Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Isabelle Lachance le 03 Janvier 2000 à 12:01:37: en réponse à Histoire et fiction à l'âge classique posté par Muriel Bourgeois le 19 Decembre 1999 à 22:09:29: |
1)Je félicite d'abord dans votre exposé la remise en cause du rationalisme absolu du XVIIe siècle, idée qui contribue encore aujourd'hui à le distinguer de la Renaissance (du Baroque, du Maniérisme, etc., etc.), qui serait une période de l'histoire des idée caractérisée par une sorte d'état embryonnaire de ce qui suivra...
Cependant, je crois que si l'on peut effectivement affirmer que les habitus de la Cour ont contribué au succès des formes fictionnelles dans la transmission du savoir historique, c'est justement parce que ce sont les usages de cette Cour qui ont fini par prendre le pas sur les volontés premières des historiens du siècle précédent, qui critiquaient ce penchant pour la delectatio... Je vous renvoie à ce sujet aux plaisants Dialogues du Nouveau Langage françois d'H. Estienne (parution anonyme et clandestine), par lesquels l'auteur vient critiquer le penchant des "oreilles tant delicates & aymant tant les belles fleurs de Rhetorique, [qui] n'admettent ni ne reçoivent nuls escrits, sinon avec mots nouveaux & bien pindardizez", selon les mots du huguenot Jean de Léry (Histoire d'un voyage)... Ce faisant, selon Estienne, la Cour néglige ce qui fait la grandeur même de la nation française : sa langue, et tout ce qui vient avec : les moeurs policées, etc.
2)J'aimerais avoir quelques éclaircissements sur cette partie de votre texte : "Jusqu'à Etienne Pasquier et ses importantes Recherches sur la France [7]dont la premier volume est publié en 1560, le récit de l'histoire est enregistrement, " mise en rolle " dirait Montaigne,des témoignages transmis par la tradition. La distinction des sources primaires et des sources secondaires, exigée par une idée moderne de l'histoire parfaite ne recouvre aucune réalité. Seule vaut la parole qu'authentifie le sceau de la transmission. Dans ce contexte, Paul Veyne peut conclure : " la question de l'historicité ou de la fiction n'avait pas de sens. Pour les Grecs, il n'y avait pas de problème du mythe ; il y a seulement le problème des éléments invraisemblables que contient le mythe."[8] Premièrement, il y a eu des historiens avant Pasquier qui ont fait de leur travail de recherche un questionnement sur la méthode historique (voir Dubois, la Conception de l'histoire...). Deuxièmement, je ne crois pas que le flou qui caractérise la frontière entre histoire et fiction chez les Grecs anciens avait été accepté comme allant de soi à la Renaissance, dans la mesure où les auteurs questionnaient les autorités antiques dès le XVe s. (ne serait-ce que pour affirmer la suprématie de la foi chrétienne...) et encore au XVIe, en affirmant la supériorité de l'expérience sur l'autorité, donc: de la source sur les récits déjà construits à partir de ces sources. Ce nouvel attachement aux sources et à l'expérience seront d'ailleurs des arguments utilisés par les polémistes protestants, qui mettront du coup de l'avant la condamnation augustinienne de la fiction, en montrant que les ressorts de la fiction doivent être réservé au texte de la Révélation, aux Écritures. Ainsi, Calvin dénoncera chez ses adversaires l'usage de figures de rhétorique telles l'allégorie, par exemple, ou la prosopopée, parce qu'elles s'adressent plus à l'imagination (sens péjoratif) qu'à l'intelligence et qu'elles déforment la vraisemblance.
J'accueillerais volontiers votre point de vue de XVIIémiste sur ces quelques commentaires, via le forum ou via courriel, à votre convenance.