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Désir, consentement et violences sexuelles dans la littérature du XIXe s. (Paris 3)

Désir, consentement et violences sexuelles dans la littérature du XIXe s. (Paris 3)

Publié le par Marc Escola (Source : Anne Grand d'Esnon et Lucie Nizard)

Journée d'étude

"Désir, consentement et violences sexuelles dans la littérature du XIXe siècle"

Avec le soutien du CRP19 (dir. Henri Scepi), et de l’ED120.

 

Programme

9h30-10h : Introduction

10h-11h : Scènes et imaginaires du viol
Mathilde Leïchlé, « Brève histoire des images et imaginaires du viol au XIXe siècle »
Lucie Nizard (Université Sorbonne Nouvelle), « La “comédie du viol” dans les romans et nouvelles du second XIXe siècle »

11h-12h : Poétiques de la noirceur
Pierre Glaudes (Sorbonne Université), à propos d’Une Histoire sans nom [titre à confirmer]
Antonin Coduys (Sorbonne Université), « Zola et le “romanesque noir” : analyse poétique d’une tentative de viol dans Le Ventre de Paris »

13h30-14h30 : Romantisme et violences sexuelles
Carole Bourlé, « L’agresseur sexuel à l’époque romantique : figure repoussoir ou fantasme féminin ? »
Laëtitia Bertrand (ENS de Lyon), « “De la nécessité de battre les femmes” : esthétique de la violence sexuelle et du désir féminin chez Musset et Baudelaire »

14h30-15h30 : Viols domestiques
Kathia Huynh (Université d’Orléans), « Honorine : inconciliables désirs et impossible consentement »
Alice de Charentenay, « La sexualité des bonnes dans le roman du XIXe siècle : du viol au travail sexuel »

16h30-18h : Table ronde. Histoire et littérature : regards croisés sur les violences sexuelles
avec Marion Glaumaud, Florence Lotterie, Julie Mazaleigue-Labaste, Judith Lyon-Caen, Chantal Pierre, Éléonore Reverzy et Marie Scarpa.

Argument

Après avoir entrepris lors d’une première journée d’étude de circonscrire les notions complexes de désir, de consentement de violences sexuelles dans le champ de la littérature et d’affronter les enjeux méthodologiques et théoriques qu’elles soulèvent, nous souhaiterions lors d’une seconde journée d’étude appliquer et prolonger ces réflexions à la période du long XIXe siècle.

La Révolution marque un tournant dans les représentations des violences sexuelles. Les dommages psychiques sont petit à petit pris en compte, et le viol devient au cours du siècle, selon la formule de Georges Vigarello, « toujours plus une blessure et toujours moins un larcin ». Ces évolutions se traduisent notamment par l’inscription du viol et de l’attentat à la pudeur dans le Code pénal de 1810, qui prévoit une peine de réclusion pour les auteurs de violences sexuelles. La seconde moitié du siècle voit la naissance de la médecine légale, mais aussi de la psychologie, qui toutes deux portent une attention de plus en plus marquée aux victimes de violences sexuelles. Cependant, le viol d’une femme adulte reste rarement pris au sérieux dans les procès du XIXe siècle, comme le rappelle Anne-Marie Sohn : « Autant la violence sur les enfants, voire les adolescentes, suscite la réprobation publique, autant la violence envers des femmes adultes est absoute, assimilée à un rituel de séduction normal dans la jeunesse. Les enquêteurs ne sont pas loin de penser que les victimes ont été provocantes et, dans ce cas, qu’elles sont responsables des espoirs qu’elles ont fait naître, ou bien qu’elles sont à demi consentantes. » Le viol reste principalement perçu comme un crime monstrueux et archaïque ; seuls les viols d’enfants, les viols suivis de tentatives de meurtre ou de mutilations spectaculaires, les viols entre des membres de classes sociales très hétérogènes, ou encore les incestes, semblent être perçus comme de véritables viols.

La littérature du XIXe siècle soulève un paradoxe analogue : la presse s’empare des viols les plus effroyables pour en faire la matière de faits divers scandaleux, et la littérature fictionnelle se saisit parallèlement de cette figure du violeur, faisant naître un imaginaire du viol propre au XIXe siècle. Au moment de l’émergence de nouvelles normes bourgeoises qui valorisent l’univers domestique, opposant sphère publique et sphère privée, cette figure du violeur est celle de l’intrus ou de l’inconnu qui pénètre par effraction dans l’intérieur bourgeois. Dans le même temps, nombre de textes mettent en scène des interactions sexuelles, conjugales ou extra-conjugales, obtenues par la contrainte, dans lesquelles le consentement des femmes adultes est balayé, sans s’inscrire aussi nettement dans un régime de représentation d’altérisation de l’agresseur. Ces récits ont pour intertexte la littérature libertine du XVIIIe siècle, peuplée de personnages de fausses prudes qui joueraient une « comédie du viol » légère et badine pour accéder au plaisir sans compromettre leur réputation usurpée de vertu.

En partant, en réception, de ce que nous percevons aujourd’hui comme des violences sexuelles du XIXe siècle, nous sommes donc confronté·e·s à des modalités de représentation particulièrement diverses et paradoxales, qui oscillent en particulier entre le pôle d’un imaginaire monstrueux du viol et celui d’une « comédie du viol », sans qu’il soit toujours simple de dire lesquels de ces récits racontaient un viol ou un attentat à la pudeur aux yeux de lecteurs et lectrices d’un XIXe siècle qui commence à penser les traumatismes de nature sexuelle et à prendre en compte leurs victimes. Dans la continuité de notre première journée d’étude, le parti-pris d’un point de départ conceptuel contemporain nous obligera à interroger les modalités de représentations textuelles des violences sexuelles, la variété de leurs significations et les paradoxes de leurs réceptions à partir d’un corpus large, afin de saisir les ambiguïtés et les nuances d’une littérature dont les rapports complexes à la réalité sont fortement reconfigurés au XIXe siècle.