Essai
Nouvelle parution
M. Boyer-Weinmann, La Relation biographique

M. Boyer-Weinmann, La Relation biographique

Publié le par Marie de Gandt

Compte rendu dans Acta Fabula : Apologie d'un mauvais genre, par Bérenger Boulay.

Martine Boyer-Weinmann, La relation biographique : enjeux contemporains

Editions Champ Vallon, collection "Détours", Seyssel, 2005, 488p.

Présentation de l'éditeur :

Pour de multiples raisons, critiques et université ont longtemps dénigré, en France, le succès public de la biographie littéraire. Taxée d'arrière-garde et d'indigence intellectuelle, cette pratique a cependant, depuis près de vingt ans, retrouvé adeptes et défenseurs. Romanciers reconnus, nouveaux historiens et théoriciens de la fiction s'intéressent à ce matériau d'une infinie souplesse. Rares pourtant demeurent, dans notre pays, les réflexions globales spécifiquement consacrées à la biographie littéraire.
Quels sont ces aventuriers contemporains de la biographie ? Quel type de relation complexe parviennent-ils à nouer aujourd'hui, à frais nouveaux, avec leur objet d'étude : une vie, une oeuvre, un mythe d'écrivain ?
Cet essai se propose de cerner la singularité du paysage français de la biographie littéraire depuis le tournant des années 1980. Pour éclairer et limiter l'inventaire méthodique et la diversité de ses traductions littéraires, l'auteur a choisi d'encadrer la généalogie et l'exposé du débat de fond par trois études de cas biographiques concrets.
Trois grandes voix littéraires du XXe siècle (Rimbaud, Colette, Malraux), chacune porteuse d'un mythe vivace, sont données à entendre dans la perspective critique et polémique de leurs biographes successifs. Autant de voix secondes, autant de sens possibles d'une vie à l'oeuvre, avec parfois, à la clé, la naissance d'un nouvel écrivain sous le biographe.

Extrait de presse :

LIBÉRATION
(jeudi 5 décembre 2005)

CULTURE BIO
Une tentative de réhabilitation de la biographie littéraire

L'autobiographie et l'autofiction sont désormais bien investies par le discours critique. Mais la bonne vieille biographie, notamment littéraire ? Elle est increvable, il en sort tout le temps de nouvelles, avec succès. Sa légitimité n'est pourtant pas acquise, elle reste un drôle de genre. Après le livre de François Dosse, Le Pari biographique (La Découverte), voici un ouvrage universitaire qui tente de codifier le secteur. A défaut de poser les fondations d'un «pacte» biographique, l'auteur, Martine Boyer-Weinmann, inventorie avec enthousiasme et vigueur les différentes manières d'envisager «l'oeuvre-vie».
Honnêtement, il n'est pas certain que les appellations protobiographie, anabiographie et métabiographie passent dans le langage journalistique courant. On préférera, dans La Relation biographique, la circulation entre les époques, les écrivains, les notions. Le titre même est déjà à double détente, désignant à la fois le lien biographe-biographié (qui peut devenir effet de miroir) et le récit. Ecrire une biographie, c'est d'abord écrire. Deux camps, dans cette affaire. D'un côté, ceux qui ne veulent voir dans la biographie que le texte, qu'ils assimilent à une fiction. De l'autre, ceux qui trouvent exagéré que la valeur (et la contrainte) documentaire passe à la trappe.
Martine Boyer-Weinmann appartient plutôt à la seconde catégorie. «Ce n'est pas porter atteinte au talent littéraire du biographe, écrit-elle, que de rappeler ses responssabilités élémentaires envers le lecteur ainsi que l'existence problématique (devant être problématisée) d'une archive référentielle et testimoniale.» Sans doute ne consacre-t-on pas sa thèse aux biographies si on ne les prend pas au sérieux. Mais elle ne les prend au sérieux que dans la mesure où le biographe est en même temps critique. D'où l'utilisation de la formule «le» biographique, l'invitation à une mise à distance, qui permet notamment de remplacer «l'idée que la vie a un sens par l'idée que la vie est du sens». D'où un goût affiché pour certains travaux conemporains: Jean Cocteau, par Claude Arnaud, ou Secrets de la chair, une vie de Colette, de Judith Thurman, bref, les bios qui introduisent à l'oeuvre, plutôt que la démystification excessive (symétrique de l'hagiographie) d'Olivier Todd dans André Malraux, une vie ou «la hargne pointilleuse» de Jean-Jacques Lefrère dans Arthur Rimbaud.
Rimbaud, Colette, Malraux: le silence, «l'enracinement dans la prose du monde» et enfin l'homme des métamorphoses. La seconde partie de La Relation biographique étudie cas pas cas les récits qu'ils ont suscités. On aurait pu penser que Martine Boyer-Weinmann allait s'amuser à comparer les différentes versions données par les biographes des moments-clés. Mais elle n'entre pas dans ces détails. Au fond, elle croit trop à la vérité littéraire du biographique pour ne pas dessiner l'allure générale des personnages qui s'en dégagent. vérité mouvante, puisque c'est le propre des écrivains que de toujours en cacher un autre. Il y a aussi une historicité de la profession de biographe, et il revient parfois à la fiction de la démontrer : voir Possession, et Le Conte du biographe, d'Antonia Byatt.
Auparavant, on aura pu lire un panorama des militants «antibiographiques». Quitte à se contredire dans leurs écrits, ils disent, avec Valéry, que «la vie de l'auteur n'est pas la vie de l'homme qu'il est». Le Contre Sainte-Beuve, de Marcel Proust, est bien sûr le célèbre point de départ, et le «fer de lance» d'une Nouvelle Critique particulièrement peu «bio». Double paradoxe, est-il rappelé ici : c'est l'édition de 1954 «qui fait désormais exister Sainte-Beuve aux yeux du lecteur contemporain» ; et la préface de Bernard de Fallois ne faisait qu'appliquer à la fabrique proustienne la méthode de Sainte-Beuve. Il revient une fois de plus à Roland Barthes de réconcilier les contraires. On lui doit «la mort de l'auteur» dans les années 60, mais aussi les merveilleux «biographèmes» : «J'aime certains traits biographiques qui, dans la vie des écrivains, m'enchantent à l'égal de certaines biographies».

CLAIRE DEVARIEUX