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Nouvelle parution
Lost & Found : Jean Sénac et la nouvelle poésie américaine

Lost & Found : Jean Sénac et la nouvelle poésie américaine

Publié le par Marc Escola (Source : Kai Krienke)

Référence bibliographique : Lost & Found : Jean Sénac et la nouvelle poésie américaine, , 2015.

 

Référence bibliographique : Lost & Found : Jean Sénac et la nouvelle poésie américaine, The CUNY Poetics Document Initiative, 2015.

 

 

 

 

Lost & Found : Jean Sénac et la nouvelle poésie américaine

The CUNY Poetics Document Initiative

 

La collection Lost & Found, dirigée par Ammiel Alcalay, et publiée par La Center for the Humanities de CUNY (City University of New York), vient de consacrer un ouvrage comprenant plusieurs documents inédits du poète Algérien Jean Sénac, traduits et édités par Kai Krienke, chercheur américain en littérature comparée. Jean Sénac est le premier auteur non-américain d’une série dédiée principalement à la poésie américaine des années 50, 60, et 70. On y retrouve entre autres des textes inédits de Kathy Acker, Langston Hughes, William S. Burroughs, Edward Dorn, Vincent Ferrini, Adrienne Rich, Amiri Baraka et de Diane di Prima. Poésie décidemment anticonformiste et liée aux racines profondes d’une culture américaine marginalisée, dans un langage où l’expression esthétique n’est jamais loin de la réalité existentielle, elle est à ce jour peu connue en dehors de certains cercles universitaires. Jean Sénac aussi reste inconnu aux Etats-Unis, et pourtant son œuvre (surtout celle écrite après ’62) semble très liée à celle de ces nombreux poètes du mouvement « beat » et afro-américain. A part une sélection de poèmes traduits publiés par Katia Sainson et David Bergman en 2010, il n’y a pour l’instant aucun ouvrage critique en anglais sur un poète qui pourtant devrait être connu au même titre que l’écrivain Albert Camus.

Parmi les documents recueillis dans Lost & Found se trouvent une sélection de lettres échangées entre Jean Sénac et l’écrivain algérien Mohammed Dib, entre 1951 et 1953, une partie du manifeste Le soleil sous armes, publié par Subervie en 1957, et les notes manuscrites de Sénac lors des Rencontres de la jeune poésie algérienne, tenues à Constantine en 1972. Ils représentent trois phases de la vie de Jean Sénac, de la littérature algérienne avec laquelle il était profondément engagé, ainsi que de l’histoire algérienne du 20ème siècle. Les lettres entre Jean Sénac et Mohammed Dib traitent essentiellement du lancement de la revue Terrasses laquelle, malgré un seul numéro, représente une des rares tentatives de regrouper jeunes de jeunes auteurs algériens de toutes origines, européennes, arabes, berbères, juives, et cela dans un contexte colonial de plus en plus ségrégationniste.

Dans Le soleil sous les armes on retrouve la même volonté chez Sénac de lier poètes et poésie de la résistance, tant bien celle de l’Algérie contre l’occupation française que la résistance française contre l’occupant allemand. En grande partie une réponse au silence d’Albert Camus sur les atrocités commises en Algérie, le manifeste de Jean Sénac, présenté publiquement la première fois à Paris le 13 mars 1957, constitue une intervention politique par le biais d’une esthétique poétique. Lier poètes résistants algériens et français c’était lier deux combats pour le même objectif, celui de la libération d’un peuple et d’une nation. Pour Sénac, « Il est donc normal que la poésie, une fois de plus, se trouve en Algérie non seulement engagée, mais à la pointe du combat contre l’aliénation de l’homme. »[1]

Le troisième document, en partie inédit, est constitué d’une sélection de notes manuscrites de Sénac lors d’une rencontre de jeunes poètes algériens à l’Université populaire de Constantine le 20 et 21 aout 1972. Etaient présents Wahli Allaoua, Hosni Kitouni, Adbel-Ali Rezagui, Youcef Sebti et Hamid Skif. 10 ans après l’indépendance de l’Algérie on retrouve chez ces poètes une conscience aigue d’une crise sociale et culturelle, et une volonté de définir le rôle de la poésie, tant d’expression arabe que française, dans un contexte de moins en moins favorable à des questionnements profondément identitaires. Malgré une déclaration commune où on lit que les poètes « souhaitent la mise en place de structures de création, de diffusion et de communication permettant une vie poétique libre et dynamique », on sent dans leurs propos un certain pessimisme quand à l’avenir d’une telle liberté.

Si ces différentes tentatives de créer ou de définir un terrain propre et inclusif pour la création littéraire et artistique algérienne ont été chaque fois mises en échec, cela tient en grande partie aux profonds conflits politiques et identitaires qu’a connu l’Algérie depuis les années 50. Jean Sénac, en tant que poète, critique, metteur en ondes, rédacteur en chef, éditeur, galeriste, révolutionnaire, parmi tant d’autres activités, représente non seulement une figure historique centrale à l’histoire algérienne, mais une ouverture sur un avenir possible de réconciliation. La poésie était pour lui, et pour de nombreux poètes algériens, un moyen de construire la nouvelle culture algérienne et de résister à toutes les formes de dogmatismes, que ce soit politique, culturel, religieux ou économique.

 

[1] Jean Sénac. Le Soleil sous les armes. Rodez: Editions Subervie, 1957. p.10.