Essai
Nouvelle parution
V. Debaene, L'Adieu au voyage. L'ethnologie française entre science et littérature

V. Debaene, L'Adieu au voyage. L'ethnologie française entre science et littérature

Publié le par Bérenger Boulay

Compte rendu publié dans le dossier critique d'Acta fabula "Le partage des disciplines" (mai 2011, Vol. 12, n°5)

et en parallèle du numéro de Fabula-LHT sur le même sujet :

"Mœurs & coutumes des ethnologues français : histoire d’un voyage fait dans l’écriture du terrain" par Odile Gannier. 

Vincent Debaene a donné une manière de postface à ce livre dans le numéro d'Acta fabula "Dix ans de théorie" (2018)

"Adieux à l'Adieu"…

Vincent Debaene, L'Adieu au voyage L'ethnologie française entre science et littérature

Paris : Gallimard, coll. "Bibliothèque des Sciences humaines", 2010.

528 p. — EAN 9782070781119 — Prix 25 EUR

On peut lire un extrait (introduction) dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula

au sein d'un dossier "Littérature, Ethnologie et anthropologie").

C'est une tradition française : lorsqu'il revient de son « terrain », l'ethnologue écrit non pas un, mais deux livres, l'un scientifique, l'autre littéraire. L'Île de Pâques d'Alfred Métraux, L'Afrique fantôme de Michel Leiris, Les Flambeurs d'hommes de Marcel Griaule, Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss s'ajoutent à leurs travaux sur les Pascuans de Rapa Nui, les Dogons du Mali, les Amhara d'Éthiopie ou les Nambikwara du Brésil - et ce schéma se retrouve chez la plupart de leurs collègues.

Vincent Debaene s'interroge sur les raisons de ce double livre et retrace les rapports entre anthropologie et littérature au xxe siècle, depuis Marcel Mauss jusqu'à la collection « Terre humaine ». Ce faisant, il dévoile la fascination réciproque des ethnologues pour la littérature et des écrivains pour les sciences de l'homme. Les premiers se veulent savants mais se réclament de Rousseau et de Montaigne ; les seconds se méfient d'une discipline austère mais sont troublés par les objets qu'elle rapporte et les questions qu'elle pose.

« Adieu sauvages ! adieu voyages ! » s'exclame Lévi-Strauss à la fin de Tristes tropiques, déplorant l'appauvrissement de la diversité culturelle. Mais ce qui est perdu, ce n'est pas tant l'altérité pure et préservée qu'une certaine forme de subjectivité et une façon particulière de raconter l'histoire. Pour l'ethnologue, l'adieu au voyage constitue donc moins un renoncement qu'un point de départ : l'oeuvre proprement anthropologique de Lévi-Strauss suivra Tristes tropiques. Pour l'écrivain, il constitue un défi à relever : en signifiant la fin d'un rapport prédateur de l'Occident à ses « autres », il impose que soient repensés notre héritage humaniste et notre idée de la littérature.

On peut lire un autre compte rendu sur le site laviedesidees.fr: "Les deux livres de l'ethnographe", par C. Laurière.

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Ancien membre du comité scientifique de Fabula, Vincent Debaene enseigne la littérature à l'Université Columbia, à New York. Il a préfacé et coordonné l'édition des Oeuvres de Claude Lévi-Strauss (La Pléiade, 2008) et a publié, en collaboration avec Frédéric Keck, Claude Lévi-Strauss. L'Homme au regard éloigné (Découvertes Gallimard, 2009).

Bibliographie plus complète :

http://www.columbia.edu/cu/french/department/fac_bios/debaene.htm

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Table des matières :

Introduction

Les deux livres de l'ethnographe - Science et littérature : une généalogie

Première partie. L'ethnologie au miroir de la littérature

i. Naissance d'une discipline

Ruptures - Le terrain - Prestiges de l'ethnologie

ii. Une exception française

Les origines spéculatives de l'ethnologie française - « Tout ce qui concerne l'exercice de la pensée » - Un contre-exemple : Malinowski

iii. La rhétorique, le document, l'atmosphère

De la science des moeurs au fait social total - Des documents évocateurs - Le supplément au voyage de l'ethnographe - Document humain et musée vivant

iv. « Une littérature qui ne serait pas dénuée de sens »

« Un peu de la saveur naïve du texte original » - « L'Île de Pâques », 1941, 1951 - Retour à Mauss

v. L'union perdue du coeur et de l'esprit

Le paradis perdu du voyage philosophique - Des Lumières à la Renaissance - Un « nouvel humanisme »

Partie II. L'adieu au voyage

vi. Ceci n'est pas un voyage

Voyage, polémique et distinction - L'ethnologue, l'aventurier et le touriste - L'espace de l'étrangeté - « L'Afrique fantôme », « Tristes tropiques » : l'impossible intimité - Ceci n'est pas un récit de voyage

vii. « Les Flambeurs d'hommes ».

Les « chroniques éthiopiennes » de Marcel Griaule

L'ethnographe et le littérateur - Les insuffisances du document - L'impossible document évocateur - Digression : sociologie et cruauté - Ethnologie et connaissance des moeurs

viii. « L'Afrique fantôme ».

Leiris et le « document vivant »

L'impossible avant-propos - Lire « L'Afrique fantôme » - De la communion à la représentation - Le théâtre et la famille - Document vivant, Afrique fantôme

ix. « Tristes tropiques ».

Quête des correspondances et logique du sensible

Le navire entra à 5 h 30 - De Conrad à Proust - Des déserts de la mémoire à la science du concret - Histoire, entropie, « entropologie » - « Des portes donnant accès à d'autres mondes et à tous les temps »

Partie III. La littérature au miroir de l'ethnologie

x. La littérature, les lettres et les sciences de l'homme

Lanson, 1895 : la dépossession de l'artiste par le savant - Le lettré et la division sociale du travail - Lanson, 1904 : de la littérature à la science

xi. Des querelles de propriété

Ramon Fernandez, 1935 : le dialogue du savant et de l'essayiste - Breton, 1948-1966 : « Tu ne connaîtras jamais bien les Mayas » - Bataille, Barthes, Blanchot, 1956 : la réception de « Tristes tropiques »

xii. 1955-1970 : une nouvelle donne

La fin du paradigme documentaire - L'ethnologie et la littérature « en situation » - Les littératures coloniales et post-coloniales face à l'ethnologie - La collection « Terre humaine » : dans et hors de la littérature - Barthes et les « structures » - Barthes, 1967 : de la science à la littérature

Conclusion

Littérature - Ethnologie.