Fabula-LhT
ISSN 2100-0689

Bibliophilie de l'invisible
Fabula-LhT n° 13
La Bibliothèque des textes fantômes
Thomas Conrad

Comment parler des œuvres ratées qu’on a perdues : le cycle épique grec

« Les poèmes du Cycle épique sont conservés et intéressants pour la plupart des gens, non pour leur valeur mais pour la séquence d’événements qu’ils contiennent1. »
Proclus
« The poems of the Cycle cannot be appreciated as poetry because they are lost, but (…) they can be valued as a window into ancient myth about the Trojan War2. »
J. Burgess
« The main motive for continuing to study these poems must be [that] […] they did preserve, however inadequately and inelegantly, a good deal of interesting mythological information3. »
M. Davies

1Le titre de cet article, qui croise deux paradoxes de Pierre Bayard, rappelle que, s’il y a bien des « textes fantômes » dont l’absence nous fait souffrir comme un spectre qui hante notre conscience littéraire, il y en a d’autres qui méritent à peine ce nom de « fantômes » : les innombrables œuvres médiocres, dont nous vivons la perte avec indifférence – voire avec soulagement.

2C’est apparemment le cas de plusieurs épopées grecques dont nous connaissons l’existence mais qui ne nous ont pas été transmises (Aristote les mentionne brièvement dans la Poétique pour louer la supériorité d’Homère4). Comme l’Iliade et l’Odyssée, elles traitaient de la guerre de Troie : on considère généralement qu’elles complétaient les deux épopées homériques en formant un vaste « Cycle troyen » (ou « Cycle épique »5) en racontant l’ensemble de la guerre, de ses origines les plus reculées (le jugement de Pâris et l’enlèvement d’Hélène) jusqu’à ses conséquences les plus lointaines (le retour des vainqueurs en Grèce et la mort d’Ulysse). Il s’agirait de suites et de prequels à l’Iliade et à l’Odyssée, composées par des poètes ultérieurs pour combler les lacunes laissées par Homère :

3– Les Chants cypriens, de Stasinos de Chypre ;
–  L’Éthiopide, d’Arctinos de Milet ;
– La Petite Iliade (comprendre : Iliade mineure), de Leschès de Mytilène ;
– La Prise d’Ilion (ou le Sac de Troie, selon les traductions du titre grec Iliou Persis), d’Arctinos ;
– Les Retours (Nostoi), d’Agias de Trézène ;
– La Télégonie, d’Eugamnon de Cyrène.

4Les titres, comme les auteurs, sont sujets à caution. Il n’en reste que quelques fragments conservés par les scoliastes ; et, surtout, un résumé du Cycle par un grammairien du IIe siècle, Proclus.

5Le contenu mythologique a été « recyclé » dans les tragédies grecques ou les poèmes de Pindare. Si bien qu’en un sens, rien n’est vraiment perdu. Nous connaissons par exemple les mythes, non homériques, du talon d’Achille ou du sacrifice d’Iphigénie. Les épisodes les plus marquants semblent donc avoir trouvé leur chemin jusqu’à nous.

6Il est vrai qu’on ne peut pas savoir, par définition, à quel point ceux qui ne nous sont pas parvenus nous auraient étonnés… Cette inquiétude ne désole pas outre mesure les spécialistes, qui semblent fort bien s’en accommoder – ne serait-ce que parce que la bibliothèque des hellénistes est, de toute manière, majoritairement « fantomatique ».

The Alexandrians (like Aristotle before them) recognised that in many significant ways these poems were deeply unHomeric. Nevertheless the epics were to prove handy source-material to later writers of mythological hand-books because of their convenient (if uninspired) encapsulation of large chunks of myth6.

7Bref, comme on dit, ce n’est pas une grande perte. Ou plutôt : le discours critique contribue à rendre la perte acceptable, en la justifiant.

8Comment s’effectue cette « cicatrisation » de la perte ? On doit considérer qu’il y a paradoxalement une histoire de la « réception » de ces œuvres perdues. C’est ce que j’appellerai la « contre-réception » de ces textes : un discours critique qui « exorcise » le texte-fantôme, qui le renvoie à sa non-existence.

9De plus, pour quelqu’un qui, comme moi, n’est pas helléniste, mais s’intéresse aux suites, aux cycles et autres trilogies, la perte est vraiment regrettable… Quel pouvait bien être ce Cycle épique ? Cette interrogation est moins objective, elle relève du désir personnel : désir de fiction (savoir ce qu’il y a « après », comme un lecteur mis en haleine par un « à suivre » jamais écrit), désir de littérature (rêver des œuvres semblables à celles d’Homère, et pourtant différentes). Peut-on imaginer la valeur esthétique de ces œuvres ? Sans pouvoir combler le vide, on peut tenter de s’approcher le plus possible de son bord ; il s’agit en quelque sorte d’imaginer le texte qu’on aurait pu lire.


***

I. Une contre-réception

Style et mauvais goût

10Commençons, c’est paraît-il le plus sûr, par revenir au texte lui-même. À quoi ressemblent les fragments dont nous disposons ? Un « œil innocent » pourra-t-il y trouver une beauté poétique restée inaperçue jusqu’ici ? Avouons-le : il y a peu d’espoir. La moisson de fragments est maigre et peu évocatrice. Cités par les scoliastes d’Homère, d’Hésiode et des tragiques à l’appui de leurs propos, ils ne forment pas une anthologie de la poésie épique grecque, mais un ramassis hétéroclite de vers peu intéressants. On a le choix entre la platitude (« Wine, Menelaus, is the best thing the gods have made for mortal men for dispelling cares7 ») et l’énigme (« He is a fool who kills the father and spares the sons8 »), quand ce n’est pas le grotesque : « And as when a cucumber grows big in a well-watered spot9. »

11En ce qui concerne le style, ne lisant pas le grec, je dois évidemment me tourner vers les autorités en la matière. Malcolm Davies n’hésite pas à le juger médiocre :

The narrative style of the cyclic epics […] seems to have been vastly inferior to Homer’s, judging from the few fragments of direct citation long enough to enable us to pass this verdict10.

12Il prend l’exemple de la description d’Aphrodite dans les Chants cypriens, qui précédait peut-être le fameux jugement de Pâris en sa faveur :

Her body was dressed in garments that the Graces and Horai had made for her and steeped in all the spring flowers that the seasons bring forth, in crocus and hyacinth, and springing violet, and the rose’s fair, sweet, nectarine bloom, and the ambrosial buds of narcissus […] So Aphrodite was dressed in garments scented with blossoms of every kind11.

13« Platement ornementale12 », elle ne fait pas le poids par rapport au style d’Homère :

The list of flowers meanders confusingly and the repetition of the word for “flower” (anthos) three times in five lines does not display the archaic device of emphasis through duplication at its most elegant13.

14Il faut tout de même avoir une grande confiance à la fois dans l’universalité de nos normes esthétiques et dans la représentativité de ces fragments, pour oser condamner le style du Cycle par l’examen de deux ou trois citations ! Le fragment le plus long de tout le corpus ne fait que huit vers… Il s’agit bien d’une « contre-réception » où il s’agit avant tout de prouver qu’il n’y a rien à regretter.

15Le texte « en lui-même » n’est en fait plus vraiment un texte, et le va-et-vient herméneutique entre la partie et le tout, qui pourrait guider l’interprétation, disparaît. Comment apprécier les intentions stylistiques d’une répétition, ou de l’ordre d’une description, lorsqu’on n’est pas en mesure d’en déterminer la portée dans la totalité de l’œuvre ? Les fragments sont donc d’une aide médiocre pour notre quête du texte perdu.

16Si l’on veut se faire une idée de ces textes fantômes, on doit admettre qu’on ne peut juger leur style, et nous tourner vers le résumé de Proclus. Paradoxalement, le résumé préserve en effet mieux le texte, pour nous, que les citations qui en sont pourtant d’authentiques fragments. On déplace alors le regard vers la composition du récit. Le jugement des critiques sur ce point n’est pas moins abrupt. Davies condamne le mauvais goût des Chants cypriens, en y remarquant des épisodes particulièrement non-homériques. Hélénos et Cassandre prophétisent tour à tour au début de l’épopée : « the raving prophetess is particularly alien to Homer’s skilfully selective poetic world14 ». Il y est aussi question de l’immortalité alternée de Castor et Pollux : c’est un « widely spread folk-tale motif which the Iliad rejects15 ». Pour Martin L. West, c’est la Télégonie qui pose problème, en inventant de toutes pièces des enfants d’Ulysse :

[It is] an ill-assorted bundle of legends about the end of Odysseus’ life, in which the number of his sons was raised from one to four or possibly five, born of three different mothers16.

17Le résumé de la Télégonie a certes de quoi surprendre les lecteurs de l’Odyssée (voir le résumé en annexe). Davies généralise le reproche de Westen rapprochant ces « nouveaux » enfants d’Ulysse (Télégonos, Polypœtès) des « nouveaux » enfants d’Hélène dans les Chants cypriens (Plisthène, fils de Ménélas, qu’elle emmène à Troie, et Aganus, fils de Pâris) :

Such proliferation of offspring characterises later epic as opposed to the severer world of Homer. In his poems Helen’s beauty and aura of mystery cannot be diminished by the presence of a whole brood of offspring ; the illegitimate liaison of Helen and Paris must be distinguished from a real marriage by its literal sterility ; and the sheerly practical question of what to do with Helen’s children by Paris after Troy has fallen can be totally sidestepped17.

18La contre-réception fonctionne ici à plein. Sans aborder encore la question de la date des différents poèmes (le Cycle relève-t-il vraiment de la « later epic » ?), on doit s’interroger sur ce type d’interprétation. Si la stérilité d’Hélène est significative chez Homère, pourquoi sa fertilité ne le serait-elle pas chez Stasinos ? Peut-être entendait-il aggraver le problème posé par l’enlèvement d’Hélène, en lui donnant deux familles de chaque côté, chacune avec un héritier mâle ? Peut-être voulait-il créer un contraste, à la cour de Troie, entre les deux demi-frères Aganus et Plisthène ? Peut-être faisait-il référence à des mythes, aujourd’hui inconnus, où Aganus et Plisthène jouaient un rôle en tant que fondateurs de villes ou de dynasties18 ? Quant aux enfants d’Ulysse, leur présence dans la Télégonie marque le passage du temps depuis l’époque de l’Odyssée (un peu comme Raoul, le fils d’Athos, dans Le Vicomte de Bragelonne), et relève donc de considérations très différentes. Il n’est donc même pas sûr que l’on puisse rapprocher les deux poèmes sous ce rapport.

19Séveryns aussi s’offusquait des développements familiaux inattendus de la Télégonie :

Cet Ulysse qui s’en va, sans raison au pays des Thesprotes, où il épouse une reine, alors que Pénélope vieillit dans Ithaque, cette Pénélope elle-même, qui finit par épouser le fils de son mari, ce Télémaque, qui épouse la maîtresse de son père ! Que d’invraisemblances ! que de mauvais goût19 !

Barbarie et violence

20Inférieures également, les croyances exprimées dans l’intrigue du Cycle :

[in the Cycle] there are survivals of barbaric customs – for example, of human sacrifice, and the belief in phantasms of the dead, even when the dead have been properly burned and buried – which do not appear in the Iliad and the Odyssey20.

21Par contraste, Homère « vigorously excludes elements of the fantastic, the grotesque, the excessively grim, or simply anything redolent of folk-tale or folk-superstition21. »

22De manière générale, l’adjectif « unHomeric » est souvent à la fois descriptif et normatif : il connote la médiocrité et le mauvais goût22. De même, quand Séveryns écrit que l’un des épisodes de la Petite Iliade est « tout à fait dans la manière ordinaire à Leschès23 », c’est loin d’être un compliment : « Leschès, renouvelant un sujet plus ancien, n’arrive à dépasser l’Iliou persis qu’à force d’horreur24 ». Le style de Leschès, c’est l’ultra-violence gore.

23Le mot de « barbarie », qui revient sous la plume d’Andrew Lang ou de Séveryns25, n’est pas anodin sous la plume de spécialistes de la culture grecque : il exclut le Cycle du « vrai » monde grec, incarné par Homère. La contre-réception du Cycle fait toujours jouer la comparaison avec Homère, et cela au détriment du Cycle, en réduisant celui-ci à un rôle de faire-valoir.

Décadence de l’épopée

24Tout ce dédain tient largement à une conception du temps sous-jacente au discours critique. Le Cycle est souvent considéré comme postérieur à Homère (VIIe ou VIe siècle). De là, l’idée selon laquelle il est entièrement secondaire, sur le plan narratif (il est subordonné aux récits homériques sur lesquels il se greffe) mais aussi et par voie de conséquence, sur le plan de la valeur littéraire.

25Il est vrai que le résumé de Proclus donne l’ordre dans lequel on le Cycle se présentait, et les poèmes du Cycle y complètent manifestement l’Iliade et l’Odyssée, en comblantles videsqu’Homère laisse avant, entre, et après ses poèmes. Ils semblent bel et bien assumer une position dérivée par rapport aux poèmes homériques26.

26Dès lors, les poètes cycliques sont considérés comme des imitateurs tardifs, coupés de la source authentique de l’inspiration épique originelle (le « canon » homérique). Ce fut, dès le IIe siècle, la position d’Aristarque, qui voulut, comme l’explique Séveryns, « séparer nettement d’Homère les Neoteroi, qui, le plus souvent, n’en furent que des imitateurs maladroits »27. C’est ainsi que « Pour mieux faire ressortir la beauté d’Homère, il a combattu sans ménagements le Cycle épique »28. D’Aristarque jusqu’à nous, ce principe est resté inchangé : en 1977, Jasper Griffin intitule un article « The Epic Cycle and the uniqueness of Homer »29. La contre-réception du Cycle accompagne ainsi discrètement, comme son écho lointain et assourdi, la réception d’Homère30.

27Le thème de la « décadence » s’exprime dans un jugement sur le genre des poèmes du Cycle : ces épopées dérivées, inauthentiques, ne sont pas de vraies épopées. Quand, après de longs chapitres d’une neutralité exemplaire, Séveryns en arrive à l’ultime épisode du Cycle, le dénouement de la Télégonie, il n’y tient plus et se lance dans une diatribe enflammée:

À travers ce résumé de Proclos, nous entrevoyons ce qu’était ce misérable poème, le dernier des Cycliques. Eugamnon de Cyrène a fait tomber l’épopée plus bas encore que Leschès [l’auteur de la Petite Iliade], dont il exagère les défauts jusqu’à l’invraisemblance. Une œuvre comme la Télégonie marque la fin du genre épique, annonce un genre nouveau, celui du roman en prose. Les héros d’Homère sont devenus méconnaissables […] Quelle déchéance profonde et définitive de l’épopée qui, durant tant de siècles, avait charmé les oreilles et les cœurs, quelle mort lamentable d’un genre qui avait montré les adieux d’Hector et d’Andromaque, le roi Priam aux pieds d’Achille, la radieuse agonie de Penthésilée, l’apparition virginale et fugitive de Nausicaa, la mort du vieux chien sur son fumier… Ah ! comme on comprend Aristarque d’avoir lutté, de toutes ses forces, pour mettre Homère à l’abri, pour lui garder sa géniale pureté31 !

28Tout est là : le « dernier des Cycliques » (chronologiquement et littérairement) ne fait qu’achever un processus global, aggravant simplement les défauts de la Petite Iliade de Leschès, qui ne faisait que continuer sur la lancée du malheureux auteur des Chants cypriens… Le Cycle est la lente agonie de l’épopée, qui tombe dans le genre subalterne du « roman en prose »32. Même son de cloche chez West, pour qui « The ending [of the Telegony] in which everyone married each other and lived happily ever after was pure novelette33. » Davies ne parle pas de roman ou de romanesque, mais n’en est pas loin en parlant de « folk-tale34 ».

29C’est en tout cas dans la mesure où l’opposition entre Homère et le Cycle est conçue comme une succession temporelle qu’elle condamne inévitablement celui-ci.

L’ineptie cyclique

30C’est alors le projet cyclique en tant que tel qui serait une aberration. « Cette prolifération maligne de continuations en chaîne est apparemment le destin universel des grandes épopées, vouées après coup à cet acharnement “cyclique”, c’est-à-dire totalisant35 ». À quoi bon en effet prolonger l’œuvre d’Homère au-delà de ses (parfaites) limites ?

31On arrive là au cœur des critiques du Cycle. Il ne s’agit plus d’en dénigrer le style ou certains épisodes. C’est l’essence même du Cycle, l’idée de créer des épopées supplémentaires, qui pose problème. L’extension du monde de l’Iliade et de l’Odyssée vers les origines ou les conséquences de la guerre serait en elle-même une erreur. En effet, ce projet contredit fatalement le principe d’unité d’action. Ce reproche fondamental vise au premier chef les Chants cypriens, qui contiennent en effet, d’après le résumé de Proclus, tout le début de la guerre depuis son origine jusqu’au début de l’Iliade (voir le résumé en annexe).

32D’après West, « The resulting work lacked organic unity, consisting merely in a long succession of episodes36. » Davies, comme toujours plus impitoyable, écrit que les Chants cypriens sont « rambling (it amounted to eleven books), ramshackle and lacking in cohesion37 ».

33L’influence d’Aristote court sous toutes ces condamnations. Le manque d’unité est en effet lié à l’idée de continuation : le continuateur ne posant pas son sujet de manière autonome, il ne peut lui donner une véritable unité.

Il faut y agencer [dans l’épopée] les histoires comme dans les tragédies, en forme de drame, autour d’une action une […] ayant un commencement, un milieu et une fin […]
Homère peut paraître, à ce propos-là aussi, un admirable poète, puisqu’il n’a pas entrepris de traiter la Guerre de Troie comme un tout, bien qu’elle ait un commencement et une fin […]. Il n’a en fait retenu qu’une seule partie de la guerre et s’est servi du reste sous forme d’épisodes […]. Les autres, en revanche, composent le leur autour d’un personnage unique, d’une époque unique et d’une action unique, mais constituée de plusieurs parties, comme l’a fait l’auteur des Chants cypriens et celui de la Petite Iliade. Voilà donc pourquoi à partir de l’Iliade et de l’Odyssée, on compose une tragédie – ou deux seulement – de chacune, alors qu’on en compose un grand nombre à partir des Chants cypriens et plus de huit à partir de la Petite Iliade38.

34C’est la critique fondatrice des poèmes cycliques39. Hegel l’a considérablement approfondie :

Chaque événement se prolonge à l’infini dans les occasions qui l’ont fait naître et dans ses suites. Il s’étend, à la fois dans le passé et dans l’avenir, en une chaîne de circonstances et de faits particuliers. […] Si, donc, l’on ne tient compte que de cette succession, sans doute une épopée peut toujours se prolonger en arrière et en avant. […] Pour ne donner qu’un exemple, les poètes cycliques, chez les Grecs, chantent tout le cercle de la guerre de Troie. Ils continuent, par conséquent, là où Homère s’arrête, et commencent à l’œuf de Léda. Cependant, c’est précisément à cause de cela que leurs œuvres sont devenues prosaïques comparées à celles d’Homère40.

35Genette commente ainsi cette analyse de Hegel :

L’effort de totalisation cyclique […] peut sembler le fait d’une inspiration subalterne, appliquée, scolaire et décadente. Hegel décrit avec sévérité cette situation, qu’il marque au fer rouge du prosaïsme, c’est-à-dire d’une conception pédante et comme administrative de l’unité, contraire à la discontinuité abrupte et hautaine du véritable récit épique. Cette conception se concentre à merveille dans le souci – que Flaubert, de son côté, qualifiera d’inepte – de conclure41.

Magies partielles

36Il arrive toutefois aux critiques du Cycle d’être plus indulgents. Prenons l’exemple de l’Éthiopide (voir résumé en annexe), qui se terminait sur le suicide d’Ajax. Séveryns, souvent sévère, conclut pourtant avec émotion son analyse de l’Éthiopide sur cette phrase rêveuse :

La scène de l’Éthiopide, qui terminait le poème, était plus simple et plus émouvante [que la version d’Eschyle] : Ajax, ayant médité toute la nuit sur sa défaite, se lançait sur son épée et mourait, tout juste comme apparaissait l’Aurore aux doigts de rose…42

37Et Séveryns retient, parmi les beautés immortelles de l’épopée grecque, un seul épisode non homérique : « la radieuse agonie de Penthésilée43 ». Ces scènes de l’Éthiopide, dont il ne reste pourtant que la trace, exercent encore un charme sur leur (non-)lecteur…

38Genette aussi, après avoir repris le jugement sévère de Hegel sur le Cycle, s’adoucit en note de bas de page :

On admirera l’assurance avec laquelle Hegel « compare » aux poèmes homériques des textes disparus depuis deux millénaires ; cette assurance proprement théorique […] est le privilège du philosophe. Je préfère cependant ménager l’hypothèse déviante, mais peu coûteuse, de quelques beautés ou « magies partielles » dans l’Éthiopide ou la Petite Iliade : l’épisode de Penthésilée, par exemple44.

39Les « magies partielles » ouvrent en effet un espace de liberté qui permet de rêver aux épopées perdues. L’hypothèse n’est en fait pas si « déviante », et ce n’est pas un hasard si Genette choisit, comme Séveryns, l’épisode « romanesque » qui a inspiré la Penthésilée de Kleist45. L’idée même de « magies partielles » est, en fait, un corollaire de l’accusation de manque d’unité d’action : c’est justement parce que les épopées manquent d’unité d’action, pour les raisons invoquées par Aristote puis par Hegel, que leurs beautés ne peuvent être que partielles. C’est la beauté de l’œuvre en tant que totalité qui leur fait défaut. Ainsi cette concession apparente donne en fait raison à Hegel sur l’essentiel.

40Pourquoi d’ailleurs n’admettrais-je pas de nombreuses « magies partielles » dans le Cycle ? Pourquoi imaginer de pures « œuvres ratées » ? Après tout, il n’y a pas de mauvais sujet : on peut toujours imaginer, pour chaque épisode des résumés de Proclus, un traitement adéquat, ayant son charme propre. Par exemple, dans les Chants cypriens, le ralliement des chefs grecs par Agamemnon et Ménélas : sans doute une excellente série de scènes de « recrutement d’une équipe », que j’imagine comme une préfiguration des Sept samouraïs. Ou encore les lamentations de Philoctète, abandonné à Ténédos après avoir été mordu par un serpent : sans doute une scène puissamment pathétique, où la brûlure du venin le disputait à l’amertume de son ressentiment contre les Grecs46. La noirceur de la scène devait être d’autant plus intéressante pour l’auditeur qu’il savait que Philoctète finirait par jouer un rôle décisif dans la prise de Troie47. Dans l’Éthiopide, Proclus prend la peine de signaler que Memnon a « un armement ouvré par Héphaestos » : il y avait certainement ici une ekphrasis du bouclier, faisant écho à celle du bouclier d’Achille48. Que représentait-il ? Les pays lointains que les Grecs plaçaient au-delà du monde connu (Memnon est roi d’Éthiopie) ? Ou même le séjour des morts49 ? Autre exemple : dans les Retours, Néoptolème rencontre sur son chemin, en Thrace, Ulysse, alors que celui-ci est sur le point d’entamer la longue errance que l’on sait50. Même la Télégonie, le poème le plus méprisé du Cycle, devait avoir ses bons moments, ne serait-ce que la description de la coupe offerte à Ulysse, qui représentait la légende de Trophonios : une histoire d’architectes et de pièges, que j’ose trouver assez borgésienne –  comme dit Genette, l’hypothèse est peu coûteuse51.

41Le texte fantôme est une réserve de textes possibles ; autant choisir les meilleurs, plutôt que les plus aberrants. Exercice complémentaire : résumer l’Iliade « à la manière de Proclus » pour mettre en évidence la médiocrité d’Homère :

… And then Thetis obtained a divine shield for Achilles, with figures that magically moved. Upon accepting Agamemnon’s formal apology, Achilles haggles with Odysseus over whether lunch should be served or not. Upon arming, Achilles had a conversation with his horse, who delivers a prophecy, and proceeded upon indiscriminate slaughter. He duels with Aeneas, who is rescued when Poseidon hurls him through the air behind ranks. Meanwhile the Olympian gods have squared off, with some inconsequential jostling and joking eventually resulting. Achilles offends the river Scamandros by littering his waters with corpses, and the god runs the nearly drowned hero ragged before Heaphaestus comes to the rescue with his flames…52

42Mais ce jeu sur les textes possibles reste insuffisant s’il sert de « lot de consolation » pour les œuvres ratées. Il est utile si l’on s’en sert pour imaginer les Chants cypriens ou l’Éthiopide comme de bons récits en tant que tels. Aujourd’hui, on ne voit plus nécessairement le Cycle comme une imitation servile d’Homère : on peut largement neutraliser la question de la datation. Burgess considère ainsi qu’Homère et le Cycle participent, à la même époque, d’une tradition commune de la guerre de Troie53. Le Cycle n’est pas forcément une continuation d’Homère – ni l’inverse. Les poèmes furent peut-être composés indépendamment, à partir de motifs mythologiques communs. Cette perspective dispose généralement les critiques à plus de bienveillance à leur égard. Une possibilité s’ouvre donc pour nous d’évaluer différemment les poèmes cycliques, en particulier sur la question de leur unité, problématique depuis Aristote.

II. Le problème de l’unité

43Pour étudier l’unité de ces récits, il faut avant tout faire confiance au résumé de Proclus. C’est là que nous trébuchons dès le premier pas sur un obstacle imprévu et capital : ce résumé peut être radicalement remis en question. En effet, d’après Burgess, Proclus ne résume pas l’état premier des poèmes, mais une version ultérieure, composée à partir de morceaux d’épopées (le début des Chants cypriens, le milieu de la Petite Iliade, etc.) pour donner une vision d’ensemble de la guerre de Troie. Proclus aurait donc résumé une version mutilée des poèmes : c’est ce qui explique certaines bizarreries de son résumé54. Par conséquent, les poèmes « déborderaient » leur résumé : les débuts et les fins que nous avons seraient faux. Ainsi, d’après Burgess, les Chants cypriens originels n’étaient pas un prequel de l’Iliade : créés indépendamment d’elle, ils racontaient probablement toute la guerre de Troie. C’était peut-être aussi le cas de La Petite Iliade. Les Retours contenaient peut-être aussi le retour d’Ulysse (« coupé au montage » parce que l’Odyssée en présente une version plus détaillée).

44Cette hypothèse, qu’on l’accepte ou pas (et la démonstration en est assez convaincante),  est dévastatrice : sans les débuts et les fins, il devient impossible de se faire la moindre idée de ce qu’étaient ces poèmes dans leur totalité, de ce qui faisait leur unité.

Autonomie des épisodes

45Toutefois, je ne peux m’empêcher de trouver que les résumés « tiennent » relativement bien sous cette forme. Les « débuts » et les « fins » forment des cadres cohérents, même lorsque ce n’est pas évident à première vue. West note à propos de la Prise d’Ilion :

Arctinus’ poem began with the Trojans wondering what to do with the Wooden Horse, the Acheans having apparently departed. This has been thought an implausible point at which to take up the story ; but it corresponds remarkably well to the song of Demodocus described in Odyssey 8.500-52055.

46Autrement dit, même coupé (mais l’est-il56 ?), l’épisode a bien une certaine autonomie. Le début et la fin se répondent : on va d’une fausse victoire des Troyens à la vraie victoire des Grecs, en passant par l’élimination de la famille royale troyenne (Priam, Déiphobe, Cassandre, Astyanax, Polyxène). L’ensemble est structuré en trois parties, autour de la bataille décisive : avant (les Troyens face au Cheval), pendant (exploits et sacrilèges des héros grecs), après (partage du butin et destruction finale de Troie).

47De même, la « fin » des Chants cypriens (« la volonté de Zeus qui, pour soulager les Troyens, pousse Achille à quitter l’alliance des Grecs ») répond au début, où « Zeus délibère avec Thémis sur la façon d’amener la guerre de Troie ». Le découpage n’est pas arbitraire : il met en évidence la volonté divine. Surtout que le poème était parsemé de prédictions, qui insistaient sur le déroulement inévitable des événements57. Malgré l’allure épisodique du poème, entrecoupé d’apparentes digressions (les Dioscures, l’expédition à Teuthrania, Philoctète, etc.), la « marche à la guerre » pouvait donner une unité au poème. Allons plus loin : l’unité du poème pourrait résider dans la tension entre le plan divin, le destin inévitable qui préside au mythe troyen, et le caractère imprévisible des événements, tels qu’ils apparaissent aux personnages au fil d’une narration épisodique et digressive. L’incroyable épisode de l’expédition à Teuthrania (les Achéens débarquent, commencent le siège, avant de découvrir qu’ils se sont trompés de ville !) trouverait là une signification complexe : elle préfigure le siège de Troie, mais en est aussi le reflet trompeur.

L’épopée, un tissu peu serré

48Le caractère épisodique du genre épique est reconnu depuis toujours, mais son statut reste quelque peu indéterminé. Ainsi, après avoir fait l’éloge de l’unité d’action homérique (chap. XXIII), Aristote écrit le contraire :

L’imitation des auteurs épiques a moins d’unité [que les tragédies] (en voici la preuve : de n’importe laquelle de leurs imitations, on peut tirer plusieurs tragédies) ; de sorte que s’ils ne composent qu’une histoire unique, ou bien si la présentation en est brève, l’histoire paraîtra tourner court, ou bien si elle est conforme à l’étendue requise, elle paraîtra délayée. Je parle par exemple du cas où elle est constituée de plusieurs actions : ainsi l’Iliade, qui possède comme cela de nombreuses parties – au même titre que l’Odyssée – ; parties qui de leur côté ont aussi de l’étendue – même si ces poèmes sont agencés le mieux possible  et qu’ils sont l’imitation d’une action la plus unifiée possible58.

49Même contradiction chez Hegel. Il opposait, aux poèmes cycliques qui tiraient leur unité de la simple succession, la véritable unité épique venant de « la réalisation d’un but » par un personnage59. Mais il propose ailleurs cette intéressante réflexion :

Cette préoccupation constante de la réalisation d’un but unique est étrangère au poème épique. Ici, à la vérité, […] ce ne sont pas les seules actions intentionnellement dirigées vers ce but qui ont une importance capitale ; c’est aussi bien toute circonstance imprévue60.

50Par exemple, Ulysse veut retourner à Ithaque, mais ses aventures naissent « à l’occasion de la navigation » ; et la colère d’Achille n’est pas une action en vue d’un but, mais justement le retrait « dans l’inaction ». Hegel doit alors admettre que, dans l’épopée, « L’unité est moins compacte et le tissu plus lâche61 » que dans le drame :

Les épisodes n’ont, dans aucun autre genre autant que dans l’épopée, le droit de s’émanciper jusqu’au point de paraître complètement indépendants […] la liaison des parties doit offrir un tissu peu serré62.

Séquences

51Cela correspond à notre propre démarche lorsque nous lisons le résumé de Proclus. Nous procédons avant tout, comme l’auditeur au fur et à mesure de son écoute, à un « séquençage » de l’action en épisodes autonomes.

52Prenons l’exemple de l’Éthiopide. À la lecture, sans préjuger de l’unité ultime du récit, nous dégageons trois séquences : 1. Achille tue Penthésilée ; 2. Achille tue Memnon ; 3. Mort d’Achille. Il n’y a certes aucune unité au sens aristotélicien (on peut en faire trois tragédies distinctes). Mais l’épopée se plaît justement à tresser des liens entre les épisodes, à suggérer au lecteur un sens par leur parallélisme (chaque mort est accompagnée de rites différents qui se répondent). Peut-être s’agissait-il de dessiner l’espace des relations possibles du héros avec la mort ? Ce type d’unité ne tient pas en tout cas à la seule intrigue (à l’agencement de l’histoire, dirait Aristote) mais bien à la disposition du récit, jusque dans ses détails peut-être. Cela correspond à ce que Florence Goyet appelle le « travail épique » de l’épopée63. Le modèle n’est plus la tragédie selon Aristote, mais le mythe selon Lévi-Strauss.

53C’est très net dans les Retours, qui peuvent sembler décousus, à moins qu’ils ne soient virtuoses dans leur entrelacement d’intrigues concernant au moins sept héros. Les retours réussis (Diomède et Nestor ; Calchas et ses compagnons ; Néoptolème) alternent systématiquement avec des retours funestes (Ajax de Locres, Agamemnon). Ménélas appartient aux deux séries (il essuie d’abord une tempête, puis rentre sain et sauf). Le dénouement était sans doute ironique : Ménélas, parti trop tôt en dépit de l’avertissement d’Athéna, rentrait sain et sauf ; au contraire, Agamemnon, attentif aux avertissements surnaturels qui rythment le poème, différait son départ à deux reprises (au début et au milieu du poème, avant deux tempêtes), mais mourait au foyer après avoir évité les tempêtes. Ne doit-on pas admirer une telle composition « chorale » ? Il y a là une indéniable totalisation narrative, que nous percevons sous forme de rythmes et de symétries.


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54Le texte fantôme, à l’issue de cette séance de spiritisme littéraire, n’a sans doute pas beaucoup parlé. On a pu du moins cerner une « contre-réception », qui justifie son effacement : au-delà des reproches les moins sérieux qui sont adressés au Cycle, les deux grandes idées de l’auteur (par opposition aux imitateurs) et de l’unité (d’action) disqualifient le projet cyclique.

55On gagne d’abord à reconnaître qu’un moment de l’activité critique sur les textes fantômes consiste inévitablement à imaginer des textes possibles. Il n’est pas absurde, ni inutile, de les imaginer géniaux plutôt que médiocres…

56Mais au-delà de ce jeu de réécriture (qui ne dépasse jamais d’ailleurs l’esquisse), on peut aussi théoriser le type d’unité de ces textes. Plutôt que d’opposer la concentration dramatique des poèmes homériques à leur absence d’unité, on doit alors s’interroger sur leur mode de totalisation, à la fois modulaire et ouverte. Plutôt que de les comparer à Homère, on devrait les comparer aux feuilletons et aux séries télévisées, qui possèdent une unité sans pour autant renoncer à leur « ouverture », à leur capacité d’accueillir sans cesse de nouveaux développements64. Dans ces formes en fait plus répandues qu’on ne le croit, commencement et fin peuvent être significatifs sans être définitifs. On retrouve l’intuition de Florence Dupont qui comparait Homère et Dallas65, mais sur le plan de l’ouverture du récit, de sa composition en arcs narratifs : par là, les séries et les Chants cypriens appartiennent au même monde.


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57Annexe : résumé du Cycle troyen par Proclus

58On reproduit ici le texte édité et traduit en français par Albert Séveryns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclos, t. IV : « La Vita Homeri et les sommaires du cycle : texte et traduction », Paris, Les Belles lettres, 1963, p. 77-97.

59Le même, Sur les Chants dits Cypriens
À cela fait suite, transmis en onze livres, ce qu’on nomme les Cypria. Sur la graphie correcte du titre nous reviendrons plus tard pour ne pas déranger l’économie de notre exposé.
Zeus délibère avec Thémis sur la façon d’amener la guerre de Troie.
Eris survient comme les dieux festoyaient aux noces de Pélée. Elle fait en sorte qu’une contestation oppose Athéna, Héra et Aphrodite pour savoir qui des trois est la plus belle. Zeus ordonne qu’auprès de Pâris-Alexandre, habitant sur l’Ida, Hermès les conduise pour être départagées. Exalté par la perspective d’épouser Hélène, Alexandre accorde la préférence à Aphrodite.
Ensuite, sur les conseils d’Aphrodite, il se construit une flottille. Puis Hélénos leur prédit l’avenir, et Aphrodite engage Énée à naviguer avec lui. Et Cassandre fait des révélations sur l’avenir.
Alexandre gagne Lacédémone, où il est reçu en hôte par les fils de Tyndare ; et ensuite à Sparte, où l’accueille Ménélas. Au cours du festin, Hélène reçoit des cadeaux d’Alexandre. Ensuite, Ménélas fait voile vers la Crète, après avoir recommandé à Hélène de fournir aux besoins de leurs hôtes jusqu’à ce qu’ils prennent congé. C’est alors qu’Aphrodite jette Hélène dans les bras d’Alexandre. Leur union consommée, ils embarquent tout ce qu’ils peuvent de richesses et, la nuit venue, ils s’éloignent par la mer.
Une tempête leur est envoyée par Héra. Alexandre aborde à Sidon et s’empare de la ville. Il fait voile vers Ilion, où il célèbre ses noces avec Hélène.
C’est alors que Castor avec Pollux sont surpris à dérober le bétail d’Idas et Lyncée. Castor est tué par Idas, tandis que Lyncée et Idas sont tués par Pollux. Et Zeus accorde aux Dioscures une immortalité alternée.
Après cela, Iris annonce à Ménélas ce qui était advenu à son foyer. Rentré chez lui, il délibère avec son frère Agamemnon sur l’expédition à monter contre Troie. Et Ménélas se rend auprès de Nestor.
Celui-ci, dans une digression, lui raconte comment Epopeus, pour avoir fait violence à la fille de Lycurgue, fut massacré ; il lui raconte aussi l’histoire d’Œdipe, la folie d’Heraclès, ainsi que le roman de Thésée et Ariane.
Ils rassemblent les chefs après une randonnée dans toute la Grèce. Ils surprennent Ulysse à feindre la folie parce qu’il ne voulait pas être de la partie : à l’instigation de Palamède, ils avaient dérobé son fils Télémaque pour le tourmenter.
Après quoi, ils rallient Aulis, où ils offrent un sacrifice. On nous expose l’histoire du serpent et des moineaux ; Calchas leur explique ce qu’il doit en résulter.
Ensuite, ils prennent le large et abordent à Teuthrania de Mysie : ils se croient à Ilion et en commencent le siège. Télèphe leur court sus, abat Thersandre, le fils de Polynice, mais lui-même est blessé par Achille.
Comme leur flotte s’éloigne de Mysie, une tempête les assaille et les disperse. Achille aborde à Scyros, où il épouse la fille de Lycomède, Déidamie.
Ensuite Télèphe, sur l’avis d’un oracle, se rend en Argolide. Il est guéri par Achille pour qu’il guide la flotte jusqu’à Troie.
Et pendant que, pour la seconde fois, l’expédition était concentrée à Aulis, Agamemnon, au cours d’une chasse, abat une biche ; du coup, il se vante d’avoir fait mieux qu’Artémis. La déesse, irritée, pour empêcher l’appareillage, envoie des tempêtes en mer. Calchas leur dit la colère de la déesse et ordonne qu’Iphigénie soit sacrifiée à Artémis. On la fait donc venir soi-disant pour épouser Achille et on prépare le sacrifice. Mais Artémis la dérobe, la transporte chez les Taures et la rend immortelle, après avoir remplacé la jeune fille par une biche à l’autel.
Ensuite, ils débarquent à Ténédos. Au cours d’un festin, Philoctète est mordu par un serpent d’eau. Sa blessure dégageant une odeur écœurante, on l’abandonne à Lemnos. Pour une invitation tardive, Achille se dispute avec Agamemnon.
Ils débarquent au rivage d’Ilion ; les Troyens les repoussent et Protésilas tombe sous les coups d’Hector. Puis Achille les met en fuite après avoir tué Cycnos, fils de Poseidon. Et on ramasse les morts.
Une ambassade est envoyée aux Troyens, pour réclamer Hélène et ses richesses. Ceux-là n’ayant pas obtempéré, les Grecs se préparent à mettre le siège.
Puis ils battent l’arrière-pays et saccagent également les villes à la ronde.
Et après cela, Achille désire contempler Hélène ; un rendez-vous leur est ménagé par Aphrodite et Thétis.
Ensuite, comme les Achéens s’apprêtaient à rembarquer, Achille les retient. Puis il s’en va pourchasser le bétail d’Enée ; il dévaste Lyrnessos, Pédasos et nombre de cités voisines. Il assassine Troïle.
Patrocle conduit Lycaon à Lemnos et l’y vend comme esclave.
Du butin recueilli, Achille reçoit par privilège Briséis, tandis que Chryséis échoit à Agamemnon.
Vient ensuite la mort de Palamède.
Et la volonté de Zeus qui, pour soulager les Troyens, pousse Achille à quitter l’alliance des grecs. Et le catalogue de ceux qui combattirent aux côtés des Troyens.

60Le même, Sur l’Éthiopide
À ce qui vient d’être rapporté fait suite l’Iliade d’Homère. Après elle vient l’Éthiopide en cinq livres par Arctinos de Milet et dont voici le contenu.
L’Amazone Penthésilée arrive pour combattre aux côtés des Troyens : elle était fille d’Arès et Thrace de nation. En pleine gloire, elle est tuée par Achille, et les Troyens lui font des funérailles.
Et Achille fait périr Thersite qui l’avait insulté en lui reprochant son prétendu amour pour Penthésilée. Après cela, une dissension éclate parmi les Achéens à propos du meurtre de Thersite.
Là-dessus, Achille cingle vers Lesbos. Il offre un sacrifice à Apollon, Artémis et Lèto, puis il est purifié du meurtre par Ulysse.
Memnon, fils de l’Aurore, pourvu d’un armement ouvré par Héphaestos, se porte au secours des Troyens. Et Thétis prédit à son fils le sort qui attend Memnon.
Au cours d’une rencontre, Antiloque est tué par Memnon, puis Achille tue Memnon. L’Aurore implore Zeus et obtient de lui qu’elle apporte à son fils l’immortalité.
Achille met en fuite les Troyens et comme il se précipite dans la ville, il tombe sous les coups de Pâris, aidé par Apollon. Autour du cadavre s’engage une lutte acharnée. Ajax, fils de Télamon, le tire de la mêlée et le porte jusqu’aux nefs, tandis qu’Ulysse, en arrière-garde, repousse les Troyens.
Ensuite les Grecs enterrent Antiloque et exposent le cadavre d’Achille.
Thétis, venue avec les Muses et ses sœurs, fait la déploration de son fils. Après quoi, Thétis dérobe son fils au bûcher funèbre et le transporte dans l’Île blanche.
Les Achéens lui élèvent un tertre et instituent des jeux funèbres en son honneur. Et au sujet des armes d’Achille survient une dispute qui oppose Ulysse et Ajax66.

61Le même, sur la Petite Iliade.
Vient ensuite la Petite Iliade en quatre livres, par Leschès de Mytilène, dont voici le contenu.
A lieu le jugement pour l’octroi des armes d’Achille. Ulysse les obtient par la volonté d’Athéna, tandis qu’Ajax en perd la raison, ravage le butin des Achéens et se suicide.
Après cela, Ulysse dresse une embuscade et capture Hélénos. Celui-ci vaticine sur la prise de la ville : en suite de quoi, Diomède ramène de Lemnos Philoctète. Guéri par Machaon, Philoctète en combat singulier tue Alexandre. Le cadavre est outragé par Ménélas, mais les Troyens l’enlèvent et l’enterrent.
Et après cela, Déiphobe épouse Hélène.
Et Néoptolème est ramené de Scyros par Ulysse, qui lui remet les armes paternelles. Le fantôme d’Achille lui apparaît.
Euripyle, fils de Télèphe, arrive au secours des Troyens. En pleine gloire, il est tué par Néoptolème.
Et les Troyens sont assiégés.
Et guidé par Athéna, Epéios fabrique le Cheval de bois.
Ulysse, après s’être défiguré, pénètre dans Troie en espion. Reconnu par Hélène, il machine avec elle la prise de la ville. Il tue une poignée de Troyens et regagne les vaisseaux.
Après cela, en compagnie de Diomède, il transporte hors d’Ilion le palladium.
Ensuite, on fait entrer dans le Cheval de bois l’élite des guerriers ; le reste des Grecs, ayant bouté le feu aux baraques, s’embarque en direction de Ténédos.
Les Troyens se croient débarrassés de leurs malheurs, accueillent le Cheval de bois à l’intérieur de la ville en le faisant entrer par une brèche dans le rempart. Et ils festoient comme s’ils avaient vaincu les Grecs.

62Le même, sur la Prise d’Ilion
À cela succède la Prise d’Ilion en deux livres par Arctinos de Milet et dont voici le contenu.
L’affaire du Cheval leur inspirant quelque méfiance, les Troyens font cercle autour de l’objet et s’interrogent sur ce qu’on en fera. Certains sont d’avis qu’il le faut précipiter dans un gouffre, d’autres qu’il faut y mettre le feu ; les autres prétendent que c’est un objet sacré qu’il faut offrir à Athéna. Et finalement l’avis de ces derniers l’emporte.
Et gagnés par l’allégresse, ils festoient comme s’ils étaient délivrés de la guerre.
À ce moment même surgissent deux serpents, qui font périr Laocoon et le second de ses fils.
Alarmés par le prodige, Enée et les siens partent en secret pour l’Ida.
Et Sinon, qui s’était au préalable faufilé par feinte dans Troie, brandit les torches enflammées, signal convenu avec les Achéens.
Ceux de Ténédos, revenus, et ceux du Cheval de bois fondent sur les ennemis, en tuent un grand nombre et prennent la ville d’assaut.
Néoptolème tue Priam réfugié sur l’autel de Zeus Herkeios.
Ménélas découvre Hélène et la reconduit aux vaisseaux, après avoir tué Déiphobe.
Ajax, fils d’Ilée, arrachant Cassandre de force entraîne du même coup l’antique statue d’Athéna. Les Grecs, exaspérés par son acte, se décident à lapider Ajax. Celui-ci se réfugie sur l’autel d’Athéna et est ainsi tiré du péril qui le menaçait.
Les Grecs s’apprêtent à embarquer, et Athéna machine leur perte en mer.
Ulysse tue Astyanax.
Néoptolème reçoit Andromaque en part d’honneur.
On se partage le reste du butin.
Démophon et Acamas découvrent Aethra t la ramènent avec eux.
Ensuite, les Grecs incendient la cité.
Et ils égorgent Polyxène sur le tombeau d’Achille.

63Le même, sur les Retours.
À cela font suite les Retours, en cinq livres, par Agias de Trézène. En voici le contenu.
Athéna suscite une querelle entre Agamemnon et Ménélas à propos du rembarquement.
Or donc, pour apaiser la colère d’Athéna, Agamemnon diffère son départ.
Diomède et Nestor prennent le large, et rentrent chez eux sans encombre.
Ménélas se rembarque après eux, et accoste en Egypte avec cinq vaisseaux, le reste ayant péri en haute mer.
Calchas, Léonteus, Polypoetès et leurs compagnons font route à pied jusqu’à Colophon, où ils enterrent Tirésias, mort à cet endroit.
Comme Agamemnon et ses troupes démarraient, le fantôme d’Achille surgit et essaie de les retenir, en annonçant ce qui allait leur arriver. On décrit ensuite la tempête des Roches Caphérides et la mort d’Ajax de Locres.
Néoptolème, sur le conseil de Thétis, fait le trajet à pied. Il gagne la Thrace, où il rencontre Ulysse à Maroneia. Il accomplit le reste de son voyage, après avoir enterré Phoenix mort en cours de route. Lui-même arrive chez les Molosses et il est reconnu par Pélée.
Vient alors le meurtre d’Agamemnon par Égisthe et Clytemnestre, puis la vengeance d’Oreste et Pylade. Enfin, le retour de Ménélas dans sa patrie.

64Le même, Sur la Télégonie.
Après cela vient l’Odyssée d’Homère ; ensuite la Télégonie, en deux livres, par Eugamnon de Cyrène, et dont voici le contenu.
Les prétendants de Pénélope sont enterrés par leurs proches.
Ulysse sacrifie aux Nymphes, et fait voile en Elide pour visiter les fameuses bouveries. Il reçoit l’hospitalité de Polyxénos, qui lui fait cadeau d’un cratère, et sur celui-ci (figurait) l’histoire de Trophonios, Agamède et Augias.
Ensuite, il regagne Ithaque où il accomplit les sacrifices prescrits par Tirésias.
Et après cela, il se rend chez les Thesprotes et il épouse Callidicé, la reine du pays.
Ensuite une guerre éclate entre les Thesprotes, commandés par Ulysse, et les Bryges. Alors Arès met en déroute Ulysse et ses troupes, mais Athéna lui livre bataille, et Apollon sépare les deux adversaires.
La reine Callidicé étant morte, la royauté échoit par succession à Polypoetès, fils d’Ulysse. Lui-même retourne en Ithaque.
À ce moment, Télégonos (le fils d’Ulysse et de Circé), naviguant en quête de son père, débarque en Ithaque et ravage l’île ; Ulysse vient à sa rencontre et est tué par son fils qui ignorait cette parenté.
Télégonos découvre son erreur. Il transporte le corps de son père, avec Télémaque et Pénélope, chez sa mère Circé, qui les rend immortels. Et Télégonos devient le mari de Pénélope, et Télémaque celui de Circé.