Acta fabula
ISSN 2115-8037

2015
Mars 2015 (volume 16, numéro 3)
titre article
Frédérique Giraud

« Chère femme ». Dans l’intimité d’un romancier

Émile Zola, Lettres à Alexandrine (1876-1901), édition établie, présentée et annotée par Brigitte Émile‑Zola & Alain Pagès, avec la collaboration de Céline Grenaud‑Tostain, Sophie Guermès, Jean‑Sébastien Macke & Jean‑Michel Pottier, Paris : Gallimard, 2014, 832 p., EAN 9782070139217.

1Les 318 lettres inédites de Zola à sa femme Alexandrine qui composent ce volume présenté et annoté par Brigitte Émile‑Zola et Alain Pagès, avec la collaboration de Céline Grenaud‑Tostain, Sophie Guermès, Jean‑Sébastien Macke et Jean‑Michel Pottier constituent le dernier inédit d’importance de l’œuvre écrite d’Émile Zola. Leur parution témoigne du souci constant qui a animé Jacques Émile‑Zola, le fils du romancier, puis l’arrière‑petite‑fille du romancier, Brigitte Émile‑Zola, de mettre à disposition des chercheurs et du grand public des archives familiales. Il aura cependant fallu attendre selon le vœu du fils de Zola lui‑même le « prochain siècle » pour voir ces lettres intimes paraître. Ces lettres, le romancier était tout à fait conscient qu’elles puissent paraître un jour et il ne s’y est jamais opposé. Alors qu’Henry Céard l’avertissait d’une mise en vente prochaine de lettres autographes signées de lui, Zola lui répond le 14 juin 1884 :

Je n’ai pas de secrets, les clefs sont sur les armoires, on peut publier toutes mes lettres un jour : elles ne démentiront ni une de mes amitiés, ni une de mes idées, ni une de mes assertions1.

2Ainsi que l’a rappelé A. Pagès lors de sa communication le jeudi 11 décembre 2014 dans le cadre du colloque organisé par S. Guermès à l’Université de Bretagne Occidentale dédié à la correspondance de Zola2, le romancier formule à propos de la correspondance une « règle de transparence » et une « règle de prudence ». Dans une interview de Jean de la Faye le 15 juillet 1896 dans la Nouvelle Revue Internationale, le romancier aurait ainsi dit :

En principe, je ne suis pas du tout opposé à la publication posthume de la correspondance des écrivains. Quelques auteurs ont critiqué les lettres de Balzac, de Flaubert ; pour moi, j’ai lu ces lettres avec le plus grand intérêt, je les ai trouvées admirables dans leur simplicité !… Sous ces phrases non travaillées, on sent passer un souffle de passion violente ou amère, on devine les souffrances de la vie qui ont torturé l’âme de Balzac… de Flaubert ! Certains hommes peuvent être amoindris par la publication de leurs papiers intimes, mais tant pis pour ceuxlà ! Ces lettres qu’on retrouve, qu’on réunit en volumes, leurs auteurs en connaissent l’existence ; s’ils ne les ont pas détruites, c’est donc qu’ils n’éprouvaient aucune gêne à la pensée que leur famille, leurs amis, les retrouveraient, les liraient et peut‑être les publieraient. C’est à l’auteur à prévoir et à faire disparaître tout ce qu’il ne veut pas qu’on connaisse de lui.

3Publier les Lettres à Alexandrine constitue donc une entreprise éditoriale qui n’est pas en désaccord avec le souhait même du romancier.

4Le volume des Lettres à Alexandrine compose un diptyque avec les Lettres à Jeanne Rozerot, publiées en 2004 chez Gallimard3 dans la collection blanche. Ces deux volumes permettent de mettre au jour un Zola se partageant avec douleur entre deux femmes (Alexandrine et Jeanne) et deux foyers (un foyer conjugal et un foyer parental, Jeanne ayant donné à Zola deux enfants, Denise et Jacques). Alexandrine découvre en novembre 1891 grâce à une lettre anonyme l’existence de la relation extra‑conjugale de son mari. Suivent trois années douloureuses pour le couple, l’équilibre amoureux est bouleversé. Le couple officiel que Zola forme avec sa femme Alexandrine et celui, illégitime, qu’il forme avec Jeanne, ancienne lingère de sa femme dont il est devenu l’amant, sont deux faces d’un même homme qu’il convient d’appréhender ensemble et en relation avec son œuvre littéraire. Cette publication qui clôt la parution des lettres intimes permet de le faire.

5Elle vient en effet combler un vide éditorial : celui de la connaissance du romancier intime, peu présent jusqu’alors dans les onze tomes de lettres publiés aux Presses du CNRS/Presses de l’Université de Montréal entre 1978 et 1995 (volume de lettres retrouvées en 2010). Bien qu’abondantes, les lettres zoliennes n’offraient que peu d’informations sur la vie quotidienne du romancier, l’intimité du couple formé avec Alexandrine Zola (née Meley) et les pensées du romancier pendant l’Affaire Dreyfus. La publication de ces lettres écrites par Zola à sa femme lorsque celle‑ci est en voyage en Italie et lorsque le romancier lui‑même est en exil en Angleterre pendant l’Affaire Dreyfus permet, en creux, d’avoir accès aux échanges quotidiens entre époux. Dans le cas de Zola, qui n’a pas tenu de journal intime et dont les écrits personnels sont peu nombreux, c’est bien la correspondance que les chercheurs sont amenés à sonder avec rigueur pour reconstruire les dispositions socialement constituées de l’auteur à la fois comme homme et comme écrivain… La correspondance constitue, malgré les problèmes méthodologiques que son utilisation recouvre4, un matériau fécond et prolifique et c’est pour ces raisons que les zoliens doivent se réjouir de cette publication de qualité. L’édition proposée témoigne d’un sens du détail et de l’érudition qui doivent être notés : ainsi lorsque Zola évoque le 25 novembre 1897 des « pieds truffés » mangés chez les Fasquelle, l’édition précise en note : « Le charcutier Alexandre Jamais : son magasin se trouvait 12, rue Lafayette ». Loin de n’être que des détails anecdotiques, les informations proposées dans les notes permettent de se saisir de cette édition comme d’un instrument de travail5. Il faut dans le même esprit saluer la présence de notices biographiques précises en fin de volume.

Un volume, trois séries épistolaires

6Ce volume reproduit intégralement le manuscrit des lettres à Alexandrine de la collection du fils de Zola. Pratiquement toutes sont inédites, elles n’avaient jamais été publiées dans leur intégralité. Ces Lettres à Alexandrine couvrent une période de 1876 à 1902. Une toute petite série de six lettres se déploie de juillet 1876 à décembre 1883, vestige d’inédits non encore publiés : elle a une place à part, en‑dehors du volume. Une seconde série concernant les années 1895‑1896 est regroupée sous le titre « Automnes italiens » : elle regroupe les lettres envoyées par Zola à Alexandrine lors des deux premiers séjours italiens de celle‑ci, celui de l’automne 1895 et celui de l’automne 1896. Enfin la troisième série, la plus importante quantitativement, concerne l’affaire Dreyfus. Cette dernière surtout, par son volume quantitatif et son importance pour la connaissance de l’Affaire Dreyfus, retient l’attention. Elle est subdivisée en trois parties (l’exil, après l’exil et dernières lettres).

7Deux thèmes majeurs sont au cœur de cette correspondance. D’une part, la vie conjugale du romancier dont on suit les remous à travers les détails et les attentions que s’adressent les deux époux. Si l’on ne dispose que des lettres de Zola, on devine en creux, à travers les réponses et précisions du romancier, les demandes, les angoisses ou les questions d’Alexandrine. Une vie conjugale bouleversée par l’amour illégitime de Zola pour Jeanne et face à laquelle Alexandrine s’exile en Italie, une fois par an, pour de longs séjours, où elle cherche à retrouver son équilibre6. Une vie conjugale bouleversée par l’exil de Zola en Angleterre.

8Second thème, d’autre part, l’Affaire Dreyfus. On suit, lettre après lettre, l’engagement de Zola, presque malgré lui, dans de ce qui n’est pas encore l’Affaire Dreyfus. La majeure partie des lettres publiées dans ce volume concerne cette période. Leur publication permet d’écrire à nouveau frais une histoire de l’engagement de Zola en faveur de Dreyfus : dans le concret des échanges, des rencontres et du besoin intimement ressenti par le romancier de faire un « coup ». On y découvre la façon dont Zola se convainc à partir de l’examen de documents de la non‑culpabilité du capitaine, rencontre des personnes et s’engage pas à pas en faveur du capitaine pour la réhabilitation.

Dans l’intimité de Zola : « la maison & les bêtes vont à merveille » (31 octobre 1895)

9Alors que sa femme est en voyage en Italie, Zola lui écrit une lettre par jour. Il s’inquiète lorsque sa femme ne reçoit pas ses lettres, a peur qu’elle n’interprète mal son silence, s’enquiert surtout de sa santé, de son bien‑être. « Chère femme, ton rhume me tourmente. Il faut le soigner, rester à l’hôtel tout un jour, s’il est nécessaire » lui écrit‑il le 31 octobre 1895. Alexandrine visite7, cherche des cadeaux pour les enfants de Zola8, des souvenirs de ses voyages pour son mari. Le romancier lui raconte ses journées, lui demande des nouvelles. « Chère femme, ta lettre de ce matin me dit le tendre accueil que tu as reçu à Brescia, et j’en suis très heureux pour toi, très touché » lui écrit le romancier le 16 octobre 1897. Il l’informe des détails de sa vie quotidienne, « La concierge est montée pour m’apporter la quittance et j’ai payé le terme » lui écrit‑il dans cette même lettre, des visites qu’il a reçues, des plats que lui prépare la cuisinière, du temps qu’il fait, de la santé des chiens. On y redécouvre un Zola gourmand9, un Zola ami des bêtes effondré lorsque son chien meurt pendant son exil, un père de famille, un mari aimant cherchant à rassurer Alexandrine de sa tendresse pour elle, un Zola photographe qui a transmis sa passion à sa femme. En Italie, celle‑ci prend des clichés pour raconter sa vie au jour le jour et envoie les plaques à Zola. On pourrait étudier les différentes clausules zoliennes : « Je t’embrasse de tout mon cœur et de toute ma force », « Je t’embrasse de toute ma tendresse » (lettre du 19 octobre 1896), « Bien à toi de tout mon cœur, chère femme, et mille bons baisers » (lettre du 22 novembre 1897),… et les comparer à celles des Lettres à Jeanne. C’est en effet une possibilité qu’ouvre la parution de ce volume des Lettres à Alexandrine, celle d’étudier en parallèle les lettres que Zola envoie à ses deux femmes. Que dit‑il à l’une qu’il ne dit pas à l’autre ? Que cache‑t‑il à l’une qu’il ne cache pas à l’autre ? Comment raconte‑t‑il un même événement ? Pendant la période de l’exil, cette comparaison s’avère fructueuse10.

10Dans l’intimité zolienne, on parle aussi « argent » c’est‑à‑dire coût de l’existence quotidienne, traites à payer. « J’ai payé la note de tout l’été, 92 francs. J’ai aussi payé la note de Besson, pour les calorifères » écrit Zola à sa femme le 11 octobre 1896. « J’ai payé aujourd’hui le terme, deux mille cinquante‑neuf francs, dix centimes, et dix francs à la concierge. J’ai donné aussi cinq francs à la vieille femme qui garde parfois sa loge. Je sais que tu lui as déjà fait une fois cette aumône, et la pauvre femme, paraît‑il, ne sait plus où aller manger. Cet hiver, on pourra lui donner quelques bons » précise le romancier le 15 octobre de la même année. Si l’on sait que même lorsque le romancier a atteint une certaine aisance, il continue à porter une attention scrupuleuse aux conditions matérielles, que ce soit pour régler les conditions du traité qui le lie à son éditeur Georges Charpentier ou pour négocier les conditions de la publication de ses romans11, ces lettres intimes permettent de démontrer que la question d’argent parcourt également les relations conjugales sur toute la période, que ce soit pour informer l’autre du coût du quotidien (« Nous venons de louer une voiture qui nous coûtera trente francs pour les deux jours » comme le 17 juillet 1876), des tracas liés à la double existence zolienne. Dans le dialogue affectueux entre les époux se niche une attention fine pour les détails matériels qui fondent les rythmes du quotidien. Par lettres interposées, le romancier cherche à vaincre la distance et à imaginer la vie de sa femme en son absence, commentant la sienne avec minutie. Le bric‑à‑brac des détails journaliers est attendrissant.

11Dans la vie intime du romancier sont également présents en contrepoint de ces lettres les domestiques qu’il a à son service : la cuisinière est particulièrement importante, elle qui en l’absence d’Alexandrine gâte son mari. Zola a toute confiance en elle :

Moi, je déjeune très bien, Eugénie me donne de temps à autre des huîtres, du foie de volaille, deux alouettes, une sole frite, des éperlans, enfin ce qu’elle sait que j’aime. Je ne lui commande rien, je la laisse agir à sa guise, de sorte que le menu m’est toujours une surprise (Lettre du 4 novembre 1897).

12Mais aussi l’éditeur de Zola, son collaborateur Bruneau, les dreyfusards. Ce volume ne permet donc pas seulement de mieux connaître Zola dans l’intimité des relations épistolaires avec sa femme, mais également le travailleur, l’homme de lettres, le naturaliste, le collaborateur de Bruneau. Ce qu’il dit dans la confidence à sa femme permet de changer la focale pour analyser ces dyades épistolaires.

Document sur la vie professionnelle de Zola

13Si ces 318 lettres documentent avant tout l’exil zolien12, elles permettent également de suivre la manière dont Zola compose ses romans. Pendant son exil, Zola cherche à se maintenir au travail. Il est engagé dans la rédaction de sa première Évangile, Fécondité. Pour lui, le travail quotidien et régulier constitue un refuge. Depuis son exil en Angleterre, Zola s’en remet à sa femme pour traiter avec les éditeurs étrangers, l’envoie faire des commissions à sa place. Alexandrine est ainsi employée à copier un article sur « Tombouctou » dans le Larousse, suppléant son mari (lettre du 27 avril 1899). « Merci de la belle copie que tu as faite pour moi. En voilà, du travail ! Je n’aurais pas cru que ce fût si long. Cela me suffira, bien qu’on ne trouve jamais les détails précis qu’on désire. Il est inutile que tu fasses d’autres recherches. Fasquelle m’a promis de m’envoyer quelques livres que je lui ai signalés. J’ai heureusement une carte d’Afrique, je vais dépouiller ton travail en la consultant, et j’espère bâtir mon morceau là‑dessus, d’une façon suffisamment solide » la remercie Zola le 4 mai 1899.

14Entre les conjoints Zola, les occasions de s’écrire sont rares et toujours marquées par l’absence de l’un ou l’autre. Cinq séjours d’Alexandrine en Italie, l’exil de Zola en Angleterre sont autant d’occasions de dire par écrit ce que les époux se disent au quotidien. Ces échanges inconnus sont ici en partie comblés par ces lettres : ils permettent d’affirmer que Zola parle de ses romans à sa femme, qu’il la mêle étroitement à la rédaction et à la vie littéraire. Cette nouvelle publication permet de se rendre compte de ce que la fabrique des Rougon‑Macquart constitue, en partie, une entreprise conjugale. Mettant le point final à Fécondité, Zola déplore de n’être point à Paris avec sa femme pour y fêter ensemble la fin de cette phase de travail :

Dans ma grande joie d’être débarrassé de ce grand effort, j’ai eu pourtant l’amertume d’être seul à m’en réjouir, de ne t’avoir pas auprès de moi, pour en causer, pour me détendre un peu, en criant de beaux chien‑loup‑chat et de beaux chat‑loup‑chien aux quatre coins de la pièce où j’ai tant travaillé. Dans huit jours, ce premier élan d’allégresse sera passé, et nous n’en aurons pas joui ensemble

15lui écrit Zola le 28 mai 1899.

16Ces lettres viennent s’ajouter à celles déjà publiées qui nous renseignent sur l’organisation quotidienne du romancier. On y voit également Zola parler argent à propos du prix des traductions de ses romans notamment. Les lettres de ce volume éclairant les modalités par lesquelles Zola gère sa carrière ne viennent cependant pas bouleverser ce que l’on savait déjà : rien de complètement nouveau dans ce domaine. En revanche, on peut saisir de plus près les relations entre Zola et son traducteur anglais Vizetelly13.

17Parmi les trois séries composant ce volume d’inédits, ce sont les lettres concernant l’Affaire Dreyfus qui sont sans doute les plus attendues.

S’engager pour Dreyfus

18« Et tu ne sais pas ce que j’ai fait ? un article, écrit en un coup de foudre, sur Scheurer‑Kestner et l’affaire Dreyfus. J’étais hanté, je n’en dormais plus, il a fallu que je me soulage. Je trouvais lâche de me taire. Tant pis pour les conséquences, je suis assez fort, je brave tout. L’article paraîtra demain matin en tête du Figaro, tu le liras donc le jour même où tu recevras cette lettre » écrit Zola le 24 novembre 1897 au soir. Cet article, c’est « Monsieur Scheurer‑Kestner » publié dans Le Figaro le 25 novembre 1897. L'article se conclut par la célèbre phrase : « La vérité est en marche, rien ne l’arrêtera plus ». Cette nouvelle capitale, Zola la donne à sa femme au milieu de considérations quotidiennes, de remarques sur le repas pris chez Fasquelle (« Pour déjeuner, des Marennes, des pieds truffés de chez Jamais, des perdreaux et des petits pois »), ou sur l’appartement du couple (« Leur appartement est vraiment très beau, d’une ampleur et d’une commodité extraordinaires. S’ils ne le paient que huit mille francs, c’est pour rien. À dix mille, il ne serait pas cher. Et ils font là‑dedans des dépenses que je juge considérables »). Alexandrine est absente, Zola a agi seul.

19L’écho épistolaire intime de l’Affaire Dreyfus permet au creux des lettres de reconstruire la genèse de l’engagement de Zola quasiment au jour le jour, mais aussi les doutes et les peurs qui égrènent la prise de risque que constitue pour le romancier la publication de son « J’accuse… ! ». De l’engagement de Zola dans l’Affaire Dreyfus, on connaît en règle générale le célèbre article de L’Aurore du 13 janvier 1898, mais celui‑ci conclut une série préalable de prises de positions dans Le Figaro. Les lettres constituent ici un matériau indispensable pour documenter l’histoire processuelle d’un engagement individuel en faveur d’un homme en lequel Zola voit avant tout une victime. Elles permettent de montrer que l’article de L’Aurore constitue l’aboutissement d’une carrière littéraire et morale du romancier, d’un engagement en faveur des injustices, et non pas un acte isolé, un « coup » sur la scène politico‑littéraire sans fondements biographiques.

20Trente lettres retracent quasiment au jour le jour la prise de position zolienne. Dreyfus est pour Zola victime d’une injustice et d’une institution. Si Zola se saisit sans conteste des circonstances pour se faire un nom, il semble que l’on ne peut comprendre le souffle passionné dont il anime cette cause sans la ramener à ce qu’elle lui rappelle de ses expériences. La lecture de la correspondance échangée avec Alexandrine avant, pendant et après son engagement permet de constater la pluralité des formes d’engagement à l’œuvre chez le romancier, qui apparaît viscéralement passionné par l’Affaire. Rencontrant les parties prenantes, il se laisse convaincre de l’innocence de Dreyfus au vu des pièces du dossier qu’il a pu consulter : on retrouve ici le sens de l’enquête zolien. On suit ensuite Zola pendant son exil au jour le jour : seul moment où les lettres s’arrêtent, lorsqu’Alexandrine vient le rejoindre. Entre la peur, l’émotion et la lassitude de l’exil, Zola cherche à se maintenir au travail.


***

21Lorsqu’il fait de Zola son objet d’étude, le sociologue se trouve placé dans une situation empirique particulière. L’impossibilité d’accéder à la parole directe de l’écrivain lui‑même dans le cadre d’une relation d’enquête telle que le sociologue la connaît de la façon la plus usuelle, une relation d’entretien en face à face, est problématique parce que l’écrivain ne peut répondre aux questions qu’on aimerait lui poser. Pour reconstruire les dispositions socialement constituées de l’auteur, le chercheur doit donc se contenter de poser des questions aux divers matériaux fictionnels et non fictionnels qu’il a à sa disposition, tout en tenant compte de la spécificité des sources dont il fait usage. La rareté des écrits intimes, en l’absence de journal, fait de la correspondance un outil principal à disposition du chercheur. Cette édition ouvre de riches perspectives de travail et l’on ne peut que féliciter l’équipe universitaire qui l’a menée, l’énergie déployée pour offrir au public cette plongée dans l’intimité de Zola.