Le théâtre pris aux mots
1Le théâtre est art du spectacle, des corps et du verbe. Mais si les mots sont une part essentielle de l’action dramatique, ils entretiennent une relation complexe à la nomination des arts de la scène : le langage tente bien souvent de cerner un « phénomène théâtre » qui lui échappe en partie.
2Comment les langues européennes ont‑elles nommé les mutations esthétiques et pratiques qui ont marqué l’évolution du théâtre occidental ? Prenant au sérieux cette question, Le Théâtre au miroir des langues propose de réexaminer l’histoire du théâtre au prisme de l’histoire des lexiques. Cet imposant ouvrage collectif, résultat du travail mené pendant plusieurs années dans le projet « IDT – Les idées du théâtre1 », rassemble les contributions de dix‑huit chercheuses et chercheurs sous la forme d’une encyclopédie raisonnée. On y découvre la première recherche comparative globale menée en français sur la révolution terminologique qui, entre 1550 et 1660, a refaçonné les arts du spectacle de l’Europe méditerranéenne. Au miroir des langues romanes est réexaminé un tournant culturel majeur : baroque italien ; Siglo de Oro espagnol ; Renaissance et premiers pas du classicisme français. Le livre, lui‑même conçu comme un « miroir » (au sens de somme de savoirs, p. 13), explore ainsi un siècle d’activité néologique d’une rare intensité, période pendant laquelle les historiens situent aussi l’émergence du théâtre moderne.
3Les apports de ce travail ambitieux apparaissent essentiels : originalité de l’approche lexicographique ; véritable réflexion comparée sur trois cultures dont les divergences sont analysées avec le même soin que les convergences ; volonté d’une saisie globale du fait théâtral, de sa production à sa réception, traduite par des enquêtes fouillées dans le tissu des mots. À cela s’ajoute la maniabilité d’un volume de presque sept cent pages dont les notices se consultent aisément grâce à leur regroupement en huit chapitres thématiques et à deux index fort utiles (p. 673‑683).
4Au‑delà de ces qualités, la force d’un tel miroir est d’inviter à réfléchir à la notion même de langue théâtrale, qui est loin d’être évidente. Comment une telle langue se constitue‑t‑elle, à partir de quelles sources et pour quelles visées ? Cerne‑t‑elle des réalités, impose‑t‑elle des idées ? Que peut encore nous dire aujourd’hui la révolution lexicale qui a accompagné l’âge d’or des scènes européennes aux xvie et xviie siècles — et que nous cache‑t‑elle ?
Au prisme des langues romanes : convergences/divergences
5Dépassant les analyses ponctuelles consacrées à un auteur, à un genre ou à un pays, Le Théâtre au miroir des langues fait le choix pionnier d’une approche translinguistique. Ce faisant, il suppose qu’une langue artistique se construit au prisme de diverses interactions — entre les façonneurs des termes et leurs usagers ; entre les aires culturelles ; entre les héritages communs et les interprétations propres à chaque tradition. L’hypothèse, qui soutient l’ensemble de l’ouvrage, est au cœur de son projet méthodologique.
6Pour être significative, l’enquête a dû être sélective. Laissant de côté le théâtre anglais, surabondamment étudié, elle se déploie ici dans trois langues romanes, le français, l’italien et le castillan. Le volume vise à analyser leurs échanges et leurs jeux d’influence autant qu’à souligner leurs particularités, voire leurs incompréhensions mutuelles.
7Le résultat est d’autant plus passionnant que les cultures théâtrales dans ces langues sont alors engagées dans une relation de dialogue et de compétition. Troupes et œuvres circulent entre Italie, Espagne et France ; les mots et les réflexions esthétiques s’échangent, tandis que s’accentuent les divergences d’interprétation. On prend en effet beaucoup mieux conscience que l’écrivain en français a affirmé son prestige en s’assurant l’exclusivité du statut d’auteur, si l’on sait que l’autor désignait en castillan le chef de troupe, principal responsable du spectacle (p. 425‑428). De même, l’attachement de la société de cour française à la civilité et à la politesse des mœurs transparaît de manière frappante dans le terme bienséances ; pour qualifier la convenance théâtrale, le castillan et l’italien usent quant à eux d’un terme rhétorique neutre, le decoro (p. 371‑374).
8Ces singularités sont apparues au sein de cultures lexicales convergentes. De fait, l’élaboration de nouvelles terminologies théâtrales en italien, en castillan et en français s’est nourrie de sources souvent identiques :analyses de la Poétique d’Aristote (p. 338‑344) ; récritures des classiques de l’Antiquité romaine ; souvenirs, parfois, des arts poétiques médio‑latins des xiie et xiiie siècles (par exemple pour certaines acceptions du terme tragédie p. 64‑66). Sans surprise, le latin est le point focal du miroir des langues romanes. Source des trois idiomes étudiés, il a été pour chacun d’eux un opérateur de transfert essentiel entre lexique antique et lexique moderne des scènes. Les décennies 1550‑1660 ont été dominées par la forte valorisation des Anciens. Les lexiques et les esthétiques néo‑antiques ont revêtu une importance primordiale, comme en témoignent les noms de genre comédie et tragédie, ou encore la nomenclature des phases de l’action dramatique (p. 231‑245). Dans ce domaine, les expérimentations des tragoediae, comediae et autres dialogi ont joué un rôle non négligeable. La forte influence que le théâtre néo‑latin du xvie siècle a exercée sur la dynamique néologique des langues modernes aurait pu être davantage soulignée (certains éclairages ponctuels se trouvent p. 272 et passim). Mais ce sujet, de vaste envergure, mérite certainement un autre volume.
9À partir de l’héritage commun de la latinité, le miroir roman s’est aussi diffracté en perspectives divergentes. L’une des spécificités de l’ouvrage est d’éclairer cet aspect peu connu, notamment dans l’objectif, mentionné dès la quatrième de couverture, de mettre au jour des « spécificités nationales ». Cette visée n’est pas sans pertinence car les xvie et xviie siècles voient assurément la concurrence accrue de nombreux espaces européens. Le royaume de France et l’Espagne Habsbourg en sont deux excellents exemples, et les théâtres en français et en castillan n’échappent pas à cette compétition culturelle. Toutefois les notions de spécificité et d’identité nationale sont peut‑être à manier avec prudence. Le théâtre produit à Florence vers 1600 ne résume pas la culture d’une nation italienne qui se pensera comme telle au xixe siècle. Le théâtre en langue française et le français comme langue théâtrale n’étaient pas l’apanage exclusif du royaume de France, malgré la centralisation renforcée de ce dernier au xviie siècle. À cette période, Italie, Espagne et France apparaissent plutôt comme un enchevêtrement mouvant d’aires linguistiques, d’espaces politiques et de zones culturelles ; on songe par exemple aux Pays‑Bas francophones qui, à l’instar de Naples et du sud de l’Italie, étaient alors gouvernés par la couronne d’Espagne. L’habitude d’assimiler la langue, le pays et la nation, longtemps puissante dans l’historiographie théâtrale, a tendance à minimiser cette complexité. Loin de nuire à l’enquête comparative, une prise en compte plus fine des variations linguistiques, des influences politiques et des mobilités culturelles qui travaillent les zones francophones, hispanophones et italianophones entre 1550 et 1660 pourrait certainement en renforcer les résultats.
Une langue théâtrale en révolution(s)
10Les décennies 1550‑1660 sont le temps d’une évolution lexicale d’importance majeure pour l’histoire du théâtre européen. Le Théâtre au miroir des langues démontre avec clarté qu’il s’agit d’une révolution, c’est‑à‑dire, en l’occurrence, d’une renaissance. On sait que le régime d’historicité renaissant se caractérise par une valorisation des passés culturels lointains au détriment des héritages proches. Toutefois, la pensée renaissante était loin, au milieu du xvie siècle, d’être une pensée unique et l’approche comparative joue sur ce point un véritable rôle heuristique. En effet, les fines comparaisons ici menées dans les lexiques romans permettent de beaucoup mieux saisir les différences entre les cultures théâtrales françaises et italiennes d’une part, et la culture espagnole d’autre part, qui semble assumer plus nettement l’héritage lexical du siècle précédent (1430‑1550).
11On pourrait rapidement en conclure que l’art castillan est resté plus proche du « Moyen Âge » que le théâtre en italien, de culture baroque, ou que les scènes françaises, annonciatrices de l’âge classique. Toutefois, les analyses minutieuses menées dans les notices montrent une réalité plus complexe et plus intéressante.
12Qu’il s’agisse de termes de genre (dont farce, farsa offre un exemple, p. 25‑28) ; de l’acception théâtrale de personnage (p. 309‑310) ; de mots qualifiant le déroulement des spectacles (jornadas ou entremés, p. 222‑226) ; de désignations des groupes d’acteurs (p. 472‑483), la majorité du vocabulaire que le castillan conserve et que le français et l’italien discutent et souvent abandonnent entre 1550 et 1650 est apparu dans les langues modernes au plus tôt vers 1380, et surtout entre 1430 et 1500. Il a atteint son plein usage entre 1500 et 1540. En 1550, ces mots ne sont plus nouveaux, mais ils sont loin d’être désuets. Beaucoup d’entre eux nomment d’ailleurs des pratiques concrètes qui n’ont guère connu de solutions de continuité. On songe par exemple à la contractualisation qui unit les comédiens dans des associations à but lucratif connues sous le nom de compagnie, compagnia, compañia. Généralement considérée comme l’indice de la professionnalité des troupes italiennes à partir de 1545, la formation de telles compagnies d’acteurs est documentée en français dès les années 14802.
13L’attitude des dramaturges français, italiens et espagnols devant cet héritage terminologique a varié en fonction de leurs positionnements au sein d’un commun régime d’historicité renaissant. Mais on peut aller plus loin : le fait même que lexicographes et théoriciens des années 1550‑1660 aient pris position face au lexique théâtral forgé dans les décennies immédiatement précédentes met en lumière l’existence d’une première révolution notionnelle du théâtre autour de 1500. Son déploiement dans les langues européennes est resté jusqu’ici inaperçu, sauf chez les spécialistes. C’est face à cette première révolution, caractérisée par des innovations lexicales touchant aux pratiques de la scène (rôles de répétition, statuts de fatistes, d’orateurs, d’entrepreneurs de spectacles, contractualisation des compagnies, etc.), que s’est positionnée la deuxième révolution ici étudiée, qui a dès lors investi des champs lexicaux et sémantiques différents.
14Si Le Théâtre au miroir des langues ne s’attarde pas sur ces évolutions complexes, qui ne sont pas son propos, celles‑ci jettent un jour nouveau sur les analyses qu’il développe. La pertinence du cadrage chronologique que le volume adopte en est renforcée : s’ils n’ont pas inventé les lexiques théâtraux en langue moderne, les xvie et xviie siècles les ont profondément réinventés, et ce dans une perspective bien particulière. S’éclairent aussi les divergences constatées dans le miroir des langues romanes : le lexique castillan du xviie siècle, plus réceptif à l’héritage de la première vague néologique et à ses termes pratiques, a été logiquement le plus disert sur les réalités de la scène. Est enfin mise en valeur la nature différente des sources qui nous permettent aujourd’hui de voir ces terminologies naître et s’épanouir.
Sources d’un lexique
15Le vocabulaire « à l’antique » adopté par les cultures théâtrales de la première modernité a été revêtu d’une forte dimension théorique, puisqu’il renvoyait à des formes disparues. Le Théâtre au miroir des langues permet de mieux comprendre cette particularité en sélectionnant des sources précises pour ces enquêtes (p. 15‑17) : les dictionnaires qui ont dressé la taxinomie des nouveaux mots ; les paratextes des œuvres et les traités théoriques qui les ont commentées ; les pièces elles‑mêmes, ainsi que dans des œuvres de fiction comme les romans à succès, qui ont contribué à la diffusion des nouvelles langues du théâtre auprès d’un large public.
16Ces sources ont pour point commun de ne viser ni à décrire les performances ni à qualifier des actions théâtrales concrètes. Les réservoirs de nouveaux mots que sont les articles de dictionnaires ou les préfaces théoriques s’attachent à catégoriser les genres dramatiques, à réguler l’organisation dramaturgique, à évaluer les réactions de publics virtuels. Il s’agit de textes normatifs, parfois prescriptifs. Dès son introduction, Le Théâtre au miroir des langues le souligne : « nommer [à travers ce lexique], c’est par là même ordonner cet art naissant ou renaissant qu’est le théâtre de la première modernité » (p. 7).
17Dès lors s’expliquent la quasi‑absence des archives de la performance — comptabilités, contrats notariés, décisions judiciaires, etc. — dans le corpus étudié, et subséquemment la place restreinte accordée au renouvellement des lexiques pratiques du théâtre. Le chapitre 7, consacré au vocabulaire des lieux, est nourri de documents techniques (p. 487‑528) ; mais la nouvelle langue des métiers qu’analyse le chapitre 6 porte surtout sur les nouvelles définitions données du statut des auteurs (poète dramatique, comico, poeta) et des comédiens (commediante, acteur, farsante), évacuant les désignations des costumiers, des décorateurs ou des machinistes. Le miroir lexical forgé aux xvie et xviie siècles reflète moins les relations tissées entre les mots et les choses de la scène qu’entre des mots et les idées du théâtre — théâtre idéel, voire idéal que les langues du seuil de l’âge classique, au premier chef le français, ont eu pour volonté d’ordonner.
Ordonner un art
18Les chapitres qui composent Le Théâtre au miroir des langues expriment parfaitement cette double ambition théorique et classificatrice. Y sont explorées tour à tour les catégories génériques, comédie, tragédie, tragi‑comédie (1) ; les types de paratextes, du prologue aux spectateurs à la préface aux lecteurs (2) ; l’organisation dramaturgique, découpage en actes et scènes, notions de nœud, de dénouement, de péripétie (3) ; le cas particulier du personnage théâtral et de plusieurs de ses avatars (4) ; les règles, unités et bienséances (5) ; les nouveaux termes désignant dramaturges et comédiens, ainsi que certaines techniques de jeu (6) ; le vocabulaire des lieux (7) ; les désignations du public et les objectifs assignés à la relation théâtrale (8). Chaque chapitre rassemble en général cinq à six notices portant sur des termes particuliers, dont sont examinées les formes et les interprétations dans les trois langues. Une courte mais utile liste des mots les plus usuels en français, castillan et italien entre 1550 et 1660 est placée à l’ouverture des analyses. Celles‑ci adoptent une structure régulière, d’une grande facilité de lecture : sont d’abord présentés les sens communs du terme puis les interprétations et les usages particuliers que chacune des cultures en a proposés.
19Très attentif aux termes véhiculés par ses sources, l’ouvrage a le mérite d’aborder aussi des catégories lexicalement instables à l’époque considérée. La dimension théorique des nomenclatures a eu pour effet paradoxal que les nouvelles langues du théâtre ont parfois eu des difficultés à nommer certaines pratiques contemporaines. Ainsi du théâtre religieux dont les formes variées ont mis la néologie néo‑antique à rude épreuve (p. 91‑99). Si l’italien a tenté de les cerner en les nommant tragedia sacra et le castillan comedia de santos, le français, la plus théoricienne des trois langues, semble bien avoir échoué à associer taxinomie antique et spectacle chrétien.
Les ombres du miroir
20C’est souvent sur ses impasses terminologiques que l’ouvrage livre ses meilleures analyses. Au fil des pages, le lecteur attentif peut en effet mesurer l’impact que la néologie des xvie et xviie siècles continue d’avoir sur notre compréhension de la culture théâtrale à cette période. Car les nouveaux mots cachent autant qu’ils révèlent, nous invitent tantôt à voir des inexistants, tantôt à ne pas voir des existants.
21Trois exemples rapides illustrent ces obstacles. Existent d’abord des mots fantômes. Ce sont des notions aujourd’hui associées aux théâtres des xvie et xviie siècles, mais dont l’apparition est en fait plus tardive. C’est notamment le cas du cadre de scène et de la coulisse, alors encore inconnus (p. 526‑528). Ménager une place à leur absence n’est pas un des moindres mérites de cette encyclopédie très complète.
22Sont également notables les innovations théoriques sans référent pratique immédiat. Au chapitre 8, citation de Chapelain à l’appui, se trouve démontré de manière fort convaincante que la notion nouvelle de spectateur a été associée à une théorisation de la fascination visuelle : « le spectateur est happé par la fiction, en raison de la fascination qu’exerce sur lui l’image scénique » (p. 535). Quelques pages auparavant, le chapitre 7 avait démontré, de manière tout aussi convaincante, que « le plaisir visuel de l’illusion […] est secondaire » (p. 495) : le public du xviie siècle était surtout séduit par la co‑présence partagée avec les acteurs, ce qui explique le succès des places situées sur la scène et le prix élevé des loges au plus près des comédiens. Comment comprendre cet apparent décalage ? Une hypothèse est que la néologie des traités a privilégié la puissance projective des idées. De fait, le goût de l’illusionnisme, dont est théoriquement porteur le mot spectateur dès les années 1630, semble s’être matérialisé plus tard, sur les scènes du xviiie siècle et plus encore, à la fin du xixe siècle …dans les salles de cinéma.
23Enfin les riches échanges translinguistiques étudiés dans l’ouvrage ont paradoxalement pu créer des zones d’ombre, qui demeurent pour nous persistantes. Les lazzi (p. 459‑466), un « unicum dans le panorama européen », désignent, comme on le sait, une technique de jeu consistant en une action scénique non transcrite dans le texte mais faisant sens dans le spectacle, que l’acteur prend en charge de manière autonome. Cette forme d’improvisation ayant fait la réputation des comédiens cisalpins dès le début du xviie siècle, les mots lazzo/lazzi ont été empruntés par le français à l’italien. Pour expliquer le phénomène lexical de l’emprunt direct, il faut supposer que les comédiens français avaient pour habitude de jouer « par cœur des textes entièrement rédigés et construits » (p. 465), ce qui les rendaient incapables de proposer des lazzi. Existent pourtant, dans les pièces françaises de la première moitié du xvie siècle, de nombreuses scènes parfois appelées « passées3 » mais le plus souvent sans terme définitoire. Il s’agit de jeux de scène laissés à la discrétion des acteurs et non transcrits dans les répliques ; autonomes du reste de la pièce mais néanmoins signifiants, ils étaient pris en charge en général par les acteurs interprétant les fous, les sots, les bouffons (« ce sont les actions que font les bouffons de théâtre pour faire rire », Dictionnaire de Veroni, 1691, cité p. 459). La proximité de cette description et de celle donnée des lazzi dans les dictionnaires des années 1700 est frappante. Sans supposer qu’il se soit agi de la même technique que l’improvisation à l’italienne, ce que rien ne prouve dans l’état actuel des recherches, il semble bien qu’un mode de jeu assez proche était usuel sur les scènes francophones avant 1550. La professionnalisation accrue des comédiens, que l’historiographie associe aux décennies 1550‑1660, a‑t‑elle signifié l’abandon de ce type de jeu professionnel ? Ou bien s’agit‑il d’une zone d’ombre projetée par le nouvel ordre lexical du théâtre sur des pratiques qu’il n’était ni nécessaire ni légitime de nommer ? Cette hypothèse, qui reste bien sûr à démontrer, permettrait d’expliquer pourquoi ce n’est qu’au xviiie siècle et par le détour d’un emprunt étranger qu’une technique déjà ancienne et peut‑être assez répandue parmi les acteurs européens — du moins chez ceux qui assumaient des rôles de bouffons — est entrée dans la terminologie théâtrale.
24Les lexiques que fait miroiter ce fort volume ont donc plus d’un reflet. L’inventivité terminologique des xvie et xviie siècles a reconfiguré pour longtemps la pensée du théâtre européen et leur héritage terminologique continue d’influencer en profondeur nos propres conceptions de son histoire. Les indéniables avancées que Le Théâtre au miroir des langues apporte à notre connaissance des arts de la scène font souhaiter que d’autres travaux similaires viennent poursuivre les belles perspectives ici ouvertes et continuent à analyser ce phénomène complexe et toujours en évolution qu’est la langue d’un art vivant.