Acta fabula
ISSN 2115-8037

2021
Février 2021 (volume 22, numéro 2)
titre article
Thomas Augais

Miroir de la fourcadomachie

Mirror of the fourcadomachy
Laurent Fourcaut, Laure Michel & Michel Murat (dir.), Dominique Fourcade. Lyriques déclics, Paris : Hermann, 2020, 274 p., EAN 9791037003492.

1Alors que paraît de Dominique Fourcade un livre important1, peut-être son « dernier2 », il était plus que temps de prêter une oreille collectivement attentive — ou plusieurs oreilles singulièrement réceptives — à une œuvre contemporaine marquante et d’essayer de définir sa place dans le champ littéraire. C’est ce qu’ont tenté Laurent Fourcaut, Laure Michel et Michel Murat en organisant en 2018 le premier colloque consacré à l’auteur de Rose-déclic, dont paraissent aujourd’hui les actes, sous un titre qui par la friction de deux mots tout autant que l’écho sonore qui les relie constitue une première approche de cette œuvre rien moins que monolithique : Lyriques déclics.

2Le volume est sobre, on regrettera l’absence de bibliographie complète des écrits de Fourcade et de sa critique ainsi que l’absence d’illustrations alors que les références aux arts sont très nombreuses. L’introduction, minimaliste, concise, s’en tient aux grandes lignes. Elle resitue Fourcade parmi ses contemporains en soulignant, par une citation de Jean-Marie Gleize placée à l’orée du livre, l’événement « inaugura[l] » (p. 5) qu’aura été pour « toute une génération de poètes » (p. 5) la publication consécutive du Ciel pas d’angle et de Rose-déclic chez P.O.L en 1983‑84. Contemporain d’Anne-Marie Albiach (1937), d’Emmanuel Hocquard (1940), de Jean Daive (1941) et de celui qu’il considère comme son « frère admirable », Claude Royet-Journoud (1941), Dominique Fourcade (né en 1938) est situé par L. Fourcaut, L. Michel et M. Murat résolument à l’écart de la « modernité négative » du fait de plusieurs traits qui font la singularité de sa voix poétique : sa floraison tardive, puisqu’il a quarante-cinq ans lorsqu’il commence à publier ses livres majeurs, à une date (1983) où les « livres emblématiques des poètes littéralistes sont publiés depuis plusieurs années » (p. 5) ; son expérience de critique et d’historien d’art ; son ouverture à la « culture américaine contemporaine » (p. 6) ; son rapport spécifique au réel qui apparaît comme la « clef de voûte de son œuvre (p. 6) ; un lyrisme « impersonnel, dénué d’emphase, très contenu » (p. 7), proche du lyrisme à « bas voltage3 » des poètes objectivistes américains ; la situation au « carrefour des arts » (p. 8) d’une œuvre irriguée par les apports de la peinture, de la sculpture, de la musique et de la danse. La plupart des articles se concentrent sur l’un ou l’autre, parfois plusieurs, de ces traits dominants, et si l’architecture du volume s’impose comme un sage triptyque de trois fois six articles (le réel, le dialogue, la forme), ce livre est en réalité traversé de courants sous-marins qui sont autant de leitmotive faisant retour d’un texte à l’autre sans qu’une vision unitaire ne vienne écraser cette œuvre polymorphe. Plutôt que de suivre la structure du livre où les articles sont rassemblés au risque d’inévitables répétitions selon qu’ils questionnent le rapport de l’œuvre au réel (Pinson, Para, Fourcaut, Rincé, Baquey et France-Lanord), ses altérités dans les différents domaines de la création (L. Michel, Théry, Lang, Petterson, Vernozy et Malaprade) ou encore les pratiques d’écriture de Dominique Fourcade (Scepi, Murat, Valabrègue, Andriot-Saillant, Riva et Portugal), nous allons donc le char-cuter de short cuts et suivre quelques chemins de traverses en zigzaguant d’un article à l’autre à l’affût des lignes de force de ce massif touffu.

Fourcadogenèse : le déclic des arts

3L’un des grands apports de ce volume est d’interroger le devenir-Fourcade du poète en indiquant d’un article à l’autre quels éléments peuvent être repérés à travers le fourmillement des incessantes recombinaisons de cette œuvre composite. Les auteurs reviennent sur certaines rencontres marquantes dans le domaine poétique bien sûr, mais également dans le domaine artistique : peinture, sculpture, musique, danse, photographie, cinéma. C’est prendre peut-être le risque de « déform[er] le paysage4 » en rendant certains dialogues plus visibles que d’autres qui pourtant apparaissent en filigrane dans le volume. Où sont les articles attendus sur « Fourcade et Cézanne », « Fourcade et Hantaï », « Fourcade et Proust », « Fourcade et Hölderlin », « Fourcade et Rilke », « Fourcade et Heidegger », « Fourcade et Dickinson », etc. ? L’exhaustivité n’étant pas possible dans le cadre limité d’un colloque, on saura gré à ce livre de cartographier néanmoins ce territoire mouvant en indiquant les forces en présence. À ce titre, l’article d’Anne Théry sur Matisse est d’un apport précieux. Il permet d’envisager la publication par Fourcade en 1972 des Écrits et propos sur l’art du peintre de La Joie de vivre comme un « maillon de la chaîne fourcadienne » qui, s’il éclaire la compréhension de l’œuvre de l’artiste, laisse également entrevoir de quelle manière le poète « est formé lui-même par cet objet dont la compréhension intime va lui permettre de renouveler son écriture ». Fourcade « fabrique, de toutes pièces, un Matisse-écrivain jusqu’alors inconnu — parce qu’invisible. Et c’est en le fabriquant qu’il se façonne lui-même comme Fourcade-poète. » (Théry, p. 116‑117). Pour A. Théry, Fourcade va « jouer Matisse contre René Char » en puisant chez le peintre les moyens d’une « déhiérarchis[ation] » (p. 120) du réel qui lui permet de construire sa « poétique des rapports5 » et de

repenser la page du poème à l’aune de la surface de la toile : plate et uniforme, c’est-à-dire ne reposant pas sur les dichotomies traditionnelles centre-périphérie, premier plan/second plan, relief/profondeur, mais sur la simultanéité des plans et la superposition des strates. (p. 120)

4L’opération de « décentrement » (p. 124) que constitue cette édition se prolonge vers les expositions de 19756 et 19777 conçues d’après A. Théry comme un « nouveau mode de poème » (p. 125) et vers des rencontres dans le domaine de l’art contemporain, comme celle de Simon Hantaï venu à Fourcade par la voie matissienne (voir p. 126). Elle se prolonge également vers un texte dont L. Michel, qui aborde l’incontournable relation Char-Fourcade, relève elle aussi l’importance (Théry, p. 125 et L. Michel, p. 108-109) : « Rêver à trois aubergines », essai sur Matisse de 1974 où se précise l’idée d’une syntaxe de la peinture matissienne, préalable à sa traduction poétique :

[...] les différents éléments de la langue du tableau ne s’enchaînent plus dans l’ancien ordre causal où chacun jouait également le rôle qui lui était dévolu de sujet, de verbe, de complément d’objet direct, de conjonction, de pronom relatif8.

5Pour L. Michel, il s’agit d’un texte où s’énonce la « grande idée de Fourcade, celle d’un univers [...] acentré, où tout s’appréhenderait simultanément et sans hiérarchie » (p. 109) mais dans des « termes tout-à-fait proches de l’univers charien », bien que Fourcade en tire des « conséquences sans commune mesure avec ce que fait Char, en termes d’écriture, de vitesse, d’hétérogénéité et de rupture dans la représentation. » (p. 109). Dans Citizen Do (P.O.L, 2008), Char apparaît comme le « dernier héros d’une tradition par rapport à laquelle se fait la révolution moderne de Fourcade » (Michel, p. 112), celle du « poème centré au milieu de la page, et de l’intention du poème centrée au milieu du texte, avec sujet début fin » (Dominique Fourcade, Citizen Do, p. 43, cité par L. Michel, p. 112 et par A. Lang, p. 133).

6Le grand mérite de ce volume Dominique Fourcade, lyriques déclics est de nous permettre de prendre du recul sur cette genèse de la poétique fourcadienne pour mieux comprendre, grâce aux articles d’Abigail Lang et de James Petterson, en quoi la poétique de l’improvisation américaine vient se greffer sur cette méditation sur l’art moderne pour permettre la création par l’auteur du Ciel pas d’angle d’un « dispositif capable de tout accueillir » (Lang, p. 131). Le tropisme américain pour l’improvisation qui « éclate au grand jour », comme le montre A. Lang, avec « le bebop, l’expressionnisme abstrait et la beat generation », se développe à partir d’un réseau racinaire qui remonte à Emerson et à la revendication, en rupture avec l’Europe, d’une « puissance à s’inventer et à se fonder soi-même » (Lang, p. 131). Le Matisse de Fourcade est transatlantique, rappelle Abigail Lang pour expliquer l’articulation entre le modernisme artistique français et la poétique de l’improvisation américaine, puisqu’il s’agit d’un Matisse « déjà médiatisé par l’interprétation américaine d’Alfred Barr et de Clement Greenberg », c’est-à-dire perçu comme un « précurseur de l’expressionnisme abstrait » (Lang, p. 132). Ce branchement permet à l’œuvre de s’ouvrir à la « stridence de l’actuel » (Petterson, p. 147) et à cette « extension de la gamme tonale » du poème qui est l’un des grands apports de Fourcade à la poésie de son époque (Lang, p. 129). La « trivialité » et le « prosaïsme » d’un poème comme « The red wheel barrow9 » de William Carlos Williams ouvrent à Fourcade des « horizons10 », tout comme à James Schuyler et aux poètes de l’école de New York dont la lecture le confirme dans ce goût pour la « juxtaposition des registres soutenu et trivial » (Lang, p. 138). La « solennité11 » poétique est en voie de dissolution.

7Le riche et précieux volume d’entretiens de Dominique Fourcade, improvisations et arrangements, nourrit abondamment la plupart des articles de ce livre. Les entretiens venaient en effet d’être publiés lorsqu’eut lieu le colloque Fourcade d’où est issu ce livre, et les deux éditeurs, Hadrien France-Lanord et Caroline Andriot-Saillant, étaient présents à ce colloque, la communication d’H. France-Lanord portant directement sur cette publication. Si improvisations et arrangements apporte un éclairage passionnant sur les différents recueils du poète,il est néanmoins regrettable que la poétique fourcadienne ne soit pas davantage pensée, lorsque cela est pertinent, contre ou à côté de l’image que le poète lui-même veut en donner. Le cas Matisse, par exemple, peut interroger. S’il y a certes un Matisse américain primordial pour Fourcade, il est dommage que soit oublié tout un pan de la lecture de l’œuvre de Matisse, que le poète qui a constitué au fil du temps sa propre « bibliothèque Matisse12 » ne pouvait cependant ignorer. Or dès 1949 paraît dans la revue Transition — revue transatlantique et bilingue, elle paraît simultanément en français et en anglais — un article de Georges Duthuit intitulé « Matisse et la perception byzantine de l’espace13 ». Son auteur s’est forgé, au cours de son étude de l’art byzantin dont il est devenu spécialiste, une conception particulière de l’image, à l’aune de laquelle il médite sur les nombreux artistes modernes devenus ses amis : Matisse, dont il a épousé la fille, mais également Bram Van Velde, Nicolas de Staël ou encore Tal Coat. Pour Georges Duthuit, qui livre dans ce texte, selon Rémi Labrusse, une synthèse essentielle en ce qu’il « réunit en une même problématique les deux révélations sur lesquelles s’est bâtie sa pensée, l’art byzantin et l’œuvre de Matisse14 », ce peintre a indiqué une voie à la peinture moderne, dans le sens où « l’espace matissien n’est pas limité, borné par un objet quelconque placé au premier plan15 ». Il a su réaffirmer que l’univers de la peinture n’était pas « complètement distinct de l’univers matériel au sein duquel naît l’œuvre d’art » :

Ses personnages font à leur tour partie intégrante de la lumière et restent aussi intimement liés à ce qui les entoure que leur modèle. C’est par la lumière, symbole de l’infini des objets, et non par les objets eux-mêmes que Matisse commence, semble-t-il. Quelquefois, il lui arrive de changer de place en travaillant16.

8Dans Le Feu des signes, le grand livre de 1962 où Georges Duthuit synthétise sa pensée sur l’art, le « moment critique » de la « sortie » du Quattrocento est décrit comme l’instauration d’une séparation entre l’image regardée et un spectateur qui demeure inexorablement « en face17 ». Voici donc exclue du culte de l’art cette « rangée de spectateurs apathiques au nombre desquels, écrit Duthuit, chacun de nous compte à un moment ou à un autre18 ». Dans cet ordre statique qui nous est assigné, « nous perdons tout en nous déplaçant ». L’espace théorique qui nous est imposé est régi par la loi des nombres qui décident de l’échelle, de la grandeur relative des figures. Si l’espace du discours que l’élaboration de cette « syntaxe19 » fait émerger ouvre la possibilité de faire « la somme du saisissable », il devra pourtant « se nier » s’il veut « renouer avec l’insaisissable ». La fin de l’ouvrage cherche notamment à travers les œuvres de Manet et de Matisse les étapes de ce renouement et d’une sortie possible de l’espace-spectacle auquel Duthuit veut substituer un espace-milieu, notre rapport à l’œuvre d’art devant être selon lui de l’ordre de la participation et non plus du spectacle. Exilé aux États-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale, Georges Duthuit y a fait la connaissance d’André du Bouchet et Pierre Schneider (dont l’incontournable ouvrage sur Matisse est de 198420 mais qui a organisé en 1970 la rétrospective du centenaire de Matisse au Grand Palais, véritable « choc » pour Fourcade, voir Théry, p. 118), tous deux étudiants à Harvard, qui seront par la suite ses assistants. C’est en compagnie de Georges Duthuit qu’André du Bouchet découvre en 1949 la peinture de Tal Coat21 dans les parages d’Aix-en-Provence où le breton dialogue avec Cézanne, et amorce les réflexions qui conduiront aux bouleversements de la spatialité poétique et de la syntaxe qui se manifestent au plus haut point dans Peinture, livre publié la même année que Le Ciel pas d’angle, en 1983. Si André du Bouchet, poète ayant été un temps, comme Fourcade, dans le compagnonnage de René Char, est cité (par Jean-Baptiste Para, p. 33) et semble étonnamment proche de certaines formules fourcadiennes comme « [...] le grand réel c’est de l’air sans virgule22. » ou d’une conception de la page comme « ciel23 », ce qui leur est commun dans une pensée de Matisse éclairée par Duthuit demeure malheureusement impensé dans ce volume du fait d’une possible surévaluation du « versant Greenberg » de Matisse qui peut-être interdit l’accès à une partie de sa contemporanéité poétique dans le champ de la poésie française du début des années 1970‑1980. Qu’est-ce qui distingue l’auteur des « parallèles byzantins » (195824) de ces autres approches matissiennes déjà franco-américaines du tournant de la seconde guerre mondiale — un Duthuit qui dialogue avec André du Bouchet, Pierre Schneider, Samuel Beckett25, qui sera plus tard édité par Yves Bonnefoy26 ? Essayer de mieux comprendre où se situe Fourcade par rapport à l’approche formaliste de Greenberg n’engage pas seulement son rapport à Matisse mais plus globalement son rapport à un « réel » — terme incontournable de son œuvre — qui mériterait d’être confronté de manière beaucoup plus approfondie à celui des poètes de L’Éphémère. Ce volume ne fait donc, pour ce qui est d’un dialogue de Fourcade avec les artistes, qu’esquisser une voie possible et placer des pierres d’attente.

9Le grand intérêt de ce livre est néanmoins d’esquisser un panorama complet de ces arts au « carrefour » (p. 8) desquels se situe l’auteur de magdaléniennement. Sans donner lieu à un article comme cela aurait pu être attendu, le rapport du poète à la musique est évoqué de manière diffuse, par Jean-Claude Pinson par exemple, qui compare l’écriture acentrée de Fourcade à l’art du sdvig, de la « bifurcation imprévue » dans le free-jazz d’Ornette Coleman et perçoit la référence à Chostakovitch dans manque27 comme révélatrice de ses affinités avec un lyrisme de la brisure.

10Cependant, l’un des traits les plus spécifiques du poète est son intérêt pour la danse, à laquelle il accorde une place que Delphine Vernozy juge « exceptionnelle » dans « l’histoire des arts » (p. 169), où celle-ci bénéficie souvent d’un statut « mineur » (p. 170). L’auteure de l’article replace les relations de Dominique Fourcade avec la danse dans l’histoire des relations entre les écrivains et les chorégraphes au xxe siècle et questionne la modernité de ses chorégraphes d’élection. Elle rappelle l’émergence de la danse moderne à partir du rejet du ballet narratif, le chorégraphe n’étant plus l’inventeur d’une forme dansée adaptée au livret qu’on lui soumet mais un explorateur des « possibilités du langage du corps et du mouvement » (p. 163). Dominique Fourcade n’écrit donc pas de livrets, mais il écrit « avec la danse, au sens où la danse nourrit très profondément sa poésie et sa poétique » (Vernozy, p. 164), comme le démontrent cet article et celui d’Anne Malaprade. Le poète affirme ses affinités avec quelques chorégraphes « dont les périodes de création s’étendent de 1920 à nos jours » et auxquels il reconnaît la qualité d’être modernes au sens où « ils renouvellent le langage de la danse et lui offrent [...] la possibilité de transférer les éléments de cette grammaire vers sa poésie. » (Vernozy, p. 169) Cela revient, pour A. Malaprade, à « introduire du corps dans le texte. » (Malaprade, p. 171). D’autres auteurs du volume montrent combien ce corps est « désirant » (Henri Scepi, p. 185). Il est « puissance sexuelle » (Anne Portugal, p. 259). C’est en puisant dans cette sexualité que Dominique Fourcade parvient à inventer une « langue dansée » (p. 176). Rendre compte de la « commotion » décisive d’un Merce Cunningham dans une « Zone moi sidérée28 » nécessite en effet de « transférer dans l’écriture un certain nombre d’innovations mouvementées » (Malaprade, p. 174). Là encore, un vaste chemin se dessine pour la critique, pour comprendre en quoi ce transfert n’est pas uniquement métaphorique et de quelle manière il s’inscrit précisément dans le travail de la langue comme a pu le faire Alice Godfroy pour d’autres poètes29. Enfin, Anne Portugal (p. 251-265) complète ce panorama des arts en révélant un rapport de l’écriture de Fourcade avec le montage cinématographique, tel que le pratique en particulier Jean-Luc Godard. Non thématisée dans l’œuvre, cette influence n’en est pas moins confirmée par l’auteur qui reconnaît une « imprégnation involontaire30 » l’ayant rendu très attentif au montage de ses textes.

Abyssale surface du réel

11Les toiles de Cézanne, de Matisse, longuement méditées, guident le poète vers le surfacisme qui entre pour une grande part dans la composition chimique singulière de son œuvre : « Comme d’autres poètes littéralistes, Fourcade a rompu avec la représentation et opté pour une écriture de l’à-plat, où comparaît dans le présent du poème et de la langue un réel sans arrière-monde », précisent les auteurs de la préface (p. 6). Le réel est défini dès l’abord du livre comme ce qui « échappe à la saisie du langage en tant que système symbolique abstrait » (p. 6), une définition sur laquelle revient l’article de Laurent Fourcaut (p. 41-45), qui prolonge des analyses déjà menées dans son ouvrage L’Œuvre poétique de Dominique Fourcade. Un lyrisme lessivé à mort du réel31. Le réel est

coprésence anarchique — non hiérarchisée par un système de valeurs, religieux, idéologique ou culturel — d’éléments de toute sorte, associés par des liens de pure contiguïté, soumis à d’incessantes métamorphoses qui les empêchent de se stratifier en profondeur et les délient du sens, mais les déploient en d’ondoyantes surfaces. (p. 7)

12Seule « passion32 » du poète, comme le rappelle J.‑Cl. Pinson (p. 22), le réel appelle une « écriture-contact » capable de « condenser dans la succession des mots la simultanéité des choses » (Pinson, p. 23), vaste gageure pour quel Laocoon ? Si réalisme il y a, puisque J.‑Cl. Pinson risque ce terme (p. 22), il engage à repenser la notion même de réel, terme trop revendiqué pour ne pas prêter le flanc à de multiples malentendus. Ce volume ouvre bien des pistes, qui appelleront des prolongements. H. France-Lanord met en avant la notion de « vulnérabilité » du poète en tant que « mode d’exposition » tout autant actif que passif (p. 96). Dans les premières pages du Sujet monotype (1997), à travers cette « grande irruption de présence33 » qu’elles proclament, Henri Scepi discerne toute l’« exigence d’attenance34 au réel » de Fourcade et la resitue dans la perspective d’une histoire de la poésie depuis la seconde moitié du xixe siècle, qui est l’histoire d’une « libération anti-rhétorique » (p. 184). La forme du poème ne peut plus être posée « comme un préalable méthodologique », le poème tenant sa forme « du discours qu’il engendre et contient ». C’est alors au point de contact entre le langage et le réel que s’inventent les poèmes de Dominique Fourcade : celui-ci

envisage la forme comme ce soulèvement du réel, à la fois le dessous, l’arrière-plan et la force de détachement, ou de décollement, quasi insurrectionnelle qui s’y manifeste ; il y voit une montée du niveau d’intensité dans la conjonction des choses et des mots. (p. 188)

13H. Scepi rappelle que pour Fourcade, le réel est le « matériau » qui « englobe tout », « sentiments », « émotions » tout autant qu’« événements intérieurs » et « extérieurs35 ». La forme du poème est donc à l’image de ce réel dont « rien n’indique les contours » (p. 190) et qui interdit « toute morphologie préalablement méditée » et toute direction trop prévisible (p. 190-191). L’écriture en prise sur le réel est alors une écriture du « floconnement permanent » (p. 191) où tout pourtant se tient par l’effet d’une « pulsation rythmique » qui connaît ses « moments de cristallisation relative » (p. 192). Plongée dans un « bain acousmatique où résonne » tout l’« espace environnant », la poésie de Dominique Fourcade serait alors « bruitée par le dehors » (Valabrègue, p. 224).

Métaphore & métonymie

14Ce surfacisme implique dans la poésie de Dominique Fourcade un nouveau régime de la page devenue « ciel-plan36 », dans la perspective anti-idéaliste du littéralisme (Pinson, p. 17). Là aussi, il aurait été intéressant de faire l’archéologie de cette tentation poétique simultanéiste, déjà présente par exemple dans la relation de Blaise Cendrars avec un Robert Delaunay qui écrivait dans La Lumière (1912) : « Si la lumière n’ordonnance pas les relations visuelles entre objets, l’Art est conventionnel, il est successif [...]. Ainsi la littérature qui n’a rien de la pureté plastique37 », alors que le poète tentait avec Sonia le Premier Livre Simultané.

15Chez Fourcade, ce tropisme simultanéiste engage une pratique du trope puisque la surface de réparation poétique délimitée par la page impose le hors-jeu de la métaphore comme survivance d’une pensée analogique périmée. C’est ce que démontre J.‑Cl. Pinson pour qui cette poésie est « métonymique » dans la mesure où elle substitue à toute logique « supraphorique » un parti-pris de l’« infraphore38 » défini comme ce « réel prosaïque qui n’appelle rien d’autre que l’aplat d’une écriture littérale » (p. 21) : les relations de « contiguïté » (p. 23) prennent alors le pas sur toute tentative d’élévation poétique hors de saison, la métaphore étant considérée par Fourcade comme l’indice d’un mode « théiste » de la perception, en tant que « lien entre une chose et une chose au-delà, dans un autre monde39 » opposé à l’idéal littéraliste d’un « usage transparent, purement dénotatif, du langage » (Pinson, p. 21). L’expérience « physique du temps, de l’espace et de leur articulation » prime sur le « méta-physique » (France-Lanord, p. 91) et substitue à la poétique charienne de l’éclat celle de l’« espace entre les éclats40 » où Dominique Fourcade situe le moderne (Michel, p. 113). À la « visée » d’un Char qui « cherche à dire, cherche le sens et utilise la métaphore à cette fin » s’oppose une « intégrale interchangeabilité41 » où les « connexions », précise L. Michel, ne sont « pas à lire comme des métaphores » : « Les oiseaux dans le texte sont là pour eux-mêmes, rien de plus et c’est déjà beaucoup. [...] La métaphore n’est pas le sujet. La comparaison est une échappatoire, la métaphore un assassinat42. » Le travail du poète « sur le matériau linguistique » s’avère « sans commune mesure avec ce que fait Char », par « torsion ou décomposition du graphème jusqu’à l’illisible ou l’imprononçable » (Michel, p. 114). Le bleu de Fourcade dans Xbo, pour M. Murat, c’est Éluard « démétaphorisé », Char « désépithétisé » (p. 212) Mais tord-on si facilement le cou à la métaphore ? Peut-on dynamiter les plans étagés de la langue pour durablement la faire adhérer à un sol ? « Comment faire pour que "la page est ciel" ne soit pas une métaphore » (Murat, p. 206), si dans « [t]oute cette saxophonie à la Pollock43 », malgré le déictique chargé de « tout ramener à un même plan », reparaît néanmoins le spectre de la comparaison congédiée, avec ses « deux ou trois étages » (Murat, p. 207) ? Pour J.‑Cl. Pinson, la « suppression radicale » de la métaphore apparaît comme une illusion, ainsi Le sujet monotype sur lequel il appuie son analyse se laisse lire comme une « métaphore au carré » où « viennent interagir tous les éléments hétérogènes que convoque le discours poétique », en appel d’une « lecture synoptique », « non linéaire » permettant la « perception simultanée44 » de « l’unité totale du livre » (p. 23).

Corpoème

16Du lien privilégié avec la musique provient la nécessité pour Dominique Fourcade de bousculer la traditionnelle inféodation du son au sens. Pour L. Fourcaut, le poète éprouve la nécessité de « laver » la parole pour la défaire du « sens institué » (p. 45). Le primat affirmé du son sur le sens lui permet de produire « l’insens » (Xbo) : « un sens entièrement lavé, rafraîchi, régénéré, en travail constant, en proie à toutes les métamorphoses comme terrestres, un sens réélisé » (Fourcaut, p. 45). Pas de « stabilisation du sens » chez Fourcade, remarque en effet J.‑Cl. Pinson qui rappelle que la musique est « l’art majeur » pour le poète car elle peut « opérer hors de l’exigence du sens45 ». H. Scepi observe dans ces poèmes une « circulation » du « son-sens » à la faveur de laquelle « souffle et langue » s’affirment « d’un seul tenant » (p. 194). L’exigence de simultanéité impose pour H. France-Lanord l’« intégralité perceptive » (p. 94) de cette poétique de l’« en même temps ». Décrite comme un « ensemble de sons qui fait sens46 », la poésie fourcadienne s’enfonce dans le concret de la « chair » du mot, loin de tout « formalisme » (p. 94).

17Le problème du régime d’écriture, qui est une préoccupation récurrente dans improvisations et arrangements, apparaît pour H. France-Lanord comme une question de « tempo » : le vers est une « phase de temps47 » et la syllabe elle-même une « question d’espace et de temps », l’opération poétique consistant à placer le « maximum de sens dans un minimum de temps-espace48 ». Le vers est donc reconsidéré à l’aune des problématiques de la ligne et de la vitesse (p. 92), ce qui impose une désarticulation de la syntaxe analysée par J.‑Cl. Pinson comme l’impératif « post-mallarméen » de détendre cette langue française qu’avait retendue à l’extrême l’auteur du Coup de dés (p. 26). James Peterson analyse la transposition féconde de tournures syntaxiques anglaises dans cette perspective (p. 153). Cette manière fourcadienne d’aborder la dimension sonore de la poésie ne met pas à distance les préoccupations plastiques, bien au contraire, car comme le rappelle Frédéric Valabrègue à propos des recueils Son blanc du un (1986), Xbo (1988) et IL (1994), la découpe du son, l’art de « concasser les consonnes », de « modeler, moduler les voyelles » et le souci de considérer les mots comme des « matériaux malléables » sont autant de façons de rappeler au lecteur que « le sens de la poésie est plastique » (p. 215). Les workshops de Clement Greenberg avec des sculpteurs comme Anthony Caro ont pu confirmer le poète dans son intuition que le son se prêtait à être abordé dans une double perspective : « autant plastique que musical » (Valabrègue, p. 215).

18Dominique Fourcade. Lyriques déclics apporte beaucoup à l’étude de cette dimension sonore de l’œuvre, un sujet particulièrement présent dans l’actualité de la recherche poétique, depuis en particulier la publication des Archives sonores de la poésie49. La voix du poète dans ses performances orales est en effet longuement analysée par Frédéric Valabrègue et Caroline Andriot-Saillant. Le premier souligne la mémorable exactitude du placement de la voix de Dominique Fourcade dans ses lectures publiques, sans rien de « surjoué » (p. 217). Le poète qui « écri[t] sans voix des sons50 » ne lui semble pas chercher à « faire de la musique », ses poèmes étant faits d’« autant d’a-musicalité et d’atonalité [...] que d’harmonie », révélant une « poésie du son » plutôt qu’une « poésie sonore » (Valabrègue, p. 218). S’appuyant sur son expérience d’édition des entretiens radiophoniques du poète en collaboration avec H. France-Lanord (improvisations et arrangements, Paris, P.O.L, 2018), C. Andriot-Saillant analyse « l’écriture du poème, la lecture du poème à voix haute » et « l’entretien au sujet du poème » comme ces « trois plans où l’on peut chercher à définir la voix » (p. 228). Elle montre que la « voix de l’écrit [...] implique l’abolition de la voix du sujet écrivant » (p. 228). Elle n’est pas, chez Dominique Fourcade, « assignable à une identité, ce qui est une leçon de la modernité », mais cela va plus loin que la simple « rupture avec le paradigme du lyrisme subjectif d’expression personnelle » : « Cette attention au son en deçà de la voix soulève la question de ce que peut être la voix du texte en elle-même, vers laquelle tend l’écriture » (p. 229). Difficile, donc, souligne C. Andriot-Saillant, de distinguer le « corps du texte » du « corps de l’écrivant », tant « ce sont des corps de langue impliqués conjointement » dans un processus d’écriture conscient de la « physicalité du langage » : « Le poème est un corps dans un espace-temps de matière que la voix du texte manifeste » (p. 229). C’est ainsi que dans l’expérience de la lecture à haute voix où se manifeste la « condition anaérobie51 » du poème, Fourcade peut jouer « Zukofsky contre Charles Olson » (p. 233), dans la mesure où prenant le contrepied d’une lecture énergique et expressive tendue vers la projection du souffle, il fait le choix, jouant sur la vitesse et l’imprévisibilité du rythme, du style de lecture « minima[l] et anti-expressi[f] » décrit par Charles Bernstein52 (p. 231) : « Le corps livré à l’auditeur est celui du texte, non la gorge déployée du poète » (C. Andriot-Saillant, p. 233). Quant aux entretiens, ils laissent reparaître la voix « auctoriale », celle qui donne consistance à un « moi », pourtant C. Andriot-Saillant démontre par de très belles analyses de quelle façon ils « prennent part au poème » à leur manière : « Leur tissu vocal rend perceptibles les éléments d’une syntaxe commune aux deux autres plans, celui de l’écriture et celui de la lecture » (p. 234) dans la mesure où la recherche d’une réponse « expose les heurts du corps vocal du poète jusqu’aux efforts pour ressaisir ce réel de la langue dans un dessaisissement de soi, au bénéfice d’un langage en travail, dont il faut trouver le nom » (p. 235).

Littéral(yr)isme & poéthique

19Le présent volume, « multipiste » à l’envi de son insaisissable modèle, donne donc bien des éléments pour situer Dominique Fourcade dans le paysage poétique contemporain sans l’enfermer dans l’opposition binaire entre littéralisme et lyrisme. Si J.‑Cl. Pinson indique certains traits d’un littéralisme d’ascendance picturale chez Fourcade — abandon de la narration, aspiration à la simultanéité, la page devenue « espace homogène », débarrassé de toute centralité, vouée à la « dispersion brownienne » du sens (p. 18-19) — il souligne néanmoins la conjonction de « l’extrémisme esthétique » vers lequel il tend avec une forme de « lyrisme » (p. 12) : « Car un littéralisme n’a de valeur et d’intérêt que s’il est conducteur de chant ; un lyrisme n’est juste (au sens d’abord musical du terme) qu’à la condition d’une "hystérisation" du langage, de son matériau » (p. 13). Jean-Marie Gleize intègre Dominique Fourcade dans l’école littéraliste tout en soulignant que la « polyphonie plane » qu’il pratique dénote encore un souci musical et qu’il ne s’aligne pas sur la « raréfaction53 » minimaliste qui caractérise les poètes de la modernité « négative ». Dans la continuité de l’approche défendue dans Habiter en poète, J.‑Cl. Pinson réitère les pourparlers de paix grammaticaux entamés en 199454 en maintenant la conjonction de coordination « et » entre les adjectifs ennemis : « Littéral et lyrique » est le titre de son article. M. Murat voit dans l’opposition tracée dans IL entre la position « de face » et la position « de dos » (de face / le monde n’est pas visible / car il n’est pas de face / seulement de dos / le monde est monde55) la clef d’un lyrisme intenable, tendu entre l’« "exclamation" (de face) » et la « "protestation" (de dos) » (p. 204). S. Riva (p. 248) et L. Fourcaut mettent au jour une tension de l’œuvre vers le neutre comme « volonté de désanthropomorphiser la langue du poème » (Fourcaut, p. 50). J.‑Cl. Pinson discerne des « éclats de vécu » chez Fourcade et le juge « parfaitement rilkéen » (p. 20) dans sa manière de considérer le poème moins comme le lieu du sentiment que de l’expérience, ce en quoi il est rejoint par J.‑B. Para et L. Fourcaut qui insistent en particulier sur l’« épreuve de la mort » qui innerve cette œuvre élégiaque, « orphique » (préface, p. 7). « Fourcade est un lyrique assurément » (p. 7) pour les auteurs de la préface qui rappellent que pour lui « il ne peut y avoir de grande poésie sans lyrisme56 ».

20Pourtant la lecture de Hölderlin, dont plusieurs auteurs soulignent l’importance57, invite J.‑Cl. Pinson à se demander quel lyrisme reste possible lorsque « l’hymne est "brisé" » (p. 26). Un lyrisme du « chant couvrant les cris » (Para, p. 36), un lyrisme « sans emphase, "désapplaudi" » (Pinson, p. 26). Ce lyrisme défini dans la préface comme un lyrisme à « bas voltage58 » (« tuned down59 ») est qualifié d’« hystérique » par Abigaïl Lang, c’est-à-dire à la fois « outré » et « distancié » (p. 139). Dans ce « bas voltage », A. Lang décèle l’influence de la poésie américaine : « [...] le mot à mot de l’ordinaire, le presque rien du tout simple, est un des visages d’une grande tentative lyrique d’aujourd’hui60 ». C’est chez Emily Dickinson que Dominique Fourcade découvre « quelque chose à la fois de sans retenue, mais de complètement contenu61 » comme la « conjonction de la foudre et du bas voltage » (Lang, p. 140). Lecteur de My Emily Dickinson de Susan Howe(1985), sa « sœur en poésie », qui dans son approche de l’œuvre trace un lien entre tradition et modernité, Fourcade endure comme elle le « coup de glotte, symptôme de l’angoisse » (p. 144) et « opte pour un lyrisme foncièrement bégayant, ou boitant : prosaïque, tout en restant voué au chant » (p. 144).

21Cette question du « nouage » entre littéralisme et lyrisme ne fait pas toutefois l’objet d’un consensus, et le débat reste ouvert, Fr. Valabrègue — attentif à la façon dont Xbo « étrangle » le chant, dont Son blanc du un « coupe le son » — défendant l’idée que la présence de cantatrices, de musiciens, de compositeurs et d’oiseaux dans la poésie de Fourcade « ne permet pas pour autant la qualification de lyrique dans la mesure où la conscience d’écrire est plus forte et réelle que celle de chanter. La littéralité rabat la musique » (p. 222). L’essentiel est surtout dans l’approfondissement des causes de ce bégaiement poétique, ce qui nous reconduit au point de contact du poète avec son époque, c’est-à-dire à cette zone de turbulence où les exigences formelles rencontrent une éthique, s’il est admis, comme H. Scepi le propose, que la forme du poème est

d’abord ce que le poème dit et fait, au nom d’une exigence maximale de vérité, et à partir du réel conçu comme le foyer aveugle et anonyme des empreintes, des énergies et des mouvements qui gouvernent l’écriture et décident de ses actes. (p. 189)

22La question essentielle, pour J.‑Cl. Pinson, est donc celle de la « poéthique », c’est-à-dire du lien « consubstantiel » entre la poésie « dépositaire d’une promesse d’habitation poétique pour tous » (p. 14)et la « question "Gaïa" » (p. 13) qui intime au poète d’inventer un « chant de la terre post-romantique » (p. 15). Stéphane Baquey dans son analyse d’en laisse, sans lasso et sans flash et éponges modèle 200362rapporte la dimension élégiaque de l’œuvre à la question politique qui en est indissociable en soulignant combien pour Fourcade « la beauté elle-même est coupable parce qu’elle avait une responsabilité » (p. 83). Mais là encore, l’approche du poète est infraphorique. En effet, chez Dominique Fourcade, ce « devoir de l’écriture ne repose pas sur la contestation de cadres normatifs moraux ou légaux » (p. 82) : « l’écriture comme vulnérabilité est littérale, elle est expérimentée dans l’écriture elle-même, à la surface même de l’éponge ». Ce qui « peut nous toucher dans la littéralité lyrique de l’écriture » est donc « d’une extrême gravité » (p. 82). Si ce qui arrive dans le tout arrive du réel c’est la « torture, et, face à elle, le deuil », alors l’écriture est « réponse affective » à ce « déni d’humanité poussé à l’extrême » : c’est « dans le plan de composition où résonne l’affect » qu’il faut qu’une « reconnaissance de l’humain comme mourant empêche tout massacre » (p. 84).


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23Il s’agit donc avec le présent volume d’un important déclic dans la réception de cette œuvre dont le murmure toutarrivesque63 et insituable balance entre l’inaudible et l’inouï, main(s‑)tenant son lecteur dans la tension du tout ouïe. Cette première pierre est une pierre d’attente. Nul doute que les questions qu’elle suscite rebondiront dans les travaux qu’elle appelle.