Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Marie-Laure Ryan le 11 Janvier 2000 à 12:06:26: en réponse à L'autofiction : une réception problématique posté par Mounir Laouyen le 19 Decembre 1999 à 22:02:36: |
Comme c'est le cas pour la transfiction, l'autofiction me semble couvrir des cas extremement differents, ce qui explique peut-etre la reticence des poeticiens a la reconnaitre comme un genre autonome. Il y d'une part les textes qui creent une contre-partie (a la Lewis) du narrateur dans un monde alternatif: le Marcel de la « Recherche », le Borges de l' »Aleph » ou de « Funes le memorieux ». Cette contrepartie differe du narrateur reel par des proprietes concretes: par exemple des contacts avec des personnages imaginaires. D'autre part, comme Mounir Laouayen le remarque for pertinemment, il y a des textes que l'auteur titre autofiction a fins de protection-soit pour eviter l'accusation d'indiscretion par rapport a autrui, soit pour excuser les failles de la memoire. Puis il y a les auteurs qui font de l'autofiction un jeu de cache-cache, qui affichent l'etiquette par coquetterie postmoderne, ou qui desirent exprimer leur solidarite avec la conception Lacanienne du sujet. Certains auteurs-comme me semble-t-il Roland Barthes dans « RB par lui-meme »-cherchent en outre a beneficier de l'interet suscite par « le vrai, » sans toutefois accepter la responsabilite morale de la confession ni vouloir s'offrir integralement au regard du lecteur (une coquetterie anti-Rousseauiste). Le titre d'autofiction donne aussi un prestige litteraire au texte que la pure autobiographie ne presente pas necessairement: quand l'auteur est un personnage connu, il y a risque que le lecteur soit motive par sa curiosite envers ce personnage, plutot que par la qualite de l'ecriture. En presentant « RB par lui-meme » comme une autofiction, Barthes souligne la distance litteraire entre son entreprise et les memoires du type Brigitte Bardot. L'idee de Barthes, Lacan, Foucault, etc. que toute auto-representation est une fictionalisation parce que le moi est le produit du langage releve de ce que j'appelle dans ma propre communication la « Doctrine du Panfictionalisme. » Pour le Panfictionaliste l'autofiction ne presente aucun probleme de classification generique: toute autobiographie etant fictionnelle, l'autofiction ne differe de l'autobiographie que par la conscience accrue de sa fictionnalite. Comme le note Mounir Laouayen, l'autofiction serait en quelque sorte une autobiographie honnete et lucide. Mais en fait le Panfictionalisme est une excuse commode pour eviter de confronter le probleme de la fictionnnalite, puisqu'il jette tous les textes dans le meme panier. Si le moi est inevitablement le produit du langage, il y a quand meme une difference de responsabilite entre l'auteur qui ecrit: « j'adorais ma mere » (declaration inverifiable qui represente une auto-interpretation) et « ma mere etait d'origine basque. » En autobiographie classique l'auteur peut impunement ecrire qu'il adorait sa mere, meme si cet amour est un sentiment cree pour les besoins de l'image de soi que l'auteur desire afficher, mais il ne peut pas attribuer une origine basque a une mere normande sans compromettre sa credibilite. En d'autre termes l'auteur d'autobiographie peut projeter un moi possible, mais pas un moi contre-factuel. Le terme d'autofiction me semble par contre recouvrir toute la gamme des moi contre-factuels aux moi possibles inverifiables. Dans une approche « analogique » de la fiction (voir ma communication), l'autofiction occupe confortablement le milieu de l'axe, entre fiction et narration historique (trop confortablement a mon avis, car cette classifucation n'explique rien que nous ne savions deja: a savoir, que l'autofiction joue librement avec les faits). Dans une approche digitale, ou binaire, l'autofiction du type Proustien ou Borgesien tombe univoquement du cote fictionnel, mais un textes comme « Fils » de Doubrovski est ambigu-susceptible a la foi de lecture fictionnelle et non-fictionnelle. (Ne se lit-il pas comme un roman ?) Quant a « RB par lui-meme, » je penche personnellement pour la lecture non-fictionnelle (je lis le texte pour satisfaire ma curiosite sur Barthes l'homme et Barthes le critique), et j'attribue la declaration d'auto-fictionnalite a la conception Barthesienne du sujet, plutot qu'a une reflectionn logique ou phenomenologique sur la nature de la fictionnalite.