Atelier



Lecture contrauctoriale: synthèse par Sophie Rabau du séminaire "en résidence" organisé par l'équipe Fabula du 7 au 11 septembre 2009, à Carqueiranne (83), en partenariat avec le projet HERMÈS (Histoires et théories de l'interprétation).

Lire contre l'auteur: synthèse (notes)

Prouver le mouvement en marchant


Pour faire le bilan de cette semaine contrauctoriale, on pourrait reprendre la formule d'Arnaud Welfringer: «prouver le mouvement, en marchant». De fait – et c'est le premier résultat, aussi modeste soit-il, de nos travaux – l'hypothèse de la lecture contrauctoriale, que nous nous étions donnée à titre d'hypothèse heuristique, s'est révélée productive au sens, d'abord, où elle a donné lieu à des exercices de lectures fructueux, – Arnaud Welfringer sur La Fontaine, Laurent Zimmerman sur Baudelaire, Matthieu Vernet, plus généralement, sur la notion d'œuvre dans son rapport au discours péritextuel de l'auteur -- au sens, ensuite, où elle a permis de revenir sur ses propres lectures ou celles des autres, pour les interroger dans l'optique d'une opposition à l'auteur – Marc Escola sur Pascal, Laure Depretto sur les lectures stendhaliennes de Bellemin-Noel et Dubois, Jean-Louis Jeannelle sur les «lectures militantes» -- quitte d'ailleurs à en critiquer la pertinence, comme l'a fait Marielle Macé à propos de ce qu'elle nomme la lecture allégorique: lire autrement n'est pas lire contre. Notion productive également en ce qu'elle permet de s'interroger non plus sur la lecture mais sur l'écriture: les exposés de Julia Peslier et de Oana Painaté montrent à cet égard que l'expérience d'écriture s'accompagne d'une tentative de mise à mort de l'auteur de l'hypotexte, ou plus généralement d'une manière de figurer l'auteur, qui peut se décrire comme une lecture contrauctoriale accompagnant le geste d'écriture; toujours du côté de l'écriture, Caroline Raulet-Marcel relit l'effort de certains écrivains romantiques pour interdire la lecture proauctoriale de leurs œuvres. Enfin, l'hypothèse de la lecture contrauctoriale a permis un travail théorique, soit qu'on la mette en perspective avec les lectures qui de Benjamin à la déconstruction se sont opposées, plus qu'à l'auteur, au texte (Jean-Marie Grassin), soit qu'on y voit l'occasion de retravailler la figure de l'auteur (l'auteur compris comme lecteur, dans l'exposé de Sophie Rabau), de proposer une nouvelle notion critique qui remet en question l'idée comme d'auteur comme source contraignante et unifiante de l'interprétation, le désauteur (Laurent Zimmerman), ou encore d'interroger à nouveau frais le lien entre écriture et critique, comme lorsque Florian Pennanech analyse le travail de démotivation – d'ordinaire appliqué à l'hypertextualité — à l'œuvre dans certaines lectures contrauctoriales.

La variété même de ces résultats nous a obligé, toutefois, à interroger constamment la typologie qu'il nous fallait proposer de ce que nous nommions lecture contrauctoriale, mais aussi à essayer de penser ce qui peut faire l'unité de la notion.


Typologie


En introduction, avaient été proposés des tableaux à double entrée dont la fonction était de proposer une première description du paysage contrauctorial.

Il s'agissait évidemment et de remplir ces tableaux et d'en troubler la belle ordonnance.
On s'était d'abord demandé dans la colonne verticale ce contre quoi on lisait, quand on lisait contre l'auteur: on peut lire contre un discours d'intention de l'auteur (par exemple Bellemin-Noel contre le projet déclaré de Stendhal pour Armance), contre l'œuvre elle-même en tant qu'elle témoigne ou semble témoigner d'une intention auctoriale (par exemple contre le projet Baudelairien tel qu'il semble inscrit dans l'organisation de son œuvre, ou contre les options politiques d'un auteur telles qu'on les dégage de son œuvre), contre un discours auctorial postérieur à son œuvre (si l'on se propose par exemple de prendre en compte les commentaires de Joyce livrés après la publication d'Ulysses). Il est encore possible de s'attaquer à la personne même de l'auteur ou à la figure qu'il laisse transparaître de lui: Les romanciers romantiques étudiés par Caroline Raulet-Marcel s'attaquent ainsi à l'image que leurs œuvres donnent d'eux, et pervertissent la lecture de curiosité «pro auctoriale» qui peut s'en suivre: c'est alors contre la figure biographique de l'auteur qu'il faudrait lire, voire contre le désir du lecteur de trouver dans le texte la personne de l'auteur. Nous avons aussi évoqué le cas, dans nos débats, d'une lecture qui se ferait en opposition à la personne de l'auteur: on lirait pour attaquer, tout en attaquant, comme le fait par exemple Jean-Pierre Martin dans son Contre Céline (Corti), comme pourrait le faire un lecteur militant qui n'accepterait de lire un texte raciste ou sexiste qu'en s'opposant à l'auteur, qu'en marquant son désaccord avec lui.

A ces distinctions qui se sont révélés opérantes, il faudrait ajouter toutefois qu'une lecture qui se pose contre l'auteur peut bien souvent, comme l'ont montré Laure Depretto et Marc Escola, s'opposer en fait à des lectures antérieures qui se sont réclamées de l'auteur: lire contre l'auteur, c'est alors tenter d'attaquer l'utilisation de l'autorité de l'auteur par des lectures antérieures.

Du côté des critères permettant de distinguer le mode même de lecture, on a évidemment trouvé des descriptions de lectures contrauctoriales avérées – mais ce n'est là que le début d'une enquête historique qu'une exploration plus poussée doit continuer de préciser, d'autant que la plupart des cas evoqués concernaient le 19ème ou le 20ème siècle -- comme on a pu programmer soi-même une lecture contrauctoriale à titre expérimental.

Un deuxième tableau suggérait de distinguer une lecture contrauctoriale assumée à titre méthodologique (ce que suggère par exemple Laurent Zimmerman en invitant à démultiplier l'auteur pour mettre à mal la figure d'un auteur unifiante et contraignante), une lecture contrauctoriale motivée par un aspect précis du texte associé à l'auteur et donc moins érigé en méthode – ce qui serait le cas des lectures marxistes ou sociologiques, évoqués à plusieurs reprises, qui défendent pas une opposition systématique à l'auteur, mais voient dans cette opposition un moment nécessaire pour éclairer le texte contre l'idéologie déclarée de l'auteur, enfin une lecture contrauctoriale qui répondrait à un programme du texte – cette dernière configuration entraînant évidemment un cercle de l'autorité qui est respectée au moment même où elle est déniée. Ce cercle de l'autorité se retrouve dans la dernière distinction proposée dans le tableau 3: Les lectures contrauctoriales masquées (lire avec l'auteur c'est aussi lire contre une autre construction de l'auteur) ou les lectures pseudo contrauctoriales (lisant contre l'auteur je reconstruis en même temps une figure d'auteur) marquent bien cette difficulté à faire fi de l'auteur dans sa fonction validante de l'interprétation et de nombreux exposés se sont interrogés sur le caractère pseudo contrauctorial de ce qui était décrit.

Ces critères, pour être opérants se sont révélés souvent trop généraux et, il va de soi que plus de finesse descriptive reste à introduire dans la description de la lecture contrauctoriale:

- Du côté de l'attitude de lecture d'abord, le geste contrauctorial se décline sur une palette qui va de l'inflexion à la réfutation en passant par la correction, l'ajout, le complément etc.

- Du côté du geste concret lié à cette attitude de lecture, on va aussi de la discrète incise au geste concret de ne pas éditer, de retirer telle œuvre du canon en raison même de la personne de son auteur, en passant par la remarque ponctuelle, la lettre à l'auteur (Leiris),ou encore la déclaration programmatique.

Deux derniers débats d'ordre typologique sont aussi revenus qui vont nous permettre d'unifier la notion de lecture contrauctoriale:

- Premier débat: lire contre l'auteur est-ce lire contre le texte? cette questions a été d'emblée posée par Jean-Marie Grassin, mais elle se retrouve également quand Julia Peslier met au compte des lectures contrauctoriales le refus fictif par des éditeurs des grands textes de la littérature occidentale.

- Deuxième débat: quel est exactement l'auteur contre lequel on lit? De l'auteur-lecteur de son texte à l'auteur biographique en passant par l'auteur comme source unifiante de l'œuvre (Matthieu Vernet, ou Marc Escola), à l'auteur comme représentant d'une idéologie (Jean-Louis Jeannelle), on a du mal sans doute à comprendre quelle est la cible de la lecture contrauctoriale

Il s'agissait donc de trouver ce qui pouvait faire l'identité et l'unité de la figure de l'auteur dans l'hypothèse d'une lecture contrauctoriale, ce qui nous permettait en somme de dialoguer, malgré les différentes manières dont nous avions compris l'hypothèse de notre séminaire.


L'auteur comme obstacle


Lire contre est une attitude réactive et polémique: réactive, car elle intervient le plus souvent alors que l'auteur est donné comme ce qui fait obstacle à ma lecture (on ne peut pas le lire comme je le fais, cela ne va pas dans le sens de l'auteur) ou qui en impose le sens, et polémique car elle assume ce qui lui est reproché (je lirai contre, bien que cela me soit présenté comme interdit). C'est cette formulation polémique qui permet de poser une nouvelle définition de l'auteur, dans le contexte de cette hypothèse: l'auteur est celui qui interdit ma lecture, celui qui y fait obstacle, celui qui m'impose une lecture, soit par sa présence dans son texte, soit parce qu'on oppose l'auteur à ma lecture. En ce sens lire contre l'auteur, ce n'est pas seulement lire contre le texte, contre la logique du texte, mais contre un principe érigé en obstacle à ma lecture et c'est bien cette définition de l'auteur comme obstacle ou tyran qui faisait l'unité de notre propos.

De cette définition on peut tirer plusieurs conséquences:


Quels genres pour la lecture contrauctoriale?


Quand l'auteur fait-il obstacle? D'une part quand il est opposé par un lecteur tiers à ma lecture, mais aussi en tant qu'il est présent dans son œuvre, qu'il en dirige la lecture, voire qu'on le tire de son texte ou de sa fiction pour en faire un principe d'organisation et de délimitation de l'œuvre, comme l'a montré Matthieu Vernet. La question a alors été posée de l'existence de genres littéraires qui appelleraient, plus que d'autres, la lecture contrauctoriale, des genres où l'auteur serait particulièrement directif et donc susceptible de faire obstacle. Arnauld Welfringer a ainsi fait l'hypothèse que la fable, et peut-être, plus largement, le texte allégorique, induiraient, par la présence de la moralité ou de l'exégèse interne, une ligne de lecture auctoriale fermée qui fait obstacle à toute autre interprétation. Toutefois, on peut se demander si la moralité n'est pas qu'un mode de lecture, auctorial, du texte: on en revient alors à l'idée que, dans le contexte de notre réflexion, l'auteur est celui qui est donné comme permettant, interdisant ou imposant la lecture.


Le cercle de l'autorité (et comment en sortir?)


Si l'auteur est celui qui fait obstacle à la validation d'une lecture, il va de soi que le lecteur contrauctorial sera vite confronté à la difficulté de relégitimer ou revalider sa lecture, cela d'autant plus que, contrairement à des lectures qui font l'économie de l'auteur, il s'appuie sur la notion d'auteur au moment même où il s'y oppose: dans l'expression lire «contre», contre dit le contact tout autant que l'opposition. Il s'agit bien en somme d'appuyer une lecture sur une opposition, ce qui n'est pas, bien au contraire, faire fi de l'auteur.

Que faire, donc, une fois qu'on a lu contre?

Une première option, la plus couramment observée dans le séminaire, consiste évidemment à reconstruire une figure d'auteur plus adaptée à sa lecture, après s'être opposé à la figure de l'auteur qui faisait obstacle. Florian Pennanech, Marc Escola, Laure Depretto ont ainsi montré comment l'opposition à un auteur 1 n'était souvent qu'un moment qui précède la construction d'un auteur 2, qui n'interdit plus mais autorise, retrouve en somme la fonction d'autorisation de l'auteur. Dans ce cas la lecture contrauctoriale n'est pas une méthode mais un moment stratégique qui prépare la validation d'une nouvelle lecture.

Ce cercle se retrouve également quand l'auteur invite à une lecture contrauctoriale de son texte, comme c'est les cas évoqués par Caroline Raulet-Marcel, mais aussi dans la lecture qu'Arnaud Welfringer a proposé du testament d'Esope de la Fontaine: le cercle de l'autorité peut alors sembler se transformer en une sorte de fuite en avant où lire contre c'est lire avec, tandis que lire avec c'est lire contre.

Toutefois ce dernier exemple nous montre un cas où l'écriture s'oppose, plus radicalement à l'utilisation de l'auteur comme principe validant, où l'auteur refuse d'être utilisé comme principe de lecture de son œuvre, appelle certes à une lecture contrauctoriale, mais interdit peut-être aussi qu'on reconstruise un auteur.

De fait plus généralement, quelques pistes ont été suggérées qui permettent d'échapper au cercle de l'autorité, de faire de la lecture contrauctoriale non seulement un moment stratégique, mais bien une méthode.

La première solution qui se présente à l'esprit consiste évidemment à reporter sur une autre instance la fonction d'autorité d'ordinaire associé à l'auteur. Dans ce cas, on va par exemple opposer à l'auteur non pas une autre figure d'auteur, mais son texte, qu'il aurait mal compris, comme le suggère Sophie Rabau, ou la doctrine qu'il illustre et déforme sans la comprendre clairement, ou encore un «insu» que le critique met à jour, dans une perspective psychanalytique ou marxiste. On peut aussi évidemment lui opposer une légitimité du lecteur fondé à faire usage du texte, comme l'ont suggéré Marc Escola et Marielle Macé. L'auteur serait alors le précurseur d'un sens qu'il n'a pourtant pas prévu. Le déplacement proposé par ces deux exposés va donc d'une herméneutique reposant sur l'idée d'une autorité de l'auteur à un usage qui permet de dépasser la question de l'autorité et de l'interprétation (et partant, sans doute, l'idée d'une lecture contrauctoriale…)

Toutefois, dans les débats la question s'est posée d'une rencontre entre l'axe herméneutique et l'axe d'usage: n'est-ce pas quand l'interprète fait usage du texte sans le dire, voire sans le savoir clairement, qu'il est susceptible de devoir assumer (ou masquer) une attitude contrauctoriale? N'est-il pas, également, pertinent d'approfondir l'idée d'une autorité du lecteur qui fonderait l'usage, littéraire, politique, ou existentiel qui en est fait ?

Mais sortir du cercle de l'autorité, c'est peut-être d'abord prendre acte de la découverte (ou redécouverte?) la plus importante qui découle de la réflexion contrauctoriale: si autorité il y a, elle n'est pas une autorité du fait, mais une autorité à comprendre dans le contexte d'un discours persuasif où l'auteur est un argument.


L'interprétation comme persuasion et l'auteur comme argument


La doxa herméneutique dont nous dépendons toujours, comme on a pu le voir en introduction, tend à poser la figure de l'auteur, son discours et son intention déclarée ou retrouvée, comme un fait dont on ne peut faire fi dans le travail de lecture des textes littéraires. Mais adopter une attitude contrauctoriale, c'est précisément refuser à la figure de l'auteur ce caractère infrangible et incontestable, pour la ramener à un statut d'argument qui rend l'interprétation persuasive, sans pour autant la rendre vraie. Montrer qu'on peut lire en s'opposant à l'auteur, c'est mettre en place un autre mode de persuasion, fondée sur une attitude polémique, qui a pour effet premier de renvoyer la lecture proauctoriale à son statut de discours persuasif puisqu'aussi bien on lui répond par la construction d'un discours autrement argumenté ou même pauvrement argumenté, mais d'un discours dont la fonction est de persuader et non d'affirmer ou de décrire des faits. La reconstruction d'une figure d'auteur, dans cette optique ne se comprend alors plus comme une fuite en avant dans le cercle de l'autorité, mais seulement comme la démonstration qu'un argument – en l'occurrence l'argument de l'auteur – se construit et que «l'auteur», dans la bouche de l'interprète est toujours un argument à valeur persuasive et non la description d'un état de fait. Le «Testament d'Esope» de la Fontaine étudié par Arnaud Welfringer a alors valeur exemplaire en ce que le discours d'Esope, figure auctoriale d'autorité, y est donné non comme le discours le plus vrai, mais comme le discours le plus persuasif. Par quoi, plus largement il est parfaitement possible de construire l'auteur qui convient à une argumentation, ou un à un usage du texte, non pour légitimer son interprétation, mais pour la rendre persuasive dans une optique rhétorique.

On s'aperçoit alors que l'hypothèse d'une lecture contrauctoriale a une valeur polémique plus générale: il ne s'agit pas seulement de réagir à l'obstacle qui se voit opposé à ma lecture (on ne peut dire cela de Pascal), mais de renvoyer le discours proauctorial à son statut de discours non pas descriptif, mais persuasif, de dire que l'autorité n'est pas une question de validation, mais de persuasion.


L'interprétation comme écriture


Cette reconsidération du statut du discours critique, compris sous un angle plus rhétorique que scientifique, explique évidemment les nombreux croisements entre écriture et lecture que nous avons pu observer. Si la pose contrauctoriale est un moyen d'échapper à la force argumentative d'un discours antérieur, de s'autoriser – mais au sens rhétorique—à s'emparer du texte, on s'étonne moins de la retrouver chez les écrivains autant, voire plus, que chez les spécialistes de la littérature. Le geste de s'attaquer à une figure antérieure est ce qui fonde une nouvelle inauguration de l'écriture.

Inversement, on s'explique mieux que les textes critiques observés dans une optique contrauctoriale aient retrouvé des gestes de l'écriture littéraire – on pense par exemple à la question de la demotivation/remotivation chez les critiques étudiés par Florian Pennanech, ou encore de la tentation de l'écriture à l'œuvre chez Bellemin-Noël quand il s'attaque à Michel Leiris (cf.résumé de l'atelier consacré à son texte). On peut aussi se demander si le recours, fictif, à un «narrateur paranoïaque» chez Pierre Bayard ne doit pas se comprendre comme un la construction d'un ethos propre à s'opposer à la rhétorique fondé sur le recours à un ethos auctorial. Si l'auteur est une construction propre à rendre persuasif l'exposé de ma lecture, rien n'empêche de lui opposer une autre construction, celle d'un narrateur soupçonneux qui donnera force de conviction à une autre lecture.


Moment ou méthode


Même décrite comme nous venons de le faire – comme une manière d'interroger le statut même du discours critique, et non pas comme une simple position polémique, voire défensive où l'on s'appuierait sur une opposition ponctuelle à un auteur pour fonder une nouvelle lecture--, la lecture contrauctoriale apparaît encore comme un moment dans l'histoire, individuelle ou collective, de la lecture critique, moment dont la fonction serait de dénoncer le poids illusoire de l'argument auctorial.

Toutefois, ce moment peut bien, à la lumière de ce que nous venons de voir, déboucher sur une méthode dès lors qu'on veut bien prendre acte de l'idée que l'interprétation est persuasive, qu'elle se valide par sa force persuasive.

Cette méthode se décrirait aisément par deux traits essentiels

- Il n'est pas de construction auctoriale interdite et l'auteur est pluriel – désauteur au sens de Laurent Zimmerman

- Toute interprétation parce qu'elle vise à transformer l'auteur et à persuader par cette transformation même est travail d'écriture, en tout cas de réécriture.


Qui fait obstacle à quoi? (valider, valider toujours)


Ces deux dernières propositions ne peuvent bien sûr qu'entraîner l'objection classique du relativisme absolu: si l'auteur est une construction argumentative, comment pourra-t-on déclarer qu'une interprétation est meilleure qu'une autre et ne fait-on pas obstacle à la possibilité même d'une herméneutique, voire d'une histoire?

A cette objection, l'hypothèse de la lecture contrauctoriale, permet de répondre de trois manières:

- Premièrement, dire que l'approche historique fondée sur la quête des faits donne naissance, dans l'interprétation littéraire, à un discours persuasif, n'est pas une manière de vouloir l'empêcher ou d'en dénoncer la pertinence. Il est temps de se dire – n'est ce pas un lieu commun pour les épistémologues de l'histoire? – que toute histoire, et notamment l'histoire de l'auteur, est interprétation et non description, et que ce n'est pas là une tragédie.

- Deuxièmement ce n'est pas l'idée d'une lecture contrauctoriale qui interdit l'approche historique de l'auteur, mais bien plutôt l'approche historique qui, transformant le savoir de l'auteur en un fait incontestable, fait obstacle à toute autre approche qui s'opposerait à ce fait. Dire que l'auteur historique est un argument et non un fait, n'est pas faire obstacle à une interprétation historique, c'est empêcher que cette interprétation historique fasse obstacle à un autre rapport à l'auteur et au texte.

- Troisièmement, s'il faut valider, sommes-nous forcés de le faire seulement en fonction de la supposée vérité auctoriale. S'opposer à l'auteur, c'est parfois, on l'a vu, jouer avec une poétique, mais, c'est le plus souvent, faire usage ou réécrire pour assurer au texte une pérennité, voire une productivité. Evaluer une interprétation pour sa productivité, et non seulement pour sa fidélité, la faire aller vers le futur et non pas seulement vers le passé, c'est peut-être ce qui anime d'abord une lecture – qui est aussi une écriture, contrauctoriale. Lire contre c'est aussi lire tout contre, pour s'appuyer en s'opposant, et par cet appui polémique se donner les moyens d'écrire la suite…


Page associée: Lecture contrauctoriale.

Sophie Rabau

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 11 Novembre 2009 à 20h58.