Des métaphores pour des théories
1D’emblée, le lecteur est prévenu, Serge Botet n’a pas l’intention, dans son essai, de faire la synthèse complète de tout ce qui a pu être dit sur la métaphore depuis Aristote : il est évident qu’une centaine de pages n’y suffirait pas, d’autant que l’on peut déjà compter à ce sujet, diverses tentatives plus ou moins critiques portant parfois seulement sur des périodes limitées : Yves Hersant, dans son édition des extraits du Cannochiale aristotelico d’Emanuele Tesauro1, avait présenté de nombreux textes théoriques sur la métaphore, de l’époque grecque au XVIIIème siècle et bien sûr, Paul Ricoeur, avec sa Métaphore vive2, faisait plus ou moins autorité dans le domaine.
2On pouvait donc légitimement se demander ce que cet ouvrage apporterait en plus. Il suffit de regarder la bibliographie pour constater que S. Botet s’en tient effectivement aux « théories modernes » de la métaphore : toutes les références sont postérieures à 1950, et la plupart le sont à l’ouvrage de Ricoeur. Serge Botet, d’une certaine manière prend la suite du travail de Ricoeur. Toutefois, à la différence de Ricoeur, il ne cherche pas à proposer une nouvelle théorie de la métaphore, ni même une conception personnelle de la figure, mais uniquement à faire le bilan (critique) des différentes théories apparues entre les années 1970 et 2000.
3L’apport personnel de l’auteur apparait peu à peu tout au long de l’ouvrage, et il est une sorte de conclusion méthodologique : chaque théorie s’adapte au corpus d’images qu’elle se choisit, ou si l’on veut être plus malicieux, chaque théorie choisit le corpus d’images le plus adapté à sa démonstration, en ayant soigneusement tendance à laisser de côté les images qu’elle explique malaisément. À chaque théorie son type de métaphores : des métaphores pour des théories.
4La très grande majorité des théories étudiées par l’auteur sont disciplinairement assez marquées par la linguistique, parfois, mais plus rarement par la philosophie. Serge Botet commence par rappeler le conflit initial entre cette dernière discipline et la métaphore, celle-ci étant écartée par Platon au profit du concept. Ce n’est qu’avec la philosophie moderne que la métaphore revient en grâce et qu’on lui reconnait des vertus cognitives (ce que faisait déjà Aristote) voire un peu plus, une dimension ontologique.
5Serge Botet fait le point sur les diverses théories : on peut les regrouper en 4 grandes familles : celles, classiques, de l’écart : elles mettent en valeur un sens propre, un sens non-figuré que cacherait la métaphore, le sens figuré se substituerait au sens propre sans apportait quelque chose en plus. La métaphore constitue alors un écart par rapport à la norme. Mais ces théories n’expliquent pas toutes les métaphores, notamment les plus osées. Viennent ensuite les théories interactionnelles : les deux termes mis en œuvre par l’image se contaminent l’un l’autre : il n’y a plus réellement de hiérarchie entre comparé et comparant. Les théories cognitivistes de la métaphore expliquent la métaphore comme un processus cognitif qui va du connu vers l’inconnu, du concret vers l’abstrait, du simple vers le complexe ; toutefois la dimension poétique de l’image est laissée de côté. Quant aux théories intégratives, elles substituent les termes d’écart et de norme reconnaissant « une capacité des codes linguistiques à assimiler les écarts » (p. 21). Klikenberg propose de remplacer l’opposition norme / écart par une « dialectique » isotopie / allotopie.
6Cette dernière conception a davantage les faveurs de l’auteur : pour lui, « on évite ainsi deux écueils : 1) l’effet réducteur des théories classiques de l’écart (à la limite, la métaphore se réduit à une synonymie), 2) l’effet-laminoir des théories cognitives qui, en niant toute norme et tout écart, en arrivent à nier la métaphore elle-même. » (p. 22) S. Botet reprend ce couple isotopie / allotopie pour examiner en détail les corpus d’exemples retenus par les tenants de chaque théorie. Pour qu’il y ait métaphore, il fait qu’il y ait à la fois isotopie (c’est-à-dire au moins un sème en commun entre les deux éléments de l’image) et allotopie (c’est-à-dire au moins un sème différent). La métaphore est alors plus proche de l’isotopie ou de l’allotopie selon la proximité entre les éléments mis en œuvre par l’image. L’allotopie dépend également du cotexte et du contexte dans lequel se trouve l’image.
7Les différentes théories ont tendance à favoriser tantôt l’isotopie, tantôt l’allotopie : les objets d’étude sont donc les plus divers : du très classique « Paul est un lion » au « des vagues jappent » plus inhabituel ; les uns étant expliqués par certaines théories mais pas par d’autres et inversement. Serge Botet en tire donc la conclusion suivante « la diversité des écrits portant sur la métaphore ne tient pas tant à la diversité des thèses concernant un même objet, qu’à la démultiplication des objets d’étude. C’est l’avatar que nous avons souligné tout au long de cette étude : chaque théorie semble taillée sur mesure pour un corpus donné. » (p.79). Cette conclusion laisse évidemment au lecteur un sentiment un peu mitigé et une vague déception : pas de théorie miracle, tout aussi moderne qu’elle puisse être.