d’Albertine disparue », et toute la fin de la dactylographie est rayée. Deux modifications d’importance touchent le personnage d’Albertine : la Touraine, lieu de refuge de la jeune femme après sa fuite dans le manuscrit, est remplacée tantôt par la Belgique, tantôt par un lieu indéterminé ; puis le télégramme de Mme Bontemps annonçant la mort d’Albertine précise que celle-ci est morte au bord de la Vivonne ; dans une addition, le héros se persuade qu’Albertine était allée retrouver Mlle Vinteuil et son amie.

9La découverte de la dactylographie originale n’a pas pour autant résolu le problème du titre, puisque certains considèrent que le titre Albertine disparue ne désigne que la dactylographie retrouvée : c’est la position défendue, en particulier, par l’Équipe Proust rattachée à l’ITEM (Institut des Textes et manuscrits Modernes, laboratoire CNRS) dont Nathalie Mauriac fait partie, et à laquelle s’oppose J. Milly, comme nous le verrons plus loin. En outre, deux nouveaux problèmes surgissent : pourquoi Jacques Rivière et Robert Proust n’ont-ils jamais révélé l’existence de cette dactylographie remaniée ? Pourquoi Proust a-t-il brutalement modifié son texte en supprimant les deux tiers du volume Albertine disparue et en supprimant l’enchaînement avec le Temps retrouvé ? Les deux problèmes sont en fait liés, et il faut, pour y répondre, tenter de reconstituer le « scénario » d’écriture puis d’édition le plus probable : J. Milly envisage les différentes hypothèses qui ont tour à tour été formulées, et confronte les différents scénarios d’écriture ainsi construits, avant de proposer le sien.

Les éditions suivantes & le « scénario d’écriture »

10Selon Nathalie Mauriac et Étienne Wolf, cette version d’Albertine disparue accélère le rapprochement entre les deux côtés de Combray (même si leur rapprochement topographique fait partie de la fin supprimée) : la Vivonne est du côté des promenades vers Guermantes, mais fournit en même temps au héros la preuve du saphisme d’Albertine, qui se serait réfugiée du côté de Méséglise, c’est-à-dire de Mlle Vinteuil. Cette conviction au sujet d’Albertine entraîne la suppression des recherches accomplies par les émissaires du héros après la mort de celle-ci. Pour les éditeurs, la version proposée dans cette dactylographie est la version définitivement retenue par Proust. Mais selon Milly, les corrections concernant le lieu de refuge d’Albertine sont incohérentes et incomplètes. Proust, ayant remanié son texte à la hâte peu avant de mourir, a dû se trouver pris par le temps et abandonné par ses forces pour intégrer ces changements à la suite de l’œuvre. Aucune explication convaincante ne permet d’éclairer les ultimes corrections effectuées par Proust sur Albertine disparue : « Les deux textes, celui du manuscrit et celui de la dactylographie retrouvée, coexistent et sont tous deux authentiques » (p. 38). La dactylographie retrouvée est bien la dernière version revue par l’écrivain, mais elle est en contradiction avec la fin de la Recherche :

Il n’est donc pas possible de lui conférer un caractère « définitif ». N’ayant pas connu les ultimes révisions sur épreuves ni reçu de « bon à tirer «, elle en reste au statut d’avant-texte, susceptible de modifications nouvelles, voire de suppressions (p. 39).

11Le sort ultime de la révision (remaniement général de toute la fin de l’ouvrage ou annulation des dernières modifications) est pure spéculation.

12En 1989, la nouvelle édition de la Pléiade est établie à partir de la dactylographie qui a servi de base à l’édition originale de 1925, en corrigeant les erreurs manifestes d’après le manuscrit et la dactylographie retrouvée. Pour les éditeurs, la dactylographie retrouvée « détruit la continuité des tomes d’À la recherche du temps perdu et suppose un remaniement des textes suivants, remaniement que Proust n’a pas eu le temps de commencer » (p. 39). Selon eux, les corrections autographes de Proust sur la dactylographie retrouvée indiquent qu’il voulait reverser les parties supprimées dans un Sodome et Gomorrhe IV. Nathalie Mauriac a contesté la nouvelle édition de la Pléiade basée sur le « double arrangé par Robert Proust » pour l’édition de 1925 à partir de la véritable dactylographie remaniée par l’auteur ; elle y voit « ce qu’il faut bien appeler une supercherie, du moins un camouflage éditorial » destiné à dissimuler l’inachèvement de la Recherche pour pouvoir en éditer la fin, déjà écrite par Proust, et la présenter comme une continuité logique des derniers volumes.

13Enfin, selon l’hypothèse de Pierre-Edmond Robert et Haruhiko Tokuda, la dactylographie retrouvée et réduite à quelque cent trente pages aurait été établie en vue d’une publication pour les Œuvres libres (qui avaient auparavant accueilli des extraits en prépublication de Sodome et Gomorrhe et de La Prisonnière sous les titres respectifs « La Jalousie » et « Précaution inutile »). Mais certains éléments contredisent cette hypothèse : dans la dactylographie retrouvée, Proust a fait indiquer par Céleste en face du début du chapitre II « Fin d’Albertine disparue, ou si Gallimard aime mieux un volume plus long : Fin de la première partie d’Albertine disparue » ; de plus, le titre Albertine disparue n’a pas été modifié sur la dactylographie retrouvée.

La place d’Albertine disparue dans le roman & le statut de la dactylographie retrouvée

14Comme l’a montré Nathalie Mauriac, Proust avait choisi de faire suivre Sodome et Gomorrhe II d’un Sodome et Gomorrhe III composé de deux parties (La Prisonnière et Albertine disparue tronquée), mais Robert Proust et les éditeurs ont voulu effacer les traces de ce Sodome et Gomorrhe III et des autres volumes intitulés Sodome et Gomorrhe annoncés par Proust. Elle propose de rétablir Sodome et Gomorrhe III pour rendre sensible l’expansion progressive du volume Sodome et Gomorrhe au sein du roman, conçu non pas comme un tome unique mais comme un véritable « cycle » centré sur la thématique de l’homosexualité et appelé à se développer. Albertine disparue formerait ainsi avec La Prisonnière non pas un diptyque faisant pendant à Sodome et Gomorrhe I et II, mais un épisode relativement autonome, centré sur la vie commune du héros avec Albertine puis leur séparation, qui mêle aux motifs présents dès le projet du Contre Sainte-Beuve des éléments tirés de la relation vécue par l’auteur avec son chauffeur Agostinelli.

15Avec Sodome et Gomorrhe III, « Proust joue à l’inverse de la dissymétrie entre une Prisonnière développée et préparatoire et une Albertine disparue en forme de coup de théâtre, brève et dramatique » (p. 47). D’où deux possibilités pour une édition de la fin de la Recherche : ou bien on publie sous le titre Cahiers pour Sodome et Gomorrhe (suite)Le Temps retrouvé les pages supprimées par Proust sur la dactylographie en 1922 et tout ce qui leur fait suite dans les manuscrits « au net » ; ou bien on reprend, après l’Albertine disparue courte, sa version longue sous le titre La Fugitive, suivie du Temps retrouvé.

16Selon Milly cependant, le titre Albertine disparue ne peut être revendiqué exclusivement pour la version abrégée. Il faut un titre pour désigner l’état du texte entre l’abandon proclamé de La Fugitive pour la version longue maintenue jusqu’en juillet 1922 et l’état tronqué présenté par la dactylographie retrouvée qui porte le titre Albertine disparue. À partir des indications manuscrites portées sur la dactylographie retrouvée, J. Milly établit une chronologie des modifications effectuées sur le texte d’Albertine disparue : en octobre 1922, Proust effectue des corrections incomplètes sur le lieu de la mort et le lieu de refuge d’Albertine ; début novembre, il envisage de regrouper La Prisonnière et La Fugitive dans un Sodome et Gomorrhe III ; puis entre le 7 et le 17 novembre, dans la précipitation, il décide d’utiliser les deux seules parties corrigées pour les envoyer à l’éditeur et faire mettre sous presse Sodome et Gomorrhe III : il trouve alors le titre Albertine disparue, distingue deux parties, fait quelques raccords, et ordonne de barrer tout le reste, s’en remettant à Gallimard pour la fin de l’édition.

17Si l’inachèvement du roman est chose acquise par les chercheurs, l’attitude de Proust reste néanmoins contradictoire : voyant la mort approcher, il déclare en 1921 que les derniers volumes pouvaient être publiés en l’état, et pourtant, dans les derniers jours, il se lance dans un remaniement complet de la dactylographie d’Albertine disparue, qui déstabilise toute la fin de la Recherche. D’où l’insuffisance et l’incohérence des corrections sur les lieux de refuge d’Albertine, les limites hasardeuses des fins des chapitres 1 et 2, et l’abandon « définitivement provisoire » des pages supprimées, qui étaient sans doute destinées à être mises en réserve.

18Ce « scénario » reconstitué pas à pas par J. Milly rend le bouleversement opéré dans l’architecture de la Recherche par la découverte de la dactylographie remaniée beaucoup plus acceptable, et empêche de considérer, comme l’a fait Nathalie Mauriac, la dactylographie retrouvée comme définitive, même si c’est la dernière connue.

19L’édition de J. Milly a le grand mérite d’être très lisible tout en offrant simultanément, avec une remarquable économie de signes diacritiques, les différents états du texte. Le lecteur fait alors une expérience étrange : il lit un texte qui lui est à la fois familier et inconnu, qui n’est ni l’Albertine disparue qu’il avait pu lire jusque là, ni celle que Proust a conçue.

Albertine disparue : un cas exemplaire ?

Sur quelques problèmes génétiques ou la relation texte / avant-texte

20On voit à quel point les problèmes posés par l’édition d’Albertine disparue mettent en jeu des questions fondamentales pour tout généticien ; à la lumière des réflexions de quelques généticiens, proustiens ou non, je m’attacherai ici à deux aspects en particulier : la relation qu’entretiennent génétique et critique littéraire d’une part, génétique et enquête indiciaire de l’autre.

21Ces deux aspects sont liés, et font surgir une question cruciale, tant pour la génétique en général que pour l’édition d’Albertine disparue en particulier : il s’agit de la question du rapport entre le texte et l’avant-texte, qui détermine les façons de faire de l’éditeur comme du chercheur en génétique textuelle et implique une conception bien particulière de la littérature, du moins de la création littéraire.

Qu’est-ce qu’éditer un texte ? Génétique & critique littéraire

22Contrairement à l’édition critique où le texte, présenté avec un appareil critique constitué de notes et de documents annexes, mais sans avant-textes, apparaît comme la fin même de l’édition, le support unique de la lecture, l’édition génétique présente le texte « final » aux côtés de variantes et d’esquisses (comme c’est le cas, pour l’ensemble d’À la recherche du temps perdu dans l’édition de La Pléiade) ou bien encore il apparaît comme constitué de ses états successifs dont aucun n’est désigné comme « définitif » (c’est le cas de l’édition d’Albertine disparue proposée par J. Milly). L’édition génétique est sous-tendue par l’idée que l’avant-texte est plus « authentique », car plus fidèle au cheminement du processus de création, alors que le texte édité fixe ce processus en un choix définitif qui, en fin de compte, n’est que le choix de l’éditeur (sous-tendu par des partis pris éditoriaux, idéologiques, théoriques, etc.). L’édition de J. Milly franchit un pas de plus dans la logique proposée par l’édition de la Pléiade – tout en évitant, comme il le reproche à l’édition de Nathalie Mauriac, d’instituer en texte un avant-texte, et donc de se substituer à l’auteur – en proposant au lecteur tous les avant-textes connus d’Albertine disparue, dont aucun ne peut prétendre au statut de texte.

23Devant l’abondance des éditions de la Recherche proposant des avant-textes, force est de constater, comme le fait Jean-Marc Quaranta dans un article du dernier Bulletin d’informations proustiennes, que la transcription des manuscrits s’est désormais imposée comme « un outil et un champ critique » (« De Jean Santeuil au Temps retrouvé. Transcription des manuscrits et critique littéraire », Bulletin d’informations proustiennes, Paris, Presses de l’École normale supérieure, n° 33, 2003, p. 17-27). Prenant pour exemple certaines transcriptions du roman de jeunesse de Proust, Jean Santeuil, il montre à quel point le travail de transcription des brouillons est indissociable de l’activité critique, la logique éditoriale qui consiste à rendre le texte cohérent et lisible – quitte à le modifier – pouvant s’écarter de la logique auctoriale. Le cas d’Albertine disparue est à ce titre exemplaire ; Jean-Marc Quaranta, lui, met en évidence la portée du geste critique des éditeurs de Jean Santeuil.

24Revenant sur l’édition de Jean Santeuil établie par Pierre Clarac pour la Pléiade en 1971, il note que le texte édité n’est ni un texte continu et cohérent (comme c’est le cas dans la première édition, établie en 1952 par Bernard de Fallois pour Gallimard, au prix de nombreuses interventions éditoriales), ni un manuscrit reproduit avec fidélité (comme en offre la transcription génétique), mais un « entre-deux », un texte constitué de fragments présentés dans un ordre arbitraire, où les fautes et les lapsus ont été corrigés, bien que certaines corrections ne se justifient pas et témoignent d’une interprétation des manuscrits tendue vers la Recherche, l’idée maîtresse de Clarac étant que tous les éléments du Temps retrouvé sont déjà présents dans Jean Santeuil, et que seule aurait évolué la méthode de travail de Proust. C’est l’existence du roman de la maturité, du grand roman, du chef d’œuvre d’une vie, monument de la littérature vers lequel s’aiguille l’intérêt des critiques, qui a donné toute sa légitimité à la transcription du « brouillon » de la Recherche que constitue Jean Santeuil.

25La logique qui a prévalu est une logique finaliste, sous-tendue par une théorie de la création romanesque qui suppose une continuité parfaite entre l’esthétique exprimée dans les manuscrits de Jean Santeuil et celle exprimée dans le Temps retrouvé, et qui exclut le rôle du Contre Sainte-Beuve dans la genèse de la Recherche.

En légitimant l’édition du brouillon par les analogies qu’il présente avec le texte publié dont il éclaire le sens, on est ainsi contraint de poser sur le manuscrit un regard rétrospectif qui le prive de son autonomie en l’enfermant dans un schéma qui n’est pas le sien mais celui du texte auquel il a donné naissance et, plus précisément, de la lecture que l’éditeur fait de ce texte

26note avec justesse Jean-Marie Quaranta.

27À partir de deux exemples de modification de l’éditeur dans un passage de Jean Santeuil qui aborde la question de la création artistique, puis un autre concernant la mémoire involontaire, il montre que l’intervention de l’éditeur pour rendre le texte plus cohérent tend en fait à éliminer les différences avec la théorie développée dans le Temps retrouvé. Dans les deux cas, la modification est la conséquence d’une lecture rétrospective du manuscrit à partir des théories proustiennes telles qu’elles sont développées dans le Temps retrouvé, et surtout telles que la critique proustienne les a perçues, déplaçant l’accent sur tel ou tel aspect pour en minimiser d’autres dont les manuscrits révèlent pourtant l’importance dans la constitution de la pensée proustienne. Ainsi, le manuscrit de Jean Santeuil, attentivement lu, jette un nouveau jour sur la notion d’essence et le rôle de l’imagination, deux idées primordiales dans l’esthétique exposée dans le Temps retrouvé, mais passées au second plan par rapport à la théorie de la mémoire involontaire, souvent présentée comme essentielle.

28La transcription des manuscrits doit imposer alternativement l’exégèse du texte pris pour objet et la prise en compte du dossier génétique dans lequel il s’inscrit : le texte publié ne peut être le point focal à partir duquel on lit les manuscrits, et au contraire, son interprétation peut évoluer en fonction des leçons des manuscrits. C’est donc finalement le sens, voire la portée, d’une partie de l’œuvre qui est en jeu dans le travail de transcription. On voit donc à quel point génétique et critique littéraire sont indissociables et complémentaires :

Le texte publié n’est plus alors un centre qui distribue le sens à une série de textes périphériques, mais un texte, dont le statut demeure privilégié, mais qui peut se trouver à la périphérie de chacun de ses avant-textes ceux-ci pouvant devenir centres en ce qu’ils conditionnent une lecture nouvelle. […] La génétique textuelle modifie notre rapport au texte et à l’écriture.

29Dans un autre article du même Bulletin d’informations proustiennes, Bernard Brun affirme à son tour que l’interprétation est au cœur de la génétique textuelle : « Il ne s’agit pas d’établir un texte mais d’en expliquer l’histoire », et c’est bien ce qui fonde la différence entre génétique et philologie (« Lacuna videtur. Les lacunes du matériau manuscrit », op. cit., p. 99-106). La critique génétique interprète la lacune, parfois elle crée ses propres lacunes comme l’ont fait les éditeurs du Contre Sainte-Beuve ou d’Albertine disparue. Mais la lacune originelle, selon Bernard Brun, c’est celle de la méthode, de la pensée critique : parmi les mythes fondateurs de la génétique textuelle, « celui de l’origine a créé l’amont et la source, la savante intertextualité ou même des inédits comme Jean Santeuil ou Contre Saintre-Beuve. Celui du finalisme, la tout aussi savante téléologie, fonde le progrès de l’écriture sans lequel on ne peut pas classer les documents ». Il condamne, on l’aura compris, les partis pris de la méthode rétrospective, régressive, qui veut que le texte explique plus souvent le brouillon que l’inverse. La génétique, comme en son temps le structuralisme, s’est créé un objet : non plus le texte clos sur lui-même, mais le « laboratoire » de l’écrivain, sa « machine à écrire », autrement dit, le processus de la création littéraire, qui serait grosso modo le même pour tous les écrivains.

Génétique, enquête indiciaire & mondes possibles

30La présentation de son édition génétique d’Albertine disparue par J. Milly met à nu la démarche du généticien, qui s’apparente à celle de l’enquêteur : il s’agit de retrouver un scénario d’écriture, de création, pour retrouver l’ordre chronologique qui permet de classer – et donc de hiérarchiser – les différents états du texte. Retrouver le scénario d’écriture pour retrouver le texte (comme le détective doit trouver le scénario du meurtre pour trouver le coupable), c’est accepter le présupposé selon lequel il y aurait un texte et un seul qui serait « le bon », le texte fidèle aux intentions de Proust.

31Mais J. Milly se garde pourtant de cet écueil en publiant un texte qui se présente paradoxalement à la fois comme le plus « authentique » possible et comme un texte forgé, qui ne peut pas être le texte prévu par Proust. Par ce parti pris éditorial particulièrement judicieux, Milly affiche son refus délibéré de se substituer à Proust, et choisit de marquer explicitement la rupture entre le geste critique du généticien et le geste auctorial. Sa démarche se situe à mi-chemin entre un mouvement de relégitimation de la figure de l’auteur, qui va de pair avec une conception téléologique de la création littéraire (selon laquelle l’intention de l’auteur est repérable à travers les traces portées par les manuscrits, conçus comme brouillons tendus vers la forme parfaite et finale qu’est le texte « définitif ») et la tentation de mettre sous les yeux du lecteur le « work in progress » qui se montre dans la diversité foisonnante de ses possibles, laissant à celui-ci le libre choix de son parcours, hors de toute visée auctoriale.

32Comme l’enquêteur, le généticien – la parenté entre l’un et l’autre a déjà été soulignée par D. Ferrer (« Le matériel et le virtuel : du paradigme indiciaire à la logique des mondes possibles », [in :] Pourquoi la critique génétique ? Méthodes, théories, sous la dir. de M. Contat et D. Ferrer, CNRS Éditions, 1998) – adopte une démarche tendue entre une téléologie positiviste (qui s’appuie sur l’étude du brouillon dans sa matérialité pour remonter à une intention cachée, un scénario enfoui) et une ouverture sur la virtualité des possibles, des multiples scénarios ébauchés par les états successifs d’un texte, mis à jour par l’enquête. Comme le montre Daniel Ferrer, la prolifération indicielle engendrée par le matériau génétique (comme par une énigme policière) est à la fois enracinée dans la matérialité du support à travers les signes tangibles de la création qu’il contient et génératrice de « mondes possibles » vers lesquels pointent tous les signes contenus dans les brouillons et qui ne se retrouvent pas dans le texte final.

33Le recours aux indices est essentiel dans la pratique de la génétique textuelle, qui entretient un lien de parenté étroit avec les disciplines qui relèvent du même modèle épistémologique, désigné par Ginzburg sous le nom de « paradigme indiciaire » et qui opère un déplacement d’accent vers des détails infimes considérés comme indignes d’attention, des traces, des résidus (C. Ginzburg, « Traces : Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, emblèmes, traces – Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989). Ainsi de la démarche du psychanalyste qui révèle une pensée inconsciente à partir d’un simple lapsus, de l’historien de l’art qui identifie l’auteur d’un tableau à partir de menus détails inimitables, du chasseur qui déchiffre les traces discrètes du passage de tel ou tel animal, ou encore du médecin qui identifie la maladie à la lecture des symptômes.

34La trace génétique, qui permet de remonter du manuscrit au processus d’écriture, relèverait quant à elle de l’empreinte plutôt que du symptôme : les traces laissées sur le manuscrit (notes marginales, ratures, taches, marques de la fameuse tasse de café de Balzac) évoquent la présence hallucinatoire de l’auteur, comme peut le faire la photographie (Daniel Ferrer renvoie ici aux réflexions de Barthes dans La Chambre claire). Le manuscrit non seulement porte l’empreinte de l’auteur, mais encore il est un objet lui ayant appartenu, ayant été exposé à sa vue. Il porte donc la trace de la présence/absence de l’écrivain, et en cela, il est susceptible de réveiller la tentation physiognomonique du généticien, qui consisterait à lire à travers le manuscrit l’expression directe des intentions de l’auteur.

35D’un côté donc, cette parenté avec les sciences indiciaires nées au xixe siècle, de l’autre une ouverture sur les possibles virtuels : cette tension entre matériel et immatériel est rendue possible par l’ambivalence de l’indice, à la fois trace tangible, matérielle, concrète (même lorsque cette trace est textuelle) et point de départ de scénarios hypothétiques, inaboutis, dont l’existence, comme en suspens, n’est pas encore réalisée. Daniel Ferrer propose d’emprunter à la logique modale pour l’appliquer à la génétique textuelle la notion de « monde possible », malgré les problèmes que cela peut soulever – au mieux, resterait une analogie, rendue possible par le fait que les faits d’écriture peuvent être analysés comme des faits de lecture : « le monde possible engendré par le déjà-écrit autorise ou interdit tel ou tel développement, et la transgression représentée par l’invention prend plus souvent la forme d’une réinterprétation sur de nouvelles bases que d’une modification radicale des données ». Les manuscrits esquissent des œuvres virtuelles qui sont autant de mondes possibles et la génétique se donne pour tâche de comparer ces univers et leurs propriétés, de comprendre les transformations qui mènent de l’un de ces univers à l’autre (d’une version à la suivante).

36Cette application de la notion de « monde possible » à la critique génétique ne va pas sans poser problème, mais elle permet, là encore, de penser la relation texte / avant-texte : les œuvres virtuelles que constituent les brouillons sont bien réelles, tangibles, pas moins en tout cas que le texte publié, mais « aucun de ces avant-textes n’existe en tant que texte au sens plein, c’est à dire comme œuvre autonome […]. Ils ne sont que des matrices de textes » qui engendrent un univers textuel qui demeure virtuel tant qu’il n’est pas actualisé par le bon à tirer.

37La pratique de la génétique textuelle telle que Daniel Ferrer la décrit est bien « antitextualiste » : en donnant comme objet d’étude à la génétique textuelle les virtualités que chaque état du texte (c’est-à-dire chaque avant-texte) contient et dont la saisie globale peut seule permettre de retracer les différentes étapes du processus d’écriture, il accorde sa préférence à l’avant-texte sur le texte ; mais en ancrant la pratique génétique dans la matérialité du manuscrit, il rejette la tentation de se constituer un illusoire texte idéal, épuré, débarrassé des « stigmates « du brouillon (ce que fait l’avant-texte), et privilégie le brouillon face à l’avant-texte.

…Retour à Albertine…

38Ce que l’édition de J. Milly met en évidence, c’est l’imprévisibilité de la création proustienne qu’il étudie pas à pas dans son introduction en réexaminant le dossier de la genèse d’Albertine disparue, avant d’en donner à lire le « résultat », sous une forme qui en préserve justement toute l’indétermination. Comme le souligne Eugène Nicole dans le dernier Bulletin d’informations proustiennes (« Aspects de la génétique proustienne », op. cit, p. 9-16), l’imprévisibilité de l’œuvre proustienne est d’autant plus fascinante que le roman est circonscrit par son premier volume (publié en 1913) et sa conclusion, écrite en même temps. L’imprévisible – et, j’ajouterais, la réversibilité – fait partie de la thématique même du roman, et donne à Proust une latitude encore renforcée d’une part par le fait que les derniers volumes du roman ont été retardés dans leur publication, de l’autre par les libertés de modification de l’œuvre déjà conçue dont il a bénéficié (les allusions à la future Albertine furent introduites après coup, dans l’édition NRF de Du côté de chez Swann en 1918).

39Chacune des modifications ou suppressions portées par Proust sur la dactylographie d’Albertine disparue qu’il est en train de corriger au moment de sa mort éclaire d’un jour nouveau les allusions à la mort d’Albertine dans Sodome et Gomorrhe II, ainsi que les modifications apportées après-coup à cette partie du roman à l’époque où Proust remanie Albertine disparue. Ainsi, comme l’a montré Nathalie Mauriac-Dyer, le dédoublement de cette partie du roman (puisque nous possédons, finalement, deux versions d’Albertine disparue : celle de la guerre, qui sert de base à la plupart des éditions, et celle, tronquée, qui résulte des modifications de 1922) amène à relire les volumes précédents sous un jour différent, selon que l’on privilégie l’une ou l’autre version de l’histoire d’Albertine (N. Mauriac-Dyer, « Éditions et lectures de Sodome et Gomorrhe », Sodome et Gomorrhe, colloque international organisé par A. Compagnon et J.-Y. Tadié le 20 janvier 2001 à l’Univ. Paris IV–Sorbonne, publié en ligne sur Fabula, http://www.fabula.org/compagnon/proust/mauriac.php).

40D’un côté en effet, la version des cahiers manuscrits, à laquelle est fidèle l’édition de 1925, après avoir conforté les soupçons du narrateur quant à l’intimité coupable d’Albertine avec Mlle Vinteuil, les dissipe ; de l’autre, au contraire, la version donnée par la dactylographie retrouvée semble démentir les soupçons du narrateur, puis les confirmer au moment de la mort d’Albertine, dont le lieu de décès, près de Montjouvain, apporte une preuve d’autant plus accablante qu’elle revêt un caractère hautement symbolique de ses liens avec Mlle Vinteuil. Cette alternative narrative donne alors au chapitre IV de Sodome et Gomorrhe II, qui précède le début de La Prisonnière (première partie de Sodome et Gomorrhe III), où Albertine avoue au narrateur ses liens avec Mlle Vinteuil, une ambivalence dont la portée dépasse le caractère fuyant, impénétrable, du personnage d’Albertine :

Cette fugitivité, cette indécidabilité, ont pris corps dans le dédoublement du texte : nous avions une jeune fille « aux deux hypothèses », nous aurons aussi un texte « aux deux hypothèses », ou plutôt deux textes pour deux hypothèses. Rien ne nous empêche, en une de ces « oscillations rythmées » chères à Proust, d’aller et venir indéfiniment entre l’un et l’autre.

41C’est exactement la possibilité que nous offre l’édition de J. Milly, à cette réserve près qu’il met d’emblée le lecteur en garde contre la tentation – à laquelle cède Nathalie Mauriac – de mettre les deux textes sur le même plan : si, comme le précise la généticienne, aucune des deux versions n’a reçu la sanction éditoriale de l’auteur, il n’empêche que la version des cahiers manuscrits reste cohérente et correspond à un état du texte qui a été, à un moment donné, décrété « définitif » par Proust, tandis que la version de la dactylographie retrouvée reste tronquée, incohérente par rapport à la suite connue de l’œuvre, et correspond à un état de remaniement, jamais abouti, du texte antérieur. On aurait donc, si l’on veut, d’un côté une version qui est passée du statut de texte à celui d’avant-texte par la découverte d’un autre avant-texte qui lui est postérieur, ce dernier n’a pu et ne pourra jamais devenir texte. Toute édition d’Albertine disparue est donc condamnée à proposer soit un texte largement forgé par l’éditeur, soit un avant-texte ou une série d’avant-textes. Albertine disparue restera – à moins d’une autre découverte – un avant-texte pour lequel les dernières corrections de Proust attestent à la fois l’existence à venir et l’absence d’un état ultérieur, un texte fait de plusieurs possibles.


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42Finalement, ce que rend possible l’édition de Milly, c’est la saisie simultanée de tous ces possibles, qui entrent alors en contact, en relation, pour mieux susciter chez le lecteur l’invention d’autres possibles que Proust pourrait avoir envisagés – ou non. Et ce qui participe du plaisir de cette lecture, c’est que pour une fois, aucun de ces possibles n’est totalement exclu…