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Son Excellence   Eugène Rougon (Les Lectures du CRP19, Paris 3)

Son Excellence Eugène Rougon (Les Lectures du CRP19, Paris 3)

Publié le par Marc Escola (Source : Marion Glaumaud-Carbonnier)

            Les lectures du CRP19 — Deuxième édition — 4 juin 2016.

                       Son Excellence Eugène Rougon, Émile Zola

 

 Après Balzac et La Maison Nucingen, les jeunes chercheurs du CRP19 (Paris 3 – Sorbonne Nouvelle) proposent dans le cadre de leur journée d’étude de partir à la recherche d’une nouvelle œuvre littéraire restée dans l’ombre de son grand homme. Et à l’heure où l’agrégation met à l’honneur de son programme La Fortune des Rougon, il semble légitime de se pencher sur le cas Zola. De Zola nous pensions tout connaître et des Rougon-Macquart pouvoir sans surprise égrener les grands hommes et les femmes exemplaires : Octave Mouret, Gervaise, Pascal, Saccard, Étienne Lantier, autant de personnages dont les noms décomposent aisément leur roman de nos mémoires, visages de papier qui épaississent familièrement les feuilles de cette célèbre arborescence romanesque. En parcourant ce cycle, on se surprend pourtant à repérer des inévidences, des silences et des inconnus. Dans l’ombre portée de ces silhouettes, quelques personnages rongent leur reconnaissance, oubliés des lecteurs voire des amateurs. Eugène Rougon, pour exemple, peine à faire réflexe et Son Excellence Eugène Rougon, son roman, à faire écho. Personnage indispensable à la tenue du cycle écrit par Émile Zola, homme illustre et complexe qui guide la famille Rougon et l’aide à sortir de l’ombre où elle végétait, son récit reste en effet minuscule, et mineur son discours critique. La condamnation de Son Excellence Eugène Rougon, pourtant, paraît sévère et nous suggérons, au cours de cette journée, de disputer sa peine.

En 1876, après la publication de La Faute de l’abbé Mouret, récit d’amour, d’air et de solitude, Émile Zola inverse la problématique : son nouveau volume sera une fable de pouvoir, d’intérieur et de bande. Au centre du roman, Eugène Rougon, donc, « un homme qui idolâtre sa force et son intelligence »[1], prêt à tout pour conquérir le pouvoir et le garder. Avant d’entamer son livre, Zola, pour écrire vrai, compulse plusieurs ouvrages, – ceux de Taxile Delord et de Louis-Ernest Hamel, surtout. Il s’imprègne des articles parus dans Le Moniteur, s’informe des usages de la cour, feuilletant Les Souvenirs d’un valet de chambre, collationnant les détails auprès d’un secrétaire du Corps législatif, interrogeant les témoins de ce temps, au premier rang desquels Flaubert. Son Excellence Eugène Rougon, nourri de ces sources, est à ce point traversé par l’histoire politique du Second Empire que les rédacteurs du Siècle, le quotidien qui a la primeur de son impression, l’agrémentent d’un sous-titre balzacien qui vaut réclame : « scènes de la vie politique sous le Second Empire ». Pétri de cette matière qui, pour beaucoup, n’a pas encore gagné son épithète historique, le lecteur observe à quelques années de distance le baptême du prince impérial, l’attentat d’Orsini, le vote des lois sécuritaires, les séances de l’Assemblée nationale, les soirées de Compiègne et, à l’horizon, la figure floue de l’Empereur qui s’éthère dans la prescience de sa chute. Forts du sous-titre donné par Le Siècle, ses contemporains ont tôt fait de deviner « sous les noms de fantaisie les héros véritables du volume »[2] : Eugène Rougon cache à peine Eugène Rouher et dans les traits de Delestang, Émile Ollivier se distingue. De là, une hypothèse : Son Excellence Eugène Rougon nous resterait secret car nous en aurions perdu les clés de sa compréhension.

Le nœud de lecture, pour d’autres, est à chercher ailleurs. C’est la thèse retenue par certains contemporains de Zola qui, même s’ils lui savent gré de « ne pas avoir prostitué sa plume jusqu’à raconter sur le souverain trépassé [d]es histoires infâmes »[3], notent, dès la parution du livre, que « sans se ruiner en bouquets de violettes, on peut croire que cette façon de faire un héros de roman d’un souverain qui a régné pendant dix-huit années sur un grand pays, est une haute inconvenance littéraire »[4]. Y a-t-il donc faute littéraire dans ce roman ? Le débat agite les lecteurs, incertains sur la manière de recevoir Son Excellence. Face à l’intrigue indéniablement historique, ils s’étonnent par exemple que celle-ci ne soit « point de celles qui passionnent à la façon des récits de Dumas »[5] ; ici, en effet, point de ces « Montépinades » qu’apprécie d’ordinaire le public populaire. Est-ce à dire que ce volume vivrait en dehors des lois du roman historique ? Qualifié de « drame pur d’une intelligence »[6] par son auteur, le récit pose ainsi la question du traitement de la fibre romanesque. Le rideau s’ouvre sur la perte du pouvoir d’Eugène Rougon, qui le récupère, le perd, puis gagne à nouveau sa place dans les arcanes du Palais impérial, sans que la bataille ne soit jamais vraiment explicitée, sans que l’épopée politique ne trouve véritablement son souffle. L’histoire semble, ici, souvent exclure le romanesque, au profit de l’observation des jeux de pouvoir et d’intérieur, de manipulation et de séduction. Son Excellence serait-il alors, à l’image de ses personnages, antiromanesque par nature ? Que l’on se souvienne en effet qu’Eugène Rougon « tonn[e] contre les livres »[7], et que Clorinde Balbi, son pendant féminin, affirme n’avoir « jamais ouvert un seul roman », au motif que « c’est bête tous ces mensonges »[8].

Figure effacée du cycle, Eugène Rougon, « ce fils du siècle » salué par Mallarmé[9], est entouré d’énigmes qui déroutent et interrogent. À l’échelle du roman mais aussi du cycle, il se dérobe et échappe, au point que l’on peut croire que le Eugène présent dans La Fortune des Rougon et dans La Conquête de Plassans, n’est pas le même homme que l’Excellence mise en scène dans ce volume. Certaines thématiques, pourtant, font écho aux volumes précédents et lient Eugène à sa famille. Narration de l’« histoire d’un parti, d’une coterie, poussant son chef et le dévorant », Son Excellence Eugène Rougon entremêle ainsi dans ses pages « la vilenie, la bassesse, l’ignorance, la vénalité », ces caractères qui « chang[ent] les hommes en loups », déjà dénoncés par l’aïeule de la famille, Adélaïde, qui, dans sa prophétie contenue dans le premier volume des Rougon-Macquart, affirmait n’avoir « fait que des loups… toute une famille, toute une portée de loups ».

Relire Son Excellence Eugène Rougon, relier Eugène Rougon à sa famille romanesque, tels sont les deux gestes qui prévalent à cette journée d’étude. Qu’est-ce, en effet, que ce roman impopulaire et hautain, écrasé par l’irruption, quelques jours après sa parution, de L’Assommoir, roman du peuple et du populaire ? Faut-il, à la suite de Maurice Leblond, lire Eugène Rougon comme « une sorte de puissance symbolique qui domine les divers épisodes de la vaste série, et comme une incarnation de la bourgeoisie triomphante »[10] ? Est-ce plutôt, comme le suggère Paul Alexis, la fiction d’ « Émile Zola ministre », le « rêve de ce qu’il eût été, s’il eût employé son ambition à la politique »[11] ? Telles sont aussi les questions que l’on pourra se poser. Toute approche, – formelle, thématique, comparée, etc., – est cependant la bienvenue, dès lors qu'elle vise à approfondir notre connaissance du roman. À titre d'exemples, on pourra travailler sur les axes suivants :

  • écrire l’histoire
  • roman parlementaire/récit d’intérieur
  • le romanesque
  • le personnage/l’œuvre à l’épreuve du cycle des Rougon-Macquart
  • le féminin
  • les passions
  • le genre du roman
  • la séduction / la manipulation
  • l’utopie sociale
  • la réception de Son Excellence

Les propositions de communication, entre 300 et 500 mots, sont à envoyer au crp19e@gmail.com, avant le 12 février 2016.

 

Bibliographie indicative 

  • Armstrong (Marie-Sophie), « Son Excellence Eugène Rougon et la problématique de l’analité », Excavatio, XXIII, nos 1–2, 2008, pp. 280-293.
  • Bafaro (Georges) : « Quelques aspects du pouvoir dans Son Excellence Eugène Rougon », Les Cahiers naturalistes, septembre 1998.
  • Baguley (David), «Histoire et mythe dans Son Excellence Eugène Rougon», Les Cahiers naturalistes, XXVIII, no56, 1982, pp. 46-60.
  • Bell (David F.), Models of Power. Politics and Economics in Zola's Rougon-Macquart. Lincoln-London, University of Nebraska Press, 1988, xii.
  • Darnado Basso (Isa), « Cronaca e invenzione in Zola: Son Excellence Eugène Rougon : personaggi e modelli », Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2002
  • Dupuy (Aimé), « Comment Zola a vu et jugé Napoléon III », Le Miroir de l'Histoire, IV, no37, février 1953, pp. 81-84.
  • Dupuy (Aimé), « Esquisse d'un tableau du roman politique français », Revue française de Science politique, IV, no3, juillet septembre 1954, pp. 484 513.
  • Kaminskas (Jurate D.), « De la séduction et du pouvoir: Son Excellence Eugène Rougon », Excavatio, XV, nos 3-4, 2001, pp. 92-106, 2001.
  • Lethbridge (Robert) : « Zola et la fiction du politique : Son Excellence Eugène Rougon », Les Cahiers naturalistes, septembre 1998.
  • Lote (Georges), « Zola historien du second Empire », Revue des études napoléoniennes, les origines de l’Europe nouvelle, septième année, juillet à décembre 1918, tome xiv, Félix Alcan, pp.39–57.
  • Reverzy (Éléonore), « Histoire et politique dans les Rougon-Macquart : Son Excellence Eugène Rougon », in Écritures XIX 2 : images du temps, pensée de l’histoire. Éd. Christian Chelebourg. Paris-Caen, Lettres modernes Minard, 2005, pp. 69-86.
  • Reverzy (Éléonore), Bourguignat (Nicolas) : « Zola et la “fiction du parlementarisme” », Les Cahiers naturalistes, septembre 2013.

 

[1] Dossier préparatoire de Son Excellence Eugène Rougon, Naf, 10292, p.1

[2] « Le Calendrier parisien » par Albert Wolff, Le Figaro, 3 avril 1876, 23e année, 3e série, n°94.

[3] « Le Calendrier parisien » par Albert Wolff, op.cit.

[4] Ibid.

[5] « Bibliographie. Les Rougon-Macquart — Son Excellence Eugène Rougon » par Brévannes, Le Tintamarre, 9 avril 1876, 35e année.

[6] Zola (Émile), Son Excellence Eugène Rougon, éd. présentée, établie et annotée par Henri Mitterand, Gallimard, 2000, Folio classique, p.140.

[7] Ibid.

[8] Ibid., p.141.

[9] Mallarmé (Stéphane), Correspondance 1871-1885, recueillie, classée et annotée par Henri Mondor et Lloyd James Austin, Paris, Gallimard, 1965, [Lettre à Zola du 18 mars 1876], p.107.

[10] Zola (Émile), Œuvres complètes, notes et commentaires de Maurice Le Blond, Paris, François Bernouard, 1927, tome vii, p.406.

[11] Alexis (Paul), Émile Zola, notes d’un ami, Paris, Charpentier, 1882, p.105.

 

 

 

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