Dictionnaire Roland Barthes
Le message suivant a été posté par le visiteur Marielle Macé le 24 Mai 2000 à 11:41:58: en réponse à E (Eisenstein, enfance, ellipse, ennui, essai, érotisme, écrivain, écriture, engagement, étymologies, ...) posté par Alexandre Gefen le 04 Mai 2000 à 14:23:10: |
Ce qui crée mon adhésion intellectuelle, ce qui justifie mon emprunt des concepts critiques, ce n'est pas autre chose que ce qui me touche ; ce qui fonde notre lecture de Barthes, ce qui segmente pour nous ses écrits en gratitudes momentanées, ce sont ces glissades où très simplement il se laisse aller à l'écriture, au matériau fictionnel. Gracq interrogeait son souvenir de La Chartreuse, et son souvenir se résumait à quelques scènes, quelques figures, la tour Farnèse et d'autres images de hauteur. Notre incorporation de Barthes n'est pas moins simple ou moins intime, nous nappons les figures en notions efficaces, mais ce sont les figures qui nous poignent, l'emportement à l'écriture : la côtelette, le téléphone, les quartiers d'orange de Werther, Nietzsche au cou d'un cheval mort, "petits destins", "crises amoureuses", "incidents", les biographèmes rejoignent la description qu'il fait de son usage des concepts, du lexique savant : "empourprements successifs mais périssables", "engouements conceptuels", "goût irénique de la dérive". "Ainsi, pensait-il, c'est faute d'avoir su s'emporter que la science sémiologique n'avait pas trop bien tourné". Je commente Barthes, je lui emprunte ses notions, j'épouse sa méthode, mais ce qui sans doute fonde ma confiance, ma croyance en lui, ce sont ces emportements de l'écriture que je superpose tout à fait à son apologie de la dérive d'une pensée. Le "chant d'une idée-phrase" et la qualité d'un style, c'est lui qui m'invite à les confondre. Alors, je mens ? En tout cas, je forge pour citer et créer à mon tour les conditions d'apparition de ses figures à lui dans mon propre discours. Quand je crois en lui, quand je dis "théorie", est-ce vraiment autre chose que cet empourprement qui me tient ?