Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Mars 2008 (volume 9, numéro 3)
Patricia Carlier

La misanthropie au théâtre : enjeux et mise en oeuvre

La Misanthropie au théâtre, sous la direction de Juliette Vion-Dury, Sedes, coll. « Lettres », , 2007, 240 p.

1Quatre pièces composent le corpus de la question de l’épreuve d’agrégation de Lettres « La Misanthropie au théâtre »1. Et c’est un choix européen et largement diachronique que les concepteurs de l’épreuve pour les sessions 2008 et 2009 ont voulu proposer aux candidats, confrontant ces derniers à une véritable mise en perspective des textes pour en comparer les composantes thématiques et formelles. Car se pose la double question de la représentation d’un type de personnage, le misanthrope, héritier du vrai Timon d’Athènes2, et de celle de la théâtralisation de cette misanthropie, c’est-à-dire la mise en scène et en mots d’une attitude qui vise précisément à fuir tout contact avec l’autre et la société. C’est dans cette perspective que le présent ouvrage propose trois approches complémentaires visant tout à la fois à présenter chacun des textes et à préparer les épreuves du concours, tant à l’écrit qu’à l’oral. Par souci de concision, nous ne développerons que la partie « Textes et contextes », laissant aux lecteurs le choix d’utiliser les parties plus « pratiques » et propres au concours selon leurs pratiques de travail dans la préparation aux épreuves.

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3L’introduction de Juliette VION-DURY3, qui insiste sur la portée morale et politique de la mise en scène de la misanthropie, en présente les quatre aspects définis par les pièces au programme du concours. Aux mélancoliques Timon et Alceste s’opposent Cnémon, blessé par sa misanthropie, et Hans Karl, handicapé par sa procrastination. Au-delà de toute considération thématique, c’est sur le fait même de la représentation théâtrale qu’il faudra s’interroger ou comment concilier double (voire triple) énonciation et volonté de se retirer dans le désert ?

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5La première partie « Textes et contextes » propose une présentation détaillée de chacune des pièces. Des analyses précises du texte, de ses composantes thématiques et de ses liens avec le dramaturge donnent une vision claire d’un corpus couvrant largement l’axe chronologique.

6Comédie nouvelle en opposition (terme que la lecture de cette étude permet de nuancer) avec les conceptions aristotéliciennes, comédie de type, comédie politique, le Bourru de MENANDRE, écrite et représentée à Athènes au Ive siècle ave J.C., semble être, pour Claire CHEVALIER4 , une pièce qui, sous la signe de Pan « nécessité dramaturgique instituée par Ménandre », allie l’architecture formelle conventionnelle (enrichie par de nombreux jeux d’écho) et renouveau dramaturgique par une originalité dans le traitement de l’intrigue et la caractérisation du personnage de Cnémon. Ancrée dans son temps (les thèmes de la ruralité, de l’opposition ville/ campagne en témoignant), cette pièce met en avant la réclusion du bourru qui finit par se conformer à la vie en société comme le montrent la double cérémonie de mariage.

7Si la conception de « la misanthropie de Cnémon représente un idéal de vie fondé sur le refus de toute participation à la société […] »5, celle illlustrée par SHAKESPEARE dans la Vie de Timon d’Athènes a une toute autre dimension dans la mesure où CLOTILDE THOURET6 fonde son analyse sur le postulat que l’Athènes de Timon est le Londres de SHAKESPEARE. Dès lors, largement conditionnée par les conditions de l’écriture (l’Angleterre élisabéthaine, les règnes successifs de Jacques Ier et de Charles Ier et le renforcement du pouvoir royal, l’essor démographique et économique de l’Angleterre où l’argent devient un élément moteur), La Vie de Timon d’Athènes s’enracine dans le contexte européen de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècles. Contrairement aux autres textes du corpus, la pièce shakespearienne est une tragédie qui montre le processus de « misantropomorphisme »7, son origine et son évolution jusqu’à la mort du personnage. Clotilde TOURET évoque le passage « de la tragédie du philanthrope au tragique de la misanthropie »8 dans une pièce où Timon, grand seigneur mécène se mue volontairement en marginal par le renversement de fortune qu’est le banquet illusoire (III, 7). Déçu, il se retire et quitte la cité, mais il « devient celui qui lève le voile des apparences pour révéler les ressorts du nouvel ordre politique et économiques, du moins pour en stigmatiser les excès »9. Mélancolique, radical puisque seuls le renoncement et la mort semblent être l’Issue, Timon est un grand héros tragique, singulier et que sa démesure singularise plus encore.

8Singulier, Alceste l’est tout autant, mais c’est une singularité propre « en faire « le sujet d’une comédie ». Mélancolique et atrabilaire, (souffrant d’une affection de la bile), c’est ainsi que MOLIERE a voulu créer son parangon de Timon d’Athènes. Mais la particularité du misanthrope moliéresque est son rapport à l’autre d’autant plus paradoxal qu’il aime la coquette Célimène. Après avoir introduit Le Misanthrope dans l’imaginaire romanesque et théâtral du dramaturge-acteur10, Zoé SCHWEITZER11 insiste sur le caractère moliéresque de la comédie en cinq actes qui « peint les moeurs et les ridicules de son temps »12. Mais c’est dans l’utilisation du motif de la misanthropie comme résultat d’une société génératrice de vices et de fausseté qu’il faut voir la spécificité de la pièce. A cet égard, « le Misanthrope peut être envisagé comme une réponse à la misanthropie »13.

9L’approche du type du misanthrope proposée par Hugo von HOFMANNSTHAL participe pleinement de la représentation d’un monde en déclin propre au dramaturge et en accord avec les conditions de l’écriture14. À une plongée dans le Vienne de la fin du XIXe siècle, nécessaire pour comprendre les mutations culturelles et historiques sous-tendant l’écriture de l’Homme difficile, succède une étude précise de la maladie de Hans Karl, un « Heimkehrer » rescapé de la Grande Guerre dont il porte les stigmates psychologiques. Terrain de lutte permanente entre le moi intérieur de Hans Karl et le monde du dehors, celui de l’aristocratie viennoise, la pièce en trois actes est tout à la fois une comédie de caractère et une comédie de salon, et les références à la tradition comique française peuvent laisser penser à une influence vaudevillesque à la Feydeau. Stéphane PESNEL15 insiste sur la modernité de cette comédie où « traumatisme de la première Guerre mondiale » et « interrogation sur les abîmes de la psyché » viennent enrichir un substrat comique européen traditionnel.

10Toutes issues de la même source, celle de l’athénien Timon, les quatre pièces au programme de l’agrégation posent également le problème de la représentation de la misanthrope au théâtre. Car le rejet même de l’autre et le retrait de la vie mondaine supposent la fin de la communication. Cette problématique se retrouve dans chacune des études proposées dans l’ouvrage où la réflexion sur le langage, son insuffisance et sa fatuité sous-tend fortement les quatre pièces de la Misanthropie.

11On s’attardera bien moins sur la deuxième partie qui propose deux exemples de lectures croisées. Ayant pour but de préparer l’épreuve écrite de composition16, cette approche comparatiste permet la convocation d’un réseau de signifiances donnant une vision globale de la misanthropie au théâtre17.

12Dans la troisième partie de cet ouvrage, destinée à la préparation à l’épreuve orale d’explication de texte, les extraits choisis mettent en avant un point particulier du texte (l’impossibilité de la communication, le dialogue…), et la problématisation de chacun d’eux en fait des révélateurs des enjeux de la question de « la Misanthropie au théâtre ».