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Revue Roland Barthes n°5 :

Revue Roland Barthes n°5 : "Empire des signes, empire du haïku", 2021 (Emmanuel Lozerand, dir.)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Emmanuel Lozerand)

Roland Barthes : Empire des signes, empire du haïku

Les découpages académiques, disciplinaires, institutionnels, maintiennent trop souvent séparés des lecteurs qui gagneraient pourtant à se fréquenter. Les barthésiens lisent généralement L’Empire des signes (1970) comme un moment dans l’itinéraire de l’auteur de Mythologies, S/Z ou Fragments d’un discours amoureux, à l’aune de ses conceptions du langage et de la littérature ; les imagologues, spécialistes des discours sur l’Autre, resituent logiquement l’ouvrage dans l’histoire des représentations du Japon ; alors que les japonologues, parfois, ne le feuillettent même pas, ou alors seulement pour se gausser des erreurs qu’il contient. N’y a-t-il pas là autant d’ornières et d’angles morts ? Comment savoir si Barthes est passé complètement à côté du Japon, ou s’il en a eu au contraire une perception subtile et intuitive ? Si son regard sur ce pays est novateur, ou informé par des schèmes de perception anciens ? Comment repérer ses « contresens » même, et leur éventuelle « beauté » ?

L’Empire des signes est pourtant bien le lieu et le produit d’une rencontre – à un certain moment et dans une certaine histoire de l’imaginaire français (et occidental) du Japon – entre un écrivain engagé dans ses logiques propres et un pays bien réel, avec l’ensemble de sa culture et de son histoire. La prise en compte conjointe de ces trois dimensions serait seule susceptible de donner à comprendre les caractéristiques exactes du « Japon de Roland Barthes ». En décrivant précisément les traits du « réel japonais » prélevés et élaborés dans L’Empire des signes, en élucidant mieux les plis de perception produits par l’histoire des fantasmes suscités par l’archipel, en identifiant plus finement les inflexions propres à la sensibilité barthésienne, on devrait pouvoir accéder à une lecture plus « nuancée » (n’était-ce pas une valeur suprême pour Roland Barthes ?) d’un ouvrage qui occupe une place singulière, et éminente, dans l’œuvre de son auteur comme dans l’histoire des représentations du Japon. Chacun n’aurait-il pas à y gagner ?

Il était inconcevable, dans une telle perspective, de ne pas accorder une place éminente au haïku, objet aussi fascinant que difficile à appréhender. Genre important de l’histoire littéraire japonaise, ayant connu de nombreuses transformations, toujours bien vivant aujourd’hui, il a connu en Occident, depuis sa présentation par Basil H. Chamberlain en 1902, une réception particulièrement complexe et productive. Or si le haïku occupe une place centrale dans L’Empire des signes – qu’il s’agisse du nombre des pages et des fragments qui lui sont consacrés, ou du rôle-pivot qui lui est assigné dans l’économie du livre –, si le Haïku a joué en outre un rôle majeur dans l’itinéraire de Barthes : on sait que sa réflexion sur le genre connut un nouveau départ, et une inflexion majeure, dans ses cours au Collège de France en 1978-1979 et 1979-1980, ces épisodes sont des moments de cette longue histoire, dont ils sont étroitement dépendants, mais qu’ils vont aussi largement contribuer à modeler, car la vision barthésienne du haïku a puissamment informé la perception ultérieure du genre, ainsi que sa pratique.