Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Novembre 2009 (volume 10, numéro 9)
Anne Reverseau

Le poète et le critique : quatre écrivains face à la photographie

Pierre Taminiaux, The Paradox of Photography, Amsterdam, New-York : Rodopi, coll. « Faux-Titre », 2009, 204 p., EAN 9789042026667.

1Spécialiste de Robert Pinget et des relations entre les arts (cinéma, peinture, littérature), Pierre Taminiaux se penche ici sur les liens entre la photographie et la littérature et dissèque quatre « cas » de poètes et critiques d’art qui se sont intéressés à la photographie aux XIXe et XXe siècles : Baudelaire, Breton, Valéry et Barthes. The Paradox of Photography est une synthèse ambitieuse, publiée aux États-Unis, dans la collection « Faux Titre » de Rodopi.

2P. Taminiaux analyse en détail les discours sur la photographie de ces quatre écrivains et critiques devenus les incontournables de toute réflexion sur les rapports entre photographie et littérature — à l’exception de Paul Valéry, trop souvent oublié. Ces textes soulèvent des enjeux techniques, philosophiques et esthétiques : les étudier engage à redéfinir la notion même de représentation dans la modernité (« to redefine the very notion of representation in modernity », p. 6).

3L’ambition de l’ouvrage est de dépasser la vision utilitariste de la photographie et de souligner la nature esthétique de la littérature elle-même (« to highlight the aesthetic nature of literature itself », p. 13). P. Taminiaux montre que l’histoire de la photographie est liée à l’histoire de ses critiques et à l’évolution de la subjectivité, d’où l’importance qu’il accorde aux contextes artistiques, sociaux et politiques dans lesquels ces textes ont été écrits. La critique d’art devient alors un moyen de comprendre la subjectivité et l’univers imaginaire d’un auteur (« critical discourse often underlines the radical subjectivity and highly personal imagination of the writer », p. 14).

4P. Taminiaux s’intéresse principalement aux textes de Baudelaire, « Le Public moderne et la photographie1 » (1859), de Breton, Manifeste du Surréalisme (1924) et Nadja2 (1928), de Valéry, « Discours du centenaire de la photographie3 » (1939), et de Barthes, La Chambre Claire4 (1980). Mais le théoricien prend soin de replacer ces discours sur la photographie dans un contexte plus large, prenant en considération à la fois les autres textes critiques ou littéraires de ces écrivains et ceux des théoriciens de la photographie qui sont leurs héritiers.

5Baudelaire donne lieu à un développement sur la question de la modernité qui aurait des airs de « déjà-vu » si l’auteur n’appuyait pas ses analyses sur une comparaison précise du fameux brûlot contre la photographie avec d’autres textes critiques sur l’Exposition Universelle, sur Delacroix, sur Constantin Guys (« Le Peintre de la vie moderne »), sur l’imagination (« La Reine des facultés »), ainsi qu’avec sa correspondance. Puis, P. Taminiaux interroge la vision barthésienne de la représentation à travers ce qui le sépare de Walter Benjamin, mais aussi ce qu’il y a chez Barthes d’irréductiblement littéraire, donc en convoquant la totalité de son univers critique. De même, l’analyse du discours de Valéry, très solennel par son contexte académique, intègre ses textes sur l’art, nombreux, et autrement plus riches (sa critique de Corot, notamment).

6Ce qui unit profondément ces quatre auteurs et critiques est leur croyance dans les pouvoirs existentiels et éthiques de l’art (« a strong faith in the existential and ethical powers of art », p. 11). En ce sens, le rapprochement de ces textes sur la photographie avec le plus vaste corpus de leurs critiques d’art est pertinent. Au sujet de Breton, la démarche est plus incertaine, car le théoricien du surréalisme n’a pas écrit de grand texte sur la photographie comme les trois auteurs avec lesquels il partage l’affiche. Outre de nombreuses remarques dispersées dans des essais plus larges, on aurait pu s’attarder sur la préface du catalogue de l’exposition de Max Ernst que Breton rédige en 19215 et qui constitue un de ses rares textes théoriques traitant spécifiquement de la photographie. Mais P. Taminiaux choisit d’analyser davantage les textes littéraires de Breton et de prendre part au débat souvent vain sur la prétendue objectivité des images photographiques intégrées dans Nadja. La photographie chez Breton est alors envisagée uniquement au regard de la fiction (« prism of fiction », p. 59), ce qui permet de discuter les conclusions de Rosalind Krauss.

7Si P. Taminiaux porte un regard bienveillant sur les démarches et les théories de Valéry, de Breton et même de Baudelaire, il est en revanche très critique avec le texte de Barthes. Le chapitre « The image, One image, Images », qui porte sur La Chambre Claire, cherche à montrer l’échec de la démarche autobiographique et de la quête d’une ontologie de la photographie. Malgré des remarques pertinentes sur la position de pionnier et de « franc-tireur » (p. 99) qu’occupe Barthes dans la théorie française de la photographie, P. Taminiaux critique son refus de la perspective historique et même la subjectivité de ce « Je » qui fonde la démarche barthésienne. La dimension spectrale du portrait photographique fait l’objet d’un développement riche, convoquant simultanément Walter Benjamin, philosophes de la modernité et théoriciens contemporains comme Georges Didi-Huberman6 et Jean-Luc Nancy7. Dans les pages consacrées à Valéry, « The Fascinated Eye », P. Taminiaux évoque les résonances de la pensée de Valéry sur des philosophes comme Paul Virilio8 ou Jean Baudrillard9. On retrouve dans chaque chapitre ce souci d’élargissement d’une réflexion plus esthétique qu’historique, démarche globalement pertinente dans The Paradox of Photography.

8P. Taminiaux écrit que l’existence même de la photographie incarne le conflit éternel entre la reproduction et la représentation (« the very existence of photography embodies the eternal conflict between reproduction and representation », p. 183) : le nouveau médium oblige en effet la modernité à repenser la mimésis. Le « paradoxe de la photographie » est avant tout historique car le médium marque à la fois le commencement et la fin de la représentation. C’est ce rapport entre la représentation et la modernité qui est au cœur des quatre chapitres de The Paradox of Photography.

9P. Taminiaux se propose de lire « Le Public moderne et la photographie » dans la perspective du développement d’une culture de masse en France, ce qui, en soi, n’est pas très original. Il est particulièrement attentif à la première partie du texte où Baudelaire conspue les titres des tableaux du Salon et il montre comment, avec la notion de distraction, le poète et critique lie son discours sur la peinture à son discours sur la photo, comme certains commentateurs l’avaient déjà remarqué10. Mais il insiste également, ce qui est plus nouveau, sur la concomitance entre la diffusion de la photographie dans la société du XIXe siècle et le développement de la sociologie, nouvelle science et nouveau discours théorique (« a new science in modernity the true new theorical discourse of the mid-nineteenth century », p. 44). C’est dans cette perspective qu’il analyse le déni esthétique et la valorisation de l’utilitarisme que propose Baudelaire pour la photo: ce qu’il critique dans le portrait posé, comme phénomène culturel industriel, n’est pas la valeur ou l’efficacité du procédé photographique, mais le fait qu’une reproduction se fasse passer pour une représentation. L’assaut de Baudelaire contre la photographie est en réalité un assaut contre le matérialisme (« Baudelaire’s furious assault on materialism finds a perfect target in photography », p. 53).

10P. Taminiaux insiste ainsi sur la dimension romantique du propos de Baudelaire (p. 39), en même temps qu’il montre que c’est précisément sa critique de la modernité qui le rend moderne. Il adopte donc la thèse développée par Giorgio Agamben, entre autres, et fait du poète le symbole d’une modernité déchirée et d’une attitude paradoxale et conflictuelle (« the paradoxical and often conflicting attitude of Baudelaire towards modernity », p. 24). Il peut alors conclure que l’histoire de la modernité n’est pas seulement l’histoire du mouvement général de l’humanité vers le progrès technique et sa sophistication, mais aussi de ses nombreuses (et souvent ambiguës) stratégies de résistance au phénomène11, ce qui n’est pas sans évoquer les travaux d’Antoine Compagnon sur Baudelaire, sur les « antimodernes »  et sur les « paradoxes de la modernité »12.

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12Le chapitre consacré à Breton, « Reasonable Madness », insiste sur le fait que le théoricien du surréalisme ne valorise la photographie que dans la mesure où elle se dépasse elle-même. Aussi Breton n’échappe-t-il pas à la comparaison entre la photographie et la peinture. Ce qu’il loue chez Man Ray, comme chez Max Ernst, c’est leur façon d’utiliser les principes de base de la photographie pour mieux les transcender (Man Ray « used some basic principles of photography in order to better transcend them in his famous Rayographs », p. 81). Breton écrit que Man Ray « s’est appliqué d’emblée à lui faire ôter son caractère positif, à lui faire passer cet air arrogant qu’elle avait de se donner pour ce qu’elle n’est pas » (Le Surréalisme et la peinture), c’est-à-dire qu’il met en doute la dimension purement positive de la représentation photographique (« to question the purely positive dimension of photographic representation », p. 81). André Breton envisage donc la photographie avec une distance certaine qui est due à sa position de poète et de critique d’art.

13Si l’analyse détaillée de l’illustration photographique de Nadja n’apporte guère d’éléments nouveaux, en revanche, l’étude du motif de la révélation est précise et convaincante. « Révéler » est pour Breton la mission commune du poète et de l’artiste, que le dévoilement se fasse avec les mots ou les images13. La photographie est alors une façon pour lui de mettre en avant une utopie de la transparence absolue (« The utopia of total transparency », p. 89). La fréquence du terme « révélation » dans les textes poétiques, mais aussi critiques, de Breton doit être comprise de façon concrète et non métaphysique (« the word “révélation” is not to be taken as metaphysical, but rather concrete », p. 89). La photographie est donc une métaphore opérante du surréalisme.

14La photographie est aussi utilisée comme métaphore chez Barthes qui voit en elle une forme de magie moderne (« The conclusion of Barthes’ essay identifies photography with a sort of modern magic », p. 141). Le chapitre que Pierre Taminiaux consacre à La Chambre Claire est l’occasion d’un développement intéressant sur la contingence et la représentation. Il insiste surtout sur l’impossible conciliation entre la contingence de la photo et sa soi-disant essence et reproche à Barthes de bâtir son argumentation sur une supposée esthétique unique de la photographie (p. 119). Il estime que La Chambre Claire est une tentative de déterminer ontologiquement la photographie en même temps que la reconnaissance de la non-pertinence de cette notion appliquée au médium14.

15P. Taminiaux discute la part autobiographique et l’absence de pratique photographique chez Barthes. Il affirme en particulier que son regard sur la photo est extérieur et qu’il l’appréhende comme un objet trouvé (« he tends to consider photographs as “founds objects” », p. 127), ce qui réactive la distinction entre « image » et « picture » (objet), qui est au cœur des Visual Studies américaines. La Chambre Claire ne peut en fin de compte se lire que dans une optique poétique : au cours d’un long développement sur la valeur mortuaire de l’image photographique, P. Taminiaux montre que la fameuse mais invisible photographie du jardin d’hiver agit comme un « double miroir » (« the picture of the winter garden acts as a double mirror », p. 129), puisque le souvenir de sa mère morte est aussi ce qui permet à Barthes d’atteindre le fantasme ou la vision de sa propre mort15.

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17Le chapitre sur Valéry est probablement le plus intéressant car la question n’est pas ici de savoir si la photo est un art mais de découvrir la signification particulière qu’elle peut avoir pour le poète et le romancier. Le « Discours du centenaire » de Valéry se penche sur la rivalité entre arts visuels et arts textuels et montre que la photographie vient bouleverser le projet descriptif de la littérature (p. 147). En effet, pour Valéry, la photo est une véritable révolution (p. 152) parce qu’elle change radicalement la façon de regarder le monde. Présenté comme « l’anti-Baudelaire » (p. 144), Valéry n’est ni nostalgique ni pessimiste dans son rapport à la photographie. Le poète et théoricien estime en effet que le nouveau médium — il insiste sur la jeunesse de la technique déjà centenaire — est une chance pour la littérature qui se voit obligée d’affirmer son identité propre, de trouver une nouvelle liberté et une totale indépendance d’esprit (« literature, by deliberately asserting its own identity can find a new freedom and a total independance of spirit », p. 150). P. Taminiaux voit donc dans le texte de Valéry la quête d’un nouvel absolu littéraire (a « quest for a new literary absolute », p. 150).

18L’analyse de la dimension utopique du discours de Valéry est remarquable : P. Taminiaux montre que le poète essaie de définir une utopie de l’image qui découle du pouvoir écrasant de la science et de la technique dans la modernité16. La fascination et l’attraction quasi-physique que les images photographiques exercent sur les poètes s’expliquent par la possibilité de la raison dans le monde moderne que la photo exprime (« the possibility of reason within the modern world », p. 171). Parce qu’elle appartient à toutes les sphères du savoir et de la vie humaine, la photographie devient un « u-topos », un objet sans lieu propre, qui touche à tout (« a u-topos, an object without its own space, by being a bit of everything », p. 178).

19Parce qu’il est question de la modernité dans The Paradox of Photograhy, chacun des quatre auteurs convoqués est comparé à Walter Benjamin. L’analyse de la photographie, comme symbole de la perte de l’aura, que propose le philosophe allemand, ainsi que la vision nostalgique et mélancolique de Baudelaire, s’opposent ainsi à la pensée de Valéry chez qui on ne trouve ni dépréciation de la technique ni valorisation du passé. Le poète, qui ne peut être qualifié de moderniste, pose donc un regard classique sur une problématique moderne. P. Taminiaux insiste particulièrement sur la position originale de Valéry et les tensions entre le présent, le passé et le futur, mais aussi entre le classique et le moderne, qui s’expriment dans son « Discours du centenaire » (p. 181). Walter Benjamin est également convoqué à propos de Barthes (p. 105) pour montrer ce qui sépare radicalement la démarche historique — les photographies sont choisies pour leur valeur d’échantillon représentatif – de la démarche barthésienne — les photographies sont choisies pour leur valeur émotionnelle personnelle.

20Pourquoi se pencher spécifiquement sur les critiques écrivains ? Est-ce parce que la critique photographique est souvent inexistante au moment de la rédaction de ces textes ? Parce que les écrivains et les poètes écrivent mieux que les autres sur la photographie ? Parce que ces discours critiques nous aident à mieux comprendre leurs textes littéraires ? Ou parce qu’ils disent des choses qu’ils sont les seuls à dire sur la photographie ? Ces questions sont au cœur de toute réflexion sur la critique d’art des écrivains et on aurait attendu de The Paradox of Photography qu’il les pose plus clairement. P. Taminiaux ne propose que dans les dernières lignes de sa conclusion une explication de la spécificité du regard du poète en formulant l’hypothèse que ces discours sont intéressants car ils ne réduisent pas la photographie à une simple question de technique (« a mere issue of technique », p. 190).

21Pourtant, au fil des quatre chapitres, on trouve de nombreuses pistes d’analyses de la spécificité du regard des écrivains et des poètes sur la photographie. P. Taminiaux rappelle par exemple, dans un développement sur la figure du dandy esthète, la nécessité pour Baudelaire de lier poésie et critique. Le poète, par son individualité forte et la distance qu’il conserve avec les autres arts, est idéalement placé pour la critique d’art, ce qui est aussi, peu ou prou, la position du surréalisme.

22Il ressort du chapitre consacré à Breton une volonté de rapprochement des activités poétiques, artistiques et critiques : le théoricien du surréalisme ne cesse en effet de chercher des points communs entre ces champs. Pour lui, l’identité de la poésie et de l’art surréaliste se situe dans la création continue d’images mentales et de visions (« For Breton, the identity of Surrealist poetry and art had to be defined through the ongoing creation of inner images and visions », p. 89). Cette démarche théorique explique en partie la position, non subalterne, mais fonctionnelle, que le surréalisme donne à la photographie : métaphore de l’écriture automatique, pièce maîtresse dans la construction et la conceptualisation du mouvement, la photographie est aussi un outil et un dispositif narratif (« For Breton, photography constituted a unique narrative tool or device », p. 186). La pensée critique de Breton est également l’occasion pour P. Taminiaux d’évoquer l’esthétisation de la technique, un sujet qu’il avait placé au cœur de sa conception de la « surmodernité »17.

23À la lecture de ces quatre chapitres qui abordent des périodes et des univers de référence si différents, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait été pertinent d’analyser plus profondément les situations d’énonciation dans ces textes, ou du moins de se poser la question du statut de Baudelaire, Breton, Barthes et Valéry : parlent-ils en poètes, en critiques, en écrivains, en hommes de lettres, en philosophes ou encore en hommes publics ? Plus précisément, la notion d’« énonciation éditoriale », proposée par Emmanuël Souchier, englobant les procédés concrets de médiation d’un discours ou d’un texte, aurait pu servir à distinguer le circonstanciel du structurel chez ces auteurs et à percevoir plus clairement les particularités d’une critique des écrivains dans le domaine photographique.

24The Paradox of Photography fait la part belle à l’analyse des contextes historiques et artistiques de ces textes : P. Taminiaux commente par exemple le contraste entre les circonstances académiques et officielles du discours de Valéry et le sujet abordé, la photographie. Il replace également les propos de Valéry dans sa quête de l’essence poétique de la représentation visuelle pour en souligner sa dimension philosophique (« the last pages of his “Discours du centenaire” stress the need for a philosophical understanding of the medium », p. 165). En dernier lieu, il montre que, dans ce discours important, Valéry propose une interprétation phénoménologique du médium (p. 166). Mais on aurait aimé voir expliciter le lien entre l’activité poétique et l’activité critique chez ces auteurs, d’autant plus que le rapport entre la photographie et la littérature, plus particulièrement la poésie, est le sujet même du discours de l’un d’eux, Valéry.

25Les relations entre la critique et l’écriture font pourtant l’objet d’un développement intéressant dans le chapitre sur Barthes. P. Taminiaux montre en effet que la vision barthésienne de la photo est inextricablement liée à l’écriture : l’auteur ne renonce jamais aux références à la littérature, même quand il parle d’un langage visuel comme la photographie (« the author never relinquishes the references to literature, even when he speaks about a visual language such as photography », p. 110). Mais ce lien constitue, selon P. Taminiaux, une des limites du discours critique de Barthes. La Chambre Claire est en effet interprété comme un projet de lecture de la photographie. Son échec est celui du discours esthétique sur la photo (p. 136), mais aussi du discours critique de l’écrivain. Le théoricien remet en cause les notions pseudo-scientifiques de Punctum et de Studium (p. 108), bien trop subjectives, en même temps qu’il souligne la pertinence de la démarche autobiographique et émotionnelle de Barthes. Il estime que La Chambre Claire est un essai sur une image et non sur l’image en général (« La Chambre Claire is an essay about one image (that of the mother in the winter garden) and not about the image, meaning photography in general », p. 139.) En fin de compte, le texte de Barthes n’est pas un essai critique mais un essai sur une expérience personnelle de la photo, une réflexion sur un regard (p. 142), et c’est là l’un de ses intérêts majeurs : avoir ouvert la voie aux analyses de la dimension intime de la photographie.

26Le relativisme qui se dégage de The Paradox of Photography est un peu décevant, mais finalement pertinent compte tenu des différences importantes entre les quatre cas examinés. Si les analyses précises de Pierre Taminiaux n’apportent finalement rien de bien nouveau — exception faite du chapitre sur Paul Valéry, trop peu étudié dans le domaine « photolittéraire18 » —, c’est sa démarche qui est originale. L’attention portée aux contextes historico-culturels, la conjonction de la poétique et de l’esthétique, ainsi que le fait de lire ensemble les textes poétiques et la critique d’art des écrivains, permettent d’ouvrir de nombreuses pistes d’analyses, au carrefour de la littérature, de l’histoire de la photographie et de la critique d’art. The Paradox of Photography laisse entrevoir ce qui fait la spécificité du discours critique des écrivains et du regard des poètes sur la photographie. Si, souvent, nous nous posons la question de savoir ce que fait l’image à la littérature19, Pierre Taminiaux nous engage à retourner le problème et à nous demander ce que la littérature fait à la photo, à travers l’usage que les écrivains en font.