Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur René Audet le 07 Fevrier 2000 à 12:00:38: en réponse à Les écritures intimes aux frontières du réel posté par Annie Cantin le 19 Decembre 1999 à 22:28:09: |
Coïncidence: j'ai lu en parallèle les textes d'Olivier Guerrier et d'Annie Cantin, avec un certain profit je crois. Les Essais de Montaigne et les écritures intimes, à leur façon, procèdent à une mise en discours du soi.
Chez Montaigne, le soi prend la forme d'un discours réflexif, argumentatif, herméneutique; la fiction y apparaît comme un outil de démonstration (ou simplement heuristique). Il y a donc fictionnalisation du réel, une mise à distance qui assurerait la littérarité des Essais (ce que le seul discours réflexif ne permettrait pas a priori).
Dans l'écriture intime, le soi, le réel apparaît rapporté: discours littéral et donc non littéraire a priori. En apparence un récit factuel, l'écriture intime est une mise en narration d'un réel; le référentiel s'inscrit dans un discours de type narratif.
Montaigne travaille donc davantage la forme du discours, le matériau langagier, alors que l'écriture intime joue plutôt de la frontière (dans la tête du lecteur!) entre discours référentiel et discours de fiction.
Cette frontière est d'autant plus labile que la narrativisation qui caractérise l'écriture intime suppose fréquemment la fictionnalité du discours (d'autant plus dans le contexte littéraire, où on est conduit à postuler une telle mise à distance). La reconnaissance problématique de la littérarité de l'écriture intime (reconnaissance la plus facile passant par l'identification de la fictionnalité) ne serait peut-être pas tant l'absence de fiction que l'interférence du réel dans un discours qui par sa forme tend à faire croire à une fictionnalité par défaut... (???) Le lecteur, devant un texte narratif, anticipe la fiction; l'intrusion du réel (par les indications paratextuelles minimalement) viendrait bousculer ses attentes. Nous sommes évidemment dans les hypothèses!
Mais que faire de l'attirance des lecteurs pour l'aspect documentaire de l'écriture intime? La narrativisation (plutôt son présupposé fictionnel) n'est-elle pas remise en cause?
En fait, nous pourrions plus globalement dire que le contexte de l'oeuvre produit des jeux d'attente, des cadres interprétatifs (et donc une reconnaissance de la littérarité) pouvant être diamétralement opposés, selon l'avenue qui nous a conduits à aborder une oeuvre (soit par la figure de l'Auteur, déjà connu comme littéraire, soit par l'aspect témoignage)...
M'enfin, quelques réflexions pour problématiser le tout...
René Audet