Fabula-LhT
ISSN 2100-0689

Archives de la disparition
Fabula-LhT n° 13
La Bibliothèque des textes fantômes
Jean-Louis Jeannelle

« Toutes les histoires des films qui ne se sont jamais faits » : modalités de l’inadvenue au cinéma / “All the stories of films which were never made”: modalities of non-happening in cinema

« Toutes les histoires des films qui ne se sont jamais faits » : modalités de l’inadvenue au cinéma

1Ce texte est écrit en lien avec l’article publié dans le numéro spécial d’Acta Fabula correspondant (« La Bibliothèque des textes fantômes », novembre 2014) : « Pour une histoire du cinéma au négatif », URL : http://www.fabula.org/revue/document8964.php

« Elles ont oublié / le principal /
ah bon /
oui, tous les films / que vous n’avez pas fait / vous ne dites rien / la liste est longue / Monsieur ».
Jean-Luc Godard, JLG/JLG, phrases, POL, 1996, p. 56.

2Il est un point aveugle du musée imaginaire tel que Malraux l’a imaginé dans la série de ses essais sur l’art. Les Voix du silence s’ouvrent, on s’en souvient, sur l’idée déterminante que le musée existe, en tant qu’institution ouverte à tous, « depuis moins de deux siècles1 » et a en propre d’avoir délivré les œuvres de leur cadre géographique et culturel d’origine. En revanche, rien n’y est dit de ce qui échappe à une telle emprise. La métamorphose, que Malraux situe au cœur de sa pensée de l’art, est une annexion sans limites, profondément universelle : en droit, toute œuvre, quelles que soient sa position, sa taille ou sa nature, est appelée à prendre place parmi les collections illimitées de cet englobant virtuel2 – toute œuvre, à condition néanmoins d’exister. Ce que cache une telle théorie, c’est le régime d’absence sur lequel fait fond le musée, réel ou imaginaire. L’humanisme malrucien consistait à faire de l’art une victoire de l’homme sur la mort, le signe de sa capacité à « échapper au temps à travers la forme3 » ; l’envers en est le double régime d’existence des œuvres, matériel et idéal4, qui ouvre la possibilité de ce que j’appellerai ici leur inadvenue.

3La statuaire grecque, dont le bronze a été fondu pour fabriquer des armes ou différents ustensiles, ne nous est accessible pour l’essentiel qu’à travers les copies réalisées en marbre par les Romains : qu’admirons-nous dans les salles du Louvre, du British Museum ou de la glyptothèque ? Un idéal de beauté, ou la virtuosité des artisans romains, dont l’activité de réduplication a certainement contribué à accentuer la facture « classique » de modèles aujourd’hui perdus ? On estime que parmi les œuvres créées au Moyen Âge, une proportion extrêmement faible a été conservée et nous est aujourd’hui connue : les pièces subsistantes sont-elles la quintessence d’une production sur laquelle les siècles ont opéré une sélection plus sévère que pour d’autres époques, ou doit-on considérer qu’en raison de son caractère involontaire et arbitraire, le processus d’érosion prive irrémédiablement les œuvres indemnes de l’exemplarité que nous aimerions leur conférer ? En architecture notamment, on nomme « remploi » la technique consistant à récupérer (pour des raisons pratiques, esthétiques ou idéologiques) des matériaux ou des pièces de monuments antérieurs servant à construire un nouvel ensemble – l’usage de spolia n’est d’ailleurs qu’un exemple parmi d’autres d’une propension bien plus massive à la destruction ou au recyclage longtemps tout à fait compatible avec l’érection et l’entretien des monuments, mais que notre conception moderne du patrimoine devenu objet d’un culte mémoriel fervent nous rend désormais intolérable5 : à quelle strate du temps appartient de ce fait une œuvre recyclée (voire ses fragments) ? Le monument détruit ou transformé existe-t-il de la même manière que celui dont la composition reste inchangée (pour autant qu’une œuvre autographique, autrement dit qui immane en un objet physique, puisse se maintenir sans modification correctrice6) ? Là où le musée nous paraît naturellement destiné à rassembler toutes les créations progressivement découvertes, il importe de rappeler qu’une très grande partie des œuvres existantes sont cachées dans des collections privées, entre les murs de fondations ou dans les chambres fortes de ports francs un peu partout dans le monde7 : devons-nous considérer qu’intactes mais invisibles à des fins de spéculation, ces pièces qu’achèteront peut-être un jour les musées publics appartiennent déjà à leur espace « imaginaire » ?

4Il y a là autant de questions que les historiens de l’art ne formulent qu’à de rares occasions, comme si notre rapport à l’art impliquait que nous omettions la part d’oubli, de destruction et d’invisibilité sur laquelle celui-ci se fonde. Nous aurions pourtant tout intérêt à interroger les conditions d’existence de ce qui nous manque et n’en est pas moins l’objet d’une forme indirecte d’appréciation. Mais comment appréhender ce qui nous fait défaut ? Dans Présence des œuvres perdues, Judith Schlanger note que la mythologie de l’oubli et de la déréliction ne connaît que des torts réparés, dont nous ne connaissons que des cas individuels d’absence corrigée : « Pour nous, perdre est un phénomène nourri de cas8. » Bien des disparitions sont imparfaites, et chaque occasion d’en combler le manque fait l’objet d’un microrécit exemplaire – la perte, l’absence en tant que telles nous restent, quant à elles, très largement inaccessibles.

5J’aimerais ici réfléchir à notre appréhension des multiples formes d’inadvenue, entendue comme absence par inachèvement (volontaire ou non), par mutilation ou par disparition – on m’objectera que ces trois processus ne s’équivalent pas tout à fait : bien que totalement ou partiellement inaccessibles, les œuvres mutilées ou disparues ont bien existé en tant que telles ; elles ont atteint un point d’achèvement correspondant à ce dont leur auteur a eu l’intention de produire (du moins le suppose-t-on par convention). Il y a là une différence essentielle avec l’œuvre inachevée, pour ne rien dire du simple projet présenté volontairement par son auteur sous sa forme programmatique comme dans les cas dePourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres ? (Hachette, 1986) de Marcel Benabou ou d’Œuvres (POL, 2002) d’Édouard Levé. J’admets volontiers ce point ; si j’envisage néanmoins les deux premières modalités (mutilation et disparition) et celle de l’inachèvement (qui m’occupera ici plus particulièrement) sous le même angle de l’inadvenue, c’est parce que ces trois cas nous confrontent bien à ce que Judith Schlanger nomme le « sentiment de la perte9 », sans lequel l’absent nous resterait définitivement inaccessible, et que les distinguer reviendrait à manquer aussi bien ce qu’implique de passer de l’une à l’autre que les éventuelles circulations qui surviennent entre elles.

6Pourtant je ne m’attacherai pas, pour cette étude, aux arts les plus attendus, ceux que leur nature autographe ou plus largement leur consistance matérielle exposent directement aux risques de destruction, d’usure ou de vol (entre autres risques), telles la sculpture ou la peinture notamment10. C’est au contraire au 7e art que je m’intéresserai ici, alors même que celui-ci se définit historiquement par sa capacité de reproduction mécanique, autrement dit par la multiplicité de ses supports matériels. Certes, les films des premiers temps étaient plus exposés encore qu’un retable en raison de l’extrême fragilité de la pellicule (je reviendrai sur ce point), mais nous verrons que ce n’est pas là ce qui justifie de considérer qu’au sein des arts, le cinéma est celui pour lequel la question de l’inadvenue se pose de manière cruciale. Bien des spécialistes du grand écran ont noté qu’il nous manque une histoire du cinéma invisible : une histoire des films désirés mais restés à l’état de simples projets, débutés mais interrompus en cours de réalisation, achevés mais présentés au public sous une forme incomplète ou censurée, diffusés un temps mais détruits par la suite ou disparus sans que personne s’inquiète de leur absence11… Une telle histoire au négatif n’a, bien entendu, d’intérêt que si elle ne s’en tient pas à répertorier les œuvres absentes mais intègre une réflexion sur les modalités d’absence en art. Il se trouve pourtant que, dans le cas du 7e art, elle est la plupart du temps envisagée, pour des raisons que je tenterai d’établir, sous forme de simples listes : listes d’auteurs maudits, listes de chefs d’œuvres irréalisés, listes de dates devenues les seules traces de films disparus… Il y a là une limite de nature à invalider l’intérêt théorique d’un tel projet. Or l’obstacle ne peut être surmonté qu’à condition de prendre en considération la fonction attribuée à l’écriture du scénario dans cette industrie et par conséquent le statut très particulier de ce type de texte.

7J’aimerais défendre ici l’idée que non seulement l’inadvenue atteint, au cinéma, les proportions les plus vertigineuses – des proportions telles qu’elles nous contraignent à ne plus y voir le simple résultat de circonstances contingentes, mais un phénomène structurel, constitutif de l’identité même de cet art –, mais que de plus c’est précisément au stade initial du scénario que se décide le sort de la plupart de projets de films et par conséquent leur (in)aboutissement. Reste qu’envisager ainsi le cinéma sous l’angle de son inadvenue représente, par la réévaluation du scénario qu’un telle approche suppose, un défi historiographique heurtant de manière directe l’habitude que nous avons d’assimiler le statut ontologique de l’œuvre cinématographique à son médium visuel.

Histoires de perte : le filtre auteuriste

8Une première objection s’impose. Des histoires du cinéma invisible ? Les rayonnages des bibliothèques et des librairies sont loin d’en manquer et rien n’est plus commun, semble-t-il que de convoquer les chefs-d’œuvre – ils sont légion – restés inachevés ou disparus. On peut même parler d’un véritable sous-genre de l’histoire du cinéma, un sous-genre dont l’une des dernières variantes, The Greatest Movies You’ll Never See de Simon Braund (London, Quintessence Editions Ltd, 2013), a récemment été traduit sous le titre Les Plus Grands Films que vous ne verrez jamais12, suscitant un intérêt marqué pour ce sujet jugé novateur, alors qu’on peut y reconnaître l’un des marronniers des magazines spécialisés. Côté anglo-saxon, l’exercice est avant tout pratiqué sous forme de palmarès. Charles Salomon dans The Disney That Never Was, Chris Gore dans The 50 Greatest Movies Never Made, et David Hughes dans The Greatest Sci-Fi Movies Never Made puis Tales From Development Hell13 entre autres redéploient, avec plus ou moins de talents ou en ciblant un domaine plus ou moins circonscrit, un modèle déjà bien rodé en 1991 par Harry Waldman dans Scenes Unseen : Unreleased and Uncompleted Films from the World’s Master Filmmakers. Notons que dans cet essai aujourd’hui encore inégalé, une intéressante typologie des multiples causes d’échec (le veto du producteur, la mégalomanie de réalisateurs, les caprices de stars, l’arrivée de la guerre, la censure d’État…), tout juste esquissée, se révélait rapidement peu fonctionnelle et laissait place à un classement par titre d’œuvres et par noms de réalisateur14.

9Quel problème posent ces listes, parfois très documentées, de chefs-d’œuvre inaboutis ou détruits ? Principalement à ce que s’y exerce un filtre que l’on pourrait qualifier d’« auteuriste » et qui s’offre avec toutes les apparences de l’évidence inquestionnée, alors que son coût herméneutique s’avère excessivement élevé. Les films échoués ne nous paraissent, en effet, dignes d’intérêt qu’en tant que pièces manquantes d’une œuvre connue, la part maudite du combat mené par un réalisateur pour imposer son style contre les diktats des producteurs, les contraintes budgétaires, les caprices des acteurs, les pressions des gouvernements, les coupes des distributeurs, ou encore l’incompréhension du public… Une telle perspective a favorisé l’émergence d’un Panthéon inversé, composé de génies dont les chefs d’œuvre disparus ou mutilés sont abondamment commentés. En sorte que les films non réalisés ou disparus se présentent comme les scories de ces œuvres complètes qui forment notre canon, rendues inévitables par les contraintes financières, morales ou politiques dont s’accompagne d’ordinaire la production cinématographique. Aussi ne nous intéressent-ils qu’en raison de la place qu’ils auraient dû trouver au sein d’un corpus qu’ils complètent et bousculent parfois, mais uniquement aux marges. Seul ce désir projeté – illusoire ? – de chefs-d’œuvre inadvenus nous conduit à transgresser ponctuellement les frontières entre l’avéré et le possible, entre la liste des œuvres « du même auteur » et celle de ses ruines. Il y a là ce que l’on pourrait appeler un effet d’exception, qui est d’ordinaire accentué par le recours à la métaphore spectrale des « œuvres fantômes », destinée à transformer ce projet imaginé par un réalisateur, anticipé de manière plus ou moins précise mais resté dans les limbes de son œuvre, en un « film fantôme », et à auréoler, par ce biais, l’échec constaté d’un parfum de malédiction15.

10Or ce que masque inévitablement ce filtre auteuriste, c’est le caractère en réalité structurel du phénomène d’inadvenue au cinéma. Le 7e art a, en effet, en propre que le nombre des œuvres prévues mais interrompues à un moment ou à un autre de leur réalisation excède de très loin celui des œuvres achevées et diffusées auprès du public. Le ratio ne dépend que de manière assez marginale et pour tout dire arbitraire de la qualité des projets en question. Si la perspective « auteuriste » doit être remise en question, c’est donc simplement parce qu’elle gomme le fonctionnement réel de l’industrie du 7e art : Edward Jay Epstein rapporte dans The Big Picture qu’en 2003, neuf projets sur dix développés par la Paramount (selon une estimation du studio lui-même) n’ont pas obtenu le feu vert et ont été soit abandonnés, soit vendus à un autre studio – ce que l’on nomme « turnaround deal » dans le jargon hollywoodien16. Comme tous les calculs, fort courants par ailleurs, de la part que représentent les abandons dans le domaine cinématographique, celui-ci reste difficilement vérifiable. Il ne fait qu’indiquer un ordre de grandeur (et il n’est même pas sûr qu’une longue enquête suffirait à nous donner une idée plus précise, tant les causes d’inaboutissement d’un projet cinématographique peuvent être nombreuses), mais il n’en reste pas moins significatif. Précisons ici la nature de l’obstacle, puisque la suite de la réflexion en dépend très largement. Je rappelais en introduction qu’aux yeux de Judith Schlanger, nous n’avons affaire qu’à des « histoires de perte et à des exemples de ce qui s’est perdu17 ». Toute la difficulté ici tient à ce qu’en matière d’absence, l’impossibilité de quantifier est d’ordre épistémologique, l’annulation radicale, qu’aucune trace n’atteste, étant vouée à rester muette à tout jamais. C’est ce qui explique que nous n’ayons de l’absence qu’« une expérience événementielle et anecdotique18 » et que, dans le cas particulier du cinéma, nous n’éprouvions le plus souvent de manque ressenti comme tel qu’au regard d’une filmographie estimée comme plus ou moins complète, impression que le privilège généralement accordé au réalisateur, en France notamment, ne fait qu’accentuer.

11Faut-il dès lors en déduire que l’exploration des films invisibles ne peut que se limiter à des recherches ponctuelles, quelque peu frustrantes faute qu’aucune exhaustivité y soit envisageable ?

12Une approche plus satisfaisante consiste à court-circuiter le préjugé auteuriste en adoptant une démarche poétique, ce qui implique de ne plus s’en tenir aux causes identifiées par Harry Waldman dans Scenes Unseen : le veto du producteur, les excès des réalisateurs, la survenue d’une guerre, l’exercice de la censure… Outre que toutes ces causes sont à chaque fois circonstancielles et s’ajoutent souvent les unes aux autres, aucune d’entre elles ne suffit à rendre véritablement compte d’un échec. En la matière, la perspective génétique ne peut s’appliquer qu’au cas par cas, de manière approfondie afin de ne pas s’en tenir aux anecdotes qui émaillent d’ordinaire l’histoire de production de ces productions malheureuses. Aussi est-il plus intéressant est de réfléchir aux stades auxquels un projet de film se voit interrompu, autrement dit de se demander à quel moment et à quelles conditions un film nous manque. À la question de savoir ce qu’est un échec ou quelles en sont les causes, il s’agit en quelque sorte de substituer la question, d’inspiration goodmannienne : « Quand y a-t-il échec ? »

Films disparus, films inachevés et films non diffusés

13 Mon hypothèse est que parmi les différentes étapes que l’on peut identifier, un tournant décisif survient à partir du moment où, du scénario (que celui-ci soit en cours de rédaction ou considéré comme parfaitement achevé par ses auteurs), on passe à la production et à la réalisation du film. Dans le vaste ensemble des initiatives de film inadvenues, il est un point de bascule, essentiel à mes yeux, et celui-ci survient à partir du moment où un scénario commence à être enregistré sous sa forme audiovisuelle : d’un point de vue théorique, il n’existe de véritable difficulté qu’avant cette étape.

14Une telle affirmation paraîtra sans aucun doute contestable, puisque l’on s’est essentiellement intéressé aux cas de films dont la réalisation a déjà été entamée mais qui nous restent, pour une raison ou pour une autre, inaccessibles. À ce stade, autrement dit, à partir du moment où la réalisation d’un projet est mise en branle, trois grandes catégories peuvent être distingués : les films disparus, les films inachevés, et les films non diffusés – deux autres catégories pouvant leur être adjointes, à savoir les films mutilés et les carnets ou essais réflexifs, qui ont pour caractéristique d’être tout à fait visibles, mais sous une forme nettement différente de celle voulue par le réalisateur.

15Commençons par le cas des films disparus. Bien qu’étant le seul art dont l’histoire, parfaitement limitée dans le temps, peut être saisie comme un tout, le cinéma n’a pris conscience de son historicité que tardivement et n’a entrepris d’endiguer les effets du temps que plus tardivement encore. Le paradoxe est entier : ce médium dont la nature est d’être infiniment reproductible, a été exposé à toutes les avanies que subissent les arts à exemplaires matériels uniques (telle la peinture) ; la proportion de pertes n’est d’ailleurs pas loin d’être aussi importante que pour des arts plus traditionnels, que leur ancienneté et l’absence de politiques patrimoniales exposaient très largement. Certes, les chiffres avancés sont incertains, cela d’autant plus que des réapparitions sont toujours possibles19 ; ils n’en frappent pas moins l’imagination. Les appels à créer des cinémathèques sont anciens, mais ceux-ci se sont révélés impuissants à contrer les disparitions massives, devenues de nos jours un domaine de recherche en soi20. Même si dans le cas des films disparus – par destruction, perte, négligence… –, les œuvres ont bien existé en tant que tel, leur invisibilité est un fait massif et justifie l’intérêt que nous portons à présent à cette catégorie, dont le champ d’extension est constitutif de l’histoire même du cinéma. Frank Thompson estime ainsi que sur les 21 000 films (courts et longs métrages) produits avant 1950, plus de la moitié ont disparu à tout jamais et que pour la période du muet, le ratio de films perdus se situe entre 80 et 90%21 – Harry Waldman n’hésite pas, pour sa part, à avancer le chiffre de 80% de films disparus en Occident avant la première guerre mondiale. Une étude conduite par David Pierce pour le « National Film Preservation Board » en décembre 2013 a permis d’établir que sur les quelques 11 000 films muets réalisés pendant la période du cinéma muet, seuls 14 % subsistent dans leur format original22. La fragilité des matériaux, le recyclage systématique des films usés, l’impéritie… : les causes de ces disparitions sont variées et Maurice Bessy en a très tôt donné une idée assez nette lors d’une enquête, « Mort du film », en neuf numéros dans Cinémonde en 1933 (où le critique écrivait du cinéma qu’il « n’a de muses que des mortelles en rupture de concours de beauté » : « Comme leur éclat, sa vie est éphémère »23).

16Les cas les plus célèbres et les plus richement documentés relèvent néanmoins de la catégorie des films inachevés, puisque l’existence d’images, qu’il s’agisse de simples photos de plateau, de rushes ou même d’une version achevée a posteriori par d’anciens collaborateurs ou par des spécialistes de l’auteur, confirme l’accord entre les partenaires du film à un moment donné de sa production et fait de son inachèvement un accident – je reviendrai sur ce point, essentiel puisqu’il permet de distinguer le cas des scénarios non réalisés (dont l’abandon ne suffit pas, considère-t-on, à parler de films inachevés) du cas des tournages interrompus (une telle interruption étant la cause d’absence que privilégient les études consacrées au cinéma invisible). Le cinéma américain se révèle particulièrement riche en raison de la quantité de « déchets » qu’autorisent les modes de production des studios hollywoodiens : de Queen Kelly (1928-1929) d’Erich von Stroheim, jusqu’à The Man Who Killed Don Quixote (2000) de Terry Gilliam, en passant par I, Claudius (1937) de Joseph von Sternberg24 ou Something’s Got To Give (1962) de George Cukor, la liste de cas célèbres est fort longue25. Don Quichotte peut être considéré comme la figure emblématique des réalisateurs regroupés sous cette deuxième catégorie d’absence au cinéma : l’homme qui se battait contre des moulins est à son tour devenu un mirage qu’ont poursuivi Orson Welles, qui travailla à son adaptation entre 1955 et 1969 (voire au-delà puisque Welles en continua le montage) et Terry Gilliam, qui, après un premier échec dont Keith Fulton et Louis Pepe ont tiré un merveilleux documentaire, Lost In La Mancha, a depuis tenté à plusieurs reprises de faire aboutir son projet, en digne admirateur du héros de Cervantès. Dans le domaine français, parmi ces films qui ne sont jamais parvenus jusqu’aux écrans, il faudrait accorder une place de premier choix à Marcel Carné, principalement pour La Fleur de l’âge (qu’il tenta de réaliser avec Prévert entre Jenny et Drôle de drame sous le titre : L’Île des enfants perdus mais qui se heurta à la censure, puis qui resurgit dix ans plus tard sans plus de succès26) et pour son ultime projet, Mouche (1991-1992), tiré d’une nouvelle de Maupassant, ou encore à Henri-Georges Clouzot, dont le magnifique Enfer avec Romy Schneider existe aujourd’hui sous la double forme d’un documentaire et d’un ouvrage publié27.

17Plus rares, mais d’autant plus fascinants peut-être sont les films non diffusés, que l’on pourrait qualifier en quelque sorte de « retenus », soit par volonté expresse de l’auteur comme dans le cas du légendaire The Day the Clown Cried (1972) de Jerry Lewis, soit le plus souvent par pression des studios préférant sacrifier l’une de leurs productions pour des raisons économiques ou légales28 (le cas de White Dog de Samuel Fuller est particulièrement intéressant : afin de couper court aux rumeurs accusant le film d’être raciste, Paramount Pictures choisit de ne sortir cette adaptation d’un roman de Romain Gary qu’en France et en Angleterre en 1982, mais également sur des chaînes du câble – il faudra attendre l’édition DVD par Criterion Collection en 2008 pour que le film puisse être accessible aux États-Unis29) ou encore par pression des distributeurs qui peuvent eux aussi délibérément cantonner les films dont ils ont la charge à des festivals et en empêcher la diffusion auprès du grand public30.

18Restent les deux formes complémentaires des films mutilés et des carnets ou essais réflexifs, sur lesquels je passerai rapidement. Dans le premier cas, les modifications apportées à l’identité des œuvres surviennent contre la volonté de leur(s) auteur(s) ou parfois de leurs propriétaires, ouvrant ainsi la possibilité d’une version director’s cut ultérieure, conforme à l’intention première – supposée – du réalisateur (comme dans le cas en 2001 d’une version rallongée de 50 minutes du film de 1979, Apocalypse Now Redux, ou de la version de La Porte du paradis sortie en 2012), et qui coexistera désormais avec la version connue du public au moment de la sortie du film. Dans le second cas, l’impossibilité de réaliser le film désiré se voit néanmoins compensée par l’existence de « notes de travail » ou de versions fragmentaires dont certaines deviennent parfois l’unique version existante de l’œuvre envisagée. Si les films mutilés ont, à nos yeux, un tel prestige, c’est parce que s’y manifeste sous une forme éclatante toutes les formes de censure que les pouvoirs publics, les exploitants ou les groupes de pression peuvent imposer aux films. Là encore, notre attachement à la figure du réalisateur comme auteur ne va pas sans quelque aveuglement : n’est-il pas, en effet, artificiel d’isoler les pressions qu’Erich von Stroheim, Orson Welles ou Michael Cimino ont pu subir de la part des studios produisant ou diffusant leurs films comme autant de causes externes au processus de création, tant il est vrai que l’élaboration « artistique » d’un film est indissociable des conditions financières et techniques qui le rendent matériellement possible. Quant aux essais dérivés, ils ont ceci de particulier que le réalisateur a choisi de substituer à la réalisation envisagée une version de travail, comme dans le cas du Carnet de notes pour une Orestie africaine (1969), exemplaire de la pratique des appunti chez Pasolini31.

Development Hell

19Il s’agit à présent de remonter en amont de ces trois catégories parfaitement répertoriées et qui ne soulèvent, d’un point de vue théorique, aucune véritable difficulté. Posons d’emblée la question : qu’ont de particulier les projets engagés et interrompus avant d’être parvenus à l’une de ces trois étapes, autrement dit existant sous une forme antérieure à l’enregistrement d’images tirées du scénario (qu’il s’agisse de simples rushes ou de séquences montées) ? Cette question importe d’autant plus que d’un strict point de vue quantitatif, la plupart des projets cinématographiques n’existent – et n’existeront – que sous forme écrite, depuis le synopsis de quelques pages jusqu’à la continuité dialoguée complète, et ne donnent jamais lieu à une pré-production, puis à un début de tournage. Chris Gore affirme ainsi que 42 000 scénarios écrits « on spec » sont enregistrés chaque année par la Writers Guild of America, et que parmi eux, près de 3 000 sont achetés et développés ou conservés dans le tuyaux de l’industrie hollywoodienne, alors que moins de 50 seulement sont réalisés32. Je n’insiste pas sur l’ampleur du phénomène, constitutif du fonctionnement même de l’industrie cinématographique, où le scénario a précisément pour rôle d’évaluer non seulement l’intérêt (dramaturgique et esthétique) d’un projet mais également sa viabilité d’un point de vue technique et commercial. Les anglo-saxons nomment Development Hell ce processus souvent extrêmement long par lequel passe la préparation d’un film dans les studios hollywoodiens, et qui concerne aussi bien la réécriture incessante du scénario que la composition de l’équipe chargée d’en assurer la réalisation, toujours sujette à de multiples variations – on sait que dans le cas d’un blockbuster comme The Aviator, le poste de director a été confié à une douzaine de grands noms, parmi lesquels Brian de Palma, William Friedkin ou Michael Mann, avant de l’être à Martin Scorsese, et qu’il s’agit là d’un processus habituel, d’autant plus accentué lorsqu’il s’agit de films tirés de franchises, tels James Bond33, Indiana Jones34 ou Watchmen35.

20On m’objectera qu’il est souvent fait référence à ces scénarios restés « unproduced » parmi les nombreux articles ou essais sur les films invisibles que je mentionnais auparavant, et que personne ne s’avise de les distinguer des films dont la réalisation aurait été débutée avant d’être interrompue ou perturbée au point de modifier l’identité de l’œuvre, ainsi que je propose de le faire. Pour les historiens du cinéma, ces projets restés au stade du scénario ne sont dignes d’être mentionnés que si un nom prestigieux leur est attaché, en sorte qu’ils se confondent avec les autres projets inaboutis dans une sorte de cimetière des chefs d’œuvres inconnus. Il existe pourtant une raison fondamentale à la distinction entre les scénarios irréalisés et les projets pour lesquels existent soit des rushes soit un film complet mais mutilé ou non diffusé, à savoir qu’au cinéma, l’identité opérale d’un projet reste problématique tant que celui-ci n’a pas pris une forme audiovisuelle (même inachevée)36. Une remarque en apparence anodine d’Alain Weber dans Ces films que nous ne verrons jamais nous en fournit la preuve :

Dans le grand cimetière balisé des chefs-d’œuvre morts-nés, on ne peut que déplorer les tombereaux de manuscrits des films interrompus au stade de l’écriture ou encore à celui d’une préparation de tournage parfois très avancée, pour ne pas dire « prêt à tourner » et qui, cependant, ne verront jamais le jour en tant que films susceptibles d’être projetés. En aucun cas, ils ne sont en mesure d’acquérir le label émoustillant de « disparu », attendu qu’ils n’existeront jamais sous la forme définitive de bobines de pellicule impressionnée37.

21De fait, nous venons de voir qu’en cours de développement, les acteurs ou les réalisateurs envisagés pour un projet peuvent varier considérablement – c’est Montgomery Clift et non Marlon Brando qui devait jouer le major Penderton dans Reflection in a Golden Eye (1966), ou George Raft et non Humphrey Bogart pour Sam Spade dans The Maltese Falcon (1941) : néanmoins, de telles modifications ne suffisent pas à faire de ces versions alternatives l’équivalent de films non réalisés. Ce qui revient à dire qu’un film a pour support de consistance38 le montage d’images animées et sonorisées tiré du scénario et qu’on ne peut véritablement parler d’inachèvement qu’à partir du moment où est attesté l’enregistrement, même fragmentaire, de ce qui avait été prévu sous forme écrite.

22Alain Weber n’avance néanmoins aucun argument théorique pour justifier une telle exclusion des scénarios irréalisés. Bien qu’elle ne traite pas directement du 7e art, Judith Schlanger est la seule à rendre compte de ce point, en notant que si l’inaboutissement est l’une des formes d’inadvenue qui suscite en nous un très fort « sentiment de la perte39 », il n’est véritablement d’absence, au sens strict, que dans le cas d’œuvres attestées, ayant connu une première diffusion. Trois grandes modalités d’absence sont, en effet, distinguées dans Présence des œuvres perdues : la destruction, la falsification et l’indifférence. L’inachèvement est, quant à lui, délibérément écarté par Judith Schlanger qui y reconnaît bien une source massive d’absence, mais qu’elle situe dans l’ordre de l’irréparable ou de l’ineffable. Certes, les traces de quelques projets longtemps envisagés et n’ayant jamais connu un début de réalisation subsistent dans notre mémoire des œuvres, où ils font entendre les « échos de l’irréel » et confèrent au virtuel une certaine « consistance imaginaire » ; Judith Schlanger n’en fixe pas moins une limite qu’elle se refuse à franchir :

Si nous avions les moyens d’apprécier et d’explorer la non venue à l’être qui affecte le virtuel, je veux dire le virtuel probable, le virtuel proche, il deviendrait peut-être possible de s’orienter dans le versant prénatal de la perte. Et de considérer ce qui était au bord d’exister mais a été empêché d’exister ; la direction qui ne sera jamais prise parce qu’une bifurcation l’a rendue impossible ; le possible qui allait se réaliser mais qui restera amputé et tronqué ; la conception, la théorie, l’option, délaissée juste avant de prendre forme ; l’œuvre qui ne naîtra pas. Ici je ne peux que suggérer le versant des presque œuvres, des œuvres presque là, sans entrer dans le monde fantôme des projets avortés, et dans les limbes de ce qui n’aura pas pu naître40.

23Entre l’œuvre disparue et l’œuvre restée dans les limbes du virtuel existe une distinction ontologique essentielle : la perte s’y exerce de manière radicalement différente. D’un côté, l’œuvre qui a été mais n’existe plus (qu’elle ait disparu matériellement, ait perdu son identité ou ait échappé à notre attention), de l’autre l’œuvre qui aurait pu être mais n’a pas abouti. Pour Judith Schlanger, il n’est pas question de passer de l’un à l’autre.

24C’est ce saut pourtant qu’il me semble nécessaire d’accomplir dans le cas du cinéma. Je l’admets, il y a bien un risque à pénétrer dans l’univers de ce qui est resté virtuel. Mais se refuser à l’affronter reviendrait à nier que certaines œuvres inachevées nous sont plus précieuses que bien des œuvres attestées. Sur ce point, ma divergence avec le travail pionnier de Judith Schlanger est due à ce que je tiens compte du bouleversement apporté par la génétique des œuvres dans notre rapport aux différentes modalités d’absence en art : les « échos de l’irréel » dont parle la philosophe ou ce que Daniel Ferrer nomme pour sa part les « ersatz merveilleux41 » éveillent aujourd’hui en nous un formidable désir de pallier en partie leur manque à être afin d’« achever » leur inachèvement42.

25La singularité du 7e art tient, dès lors, à ce que les scénarios irréalisés peuvent s’y voir accorder un statut il est vrai partiel, puisque marqué par l’inaboutissement, mais néanmoins plus solide et plus systématique qu’en cas d’inachèvement dans d’autres arts. Cela parce que la pratique de recyclage continuel des projets qui conduit les studios à racheter les droits de projets abandonnés, à négocier sans fin l’établissement d’un contrat ou encore à multiplier les annonces fracassantes autour des réalisateurs ou des acteurs choisis pour un film joue, au cinéma, un rôle déterminant. Cette production ininterrompue et dispendieuse de scénarios, étonnante pour les néophytes qui n’y voient qu’un énorme gâchis, a pour effet de rendre, d’un point de vue théorique, la catégorie d’« unproduced screenplay » parfaitement inopérante. En droit, aucun scénario n’est définitivement abandonné et tout projet inabouti reste en attente, à ce titre susceptible d’être relancé (bien que de manière de plus en plus incertaine au fur et à mesure que le temps passe) : Total Recall ou the Black Dahlia sont célèbres pour avoir longtemps erré dans les limbes des studios ; Crusade, Isobar, ou Harrow Alley n’ont, en revanche, pas encore atteint le grand écran et n’existent toujours pour le moment qu’à titre de scénarios maudits. Aux yeux du public qui en ignore tout, un scénario irréalisé n’a donc aucune forme d’existence, mais aux yeux des professionnels du cinéma, il peut sans cesse être réévalué, quitte à être modifié de fond en comble – à preuve le fait que Franklin Leonard ait créé en 2005 The Black List, vaste compilation de scénarios délaissés, qui se présente non comme un catalogue mais comme une sélection visant à classer les meilleurs scénarios, autrement dit à attirer l’attention de producteurs potentiels43. Tel est bien le coût du filtre auteuriste : ne placer l’accent que sur quelques titres supposés tirer leur valeur de la personnalité qui les signe revient à redoubler l’invisibilité dont pâtissent les projets qui n’ont pas encore obtenu le feu vert, autrement dit à masquer doublement l’énorme production scénaristique dont se nourrit le système et qui concerne aussi bien les textes rédigés spontanément que ceux des scénaristes chevronnés – la première fois parce que les textes rédigés restent confinés à un circuit de lecture professionnel pour des raisons à la fois artistiques, juridiques et financières (un scénario est une œuvre dont les droits se négocient), la second fois parce que même lorsqu’ils deviennent, par exception, accessibles (le plus souvent lorsque leur auteur les diffuse ou parce qu’ils intègrent les archives d’un réalisateur), ces scénarios restés sans suite ne sont envisagés que par défaut, pour leur seul intérêt documentaire et non pour leur valeur propre.  

Le scénario : une productivité par déficit opéral

26Au cinéma, nous ne sommes pas réduits à des cas singuliers de perte ou d’absence : la production de l’oubli n’y est pas un phénomène dont nous connaîtrions uniquement ce que Judith Schlanger nomme les « torts réparés », mais le résultat d’une contrainte institutionnalisée, imposée à la fois pour des raisons d’ordre pratique et théorique. À mes yeux, c’est le pan théorique d’un tel phénomène qui importe le plus, puisqu’il touche au besoin que nous avons de préserver le support de consistance de l’œuvre cinématographique, en l’assimilant de manière exclusive à son support audio-visuel. Nous touchons ici à ce que le cinéma a de plus singulier au regard des modes d’existence des créations à visée esthétique. Notre conception communément partagée de l’œuvre suppose une création idéale comme totalité close sur elle-même, de ce fait aveugle aux textes scénaristiques par nature éphémères (les scénarios sont des documents qui ne sont pas destinés à la publication, si ce n’est dans un cadre professionnel ou universitaire), instables (leur visée fonctionnelle implique qu’ils puissent être sans cesse modifiés au gré de la réalisation et du montage) et subalternes (puisque totalement subordonnés à l’image animée dont ils programment la réalisation).

27Pour saisir la singularité de tels textes, il convient d’opter pour un cadre d’analyse qui tienne compte de ces caractéristiques : c’est ce que permet aujourd’hui la théorie génétique, qui a pour double avantage d’être globale, c’est-à-dire d’envisager une œuvre dans sa totalité, depuis la première formulation d’une idée jusqu’à l’ensemble de ses versions existantes, mais également de croiser diachronie (par l’attention au processus de création tel qu’en témoigne chacune des étapes) et synchronie (par l’accent mis sur les phénomènes de co-présence, aussi bien à travers les corrections de détails à chaque étape du processus que par la mise en relation des différentes variantes d’une même œuvre). On pourra objecter qu’une telle méthode est née de l’examen des manuscrits d’écrivains ; elle s’étend toutefois de nos jours à l’étude d’œuvres théâtrales, d’écrits scientifiques ou de traités philosophiques, aussi bien que de projets architecturaux ou encore de pièces musicales, et trouve dans le cinéma un champ d’application particulièrement fécond44. La perspective génétique change ici radicalement la donne pour la simple raison que, parmi toutes les formes d’art, le cinéma nécessite un tel degré de coordination entre les différents collaborateurs impliqués, autrement dit comporte tant de négociations sur la viabilité d’un projet à chaque moment de son développement puis au cours de sa production (où de multiples difficultés, en particulier un dépassement excessif du budget, peuvent conduire à sa réorganisation, voire à son annulation), que sa genèse représente une sorte de chantier à ciel ouvert au cours duquel se décident sans cesse l’intérêt de l’œuvre envisagée et les orientations à lui donner. Ce déploiement institutionnalisé du processus de genèse (dont les studios hollywoodiens de l’âge d’or offrent un modèle abouti) représente, on le voit, un facteur décisif : l’ensemble des collaborations réunies sous la houlette du producteur et du réalisateur s’enchaînent au gré d’étapes au cours desquelles il est à chaque fois possible d’interrompre le processus ou d’en modifier la nature – sachant que le coût de tels choix est proportionnel au degré d’avancement de l’œuvre. Or c’est durant la phase de développement (autrement dit à l’écriture du scénario) que s’effectue l’évaluation esthétique et financière d’un projet, envisagé pour cela sous une forme à la fois achevée au titre de l’histoire envisagée mais inaboutie au titre de l’œuvre à venir.

28Dans son analyse des deux « phases » successives qui régissent l’« histoire de production » de certains arts, Gérard Genette souligne ce qu’ont d’étrange ces « objets idéaux » qui servent d’instruments en vue de l’œuvre visée et qu’il décrit comme des objets préliminaires (ou instrumentaux), et donc « non ultime[s], mais cependant définitif[s] », et susceptibles de produire à leur tour « l’objet ultime d’immanence »45. Contrairement à une planche unique qui servira à produire une série d’épreuves jugées toutes authentiques, le scénario ne fixe pas un modèle intangible, garant de la phase suivante : dans leur essai sur les « Genèses cinématographiques », Jean-Loup Bourget et Daniel Ferrer insistent, pour leur part, sur le caractère non contraignant du scénario, utilisé « comme un croquis est utilisé par l’architecte pour l’élaboration de son plan ou comme un compositeur utilise une esquisse pour la rédaction de la partition finale », et en concluent qu’il n’est pas un « mode d’immanence de l’œuvre », mais « une étape de sa genèse »46. Un tel constat conduit néanmoins à sous-estimer, me semble-t-il, le fait qu’à ce stade, un scénario constitue une mise en forme complète de l’œuvre envisagée : même si l’activité de création se poursuivra ensuite lors du tournage, puis du montage, il offre un modèle suffisant, même s’il est non contraignant, du résultat escompté permettant aux principaux responsables de s’engager sur la validité du projet47. De ce fait, quand bien même un film achevé ne « consiste » jamais, au sens strict, en son scénario, ce dernier n’en jouit pas moins d’une potentialité opérale particulière, supérieure par exemple à ce qu’un brouillon est à l’égard d’une œuvre achevée en littérature. C’est cette autonomie toute relative qu’éclipse d’ordinaire sa résorption dans le flux d’images animées et sonorisées qui en résulte. D’où l’apport de la génétique, qui s’applique, en droit, à toute œuvre, quel qu’en soit le degré d’aboutissement (puisque le processus de création y est préféré au résultat final), l’inaboutissement n’étant dès lors plus envisagé comme un pur et simple échec au regard d’un modèle d’œuvre comme tout autonome, mais pouvant être à son tour intégré dans un processus plus large.

29Je n’ignore pas ce qu’une telle perspective peut avoir de contestable. L’une des questions théoriques les plus complexes touche aux degrés d’évaluation esthétique que véhicule (de manière plus ou moins explicite) nos différentes conceptions de l’œuvre d’art, aussi objectives celles-ci se veuillent-elles. Pour le dire simplement, aux yeux de beaucoup, l’inachèvement d’une œuvre ne peut être envisagé qu’en termes esthétiques comme une forme de sanction, c’est-à-dire comme un échec vouant ipso facto les éléments subsistants du projet à un strict intérêt documentaire et les excluant du domaine des œuvres à part entière. Il y a là une pétition de principe, qui conduit à ne voir dans la génétique qu’une forme de philologie modernisée et à refuser que les brouillons ou les projets inaboutis d’un auteur puissent être placés à la suite de ses œuvres complètes. Une telle conception me paraît particulièrement inappropriée dans le cas du cinéma, où les causes d’abandon d’un scénario sont si nombreuses, et parfois si étrangères à ses qualités dramatiques ou esthétiques qu’il me semble plus judicieux de ne parler dans ce cas ni d’échecs ni d’œuvres fragmentaires ni même d’œuvres amputées, mais plutôt d’œuvres interrompues. Contrairement aux cas d’inachèvements devenus célèbres en littérature (tels Lucien Leuwen, Le Démon de l’absolu ou Le Lieutenant-colonel de Maumort par exemple), l’interruption à un moment ou à un autre du développement du scénario est ici constitutif du mode de production valant pour le 7e art et doit donc nous conduire à voir dans ces productions textuelles restées sans suite ce que Gérard Genette nomme des « manifestations partielles », pour lesquelles « l’objet d’immanence comporte, a comporté ou aurait dû comporter d’autres aspects que ceux qui s’offrent hic et nunc à la perception48 ».

30C’est à ce titre qu’un scénario irréalisé me semble jouir d’une forme d’immanence certes partielle, mais néanmoins supérieure à celle que Jean-Loup Bourget et Daniel Ferrer lui reconnaissent. La génétique est précisément en mesure de faire droit à de telles interruptions et d’envisager la production cinématographique dans ce qu’elle a d’aléatoire et de fatalement parcellaire pour la plupart des projets rédigés dans l’espoir de retenir l’attention d’un producteur ou d’un réalisateur. De ce fait, l’autorité que le scénario perd lorsqu’il est envisagé comme texte au regard des critères d’une poétique traditionnelle, il la regagne une fois réinscrit dans une telle perspective génétique ; ce qui était auparavant défaut s’y convertit en atout : l’instabilité du texte scénaristique, sa nature collaborative (qui heurte notre mythe de l’« auteur ») ou le caractère éphémère de son existence sont le contrecoup de sa capacité à varier, parfois sous de multiples versions, sans qu’il y ait nécessairement de perspective de réalisation.

31Il s’agit donc, en quelque sorte, d’intégrer au vaste domaine de l’écriture scénaristique la possibilité, structurellement programmée, de l’inadvenue. Jusqu’à présent, les spécialistes du cinéma invisible s’en tiennent à une liste relativement convenue d’abandons célèbres – Jésus de Nazareth de Dreyer, Le Moine de Buñuel, Amparo de John Huston, La Genèse de Bresson, les deux versions d’À la recherche du temps perdu de Losey et de Visconti, The Fifth Coin de Coppola, etc. Une seule étude propose une approche systématique, l’Anthologie du cinéma invisible49, mais limitée, on le sait, au champ littéraire, puisque Christian Janicot s’est appuyé sur la notoriété de leurs auteurs et l’existence, par conséquent, d’archives pour rassembler une centaine de scénarios d’écrivains restés dans leurs tiroirs50. Ce n’est là pourtant qu’une parcelle du domaine qu’il resterait à envisager. Car le cinéma invisible, notamment lorsqu’il en est resté à sa première étape écrite, n’est pas un complément de l’histoire officielle du 7e art, il en est l’arrière-plan omniprésent, trop souvent négligé, et c’est au domaine très vaste de l’écriture scénaristique qu’il importe désormais de s’intéresser afin d’y repérer les effets d’inadvenue. Cela en particulier en ce qui concerne les adaptations puisque les versions concurrentes y constituent des réseaux de textes parfois d’une très grande richesse51. Là où l’on se contente, d’ordinaire, d’envisager les rapports entre littérature et cinéma à travers un filtre textualiste réducteur, il devient possible de dégager un espace de recouvrement situé à l’intersection de ces deux domaines d’activité artistique, délaissé par ce que soumis à de puissantes modalités d’absence. Bien qu’indissociablement littéraires et cinématographiques, les scénarios d’adaptation n’ont jusqu’ici été reçus ni comme une œuvre à lire ni comme l’équivalent du film envisagé en cas de non-réalisation pour les raisons dont il a été question au préalable : il s’agit à présent de prendre en compte le caractère industrialisé de ce domaine d’activité et d’explorer dès lors le point d’intersection entre littérature et cinéma comme un espace de coextensivité rendu institutionnellement invisible mais explorable désormais pour lui-même grâce à la génétique.


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32Cet article se veut, on l’a compris, une sorte de plaidoyer. Un plaidoyer pour une histoire du cinéma qui ne se limite pas aux seuls films diffusés, et où les films inaboutis ne soient pas étudiés à titre de chefs-d’œuvre perdus, à la faveur d’un geste patrimonial, mais soient au contraire envisagés dans le cadre d’un processus institutionnalisé où l’inadvenue s’avère hautement prévisible, mais où la première phrase de production peut atteindre une forme d’aboutissement telle que le scénario, sans être l’équivalent d’un film, vaille néanmoins dans sa sphère comme une quasi-œuvre. Plus largement, il s’agit d’un plaidoyer en faveur d’une histoire pensée comme l’un des principaux objets de la théorie poétique, dont le renouveau passe aujourd’hui par une réflexion sur les multiples voies de l’inadvenue : le cinéma y occupe une place particulière en raison de ce que l’écriture scénaristique a d’ambigu, et qui tient au mode de production institutionnalisé du 7e art, où l’inaboutissement dépasse de loin les causes d’échec intrinsèques à la réalisation de l’œuvre, de sorte que les textes restés sans suite peuvent y acquérir intermédiaire.


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“All the stories of films which were never made”: modalities of non-happening in cinema

33This text is written in connection with the article published in the corresponding special issue of Acta Fabula (“La Bibliothèque des textes fantômes”, November 2014): “Pour une histoire du cinéma au negatif”, URL: http://www.fabula.org/revue/document8964.php

“They forgot the main thing
Oh really
Yes, all the films you didn’t make
You say nothing
It’s a long list, Sir.”
Jean-Luc Godard, JLG/JLG, phrases, POL, 1996, p.56.

34There is a blind spot in the imaginary museum as Malraux conceived it in his series of essays on art.  Les Voix du silence, as will be recalled, opens with the determining idea that the museum has existed, as an institution open to everyone, “for less than two centuries”52 and is distinguished by having released works from their original geographical and cultural context.  On the other hand, nothing is said about that which escapes such possession.  The metamorphosis which Malraux places at the centre of his thinking on art is an annexation without limits, profoundly universal: by right, every work, whatever its position, size or nature, is destined to take its place among the unlimited collections of this virtual enframing53 - every work, that is, on condition that it nevertheless exists.  What such a theory hides is the regime of absence on which the museum, real or imaginary, is based.  Malraux’s humanism consisted in making art a victory of human beings over death, the sign of our capacity to “escape from time through form”54; the other side of the coin is the double regime of a work’s existence, material and ideal,55 which opens up the possibility of what I shall call its non-happening.

35Greek statuary is mainly accessible to us only through copies made in marble by the Romans, as the bronzes were all melted down to make weapons or tools.  What is it that we admire in the rooms of the Louvre, the British Museum or the glyptotheque?  An ideal of beauty, the virtuosity of Roman craftsmen whose activity of duplication doubtless contributed to accentuating the ‘classical’ style of models that are now lost?  It is thought that among the works created in the Middle Ages, only an extremely small proportion has been preserved and is now accessible to us.  Are the surviving pieces the quintessence of a production on which the centuries have carried out a more severe selection than for other epochs, or should we consider that, given its involuntary, arbitrary character, the process of erosion inevitably deprives undamaged works of the exemplary nature we would like to accord them?  Particularly in architecture, the technique known as ‘reuse’ involves salvaging materials or pieces from earlier monuments (for practical, aesthetic or ideological reasons) in order to construct a new ensemble; indeed the use of spolia is only one example among others of a much more massive propensity to destruction or recycling which was long considered perfectly compatible with the erection and maintenance of monuments, but which our modern conception of heritage as the object of a fervent memorial cult has now made intolerable56: how are we to know which layer of time a recycled work (or even its fragments) really belongs to?  Does the destroyed or transformed monument exist in the same way as one whose composition remains unchanged (to the extent that an autographical work, i.e. one which takes form in a physical object, can be maintained without corrective modification)?57  Although it seems that the museum’s purpose is to assemble all the creations which have been gradually discovered, we must remember that a very large proportion of existing works are hidden in private collections, within the walls of foundations, or in the strong-rooms of free ports around the world58: ought we to consider that these pieces, intact but invisible for speculative purposes, may one day be bought by public museums and already belong to their ‘imaginary’ space?

36These are questions which art historians only rarely formulate, as if our relation to art involved omitting the share of forgetting, destruction and invisibility on which it is founded – in other words, non-happening.  Yet it would be in our interest to question the conditions of existence of what is missing, but is no less the object of a form of appreciation.  But how are we to apprehend what we lack?  In Présence des oeuvres perdues, Judith Schlanger notes that the mythology of forgetting and dereliction knows only of wrongs put right, where we are only aware of individual cases of absence restored: “For us, losing things is a phenomenon nourished by numerous cases.”59  Many disappearances are incomplete, and every opportunity to make up the loss becomes the object of an exemplary micro-narrative – but loss, and absence as such, remain overwhelmingly inaccessible to us.

37Here I should like to reflect on our apprehension of multiple forms of non-happening, understood as absence through incompletion (deliberate or not), mutilation and disappearance.  It will be objected that these three processes are not quite equivalent: although they are totally or partly inaccessible, works which have been mutilated or have disappeared have indeed existed as such; they reached a point of completion corresponding to their author’s intention (at least that is what is conventionally supposed).  There is an essential difference here with the unfinished work, without mentioning the simple project presented deliberately by its author in a programmatic form, as in the case of Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres?(Hachette, 1986; 3rd edition, Editions du Seuil, 2010) by Marcel Benabou, or Edouard Levé’s Œuvres (POL, 2002).  I am happy to accept this point: if I nonetheless envisage the first two modalities (mutilation and disappearance) and that of incompletion (which is what will particularly concern me here) from the same angle of non-happening, it is because these three cases confront us with what Judith Schlanger calls the ‘feeling of loss’60, without which what is absent would remain definitively inaccessible to us, and because failure to distinguish them would mean missing both what is involved in passing from one to the other, and the possible forms of circulation between them.

38For the purposes of this study I shall not focus on the most obvious arts, those whose autographical nature (or, more broadly, their material consistency) exposes them directly to the risks of destruction, erosion and theft among others, such as sculpture and painting in particular.61  On the contrary it is the seventh art, even though it is defined historically by its capacity for mechanical reproduction – the extreme multiplicity of its material supports – which will interest me here.  Admittedly in the earliest days films were even more exposed than a retable because of the fragility of the film (I shall return to this point), but that is not what justifies us in considering that among the arts it is the seventh where the question of non-happening arises in a crucial way.  Many specialists of the big screen have observed that we lack a history of invisible cinema: a history of films which were desired but which never got beyond the project stage; films which were begun but interrupted during production; films which were finished but presented to the public in an incomplete or censored form; films which were distributed for a time but later destroyed, or disappeared without anyone showing concern for their absence...62  The point is that a history-in-negative is only really of interest, not if it takes the form of a simple history of absent works, but if it is capable of integrating a reflection on the modalities of absence in art – and in one particular art or another.  But for reasons which remain to be established, in the case of cinema the question is usually only envisaged in the form of lists: lists of blacklisted authors, lists of unfinished masterworks, lists of dates which are the only remaining traces of vanished films, etc.  Here there is a limit of a sort which could invalidate the theoretical interest of such a project.  The obstacle can only be overcome on condition that we take account of the function accorded to screenplay writing in this industry, and consequently the very particular status of this type of text.  

39I should like to defend the idea, not only that in cinema non-happening reaches the most dizzying proportions – such that we are obliged to see, not the simple result of contingent circumstances, but a structural phenomenon which constitutes the very identity of the art – but further that it is precisely at the initial screenplay stage that the fate of most films is decided, and hence whether or not they are completed.  It remains that viewing cinema in this way, from the angle of non-happening, because of the re-evaluation of the screenplay such an approach supposes, represents a historiographical challenge which collides directly with our habit of assimilating the ontological status of a cinematographic work with its visual medium.

Histories of loss: the authorial filter

40One first objection is unavoidable.  Histories of invisible cinema?  Bookshop and library shelves are full of them, and it would seem nothing is more common than summoning up masterworks – and they are legion – which were never finished or have disappeared.  It could even be called a sub-genre of cinema history, a sub-genre one of whose latest variations, The Greatest Movies You’ll Never See by Simon Braund (London, Quintessence Editions Ltd, 2013)63 aroused considerable interest in this subject – thought to be innovative, but which is in fact a chestnut of specialist magazines.  In the English-speaking world the exercise is practised above all in the form of ‘greatest’ lists.  Charles Salomon, in The Disney That Never Was, Chris Gore in The 50 Greatest Movies Never Made, and David Hughes in The Greatest Sci-Fi Movies Never Made, then in Tales From Development Hell,64 among others with more or less talent, and focusing on a more or less restricted domain, repeat a model already well-established by Harry Waldman in his 1991 Scenes Unseen: Unreleased and Uncompleted Films from the World’s Master Filmmakers.  Note that in this last essay, which still has no equal today, an interesting typology of the multiple causes of failure (producer’s veto, directors’ megalomania, stars’ whims, state censorship, the outbreak of war, etc) is only just outlined and quickly turns out to be less than functional, giving way to a league table of titles and directors’ names.65

41What is the problem posed by these lists, sometimes highly documented, of unfinished or destroyed masterworks?  Mainly it is that of a filter we could call ‘authorial’, which is proposed with all the appearance of unquestioned self-evidence, whilst its hermeneutical cost turns out to be excessively high.  Failed films only seem to be worthy of interest as missing pieces of a known oeuvre, the doomed part of a director’s struggle to impose his style against the diktats of producers, budgetary constraints, actors’ whims, government pressure, cuts made by distributors, or even public incomprehension.  Such a perspective has favoured the emergence of an inverse Pantheon, made up of geniuses whose vanished or mutilated masterworks are abundantly commented on.  So much so, that unmade or lost films appear as the by-product of the complete works which form the canon, made inevitable by the financial, moral and political constraints which ordinarily accompany cinematographic production.  In other words they interest us because of the place they ought to have had within a corpus which they sometimes complete and challenge, but only on the margins.  It is only this projected – illusory? – desire for non-happened masterworks which leads us occasionally to transgress the boundaries between the confirmed and the possible, between the list of works “by the same author” and the list of ruins.  Here we have what could be called an effect of exception, which is usually accentuated by recourse to the ghostly metaphor of “phantom works”, aimed at transforming a project imagined by a director, more or less precisely planned but lost in limbo, into a “phantom film” and in that way to give the failure a halo of malediction.66

42Yet what this authorial filter inevitably masks is the really structural character of the phenomenon of non-happening in cinema.  In fact it is characteristic of the seventh art that the number of works planned but interrupted at some stage in production is far greater than the number of works which are finished and distributed to the public.  The ratio only depends marginally (and, it must be said, arbitrarily) on the quality of the projects in question.  If the ‘authorial’ perspective has to be called into question, it is simply because it blurs the true functioning of the cinema industry: in The Big Picture, Edward Jay Epstein reports that in 2003, according to an estimate by Paramount, nine out of ten projects developed by the studio failed to get the green light and were either abandoned or sold to another studio – what is known as a ‘turnaround deal’ in Hollywood jargon.67  As with all calculations (and there are many) of the share made up by abandoned films, this one is hard to verify.  It only indicates an order of size (and there is no certainty that a long study would suffice to give us a more precise idea, as the reasons why a film project remains incomplete are so numerous), but is nonetheless significant.  We should specify the nature of the obstacle here, since what follows depends very largely upon it.  I recalled that for Judith Schlanger we are only dealing with “histories of loss and examples of what is lost.”68  The whole difficulty comes from the fact that the impossibility of quantifying is of an epistemological order; when it is a matter of absence, given total annihilation with no remaining traces, the thing is doomed to remain silent for ever.  This is what explains that we only have “a factual, anecdotal experience”69 of absence, and in the particular case of cinema we only feel a lack as such with regard to a filmography thought to be more or less complete – an impression which the privilege generally accorded to the director, particularly in France, only accentuates.

43Do we then have to conclude that the exploration of invisible films can only be limited to occasional research – which is somewhat frustrating, given that it cannot be envisaged as exhaustive?

44A more satisfying approach consists in short-circuiting the authorial prejudice and adopting a poetic line, which implies going beyond the causes identified by Harry Waldman in Scenes Unseen: the producer’s veto, directors’ excesses, the outbreak of war, censorship, etc.  Apart from the fact that all these causes are circumstantial on each occasion, and often combine with one another, none of them is sufficient to account for a failure with enough precision.  On this subject the genetic perspective can only be applied case by case, but in a deeper way, so as to go beyond the anecdotes which usually pepper the history of these unfortunate films’ production.  So it is more interesting to think about the stages at which a film project can be interrupted – in other words, to ask at what moment and under what conditions a film is missing.  Rather than asking what a failure is, or what its causes are, we should substitute a question inspired by Goodman: “When is there a failure?”

Vanished films, unfinished films and undistributed films

45My hypothesis is that among the different stages we can identify there is a decisive turning-point at the moment when filmmakers pass from the screenplay (whether it is still being written or considered perfectly finished by its writers) to production.  In the vast ensemble of non-happened films, there is a point where things shift, one I consider essential, and it comes at the moment when a screenplay begins to be recorded in audiovisual form: from a theoretical point of view, the real difficulties only exist before this stage.

46No doubt such an affirmation will appear debatable, as interest has mainly centred on cases of films whose production had already been started but which remain, for one reason or another, inaccessible to us.  To put it another way, at this stage – from the moment the production of a project gets underway – three main categories can be distinguished: vanished films, unfinished films and undistributed films.  Two other categories can be added to these: mutilated films and notebooks or reflective essays, whose characteristic is to be perfectly visible, but in a form which is quite different from what the director wants.  

47Let us begin with the case of vanished films.  Although it is the only art whose history is perfectly limited in time and can be grasped as a whole, cinema only became aware of its historicity quite late, and only undertook to limit the effects of time even later.  The paradox is complete: this medium, whose nature is to be infinitely reproducible, has been exposed to all the insults suffered by arts represented by a single material example (such as painting); indeed the proportion of losses is almost as great as for more traditional arts, made vulnerable by age and the absence of conservation policies.  The figures put forward are admittedly uncertain, all the more so because reappearances are always possible;70 but they strike the imagination nonetheless.  There have long been calls for the creation of cinematheques, but they have proved powerless to prevent the massive disappearances which have nowadays become a subject of research in themselves.71  Even if, in the case of films which have vanished (by destruction, loss, negligence, etc), the works really did exist as such, their invisibility is a massive fact which justifies the interest now shown in this category; its extent is constitutive of the very history of cinema.  Thus Frank Thompson estimates that out of the 21,000 short and feature films produced before 1950, more than half have disappeared for ever, and that for the silent period the ratio of films lost is between 80% and 90%.72  For his part, Harry Waldman has no hesitation in proposing the figure of 80% of films lost in the west before the First World War.  A study by David Pierce for the National Film Preservation Board, carried out in December 2013, established that out of some 11,000 silent films produced during the silent cinema period, only 14% survive in their original format.73  Fragile materials, systematic recycling of worn-out film, incompetence: the causes of these disappearances are varied.  Maurice Bessy gave the clearest idea of them in a study, “Mort du film”, in nine issues of Cinémonde in 1933, where the critic wrote that the cinema “has only mortals in search of a beauty contest as its muses,” “Like their sparkle, its life is ephemeral.”74

48The most famous, richly-documented cases, however, are in the category of unfinished films, as the existence of images (whether simple on-set photos, rushes or even a version completed a posteriori by former colleagues or people who specialise in that director) confirms the agreement between the film’s partners at a given moment in its production, and makes its incompletion an accident.  I shall return to this point; it is essential, as it allows us to distinguish the case of unproduced screenplays (whose abandonment is considered insufficient to speak of uncompleted films) from the case of interrupted filming (such interruption being the cause of absence favoured by studies devoted to invisible cinema).  American cinema proves to be particularly rich in the quantity of ‘waste’ allowed by the production methods of Hollywood studios: from Queen Kelly (1928-29) by Erich von Stroheim to The Man Who Killed Don Quixote (2000) by Terry Gilliam, as well as I, Claudius (1937) by Joseph von Sternberg75 and Something’s Got To Give (1962) by George Cukor, the list of famous cases is very long.76  Don Quixote could be considered an emblematic figure for the directors grouped in this second category of absence from the cinema: the man who tilted at windmills in turn became a mirage pursued by Orson Welles (who worked on adapting the novel from 1955 to 1969 and even beyond, continuing with the edit) and Terry Gilliam, who (after an initial failure made into a wonderful documentary, Lost in La Mancha, by Keith Fulton and Louis Pepe) has tried several times since to bring his project to completion, showing himself a worthy admirer of Cervantes’s hero.  In the French domain, among the films which never made it to the screen, a leading place should be awarded to Marcel Carné, principally for La Fleur de l’âge (which he attempted to make with Prévert, between Jenny and Drôle de drame, with the title L’île des enfants perdus, but it was censored, before reappearing ten years later, with no greater success77) as well as for his last project, Mouche (1991-92), based on a Maupassant story; or to Henri-Georges Clouzot whose magnificent Enfer with Romy Schneider exists today in two forms, as a documentary and a published book.78

49Rarer but perhaps all the more fascinating are the undistributed films, which in a way could be said to have been “held back”, either on the express wish of the director (as in the case of Jerry Lewis’s legendary The Day the Clown Cried, 1972) or more commonly as a result of pressure from studios who prefer to sacrifice one of their productions for economic or legal reasons79 (the case of White Dog by Samuel Fuller is particularly interesting: in order to put a stop to rumours accusing the film of being racist, Paramount Pictures chose to release this picture, based on a novel by Romain Gary, only in France and the UK in 1982, as well as on cable TV; only with the release of the DVD by Criterion Collection in 2008 would the film become accessible in the USA80), or pressure from distributors who can also deliberately restrict films they control to festivals, and prevent distribution to the general public.81

50That leaves the two complementary forms of mutilated films and notebooks or reflective essays, which I shall deal with rapidly.  In the first case modifications made to the identity of a work are done against the will of their author(s) or sometimes their owners, thus opening up the possibility of a later director’s cut version in line with the original – presumed – intention of the director (as was the case in 2001 of Apocalypse Now Redux, a version 50 minutes longer than the 1979 film, or the version of Heaven’s Gate released in 2012), and which then exists alongside the version seen by the public when the film was released.  In the second case, the impossibility of making the desired film is nonetheless compensated by the existence of ‘working notes’ or fragmentary versions, some of which occasionally become the sole existing version of the planned work.  If mutilated films have such prestige in our eyes, it is because they show us in a startling form all the kinds of censorship which public authorities, distributors and pressure groups can impose on films.  But despite our attachment to the figure of the director as an author, it is a little artificial to isolate the pressures put on Erich von Stroheim, Orson Welles or Michael Cimino by the studios which produced or distributed their films, as if they were so many causes external to the process of production, given that the ‘artistic’ elaboration of a film is so indissociable from the financial and technical conditions which make it materially possible.  As for secondary essays, they have the peculiarity that the director chose to substitute a working version for the planned production, as in the case of Notebooks for an African Oresteia (1969), an example of Pasolini’s practice of appunti.82

Development Hell

51We now need to go back, before the three categories which have been perfectly identified and which, from a theoretical point of view, pose no real difficulties.  If projects are undertaken and then interrupted before arriving at one of those three stages – i.e. when they exist in a form preceding the recording of images taken from the screenplay, whether they are simple rushes or edited sequences – what is the reason why they encounter objections?  This question is all the more important in that, from a strictly quantitative point of view, the majority of cinematographic projects only exist – and will only ever exist – in written form, from a synopsis of a few pages to complete continuity with dialogue, and will never give rise to pre-production or the start of filming.  Hence Chris Gore affirms that 42,000 screenplays written ‘on spec’ are registered every year by the Writers Guild of America; that of those, some 3,000 are bought and developed, or kept in the Hollywood industry system; but that fewer than 50 are actually produced.83  There is no need for me to stress the breadth of the phenomenon, which is a constituent of the very functioning of the cinema industry, where the role of the screenplay is, precisely, to evaluate not only the dramaturgical and aesthetic interest of a project, but also its viability from a technical and commercial point of view.  English speakers call the process of film development in Hollywood studios – often extremely long –  Development Hell; it concerns not only the constant rewriting of the screenplay, but also the makeup of the team tasked with ensuring production, which is itself always subject to multiple variations.  We know, for example, that in the case of a blockbuster like The Aviator the job of director was entrusted to a dozen big names, among them Brian de Palma, William Friedkin and Michael Mann, before being given to Martin Scorsese, and that this is an habitual process, all the more accentuated when the film is part of a franchise like James Bond,84 Indiana Jones85 or Watchmen.86

52It will be objected that reference is often made to these ‘unproduced’ screenplays in the numerous articles and essays on invisible film I mentioned earlier, and that no one troubles to distinguish them from films where production started and was then interrupted or disturbed to the point of modifying the work’s identity, as I propose to do.  For cinema historians these projects which are left at the screenplay stage are only worthy of mention if a prestigious name is attached, so that they are mixed in with other unfinished projects in a sort of unknown-masterworks cemetery.  There is however a fundamental reason why we should distinguish between unproduced screenplays and projects where there are either rushes or a complete but mutilated or undistributed film.  This is that in the cinema the operal87 identity of a project remains problematical until it has taken audiovisual form, even if it is incomplete.88  An apparently anodyne remark by Alain Weber in Ces films que nous ne verrons jamais proves the point:

In the great signposted cemetery of stillborn masterworks, we can only lament the cartloads of manuscripts for films which were interrupted at the writing stage, or even at a point where preparation for filming was sometimes well advanced, not to say ‘ready for filming’, and which will nonetheless never see the light of day as films which can be projected.  None of them are capable of acquiring the tantalising label ‘disappeared’, given that they will never exist in the definitive form of reels of printed film.89

53In fact, as we have just seen, in the course of development the intended actors and directors on a project can vary considerably: it was Montgomery Clift, not Marlon Brando, who was supposed to play Major Penderton in Reflection in a Golden Eye (1966); George Raft, not Humphrey Bogart, was to be Sam Spade in The Maltese Falcon (1941); but such modifications are not enough to make those alternative versions the equivalent of unmade films.  Which is as much as to say that a film’s consistency support90 is the edited moving images with sound, taken from the screenplay, and that one can only truly speak of incompletion from the moment when there is an actual recording, even fragmentary, of what was planned in written form.

54Yet Alain Weber puts forward no theoretical argument to justify including unproduced screenplays in this way.  Although she does not deal directly with cinema, Judith Schlanger is the only one to give an account of this point, noting that whilst incompletion is one of the forms of non-happening which arouses a very strong “feeling of loss”91 in us, it is only really absence in the strict sense in the case of works which have existed and been distributed.  There are three main modalities of absence distinguished in Présence des oeuvres perdues: destruction, falsification and indifference.  As for incompletion, Judith Schlanger deliberately puts it aside, recognising that it is a massive source of absence, but that it is situated in the order of the irreparable or the ineffable.  Although the traces of some long-planned projects which never came to fruition survive in our memory of works, where they produce “echoes of the unreal” and endow the virtual with a certain “imaginary consistency”, Judith Schlanger nonetheless sets a boundary which she refuses to cross:

If we had the means to appreciate and explore the non-coming-to-being which affects the virtual – I mean the probable virtual, the nearby virtual – it would perhaps become possible to find our way in the prenatal aspect of loss.  And to consider what was on the brink of existing but was prevented from existing; the direction which will never be taken because a bifurcation made it impossible; the possible which was going to come into being but will remain amputated and truncated; the conception, the theory, the option, abandoned just before it took form; the work which will never be born.  Here I can only suggest the aspect of nearly-works, of works which are nearly-there, without entering into the phantom world of aborted projects and the limbo of what will have been unable to be born.92

55Between the vanished work and the work which remains in the limbo of the virtual there is an essential ontological distinction: loss occurs in a radically different way in the two cases.  On one side we have the work which has been, but exists no more (whether it has materially disappeared, lost its identity, or escaped our attention); on the other, the work which could have been but was not achieved.  For Judith Schlanger it is out of the question to pass from one to the other.

56And yet this is the leap which it seems to me necessary to accomplish in the case of cinema.  I admit there is a risk in entering the universe of what has remained virtual, but to refuse to confront it would mean denying that certain unfinished works are more precious to us than many existing works.  My divergence on this point with Judith Schlanger’s pioneering work is due to the fact that I take account of the overwhelming effect of the works’ genetics in our relation with the different modalities of absence in art: the “echoes of the unreal” the philosopher refers to, or what Daniel Ferrer for his part calls “marvellous ersatz”93 nowadays awaken in us a formidable desire to partly make up for their lack of being so as to ‘complete’ their incompletion.

57The singularity of cinema, then, is that unproduced screenplays can be accorded a status – partial, it is true, as they are marked by incompletion – which is nonetheless more solid and systematic than in cases of incompleteness in the other arts.  This is because the practice of continually recycling projects, which leads studios to buy up the rights for abandoned projects, endlessly negotiate the establishment of a contract, or multiply deafening publicity around the directors or actors chosen for a film, plays a determining role in the seventh art.  This uninterrupted, extravagant production of screenplays (astonishing for neophytes who only see an enormous waste of money) has the effect of making the category of ‘unproduced screenplay’ perfectly inoperative from a theoretical point of view.  In law no screenplay is ever definitively abandoned, and every uncompleted project remains on hold and therefore capable of being re-launched (even though with more and more uncertainty as time passes): Total Recall and The Black Dahlia are famous for having wandered for so long in studio limbo; Crusade, Isobar and Harrow Alley, on the other hand, have yet to reach the big screen and for the time being still only exist as ill-starred screenplays.  For the public who know nothing about it, an unproduced screenplay thus has no form of existence; but for cinema professionals it can be constantly re-evaluated, if not completely transformed.  As evidence we have the fact that Franklin Leonard created The Black List in 2005, a vast compilation of abandoned screenplays presented, not as a catalogue, but as a selection aimed at ranking the best screenplays – in other words, attracting the attention of potential producers.94  This is the true cost of the authorial filter: only putting the accent on a few titles which are supposed to derive their value from the personality who wrote them amounts to redoubling the invisibility suffered by projects which have yet to get the green light – in other words, hiding even more completely the enormous production of screenplays which nourishes the system, and which concerns spontaneously-written texts as much as those of seasoned screenplay-writers; firstly because written texts remain confined to a professional circuit of readers for artistic, legal and financial reasons (a screenplay is a work whose rights can be bought and sold); secondly because even on the rare occasions when they become accessible (usually because the author publishes, or they become part of a director’s archive), these unused screenplays are only envisaged by default, only for their documentary interest, and not for their own value.

The screenplay: productivity by operal deficit

58In the cinema, we are not reduced to singular cases of loss or absence: the production of what is forgotten is not a phenomenon of which we only know what Judith Schlanger calls ‘righted wrongs’, but the result of an institutionalised constraint, imposed for reasons of both a practical and a theoretical order.  To my mind it is the theoretical part of such a phenomenon which is the more important, as it touches on our need to preserve the cinematographic work’s consistency support, assimilating it exclusively to its audiovisual support.  Here we are touching on what is most singular about the cinema with regard to the modes of existence of works.  Our commonly-shared conception of a work supposes an ideal creation as a totality enclosed within itself, and thus blind to screenplay texts which are by nature ephemeral (screenplays are documents which are not destined for publication, unless in a professional or academic context), unstable (their functional aim involves their being constantly modified according to the needs of production and editing) and totally subordinate (to the animated image whose production they structure).

59To grasp the singularity of such texts, it will help if we opt for an analytical framework which takes these characteristics into account: this is what nowadays allows for the genetic theory, which has the double advantage of being global, i.e. envisaging a work in its totality, from the first formulation of an idea to the ensemble of its existing versions, but also of combining diachrony (through attention to the process of creation as witnessed by each of its stages) and synchrony (by the accent placed on phenomena of co-presence, as much through corrections of detail at each stage of the process as by relating different variations of a single work with each other).  It could be objected that such a method is based on examining writers’ manuscripts; nowadays, however, it extends to the study of theatrical works, scientific writings and philosophical treatises, as well as to architectural projects and pieces of music, and in cinema it finds a particularly fertile field of application.95  Here the genetic perspective changes the situation radically, for the simple reason that among all the different forms of art cinema demands such a degree of coordination between the different colleagues involved; in other words it requires so much negotiation on the viability of a project at every moment of its development, then throughout production (when multiple difficulties, in particular excessive budget overspend, can lead to its reorganisation or even cancellation), that its genesis represents a sort of blue-sky building-site where the interests of the planned work and the direction it needs to be given are being continuously decided.  This institutionalised deployment of the process of genesis (of which the Hollywood studios in the golden age provide a complete example) represents a decisive factor, as we can see: the ensemble working together, under the leadership of the producer and director, follows the stages of production, at each one of which it is possible to interrupt the process or modify its nature – bearing in mind that the cost of such choices is proportional to how far the work has advanced.  It is during the development phase (in other words, when the screenplay is being written) that the aesthetic and financial evaluation of the project takes place; and at this stage the project is envisaged for that purpose both in its complete form, in terms of the story envisaged, but also incomplete, in terms of the work to be produced.

60In his analysis of the two successive ‘phases’ which govern the ‘story of production’ in certain arts, Gérard Genette underlines the strangeness of these ‘ideal objects’ which serve as instruments with a view to the intended work, and which he describes as preliminary (or instrumental) objects, hence “not ultimate, but yet definitive”, and capable in their turn of producing “the ultimate object of immanence”.96  Unlike a single plate which will serve to produce a series of proofs all of which are considered authentic, the screenplay does not fix an intangible model which guarantees the next phase: in their essay on “Cinematographic geneses”, Jean-Loup Bourget and Daniel Ferrer, for their part, insist on the non-constraining character of the screenplay, used “as an outline is used by the architect for the elaboration of his plan, or as a composer uses a sketch in writing the final score”, and conclude that it is not a “mode of immanence of the work” but “a stage in its genesis”.97  But it seems to me that such an observation leads to an underestimation of the fact that, at this stage, the screenplay constitutes the complete structure of the planned work: even if the activity of creation will continue afterwards during filming, then editing, it offers a sufficient though non-constraining model of the intended result, enabling the principal players to commit to the project’s validity.98  For this reason, even though a completed film never ‘consists’, in the strict sense, of its screenplay, the screenplay nevertheless enjoys a particular operal potentiality which is superior to (for example) what a rough draft is in regard to a completed work of literature.  It is this quite relative autonomy which is usually obscured by its absorption in the flow of animated images with sound which is its result.  Hence the contribution of genetics, which by right applies to every work whatever its degree of completion (as the process of creation is preferred to the final result), incompleteness no longer being considered failure, pure and simple, with regard to a model of a work as quite autonomous, but being able to be integrated in its turn in a broader process.

61I am not unaware of what could be disputed in such a perspective.  One of the more complex theoretical questions touches on the degrees of aesthetic evaluation borne (more or less explicitly) by our different conceptions of the work of art, however objective we may wish them to be.  To put it simply, for many people a work’s incompleteness can only be envisaged in aesthetic terms as a form of sanction, i.e. as a failure which ipso facto destines the project’s surviving elements to a strictly documentary interest, excluding them from the domain of works of art in their own right.  There is a petition of principle here, which leads us to see in genetics only a form of modernised philology, and to refuse to allow an author’s rough drafts or uncompleted projects to be confused with the list of complete works.  Such a conception seems to me particularly inappropriate in the case of cinema, where the reasons why a screenplay is abandoned are so numerous, and sometimes so foreign to its dramatic or aesthetic qualities, that it seems to me more judicious in this case not to speak of failures, nor even of fragmentary works or amputated works, but rather of interrupted works.  Unlike cases of incompletion in literature which have become famous (such as Lucien Leuwen, Le Démon de l’absolu and Le Lieutenant-colonel de Maumort for example), interruption of the screenplay’s development at one moment or another is constitutive of the mode of production which is valid for cinema, and should therefore lead us to see in these abandoned textual productions what Gérard Genette calls “partial manifestations” for which “the object of immanence contains, contained, or should have contained other aspects than those which are offered hic et nunc to our perception.”99

62It is in this respect that an unproduced screenplay seems to me to enjoy a form of immanence which is admittedly partial, but nonetheless superior to that acknowledged by Jean-Loup Bourget and Daniel Ferrer.  It is precisely genetics which is capable of giving their due to such interruptions, and envisaging cinematographic production in all its randomness and fatal fragmentation for the majority of projects written in the hope of attracting the attention of a producer or director.  For this reason, the authority the screenplay loses when it is envisaged as a text according to the criteria of traditional poetics is regained once it is re-established in such a genetic perspective; what was a failing before is converted into an asset: the instability of the screenplay text, its collaborative nature (which conflicts with our myth of the ‘author’) and the ephemeral character of its existence are the counterpoint of its ability to vary, sometimes in multiple versions, without there necessarily being any prospect of production.

63So in a way what we have to do is to integrate the possibility of non-happening, structurally programmed, into the vast domain of screenplay writing.  Up to now, specialists in invisible cinema have restricted themselves to a relatively conventional list of famous renunciations – Dreyer’s Jesus of Nazareth, Buñuel’s The Monk, John Huston’s Amparo, Bresson’s La Genèse, the two versions of A la recherche du temps perdu by Losey and Visconti, Coppola’s The Fifth Coin, etc.  There is only one rather more systematic study, the Anthologie du cinéma invisible,100 but as we know it is limited to the literary field, since Christian Janicot relied on the fame of the authors, and consequently the existence of archives to gather some hundred screenplays which writers had kept in their desk drawers.101  And yet that represents a mere fragment of the domain which remains to be explored.  Invisible cinema, particularly when it remains at its first written stage, is not a complement to the official history of the seventh art, it is its omnipresent background, too often neglected, and it is now the vast domain of screenplay writing which needs attention if we are to identify effects of non-happening, in particular where adaptations are concerned, as competing versions constitute networks of texts which are sometimes very rich.102  Where people are generally content to consider relations between literature and cinema through a reductive textualist filter, it becomes possible to liberate an overlapping space located at the intersection of these two domains of artistic activity, which has been abandoned because it is subject to powerful modalities of absence.  Although they are indissociably literary and cinematographic, adaptation screenplays are not fully accepted, either as works to be read or as the equivalent of the planned film, in a case where the film was not made for reasons we discussed earlier.  Now, however, we need to take account of the industrialised character of this domain of activity, and then explore the point of intersection between literature and cinema as a space of co-extensiveness, made institutionally invisible but now explorable in its own right thanks to genetics.

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65It will be clear that this article is meant to be a sort of plea.  A plea for a history of cinema which is not limited only to distributed films, and where uncompleted films are not studied as lost masterworks under cover of the notion of heritage, but on the contrary envisaged in the context of an institutionalised process where non-happening proves to be highly predictable, but where the first phase of production can achieve such a form of completion that the screenplay, without being the equivalent of the film, nevertheless has value in its own sphere as a quasi-work.  More broadly it is a plea in favour of a history thought of as one of the principal objects of poetic theory, whose renewal nowadays is taking place via a reflection on the multiple paths of non-happening: cinema occupies a particular place here because of the ambiguous status of screenplay writing, and which derives from cinema’s institutionalised mode of production, where incompletion goes far beyond the causes of failure which are intrinsic to the production of the work, enabling unused texts to acquire an intermediate status.

66Translation: Dafydd Edward Hughes (edwardhugparis@gmail.com)