Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Pierre Campion le 06 Janvier 2000 à 02:04:21: en réponse à Aragon, Alice et la traversée des glaces posté par Luc Vigier le 19 Decembre 1999 à 22:22:11: |
Félicitations pour votre communication.
Voici la remarque et la question qu'elle me suggère.
Dans votre communication, et dans plusieurs autres, le terme opposé à la fiction, c'est tout simplement, et à juste titre, celui de la réalité (matérielle, historique, biographique...). Et considérer cette opposition sous l'image, le signe et la notion de la frontière, comme vous le faites selon la lettre et selon l'esprit du colloque, c'est se donner un point de vue et des ressources des plus féconds. La fiction n'est plus le simple contraire de la réalité, ni même son autre, mais son ami et/ou ennemi, une entité territoriale, historique, institutionnelle, communautaire, définie comme telle par cette relation frontalière. Un ailleurs de la réalité, mais mitoyen. Je proposerais bien de regarder leur interface par le côté plutôt de la réalité, et que nous nous demandions alors quel est le statut de la réalité dans ce rapport à la fiction et pourquoi la réalité a pour frontière sa limite commune avec la fiction. Autrement dit : que nous apprennent de la réalité les amitiés et les litiges, voire les guerres et les traités, qui ont lieu sur cette limite ou à son propos ? Poser ce rapport en termes de frontière, n'est-ce pas reconnaître à la réalité, dans ce couple-là, beaucoup plus que le statut de la chose non problématique et du simple donné ? Comment comprendre la réalité, si elle est cela qui veille derrière sa frontière et ce qui la défend ? Ou encore : l'image de la frontière ne suggère-t-elle pas la présence positive, irréductible, périlleuse et finalement ennemie, la volonté sans sujet, la détermination sans intention, la simple et mortelle inertie (par exemple, l'amour-propre et la paresse selon La Rochefoucauld), l'inhumanité finalement intraitable de ce qui est, auxquelles, de notre côté, nous opposons la fiction comme l'exigence maintenue et batailleuse de ce qui n'est pas, de ce qui devrait être, de ce qui doit être (un jour) ? D'où vient l'énergie qui alimente les glaciations et, inversement, qu'est-ce qui fait craquer les glaces ? Embâcle et débâcle, moments liés par des échanges d'énergie. Quant à l'image du miroir, très riche : celui-ci cacherait les choses en renvoyant le sujet de la fiction à lui-même, n'était que ce sujet le traverse pour aller à la réalité, non sans bris de glace et dangers afférents. S'il y a frontière et miroir, tout l'intérêt n'est pas du côté de la fiction.
La question : Comment expliciter, dans Aragon et ailleurs, les éléments d'une « critique de la raison poétique », c'est-à-dire de la raison spéciale (ni théorique, ni pratique ; ni jugement de goût) que la littérature oppose pourtant, sur la frontière de la fiction, à ce qui n'a pas de commune mesure avec la raison ?