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Représentations de l’Après : le temps des réparateurs ?

Représentations de l’Après : le temps des réparateurs ?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Virginie Brinker)

Appel à communication

Représentations de l’Après : le temps des réparateurs ?

(colloque pluridisciplinaire histoire, psychologie, psychanalyse, sciences politiques, littérature, théâtre, arts plastiques, cinéma)

 

25, 26, 27 janvier 2017 à l’Université de Bourgogne Franche-Comté (Dijon)

 

Organisé par Virginie Brinker et Pascal Vacher, Université de Bourgogne-Franche-Comté, Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures (CPTC)

Avec le soutien du Centre Georges Chevrier, du Centre de Recherche et d’Etude en Droit et Science Politique (CREDESPO) et du Laboratoire de Psychopathologie et de Psychologie Médicale (LPPM)

de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté

 

Les représentations contemporaines d’un certain nombre de traumatismes passés méritent d’être questionnées à l’aune des enjeux qu’elles recèlent ou révèlent, qu’il s’agisse d’une « histoire des vaincus » ou de la prise de parole des « oubliés de l’Histoire », ceux du moins que l’Histoire a fait taire. Mesurer les enjeux politiques de ces représentations contribuerait à échapper à la dépolitisation de la mémoire à l’œuvre dans le rite quasi-religieux de sacralisation sociale du témoignage qui sévit aujourd’hui, comme l’a récemment pointé Catherine Coquio dans Le Mal de vérité ou l’Utopie de la mémoire (Armand Colin, « Le Temps des idées », 2015).

Il y a eu « événement traumatique » (un événement hors du commun, « accidentel » qui survient par surprise et sans préparation) que les psychologues et les psychanalystes distinguent soigneusement du « traumatisme psychique », caractérisé comme la réaction du sujet à cet événement. Or « un crime contre l’humanité est toujours un crime contre l’intimité[1] », il est donc logique que la définition du traumatisme par les historiens recoupe celle des psychologues, le traumatisme générant un brouillage qui met en attente la représentation ou sa nécessaire élaboration. C’est sur ces représentations et ces élaborations que nous souhaitons travailler, c’est pourquoi nous nous situons dans un « Après » qu’il faut définir.

De quel « Après » est-il question ? S’il est devenu presque automatique de répondre l’après Shoah, l’après génocide, il ne faudrait pas pour autant considérer que l’Après serait par ces expressions pleinement défini, car il faudrait également interroger quelle légitimité il y a à poser tel génocide comme point origine par rapport auquel tout ce qui viendrait ensuite ne serait qu’un après. Cependant, l’Après est bien là et il nous faut partir de sa présence peut-être écrasante, de sorte que les représentations de l’Après qui pourront être interrogées sont tout autant celles que l’on se forge d’un traumatisme historique après coup, que la façon dont on conçoit l’ « Après » lui-même, la représentation qu’on se fait de celui-ci. En effet, la conscience de l’Après contribue à forger une ou des représentation(s) de l’événement traumatique conçu comme passé, mais l’Après est également lui-même une représentation qu’il s’agit d’interroger en tant qu’elle façonne une certaine conception du présent.

Cependant ce qui se met en place avec un événement traumatique est dans un premier temps le traumatisme, à savoir ce qui empêche la représentation et met à mal le sens. C’est de ce traumatisme, de cette perte de sens et de cette incapacité à représenter l’événement que nous voudrions partir, postulant que les historiens, les psychologues, les psychanalystes, les politistes, les artistes, les écrivains, les cinéastes, les auteurs de théâtre appréhendent cette déperdition du sens lorsqu’ils veulent établir un lien entre l’événement traumatique et notre présent.

Si nous nous intéressons aujourd’hui à cette question, c’est certainement qu’elle revêt pour nous une actualité, car ainsi que l’écrit Walter Benjamin, « L’Histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais le temps saturé d’« à-présent »[2] ».  Nous ne manquerons pas de nous interroger sur cet « à-présent ». Et il nous semble que la question de la « représentation de l’Après » nous intéresse aujourd’hui au moins pour deux raisons : 1) parce que nous sentons le danger qu’il y aurait à ne pas construire de sens de l’événement en le laissant vacant pour le discours qui serait alors nécessairement celui de l’idéologie dominante, car c’est en elle que finissent tous les impensés ; 2) parce qu’en ce qui concerne la Shoah qui tend trop souvent à servir de paradigme pour penser bon nombre d’événements historiques, il semblerait que le temps du traumatisme soit pensé comme en voie d’être dépassé au point que l’on peut se poser la question de la réparation. D’où notre formulation volontiers provocatrice de « temps des réparateurs ? ». Car cette réparation ne paraît pas seulement à l’œuvre pour cet événement précis qu’a été la Shoah, mais, dans la mesure où c’est à travers la façon de penser la Shoah que les événements traumatiques qui l’ont précédé (génocide arménien) ou suivi (génocide des Tutsi au Rwanda) sont souvent appréhendés, il se produit une reviviscence d’un événement refoulé ou une accélération du temps de la pensée sur un événement récent, si bien que nombre de traumatismes historiques sont pensés ou représentés dans cette perspective de réparation. Selon quelles modalités et avec quels effets ? C’est là ce qui nous occupera.

Si aujourd’hui nous sommes en mesure de nous interroger sur les modalités des représentations de l’Après, c’est bien parce qu’il y a un après, autrement dit parce qu’il y a eu des survivants et parce que l’histoire officielle a laissé une place à l’événement. Car que savons-nous de la destruction de Carthage en-dehors de la phrase de Caton ? Ou plus précisément, quel savoir nous a été transmis sur Carthage avant la destruction ? Quelle représentation avons-nous eu dans l’après coup, de cet événement et de la perte irréparable qu’il a effectivement été ? Il est vrai que les Romains vainqueurs n’allaient pas prendre en charge l’histoire des victimes de leur armée. Si donc aujourd’hui se pose la question des représentations de l’Après, c’est parce que ces représentations sont perturbées par le cadre historique lui-même ébranlé. Pour le dire encore à partir de Walter Benjamin, il est de notre devoir d’intellectuels  de concevoir l’histoire en nous situant résolument du côté des vaincus, ne serait-ce que pour nous déprendre de l’aliénation dominante que constitue l’histoire écrite par les vainqueurs, mais, dès lors que les criminels de guerre ont été vaincus au cours d’une glorieuse bataille, que deviennent les victimes ? Les criminels sont poursuivis, et, dans le meilleur des cas, jugés. Nous ne nous poserons pas ici la question de savoir si les procès à juste titre considérés comme historiques soulagent les victimes ou ravivent leur souffrance. En revanche, nous devons prendre en compte la difficulté de parole des victimes dont l’une des causes – certes pas la seule – réside sans doute dans la situation paradoxale dans laquelle elles se trouvent : victimes, donc appartenant de fait à l’histoire des vaincus, libérées et sauvées par les vainqueurs donc appartenant de fait au camp des vainqueurs. Malaise que répercute le vieux Steiner, personnage d’une pièce d’Enzo Cormann : « Je vous dis cela pour y avoir pensé depuis lors à en devenir fou […] peu après avoir appris que mes parents étaient portés au nombre des victimes. D’innombrables voix tonitruaient alors de par le monde, célébrant les victoires de la liberté, tandis que se taisaient les rares rescapés des marches de la mort[3] ». Ce silence lui-même pourrait être interrogé dans le cadre de ce colloque. Quel statut donner à ce silence ? Est-il celui de la gestation d’une représentation ou au contraire de l’impossibilité de toute représentation juste de l’événement, sachant que la représentation est par ailleurs une nécessité pour dépasser le traumatisme ?

Or ce sont des êtres humains qui subissent les crimes qui jalonnent l’histoire. C’est pourquoi  les représentations de l’Après ne sont pas des abstractions mais doivent être pensées à échelle d’homme et de femme. Quelles représentations construisent les fictions cinématographiques, théâtrales, littéraires, que nous souhaiterions confronter aux représentations picturales, plastiques, artistiques ainsi qu’aux représentations, relevant de discours, qui sont celles des psychologues, psychanalystes, des historiens, des politistes ? Toutes ces représentations abstraites et/ou incarnées ont-elles pour fonction d’alimenter la bonne conscience de la cité qui s’apprête à commettre d’autres horreurs ? Sont-elles la caution donnée à un pouvoir qui cherche à s’approprier le discours sur les événements traumatiques ? Ou au contraire – et à quelles conditions ?  – permettent-elles la catharsis, voire la réparation du ou des sujets  ?

 

Les propositions sont à envoyer avant le 15 mai 2016 à apresrepresentations@hotmail.com

 

Comité Scientifique

Virginie BRINKER (UBFC, CPTC)

Khadija CHAHRAOUI (UBFC, LPPM)

Daniel DERIVOIS (UBFC, LPPM)

David EL KENZ (UBFC, Centre G. Chevrier)

Alexandra GOUJON (UBFC, CREDESPO)

Pascal VACHER (UBFC, CPTC)


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[1] Catherine Coquio (dir.), L’histoire trouée ; négation et témoignage, Nantes, L’Atalante, 2003, p.31.

[2] « Sur le concept d’histoire », XIV, in Œuvres III, folio essais, p.439.

[3] C’est ainsi que s’exprime Steiner, personnage de la pièce d’Enzo Cormann, Toujours l’orage, éditions de Minuit, 1997, p.64.

  • Adresse :
    Université de Bourgogne Franche-Comté