Acta fabula
ISSN 2115-8037

2010
Juin 2010 (volume 11, numéro 6)
Romain Menini

Trouver une langue (Rabelais — Montaigne)

La Langue de Rabelais — La Langue de Montaigne, Actes du Colloque de Rome (septembre 2003) édités par Franco Giacone, Genève : Droz, coll. « Travaux d’Humanisme et Renaissance », 2009, EAN 9782600012393.

1Les actes du colloque de Rome (13-16 septembre 2003) consacré à La langue de Rabelais et Montaigne ont été publiés chez Droz, dans la collection des Études rabelaisiennes (tome XLVIII, Travaux d’Humanisme et Renaissance n°462). Le livre, édité et introduit par Franco Giacone, porte un titre sensiblement différent de celui du colloque : La langue de Rabelais — La langue de Montaigne, dissipant ainsi l’ambiguïté (et l’éventuel malentendu) d’un idiome unique qu’on eût tort de vouloir trop commun aux deux auteurs.

2Il rassemble 31 communications1 : 15 sur Rabelais, 16 sur Montaigne (nous dit la Table des matières2), séparées par les « Conclusions » de Richard Cooper, qui ne figurent pas en fin de volume avec l’Index et la Table mais en son centre — manière d’insister sur cette « discrepance » (eût écrit Montaigne) qui sépare les langues des deux auteurs et qu’on n’a pas tenu à réduire arbitrairement. Ainsi, hormis deux articles de linguistique consacrés à l’évolution d’un mot ou d’une locution (ceux d’Olivier Soutet et d’Eliane Kotler), ainsi que l’article de Louis Lobbes (« De Rabelais à Montaigne en passant par Érasme. Les Apophtegmes ») et quelques rapprochements assez sporadiques, les intervenants — souvent spécialistes de Rabelais comme de Montaigne — ont tenu à envisager, dans leurs différentes études, les singularités respectives des deux auteurs, davantage qu’une assez problématique « langue du XVIe siècle » qu’ils eussent pu recevoir en partage. C’est, semble-t-il, faire justice à la différence de génération qui sépare les deux plus grands prosateurs dudit XVIe siècle, et surtout à ce qui distingue irréductiblement leurs deux desseins et manières d’écrivain — autant dire avec Montaigne le « maniement »3 de leur langue propre. Distance irréductible, donc, qu’on parle en termes chronologiques, linguistiques ou encore stylistiques. C’est aussi le sens de ce long tiret cadratin que l’éditeur a fait figurer sur le dos, le plat et la page de titre du livre.

3Pourquoi alors rassembler les deux auteurs dans un seul et unique volume, si c’est pour mieux les séparer par quelque discret signe diacritique ? — C’est qu’il faut voir dans l’extrême singularité de leurs deux incomparables « allures poétiques », ainsi que dans leur saisissante solitude à deux moments distincts d’une même « époque », le point commun — et comme le trait d’union — entre deux auteurs qui parlent, chacun à sa manière inouïe, la seule et unique langue de l’Insigne, bien plus que le « français du XVIe siècle ». Rabelais et Montaigne ont tous deux visé à se rendre la « domination pure »4 d’une langue qu’ils ont cherché à s’approprier tant et plus pour en faire, chacun à sa façon d’ « œuvrier », un singulare tantum linguistique et stylistique. Ainsi, « trouver une langue », avant Rimbaud5, ce fut surtout, pour Montaigne comme pour Rabelais, vouloir « estre tousjours seul »6 dans sa propre langue. Comment ces deux écrivains ont-ils donc choisi d’être seuls ?

4Les stratégies furent on ne peut plus différentes, comme nous le montre à chacune de ses pages La langue de Rabelais — La langue de Montaigne. Par-delà la différence d’époque, ce qui frappe avant tout, c’est à quel point les deux auteurs ne rendent pas le même compte à ce qu’il faut appeler l’usage, la « coustume » ou encore l’« accoustumance » linguistique. Car si « chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas dans son usage »7, il faut bien reconnaître qu’entre la barbarie de Montaigne (« Mon langage françois est alteré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu »8) et celle de Rabelais, il existe une différence très nette de degré, sinon d’essence. On se propose donc de relire, de manière consciemment incomplète et nécessairement sélective, les pages de La langue de Rabelais — La langue de Montaigne à l’aune de cette interrogation sur le rapport qu’entretiennent nos deux auteurs à l’usuel en langue et à ladite « coustume », que Montaigne appelle dans l’essai qui lui est consacré « une violente et traistresse maistresse d’ecole »9.

5Plusieurs articles du volume ont insisté sur la richesse lexicale des Essais et de la chronique pantagruéline11. On a plusieurs fois souligné qu’il n’existait pas, pour Montaigne et son lexique, d’équivalent à La langue de Rabelais de Lazare Sainéan12, vaste massif qu’il est encore utile de consulter.

6Jean-Charles Monferran, dans « Le “dictionnaire tout à part [s]oy” de Montaigne », a relevé l’emploi de plusieurs mots de métiers et mots « paysans » par l’auteur des Essais. En se tournant vers les langages techniques, l’auteur des Essais s’inscrit ainsi dans la lignée de Du Bellay ou de Peletier du Mans, qui poussaient déjà à ce type d’enrichissement du vocabulaire, en vue de l’« illustration » de la langue. Montaigne élit particulièrement les domaines de la chasse et de l’art militaire comme « un genereux terrein à emprunter »13, en tant que ces deux disciplines conviennent à celui qui recherche ce « parler succulent et nerveux, court et serré, non tant delicat comme vehement et brusque », autant dire « non pedantesque, non fratesque, non pleideresque, mais plutost soldatesque »14. Les mots de métiers entrent quant à eux dans la constitution de cette « persona simple » que Montaigne entend se construire.

7Jean Céard donne à lire des « Remarques sur le vocabulaire médical de Rabelais », domaine à propos duquel il relève la rareté des investigations de la critique15. Son propos questionne la formation, en France, du vocabulaire médical en vernaculaire, dont Rabelais s’avère le contemporain : « Au moment où écrit Rabelais, l’élaboration d’un vocabulaire anatomique est une tâche en cours » (p. 61). Le critique soumet ainsi plusieurs moments de la Chronique à l’examen du rapport entre les choix lexicaux de Rabelais et ce qu’on sait de l’usage des médecins de la Renaissance ; entre termes techniques calqués du grec ou du latin et équivalents vulgaires en voie d’établissement définitif, le texte sonne comme un témoignage de ce work in progress qu’était alors la langue médicale, notamment pour ce qui est de l’anatomie. Les choix de Rabelais vont du plus savant au plus commun, tantôt selon la langue de son temps, tantôt selon les nécessités de sa page.

8Jean Lecointe, dans « Rabelais et le vocabulaire de la scolastique médiévale », s’est penché sur la présence du langage spécialisé de l’École chez le Chinonais, particulièrement dans le domaine de la logique. Reprenant le travail là où Gilson l’avait laissé16, le critique met en avant l’enseignement franciscain qu’a reçu Rabelais et qui lui a sans doute permis d’acquérir une réelle compétence ; ainsi la parodie de Maître François peut-elle « repose[r] sur un usage maîtrisé du discours parodié » (p. 85) qui fait sa force. Plusieurs exemples viennent étayer la thèse d’un Rabelais bon logicien, témoignant un réel intérêt savant pour le domaine moqué, loin de toute « fantaisie inorganisée ».

9Si le langage grivois est lui aussi quelque affaire technique, ou encore spécialisée, alors Rabelais s’avère à nouveau technicien et spécialiste. L’affaire n’est pas nouvelle ; Myriam Marrache-Gouraud remet sur un métier audacieux la « liberté de langue » non moins téméraire de Panurge et de Frère Jean dans « Un picotin, un bâton, un pot au lait… Le lexique grivois chez Rabelais ». L’enjeu est de « circonscrire un lexique d’autant plus ondoyant qu’il est extrêmement divers et surtout métaphorique » (p. 235) ; plusieurs tableaux en fin d’article visent à la recension d’un tel mouvant « corpus » (pp. 247-255). L’un des résultats de l’enquête : Panurge est « le plus grand utilisateur de mots grivois de l’œuvre » — de loin ! — ; quant au priapisme, c’est bien « l’un des traits distinctifs de l’idiolecte panurgien » (pp. 245-246).

10« Trouver une langue » : cela semble passer par ce qu’Emmanuel Naya appelle dans son intervention « une privatisation du lexique » (p. 349). Good poets borrow, great poets steal. Montaigne revendique son dictionnaire privé ; Rabelais n’a cessé de dépouiller les lexiques antiques et contemporains pour y faire son miel. Les deux auteurs ont voulu « crochet[er] et furet[er] tout le magasin des mots »18. Jean-Charles Monferran a insisté sur la véritable gageure qui consiste à vouloir « faire un usage particulier des mots de tous » (p. 406) ; mais Montaigne le confesse : il « n’e[ût] osé [s]e fier à un Idiome, qu[’il] ne pouvoi[t] plier ny contourner, outre son alleure commune »19. Cet essai III, 5, « Sur des vers de Virgile », donne le fin mot de l’histoire : « J’y veux pouvoir quelque chose du mien. » Le lexique du prosateur a pour « fin principale » d’être sien. La singularité de la langue de Montaigne tient ainsi à ce que Heidegger appellera plus tard, dans un tout autre contexte et en la « barbarie de [s]on creu » : « Jemeinigkeit », le fait qu’elle soit « à-chaque-fois-mienne », sphragis on ne peut plus singulière.

11La question est sensiblement différente dans le cas de Rabelais, dont le lexique ne porte jamais la marque — prétendument authentique — de la première personne des Essais. Narrateur(s) et personnages ont en partage la protéiforme « langue de Rabelais », sans que l’« Autheur » ne puisse — ni ne veuille ! — répondre de son (propre ?) langage. Plus encore, la logique de parodie perpétuelle qui est à l’œuvre dans la Chronique pantagruéline provoque, du point de vue de la singularité lexicale, un effet quasi inverse de celui que recherche Montaigne. Chanter — parler ou écrire — à côté, parodiquement, nécessite à chaque instant d’ « estranger » sa voix particulière.

12Or, là où Montaigne s’oppose — au moins en discours — à la création lexicale et à la « miserable affectation d’estrangeté »20 que constitue la néologie, Rabelais ne cesse de jouer à pousser le mot dans les retranchements de la lisibilité, loin des sentiers de l’usage. La communication de Christophe Clavel, « Création lexicale et performance satirique », qui s’inscrit dans la ligne de deux articles précédemment consacrés aux néologismes chez Rabelais21, tente de pénétrer l’étrangeté du mot « Sorbonicolificabilitudinissemement », qu’on trouve dans la Cresme philosophalle, texte dont l’authenticité rabelaisienne apparaît très probable. C’est selon le critique la « performance satirique » — l’une des voies que peut prendre l’altération parodique chez Rabelais — qui justifie le caractère insolite de l’hapax. On mesurera ainsi la différence de dessein — et donc de langue — qui sépare le créateur de Pantagruel d’un Montaigne, « autheur » désirant authentiquement que « tout le monde [l]e recognois[se] en [s]on livre, et [s]on livre en [lui] » :

Le maniement et employte des beaux esprits, donne prix à la langue : Non pas l’innovant, tant, comme la remplissant de plus vigoreux et divers services, l’estirant et ployant. Ils n’y apportent point de mots : mais ils enrichissent les leurs, appesantissent et enfoncent leur signification et leur usage : luy apprenent des mouvements inaccoustumés : mais prudemment et ingenieusement.22

13 Il est facile de cerner ce qui sépare les deux prosateurs : l’un entend travailler de l’intérieur, par un « maniement » « plus vigoreux », un français « suffisamment abondant » et dans lequel il dit « trouve[r] assez d’estoffe » ; l’autre, prêt à faire courir tous les risques à l’inaccoutumé, tout particulièrement celui de la monstruosité, pour les besoins de son entreprise de parasitage parodique, va recherchant délibérément ce que Montaigne pourra nommer des « desguisements froids et absurdes ». L’un dit se donner « au vif », « tout entier et tout nu » ; l’autre avance masqué derrière le langage toujours déformé de l’Autre. L’hapax de la Cresme philosophalle qu’analyse Christophe Clavel est certes un cas extrême dans le corpus rabelaisien ; il nous renseigne néanmoins sur la capacité rabelaisienne à mettre les choses (du lexique et de la langue) au pire, pour le plaisir de rire.

14Entre ce que Montaigne appelle « plier » et « contourner » l’idiome, conformément à une âme qui est dite « contournable en soy mesme »23 et la manière dont Rabelais peut « contrefai[re] le langaige Françoys », au point de donner la parole à l’écolier limousin24, il y a cette différence de violence faite à l’usage. « Quelle matiere, quel œuvrier »25 : l’un dit vouloir être (dans) sa langue au plus près de lui-même, pour se donner à lire dans une telle proximité ; l’autre trouve son idiome dans l’« estrangement » d’une parodie tous azimuts, sans jamais parler en son nom. À la faveur des communications de Christophe Clavel et de Jean-Charles Monferran, ces deux appréhensions concurrentes de ce que doit être un lexique approprié — à soi, sa « matiere », son « train » et « alleure » — semblent se répondre de part et d’autre du volume26.

15Si l’on excepte la communication de Christophe Clavel, consacré à un cas isolé de « barbarolexie » franco-latine, limitée qui plus est à un seul « mot », et la note finale de Franco Giacone sur la découverte d’une source italienne de Montaigne jusqu’à maintenant inconnue (le poète italien Ludovico Dolce), le thème du plurilinguisme n’apparaît qu’assez peu dans le volume. C’est que les deux interventions de Sophie Kessler-Mesguich (sur Rabelais et l’hébreu) et Concetta Cavallini (sur l’italien de Montaigne) ont paru ailleurs.

16Par contre, plusieurs contributeurs ont fait état de la présence, aux marges de « la route commune »27 du français établi, de jargons, parlures ou idiomes socialement ciblés, notamment chez Rabelais.

17Guy Demerson, dans son « Dr Rabelais. Observation linguistique et littéraire », fait du Rabelais médecin et écrivain un observateur sensible à la parlure des alcooliques, au point de considérer les « propos des bienyvres », dans le chapitre V du Gargantua, comme un « relevé d’auditions » (p. 46). Analysant les propriétés du « discours aviné » dont l’auteur se ferait le « sténographe impassible », le commentateur remarque que lesdits « propos des bienyvres » ne sont pas sans « concorde[r] avec les observations des psycholinguistes » (p. 54) sur les habitudes langagières des éthyliques. Bien loin de « s’enivre[r] de sa langue » (Alain, cité par G. Demerson, p. 57), Rabelais enregistrerait — en toute sobriété, donc, et fort de son expérience médicale — les spécificités psychopathologiques de la « cacolalie » propre aux enivrés. Menée avec verve, cette étude de l’éthylolecte rabelaisien souligne aussi l’acribie qui fut celle de Maître François dans la restitution de certains faits de langue très particuliers auxquels la Chronique pantagruéline n’a cessé de faire une place.

18Michèle Clément a fait porter son étude sur « Le jargon des gueux chez Rabelais » ; remarquant la rareté des études portant sur la période de composition rabelaisienne — là où le XVe siècle de Villon, d’une part, comme la fin du XVIe, d’autre part, ont fait l’objet d’investigations diverses28 — la critique interroge la provenance d’un lexique argotique dont elle enrichit conséquemment les préalables recensions, non exhaustives (par Schwob, Sainéan ou Baldinger). Si les mots d’argot ne semblent pas extrêmement fréquents dans le texte de Rabelais (peu d’emprunts aux ballades en jargon de Villon, notamment), ils sont en revanche, selon Michèle Clément, plus nombreux qu’on n’a voulu jusqu’à présent le croire ; dès lors, l’article s’ouvre sur un nouvel appel au dépouillement du corpus, dont cet article entend être la première étape. Un futur travail allant dans ce sens viserait à prendre en considération l’argot rabelaisien sans le réduire à ces « mots de la place publique » dont parlait Bakhtine. Rabelais a-t-il fréquenté la canaille et son parler secret, connaît-il celui-ci par les livres, ou bien se sent-il « mal à l’aise avec ce jargon » (p. 172) ? L’article a le mérite de relancer le questionnement.

19La contribution d’Isabelle Garnier-Mathez, « Langue et intertextualité. La qualification adjectivale, signe de connivence évangélique chez Rabelais », a mis au jour chez l’auteur du Gargantua la présence d’un trait linguistico-stylistique (l’utilisation de l’épithète) propre à ce qu’elle nomme l’« idéolecte » évangélique. Forte des acquis de sa thèse, publiée entre temps29, en 2005, et consacrée à certaines pratiques langagières qu’elle a su voir à l’œuvre dans plusieurs textes évangéliques français écrits entre 1523 et 1534, la critique cerne, dans les deux premiers « romans » de Rabelais, si ce n’est une stricte obédience, du moins certains « points de convergence » avec ceux-là. L’épithète, telle qu’elle est utilisée dans le Pantagruel et le Gargantua — le Tiers livre ne comportera plus que des « qualificatifs “évangéliques” rémanents » (p. 114) —, témoigne d’une véritable « connivence » avec ce « cercle de Meaux » qui attira de si nombreux écrivains autour de Lefèvre d’Étaples et de Marguerite de Navarre.

20Outre un usage particulier de l’épithète chez Rabelais, plusieurs faits syntaxiques ont retenu l’attention des contributeurs, qui ont pu y voir autant de « stylèmes » respectifs des deux prosateurs.

21François Rigolot s’est voulu le digne continuateur des travaux stylistiques d’Alfred Glauser, à qui son article « Parataxe et hypotaxe. Enjeux sémantiques de la stylistique » est dédié. Il y étudie la syntaxe de Rabelais à la lumière de deux tendances macrostructurales qu’il y retrouve à l’œuvre : l’hypotaxe et la parataxe. Le Pantagruel concentre la plus grande partie des analyses du critique ; sont passés au crible le cicéronianisme outré de certaines périodes parodiques, aussi bien que les listes et autres accumulations infinies, qui semblent fuir la subordination comme la peste. Verdict : « Pour Rabelais, il semble bien que les partisans de la belle période cicéronienne (les spécialistes du parfait chaînon syntaxique) soient tout aussi obsédés que les producteurs de listes énumératives (qui font l’économie de la charpente). » (p. 125). Conscient de ces deux tares syntaxiques, Rabelais emprunterait le masque de quelque « docteur réparateur de la langue » (p. 126).

22Mireille Huchon, dans « Rabelais et le vulgaire illustre », a rouvert un dossier qui n’a cessé de la préoccuper depuis sa thèse Rabelais grammairien. Elle a notamment résumé — tambour battant — les acquis de ses recherches et de son activité éditoriale en balayant presque tous les domaines de l’innovation rabelaisienne, créateur d’un « illustre français, langue “inouïe” » (p. 32) : orthographe, lexique, syntaxe, etc. Rabelais s’est voulu le créateur d’une « norme totalement artificielle » (p. 36), baptisée « censure antique » seulement en 1552, mais mise en place dès 1534. On citera, en vrac, les faits grammaticaux suivants : « séparation du pronom sujet et du verbe, infinitifs absolus, participe passé renvoyé en fin de proposition ; infinitif régime d’une préposition souvent séparé de sa préposition par des compléments ; adverbes, compléments circonstanciels généralement antéposés au verbe… », autant de transpositions « étrangères à l’ordre de nature caractéristique de la langue française » (par exemple selon Meigret).

23Du côté des Essais, on a parfois envisagé certains traits de la syntaxe montaignienne comme le reflet plus ou moins fidèle d’une évolution grammaticale en cours, propre à cette époque de transition qu’il ne faudrait qualifier qu’avec une grande prudence « pré-classicisme ». Bernard Combettes a ainsi présenté les « Constructions à détachement chez Montaigne : Le cas des topicalisations » en soulignant que la spécificité stylistique de l’auteur résidait dans les marqueurs privilégiés par l’écrivain (quant à et la préposition de).

24Marie-Luce Demonet a sondé « l’expression des affects » dans « Interjection et exclamation chez Montaigne », en confrontant aux théories rhétoriques du XVIe siècle la pratique de l’auteur. Les Essais semblent ainsi « au cœur d’une évolution favorable à la fois à la manifestation des passions et à leur contrôle, notamment dans la langue écrite » (pp. 403-404).

25L’infinitif substantivé, peut-être « la création la plus singulière de Montaigne » (J.-Ch. Monferran, p. 421) avait fait l’objet d’une intervention de Claude Buridant, qui a paru ailleurs31.

26Gérard Milhe Poutingon, dans « Sur la dislocation des relatives indéfinies dans les Essais », a étudié le phénomène syntaxique de dislocation comme tour propre à Montaigne et révélateur de ce principe stylistique d’ « allongeail » qui prend de l’importance au fur et à mesure que s’écrivent les Essais. Sa contribution vient ainsi s’ajouter à celle de Françoise Charpentier sur l’hyperbate, parue en 199032. Pouvant, d’une part, « traduire certaines implications psychologiques du style "coupé" » (p. 432), la dislocation qui fait de la relative indéfinie son thème permet surtout à l’auteur de faire de sa phrase un « lieu d’incertitude » ou encore de « suspens », de « brouillage » et d’ « attente déjouée » (p. 434).

27Une étude plus générale sur les « aspects syntaxiques et stylistiques » des Essais, due à Françoise Argod-Dutard, « L’écriture du mouvement dans le livre III », vient confirmer la mobilité de la phrase montaignienne. Un très grand nombre de traits grammaticaux tout à fait caractéristiques du livre III des Essais sont pris en considération dans cette étude qui vise à la « saisie » syntaxique d’un Montaigne dont le « stile et [l’]esprit vont vagabondant de mesmes »33 et que, au moins depuis Jean Starobinski, le lecteur sait perpétuellement « en mouvement ».

28Claire Badiou-Monferran s’est intéressée quant à elle, notamment à la suite des travaux de Richard Sayce et de Claude Buridant34, aux « Binômes (para-)synonymiques dans les Essais » ; la nouveauté de sa contribution réside notamment dans l’intérêt porté aux variantes, témoins d’une « esthétique consciente et intentionnelle » (p. 438) de la part de Montaigne. Les binômes synonymiques dans les Essais — c’est-à-dire aussi dans leur constante réécriture — construiraient, d’après la critique, « une scène — pour le coup préclassique ? — de la civilité » (p. 456) en mêlant, notamment autour de la conjonction et, voix privée et voix publique. On retrouverait, dans le travail même du dire synonymique constamment réécrit, la sempiternelle exigence de « conference » propre à l’auteur des Essais, tout à la fois intime et ouverte à l’altérité.

29 Si les variantes du texte de Rabelais n’ont guère été évoquées que dans l’article de Mireille Huchon — dans le cadre de l’étude sur la mise en place de la « censure antique » à partir de l’édition du Pantagruel de 1534 —, celles de Montaigne ont non seulement fait l’objet de l’article de Claire Badiou-Monferran, mais aussi de celui d’André Tournon.

30Dans « Les palimpsestes du “langage coupé” », le critique propose de lire les corrections et repeints des dernières pages de l’« Apologie de Raymond Sebond », ainsi que dans l’essai II, 3, « Coustume de l’Isle de Cea », comme une « proto-histoire » de ce « langage coupé » que Montaigne voulait sien. Par-delà les uniformisations de l’édition Langelier de 1588, dont l’auteur des Essais se déclarait d’ailleurs fort insatisfait, c’est, après Tacite et Sénèque, à ce « parler vehement et brusque » que s’attache le critique, soucieux de ses segmentations et de ses heurts. S’opposant à toute une tradition d’éditeurs qui, dès 1588, a voulu réduire « les graphèmes visibles [d’un] aspect inquiétant du texte » (p. 369) — notamment, semble-t-il, ses majuscules et sa ponctuation, un peu trop forte pour être honnête, notamment dans l’Exemplaire de Bordeaux35 —, André Tournon fait resurgir les « palimpsestes » de cet idiome où Montaigne, qui veut certes fuir toute « nouvelleté » lexicale, choisit en revanche la hardiesse rythmique d’articulations et de coupures qui tranchent avec l’« accoustumance » stylistique.

31Et l’auteur des Essais de substituer — par cette « écriture du mouvement » et les heurts d’un « langage coupé » où il « adjouste, mais […] ne corrige pas »36 — sa propre « coustume » linguistique à l’usage commun. La pensée pourra y être mise à l’essai dans un assemblage où les pièces ont du jeu, afin de mouvoir un texte « si particulier en usage », à l’image de cette « branloire perenne »37 dont il ne cesse de faire l’« experience ».

32Face à ce « contrerolle de divers et muables accidents », plusieurs contributeurs ont choisi de porter le regard sur l’utilisation qui est faite par Montaigne comme par Rabelais de locutions ou « formes figées ». Soit une manière de sonder à nouveau la dette de nos deux auteurs à l’« usage », ou encore à cette « authorité » dont le principe, signale Louis Lobbes pourrait être en littérature — et qui plus est au XVIe siècle — « aussi fondamental que les lois de l’attraction universelle en physique » (p. 275). Aussi les apopht(h)egmes, les maximes, les adages et les sentences, mais aussi — et peut-être avant tout — les locutions dites « figées » dont le Dictionnaire des locutions en moyen français de Giuseppe Di Stefano a proposé une recension38 ont permis aux critiques de tenter de « prendre pied », comme dirait Montaigne, dans l’infinie labilité des deux corpus.

33Louis Lobbes a rapproché les deux auteurs autour d’une seule et unique pratique de l’apopht(h)egme : « De Rabelais à Montaigne en passant par Érasme. Les Apophtegmes » analyse notamment le traitement réservé par les deux prosateurs à l’une des lectures qu’ils ont en commun, les Apophthegmes. La moisson de « dits mémorables », bien plus riche chez Montaigne (à noter pourtant leur présence importante dans le seul Quart livre, p. 276), fait desdits Apophthegmes (avec les Adages) « l’ancêtre direct des Essais » (p. 280). C’est que passer par Érasme, c’était pour Rabelais comme pour Montaigne — le critique étudie plusieurs exemples ponctuels issus des deux corpus — avoir accès en latin à Plutarque, Diogène Laërce, Athénée ou Philostrate.

34Bénédicte Boudou circonscrit quant à elle « La langue des proverbes dans les Essais », en distinguant cet « énoncé concret de sagesse pragmatique prononcé sur un ton bas » (p. 467) de toutes les autres formes de dit locutionnaire. « La sagesse Françoise a esté anciennement en proverbe »39, écrit Montaigne, qui, nous dit la critique, « fait figure de franc-tireur » parmi les humanistes, plus habitués à « opposer les proverbes savants aux proverbes communs » (p.476) qu’à les recueillir dans le même « registre ». Mêlant, un peu à la manière d’Érasme dans ses Adages, la « parémie » au « mot d’usage », les Essais paient ainsi à de nombreuses reprises leur tribut linguistique à certaines expressions en vigueur « par la seule autorité de [leur] usage ancien et public »40. Le proverbe, fait de langage expérimenté et collectif, est une auctoritas comparable à celle des citations pour un Montaigne qui se plaît au « parler simple et naïf ».

35Rabelais, de son côté, n’est pas en reste pour ce qui est de l’utilisation des formes figées ; plus encore, « la surcharge locutionnaire » caractérise ses écrits, comme le souligne Giuseppe Di Stefano (p. 179), qui étudie, dans « L’acception ludique », les manipulations auxquelles se livre la Chronique sur ces locutions figées, dont le critique proposait en 1991 un Dictionnaire. Il confesse d’ailleurs à regret que « les renvois à Rabelais [y] sont très rares, timides » (p. 176). Pourtant, ainsi qu’il le montre, la pratique rabelaisienne de l’expression figée est un perpétuel jeu sur le potentiel de ses acceptions ; soit un véritable défi, celui de l’identification et de la délimitation du patrimoine locutionnaire dont a hérité Rabelais le manipulateur, pour le lexicographe moderne.

36En écho à la contribution de Giuseppe Di Stefano, celle de Maria Gabriella Adamo porte le regard sur la nature de la manipulation rabelaisienne d’un tel patrimoine ; « Su alcuni détournements di formes figées in Rabelais » analyse ainsi les phénomènes simultanés de « proverbialisation » et de « déproverbialisation » chez Maître François, puis les entreprises de « défigement », et pour tout dire de « détournement » de nombreuses locutions figurées dont la Chronique a entrepris l’altération. Les distorsions, qui prennent place dans ce que la critique appelle, après Patricia Eichel-Lojkine, une « rhétorique de la déviance » (p. 143), se donnent à lire, ainsi que les « parolles degelées », dans toute l’ambiguïté qui est la leur. Quand les modèles idiomatiques, « eschauffez entre [les] » mains du lecteur par les soins du parodiste, « fond[ent] comme neiges »41, il est difficile d’en saisir la pleine teneur.

37Si l’utilisation des expressions figées sonne pour l’auteur des Essais à la fois comme une allégeance au principe d’autorité et comme un pied de nez à la seule tradition savante, volontiers mise en concurrence avec la populaire, la manipulation altérante, chez Rabelais, des paroles à l’usage lexicalisé sert le dégel parodique, joueur et stylisé de tout un déjà-là de la langue mis à l’épreuve et à l’œuvre.

38La communication de Vân Dung Le Flanchec, « Montaigne et le “magasin des mots et des figures”. Le travail de la métaphore dans la langue des Essais », si elle semble au premier abord isolée dans le volume, en ce qu’elle est seule à prendre à-bras-le-corps la question stylistique des tropes, chez un auteur à qui l’on reprochait d’être « trop espais en figures »42, vient en réalité apporter une contribution à l’étude du rapport qu’entretient Montaigne aux locutions lexicalisées. En effet, analyser la métaphore « au travail » sous la plume de Montaigne, c’est tenter, une fois circonscrites les métaphores lexicalisées, d’être sensible aux mouvements originaux de « (re)métaphorisation » souvent combinée qui font la spécificité de l’écriture « espais[se] » en images des Essais. Un grand nombre d’exemples montrent à quel point le « dégel » montaignien s’effectue dans le travail du trope, qui peut ainsi, à chaque page, retrouver le fil de la « métaphore vive ».

39À suivre Montaigne au travail, il devient patent que son entreprise d’appropriation de la langue s’apparente à une volonté de rapprochement  — pleinement topographique — de l’idiome. En effet, sera seul susceptible d’être « mien » un « parler » qui me sera proche (« tout le monde me recognoist en mon livre, et mon livre en moy »43) et, ajoute l’auteur des Essais, capable d’être proposé — aussi « naïfvement » que possible, semble-t-il — à la « conference » des « parents et amis », ainsi qu’à ceux qui voudraient se rendre en ce lieu que montre le déictique « icy ».

40On ne s’étonnera donc que deux communications du volume portent sur ce même adverbe décisif, certes beaucoup moins long que « sorbonicolificabilitudinissemement », mais assurément plus proche de Montaigne et de son lecteur. Éliane Kotler, dans « Ici, de Rabelais à Montaigne », remarque in fine que l’adverbe « renvoie majoritairement au texte des Essais et apparaît comme une marque de la réflexivité de l’écriture autobiographique permettant de créer un espace fictif commun à l’auteur et au lecteur » (p. 303).

41Au terme de cette analyse linguistique peut commencer l’analyse d’Alain Legros qui, dans « Ici essais », prend à son tour en considération ce « déictique de la proximité » dans lequel on doit lire cette « fin […] domestique et privée » que nous dit s’être fixée le « commencement » même de l’adresse « Au lecteur ». Le rapprochement sonore entre « icy » et « essay(s) », souvent liés dans l’œuvre, ouvre un article enlevé qui entend lire chez Montaigne — et y arpenter comme in situ — la langue du Proche, ce singulier idéal d’intimité qui s’exprime (s’imprime aussi) dans la revendication même d’un partage de l’authenticité du « moy ».

42Emmanuel Naya confirme dans « Les mots ou les choses. Le “nouveau langage” à l’essai », cette volonté d’un langage propre, parce que proche. Analysant la parole des Essais comme la mise en œuvre de ce possible « nouveau langage »44 que Montaigne évoque pour les pyrrhoniens dans l’« Apologie de Raymond Sebond », le critique propose une étude du discours montaignien à l’aide des outils de la philosophie sceptique, notamment ceux que l’auteur pouvait lire dans la version latine des Hypotyposes pyrrhoniennes de Sextus Empiricus donnée par Henri Estienne dès 1562. On retiendra, dans cette riche étude, l’appréhension du discours des Essais en tant qu’ « énonciation catachrétique » qui  mettrait en œuvre l’invitation de Sextus à parler « approximativement (catachrèstikôs) », afin de s’approcher en parole du phénomène (legein kata to phainomenon) sans proférer de dogme (adoxastôs). Voulant « rendre sensible l’incertitude de [s]a situation d’énonciation au cœur de [son] énoncé » (p. 335), Montaigne aurait essayé un tel « nouveau langage », plus à même de coller à « la verité des choses » saisie par sa seule « experience » singulière. Le langage des Essais se donnerait, en bonne « sémiotique pyrrhonienne », en tant que « phénomène incertain comme les autres, [dont la] plasticité opaque permet justement de le rendre ployable à tous les usages » (pp. 348-349) ; intimité à soi comme fidélité aux phénomènes y seraient permises à la faveur d’une approximation suspensive, bien plus porteuse d’affect personnel que de portée assertive. Rendu à sa signature sceptique — celle d’un « nouveau langage » qui n’a rien de celui, « Ephecticque », et surtout quasi aphasique, de Trouillogan chez Rabelais45 —, l’« icy » des Essais s’offre comme une topographie de l’approximation affective où l’auteur, le lecteur et les choses peuvent « conferer » à discrétion.

43En regard de cette intime proximité recherchée par Montaigne, les écarts et autres détournements rabelaisiens cartographient une véritable Utopie linguistique où l’« icy » ne saurait avoir sa place. Loin de la domestication, la langue de Rabelais, « c’est le sphinx ou la chimère, dont parlait Michelet, ce "monstre à cent têtes" qui nous confond dans son inépuisable “abysme de science” » (F. Rigolot, p. 115) ; c’est aussi, comme le montre dans son article Mireille Huchon, qui choisit de relire le français illustre de Maître François à la lumière de l’italien illustre de Dante, la « panthère fabuleuse qui parcourt les forêts d’Italie, mais qui ne réside nulle part » (p. 31). Rabelais, taraudé par une questione della lingua devenue transalpine, rejouerait ainsi la quête dantesque — où il s’agit bien de « trouver une langue », comme dira l’autre — : « Il a traqué partout la panthère… » (p. 32) Panthère ou bien « Tarande »47, poliphilesque et macaronique, la langue du pantagruélisme tiendrait sa rareté, sa radicalité ainsi que son caractère incroyablement unique du fait suivant : ce n’est en aucune manière une « illustration du vulgaire » qu’elle propose, mais la création d’un « vulgaire illustre » (p. 21) auquel Rabelais n’a cessé de travailler comme on pourrait pister une créature merveilleuse.

44Le choix d’une langue outrancièrement artificielle, qui détourne à chaque instant la « route commune », se lirait même dans son traitement des sujets les plus simples. Claude La Charité revient par exemple, dans « Rabelais et la catégorie stylistique du rhyparos », sur ce statut de « petit riparographe » qu’assume l’auteur dans le « Prologue de M. François Rabelais » du Cinquiesme livre posthume48. Comme le peintre Pyreicus, dont Pline l’Ancien nous apprend qu’il s’était fait « une spécialité des sujets mineurs, bas ou vils » (p. 145), le Chinonais fait sien ce dévoiement volontaire du decorum en mettant à l’œuvre des « détails sales et dégoûtants (rhypara) » qu’évoque par exemple le Pseudo-Longin, comme corollaire du sublime. C’est que même lorsque Rabelais semble au plus bas — il faudrait écrire icy-bas —, sa rhétorique consciente n’a que peu à voir avec celle de ce champion du « populaire » rêvé par Bakhtine. Formé — par ses lectures « évangéliques », notamment — aux « signes dissimilaires » du Pseudo-Denys l’Aréopagite, ce « grotesque »-là, celui d’un artificier de la distorsion stylistique, se donne à lire comme un « réalisme d’au-delà » (p. 154) ; le « bas matériel » que ne cesse de mettre à l’œuvre Rabelais, fût-il « carnavalesque », ne saurait avoir lieu dans la proximité quotidienne de quelque « place publique ».

45De part et d’autre d’un tiret diacritique — qui nous rappelle aussi l’importance de la ponctuation chez ces deux infatigables correcteurs —, Rabelais et Montaigne ont ainsi pu se donner à voir, mutuellement, leurs « mouvements inaccoustumés »49. Pourtant, l’idiome qu’ils ont respectivement cherché — et peut-être en partie trouvé — n’a jamais pu ouvrir un seul et même lieu qui leur fût « commun ». Tenant à son ailleurs, le non-lieu du premier semblerait même lui permettre de tirer la langue au second, qui, dans l’« icy » de sa « librairie », n’a guère su le lire50.

46Mais si les moyens linguistiques mis à l’essai afin de « trouver une langue » n’ont jamais été semblables, — ce dont le lecteur ne peut que se féliciter — c’est la quête elle-même, insigne et solitaire, qui rapproche les deux prosateurs. La langue de Rabelais — La langue de Montaigne permet d’entendre à nouveaux frais les accents spécifiques de ces deux idiomes qui — plus qu’ils ne sauraient être (seulement) « représentatifs » d’une époque — se signalent par le caractère intempestif de leur pratique stylistique. C’est la raison pour laquelle il faut relire ensemble Rabelais et Montaigne : comme deux professeurs inégalés en cette matière que l’un, dans sa langue, appelle la « des-accoustumance »51.