Colloque 99, Frontières de la fiction : commentaire
Le message suivant a été posté par le visiteur Isabelle Lachance le 20 Decembre 1999 à 11:27:22: en réponse à La fiction à l'essai posté par René Audet le 19 Decembre 1999 à 22:16:55: |
L'essai, "largement défini par la négative (voir également l'expression anglaise nonfiction), (...) ne semble pas posséder de statut qui lui soit propre, tout comme il ne pourrait théoriquement pas participer d'une dynamique générique croisant les formes majeures de la littérature, que l'on reconnaît pourtant de plus en plus comme une dimension fondamentale de cette dernière. "
Deux remarques : 1.Recherchant les Essais de Montaigne en format de poche en librairie la semaine dernière, je les ai retrouvés non pas dans la section "philosophie" (ce qui aurait été un moindre mal), mais dans la section "romans"!!! Voilà le jugement du libraire établi au sujet de la référentialité autobiographique du sujet Montaigne : de la fiction!
Du mensonge? C'est d'abord la définition que les Britanniques ont donné de la fiction (voir : William NELSON, Fact or fiction. The Dilemna of the Renaissance Storyteller), condamnant par la bande un ouvrage comme l'Utopie de More, par ex., ou toute autre tentative de "fuite dans l'imaginaire". J'ai également retrouvé dans un essai (?!) de 1972 de Thomas J. Roberts,When is Something Fiction?, que le monde anglo-saxon avait tendance à adopter une définition de la fiction "by value" qui tendait à placer dans la catégorie "fiction" tout ce qui avait été écrit par "les grands hommes" (le dead white european male, cher à Julia Bettinoti...). Tout cela pour dire que la division "fiction"/"nonfiction" est assez étrange, en tout cas très discutable.
"Ces différentes nuances ou précautions méthodologiques, qui conduisent les théoriciens à reconnaître une part de fiction dans une prose qu'ils prétendent non fictionnelle, témoignent de diverses conceptions de la fictionnalité, certaines étroites, d'autres très larges. De ces affirmations sur la fictionnalité de l'énonciation à l'association abusive de la narrativité à la fiction, plusieurs discours tentent ainsi de justifier la littérarité de l'essai par la présence d'une fiction, injustement restée indéterminée. "
Peut-être est-ce dû, entres autres raisons, à la gnoséologie typiquement romanesque qui structure la pensée depuis le XIXe siècle, qui fait que le discours qui se dit référentiel (journalistique, médical, historique, etc.) tend à expliquer les événements du monde à la manière des romans (c'est à thèse de M. Angenot dans 1889 au sujet du XIXe s.). Héritiers postmodernes (???) de cette "habitude", nous voyons dans toute narrativité un potentiel de fiction (se disant "on ne nous la fait pas, on a compris"...)! Un petit détour du côté des catégories de l'argumentum et de l'exemplum ne nous ferait donc pas de mal... En effet, pour Cicéron (ce qui lui a d'ailleurs valu une belle réputation!), le fait que l'exemple utilisé afin d'illustrer un argument soit vrai ou faux importe peu, s'il est efficace (le platonisme qui caractérisait encore les études littéraires sémiotico-saussuriennes ne serait donc pas étranger au fait que la stylistique ait recherché un caractère spécifique au langage de la fiction, puisque le relativisme cicéronien nous mène droit au retour à l' "intention de l'auteur", ce qui n'est pas très saussurien...). Ce commentaire a été rédigé en cours de lecture : j'arrive à la prochaine section de ton texte et je retrouve ces fameux "argument" et "exemple"! Oups! J'apprécierais que tu me donnes (via le forum ou le courrier électronique) quelques références au sujet de la réintroduction dans la critique contemporaine de ces concepts de la rhétorique classique (je ne suis familière qu'avec les travaux d'Anne Reboul dans ce domaine). Je t'en remercie à l'avance (ainsi que tout autre participant qui voudra bien faire de même!).