Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Marie-Laure Ryan le 04 Janvier 2000 à 19:37:42: en réponse à La fiction à travers l'intertexte : pour une théorie de la transfictionnalité posté par Richard Saint-Gelais le 19 Decembre 1999 à 22:07:55: |
Priere d'exuser le manque d'accents de ce commentaire, du aux limitations de mon systeme. Je voudrais tout d'abord exprimer le plaisir que j'ai pris a lire l'elegant et instructif essai de Richard Saint-Gelais sur la transfictionnalite: plaisir d'abord de voir que la reflection anglo-saxonne sur la fictionnalite commence a infiltrer la critique francophone, et plaisir aussi de voir si eloquemment formules les dilemnes qui continuent a hanter les theoriciens de la fiction. Plus je me penche sur le probleme de la fictionnalite, plus je suis frappee par la discrepance entre l'apparente simplicite de la notion, la facilite avec laquelle le lecteur l'accepte, et la difficulte de la theoriser. En presentant les deux cotes des trois « frontieres » qu'il definit, Saint-Gelais donne un parfait apercu de cette complexite. Cela dit je voudrais offrir quelques reflexions sur le probleme qui fait le sujet de l'essai, a savoir la transfictionalite. Je suis parfaitement d'accord avec le verdict d'assymetrie entre la fiction originelle et la transfiction: la fiction originelle nourrit d'information la transfiction, mais l'inverse n'est pas valable, ou s'il y a « feed-back », il est de nature differente. Si le principe de la cloture du texte interdit qu'une transfiction enrichisse le monde d'une fiction de faits concrets, il reste par exemple concevable que le texte de transfiction puisse donner lieu a une reflection critique qui permette au lecteur de redecouvrir et reinterpreter la fiction originelle. Cette assymetrie se retrouve entre le monde actuel et les mondes fictionnels. Le lecteur importe une encyclopedie du reel a la fiction, et exporte a l'occasion une morale. C'est sur cette possibilite d'exportation que repose l'efficacite des exemples fictionnels dans les essais ou sermons, efficacite soulignee dans la contributio de Rene Audet. La nature differente des imports et exports entre le reel et la fiction, ou entre la fiction et ses transfictions, me semble un domaine encore largement inexplore de la theorie de la fiction. Je voudrais d'autre part souligner la variete des relations qui peuvent relier une fiction a une transfiction; cette variete rend problematique un traitement logique ou phenomenologique global du phenomene. Dans son livre « Heterocosmica » (1998), Lubomir Dolezel discute trois types de transfiction: (1) le roman d'Ulrich Plenzdorf « Les Nouvelles souffrances du jeune Werther, » qui cree un analogue moderne du roman de Goethe, un jeune homme de l'Allemagne de l'est nomme Wiebeau; (2) Jean Rhys, « La Mer des Sargasses, » qui raconte l'histoire de la premiere epouse de M. Rochester dans Jane Eyre; (3) « Foe » de J.M. Coetzee, qui raconte « la vraie histoire » de Robinson Crusoe (=donne un autre destin au heros de Defoe). Dolezel considere le heros « transfictionnel » comme une contrepartie (a la Lewis) du heros de la fiction originelle, mais cette notion me parait particulierement problematique dans le cas de Werther/Wiebeau. D'une part, le Werther de Goethe existe dans le monde de Wiebeau en tant que...personnage fictionnel. D'autre part, Wiebeau ressemble a Werther par son destin, mais non par son nom. La notion de contre-part me semble plus justifiable dans le cas d'un heros transfictionnel qui porte le meme nom que le personage originel, mais vit un destin different. Et finalement, quand la transfiction est une « suite » qui ne touche en rien au personnage originel, comme cela semble etre le cas de « Mademoiselle Bovary » (que je ne connais helas pas), je serais tentee d'adopter la conception de Kripke, selon laquelle le meme individu peut habiter plusieurs mondes. L'Emma Bovary de « Mademoiselle Bovary » est plus que la contrepart de l'Emma de Flaubert, elle est l'Emma de Flaubert. (J'imagine ici que le roman se passe entierement apres la mort d'Emma et ne change rien a son destin.) De meme, la relation du Richelieu des Trois Mousquetaires au Richelieu historique pourrait etre decrite comme contre-part, parce que le roman attribue des proprietes imaginaires a Richelieu (complot avec Milady), alors que le Napoleon qu'admire Fabrice dans La Chartreuse de Parme pourrait etre concu comme « le meme individu, mais dans un autre monde » que le Napoleon historique. En conclusion, il me semble essentiel de distinguer trois cas de relations entre modes fictionels (MF) et mondes transfictionnels (MT): 1. Relation d'inclusion (MT inclus MF) 2. Relation d'analogie (MT et MF sont le theatre d'evemements qui ont la meme structure narrative) 3. Relation d'alternativite. (MT at MF sont deux branches avec un tronc narratif commun). Ces relations existent aussi entre le monde actuel (MA) et les mondes fictionnels (MF). Dans le roman realiste, MF inclus MA. Dans le roman a cles, il y a analogie entre MA et MF. Dans un roman qui donne un destin different a un personnage historique, il y a relation d'alternativite.