Interférences littéraires, nouvelle série, n° 4, mai 2010:
"Indicible et littérarité"
Sous la direction Lauriane Sable.
Au cours des soixante dernières années, le terme d'indicible a souvent retenti dans le champ littéraire comme une revendication, ou comme un constat propre à générer des tentatives de dépassement. En effet, qu'il soit imputé à la nature même du langage ou à celle des faits qu'il s'agit de nommer, l'indicible suscite fréquemment l'envie de s'essayer malgré tout à repousser la limite, d'anéantir ou du moins de réduire cette altérité ultime que constitue nécessairement, pour l'être de langage qu'est l'homme, ce qui ne peut être dit. Réactivant l'étymologie du verbe traduire, toute tentative de translation de l'indicible en dicible, translation vers le mot d'abord, en mots ensuite, s'apparente en effet à un effort pour « tirer à soi » – autrement dit, pour l'homme, dans la sphère du langage – ce qui provient d'un autre lieu, en l'occurrence radicalement autre, celui de l'innommable. Mais l'indicible, se dérobant à toute traduction littérale, est-il susceptible de trouver son lieu dans la littérature – de faire, autrement dit et pour filer la métaphore, l'objet d'une traduction littéraire ?
À cette question répondent des prises de positions diverses, donnant lieu à des entreprises scripturales variées. Chacun des textes étudiés dans cet ensemble d'études, dans sa singularité, pointe néanmoins vers une source commune, cette limite à partir de laquelle les mots viennent à manquer et qui marquerait non pas le terme, mais l'origine de l'écriture ; dans cette perspective, la confrontation à l'indicible constituerait non seulement le signe distinctif, mais le fondement même d'une certaine forme de littérature contemporaine. Une sorte de lutte avec l'ange au terme de laquelle la marque conférée au texte serait celle de la littérarité même ? C'est en tout cas l'une des hypothèses majeures que se propose d'approfondir ce quatrième numéro d'Interférences littéraires.
Sommaire du numéro
http://sites.uclouvain.be/interferences/index.php?option=com_content&view=article&id=584&Itemid=634
Lauriane Sable
Avant-propos
Michel Lisse
Dicibilité de l'indicible, indicibilité du dicible
Jeanne-Marie Clerc
Etty Hillesum, écrivain de l'indicible
Yannick Malgouzou
Comment s'approprier l'indicible concentrationnaire ? Maurice Blanchot et Geoges Perec face à L'Espèce humaine de Robert Antelme
Ania Wroblewski
Réécrire, revivre, oublier : la genèse et la publication de « La douleur »
Dominique Bonnet
Chronique d'une mort annoncée par une mère à son fils : l'indicible anticipé dans La dernière Lettre de Vassili Grossman
Olivier Odaert
Le jeu de la mort et du hasard : Les Bienveillantes de Jonathan Littell
Eugene Arva
"Confronting Ending Itself, Many Repeated Endings". The Recovery of the Vietnam War in the Traumatic Imagination
Thibault Gardereau
« Voyage sans escale, au plus loin de l'inhumanité ». Moissons de crânes d'Abdourahman Ali Waberi
Caroline Giguère
L'indicible dans La Polka et La Fabrique de cérémonies de Kossi Efoui : jeux de masques et de coulisses
Marie Holdsworth
Expressing the Inexpressible ? A Search for God in Maitland's Home Truths (1993)
Vincent Engel
« Donner, reprendre » : les mots qui tuent les mots
Chiara Lombardi
Under the Gaze of Orpheus. J. M. Coetzee and the Writing of Disaster
Matthieu Sergier
Het bestaan ervaren. De uitdrukking van het onzegbare in de romans van Frans Kellendonck
Marianne Froye
André Frénaud face aux mots : entre misère et sacralisation
Giorgia Bongiorno
Désastres, profanations et résistance dans la poésie d'Andrea Zanzotto Gli Sguardi i Fatti e Senhal (1969) et Meteo (1996)
Serge Martin
Écouter l'indicible avec les poèmes de Ghérasim Luca
Nicolas Pinon
De quelques remarques psychologiques sur une possible traduction de l'indicible en dicible