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Thèse de L. Depretto, L'histoire du jour. Récit factuel et écriture épistolaire dans la Correspondance de Sévigné (dir. M. Escola)

Thèse de L. Depretto, L'histoire du jour. Récit factuel et écriture épistolaire dans la Correspondance de Sévigné (dir. M. Escola)

Publié le par Arnaud Welfringer

Laure DEPRETTO soutiendra sa thèse en littérature française pour le grade de docteur de l'Université Paris 8

"L'histoire du jour. Récit factuel et écriture épistolaire dans la Correspondance de Sévigné"

le vendredi 7 décembre à 14h, à l'Université Paris 8 - Saint-Denis, en salle G-2

devant un jury composé de

Mme Delphine DENIS (Paris-Sorbonne)

M. Marc ESCOLA, directeur (Paris 8-Saint-Denis & Université de Lausanne)

Mme Geneviève HAROCHE-BOUZINAC (Orléans)

M. Antoine LILTI (E.H.E.S.S.)

Mme Christine NOILLE-CLAUZADE (Grenoble III)

 

Résumé de la thèse

La Correspondance de Sévigné (1626-1696) est aujourd’hui majoritairement lue à l’aune du modèle de la lettre d’amour et de l’écriture de l’intime. Si les critiques ont été nombreux à souligner le talent de conteuse de la « spirituelle marquise », il n’existe encore aucune étude d’ensemble sur les récits sévignéens. Pour combler cette lacune et désenclaver cette correspondance, trop souvent lue comme l’expression exceptionnelle et isolée d’une relation privilégiée entre mère et fille, les lettres de Sévigné sont replacées au sein des diverses pratiques et formes d’écriture de l’actualité qui ont cours à la même époque. On se propose ainsi d’analyser les modalités du récit factuel en régime épistolaire.

Un chapitre préliminaire est consacré à une immersion dans la théorie épistolaire telle qu’elle s’est constituée au fil des siècles. On interroge en particulier les catégories que les secrétaires élaborent pour inclure la pratique narrative dans l’épistolaire (« lettre de nouvelles », « lettre d’avis », « lettre narrative », « relation ») ; on relève les différents préceptes qui réglementent cette pratique. Lorsque le récit par lettre est définitivement installé dans le paysage épistolaire, les lettres de Sévigné sont données en modèles pour cette catégorie.

            La première partie « Voies du savoir, voix de la rumeur » établit la carte des échanges de nouvelles au sein de la sociabilité mondaine. Elle enquête sur les différents modes d’accès au savoir de Sévigné pour situer la lettre au sein d’un réseau informationnel constitué par la rumeur, ce « frisson parlé de l’événement[1] », la lecture des gazettes officielles, la fréquentation des « bons lieux » où circulaient les nouvelles. On explore ainsi les types de communication, oraux comme écrits, à l’oeuvre dans le maillage des différents correspondants (chapitre 1), puis le rapport que Sévigné entretient à l’information publiée et officielle des gazettes (chapitre 2). Se posant en concurrente directe de l’information officielle, l’épistolière écrit par exemple à l’un de ses correspondants : « Je veux vous dire ce que les gazettes ne disent point ». À défaut de reprendre aux gazettes leur matériau informationnel, Sévigné leur emprunte une forme d’écriture de l’actualité. L’analyse de la correction des fausses nouvelles et de la spéculation sur les nouvelles incertaines, sur les événements inachevés (chapitre 3) est une première voie d’entrée dans la spécificité du récit épistolaire. Étant donné les difficultés d’accès à une information fiable à l’époque et la souplesse d’une correspondance suivie qui permet tous les amendements, la fausse nouvelle est au coeur de cette pratique d’écriture qui organise un savoir de seconde main et s’attache à rendre lisible un événement contemporain auquel aucun des correspondants n’a assisté. L’écriture épistolaire est une écriture au présent, nécessairement discontinue, mais le caractère régulier et suivi de la correspondance lui permet de développer, de corriger des récits provisoirement lacunaires. Le chapitre 4 est consacré à une exception, le témoignage, lorsque Sévigné a assisté à l’événement qu’elle raconte, alors que la plupart du temps, elle est en est absente. La rareté de sa présence sur place contribue en particulier à une mise en vedette de l’expérience personnelle, qu’il s’agisse des émotions éprouvées lors d’une exécution ou de la fierté ressentie à l’occasion – exceptionnelle – d’un entretien avec le Roi.

            Toutes les informations en circulation ne font pas l’objet du même traitement ni n’occupent la même place dans une missive. Certaines restent à l’état de nouvelles, d’embryons narratifs tandis que d’autres sont développées en un récit circonstancié. Le critère discriminant entre une nouvelle et une histoire repose à bien des égards sur le repérage d’une capacité de l’événement à susciter la curiosité, quant à sa causalité ou à son dénouement.

            La seconde partie montre comment la fabrique des récits s’élabore sur une concurrence entre plusieurs agencements possibles, qui correspondent aux différents usages auxquels Sévigné destine les histoires qu’elle raconte. On propose une typologie des rapports entre lettre et récit (séquence narrative insérée dans une lettre, lettre entièrement narrative, narrativité par mise en série de plusieurs lettres). Dans ce cadre sont examinés les différents modèles narratifs auxquels l’épistolière a recours (« histoire tragique » ou fait divers, relation, chronique judiciaire, fable, fictions romanesques et dramatiques, etc.) en fonction de la causalité qu’elle attribue à l’événement. À partir de microlectures des lettres de Sévigné, mises en regard d’autres versions disponibles pour le même événement, on examine les gestes narratifs et herméneutiques qui président à la mise en intrigue de l’inédit.

            Parmi les trois grands modèles narratifs en situation épistolaire, le modèle de la séquence narrative insérée comme îlot dans la lettre, étudié au chapitre 5 est le cas le plus fréquent. Le modèle de la « relation », ou lettre entièrement narrative est étudié au chapitre 6. L’accent y est porté en particulier sur les points de passage d’un modèle à l’autre : quand la séquence s’émancipe en lettre entièrement narrative ou quand elle est remaniée au fil des lettres. Sévigné a ainsi souvent plus d’« une version de reste dans sa besace[2] ». Le chapitre 7 traite du feuilleton, propre à l’écriture interrompue de la correspondance. Le récit épistolaire peut se déployer d’une lettre à l’autre et tirer parti du suspense créé de l’extérieur par l’inachèvement de l’événement. Enfin, le chapitre 8 revient sur la question des modèles fictionnels qui ont pu servir à Sévigné de grille de lecture et de présentation des faits. Les recoupements qu’elle établit entre ses lectures et l’écriture de ses récits, sa tendance à inverser l’ordre logique et attendu du déroulement des faits sont analysés dans leur rapport à la compétence narrative. On interroge notamment une caractérisation fameuse du Narrateur de la Recherche : « le côté Dostoïevski de Mme de Sévigné ». Dans son ensemble, cette seconde partie explore les différentes facettes de la pratique narrative par lettres, en envisageant la correspondance comme un laboratoire des formes narratives.

            Loin de se limiter à un horizon monographique, cette thèse sur le récit d’actualité et la consignation de l’immédiat dans la Correspondance de Sévigné voudrait contribuer à une histoire des manières d’écrire le temps présent et, à la croisée de la poétique et de l’herméneutique, proposer une réflexion sur les inférences causales et les références culturelles qui président à la mise en récit en régime factuel.


 

[1]. Pierre Rétat (dir.), L’Attentat de Damiens. Discours sur l’événement au XVIIIe siècle, Centre d'études du XVIIIe siècle, Université Lyon II, Paris, Éditions du C.N.R.S. ; Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1979, p. 343.

[2] François Hartog, Évidence de l’histoire. Ce que voient les historiens, Paris, Éditions de l’E.H.E.S.S., coll. « Cas de figure », 2005, p. 76.