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L'animal en chair et en os : au-delà de la métaphore (ENS Lyon, Programme Animots)

L'animal en chair et en os : au-delà de la métaphore (ENS Lyon, Programme Animots)

Publié le par Marc Escola (Source : Flora Souchard)

Journée d’étude
L’animal « en chair et en os » : au-delà de la métaphore

ENS de Lyon, mardi 18 octobre 2016

La journée d’étude est organisée par le CERCC, avec le soutien du programme de recherche « Animots ».

10h30 

Accueil des participants

10h45 

Yuna Visentin (École normale supérieure de Lyon)
Introduction
               

11h – 11h40

Anne Simon (CNRS, CRAL-CNRS/EHESS)
Conférence inaugurale : « É-motions animales : zoopoétique et genre romanesque »
               

11h40 – 12h40Face au vivant : l’expérience de la nomination

Cyril Charles (École normale supérieure de Lyon)
« "On l’appelle comment ?" Les scientifiques face à une nouvelle espèce »

Flora Souchard (École normale supérieure de Lyon)
« "Silence à griffes, à mufles" : quelques apparitions de bêtes en poésie moderne »
 

12h40 – 14h30

                Déjeuner sur place

14h30 – 15h30Histoires animales singulières

Éric Baratay (Université Jean Moulin Lyon III)
« Écrire les biographies de trois chiens en littérature »

Alice Leroy (École normale supérieure de Lyon)
« De quelques singularités animales et régimes de zoomorphisme dans le cinéma contemporain »     
 

15h30 – 16h

                Pause café

16h – 17hDe la possibilité d’être ensemble

Laurent Demanze (École normale supérieure de Lyon)
« "Une communauté à parts égales" : remarques sur la présence animale dans la littérature contemporaine »

Patrick Llored (IRPHIL - Institut de recherches philosophiques, Lyon III)
« Ce sont les animaux qui nous redonneront le goût du politique ou 10 raisons d'oublier (presque définitivement) Aristote ! »

 

 

Lieu : ENS de Lyon, Site Descartes, bâtiment Buisson, salle de réunion n°2

Comité scientifique : Corinne Bayle, Éric Dayre, Anne Simon, Flora Souchard, Yuna Visentin.

Comité d’organisation : Yuna Visentin (yuna.visentin@ens-lyon.fr) et Flora Souchard (flora.souchard@ens-lyon.fr)

 

Argumentaire :

Les figures d’animaux ponctuent les textes littéraires. Pourtant, les bêtes représentent rarement des individus, des sujets, des singularités, mais servent plutôt à figurer de manière allégorique et métaphorique une réalité humaine. L’exemple majeur est bien entendu la fable, dans son genre, mais surtout dans la lecture qu’on a l’habitude d’en faire : les caractères stéréotypés des animaux servent à décrire et mettre à l’épreuve des situations morales humaines. Les bêtes, en tant que personnages, sont présentes pour les humains. Or, si les études animales ont permis de remettre en question le présupposé de la destination humaine des animaux qui est au fondement de leur exploitation, il s’agirait aussi d’interroger et/ou de remettre en cause cette destination dans nos modalités de représentation des bêtes, et notre interprétation des textes. L’objectif de cette journée d’études consistera dès lors à évaluer les conditions de possibilité d’une présence de singularités animales « en chair et en os » dans la littérature et les arts, mais également les sciences humaines.

Animaux/animots : se confronter à des bêtes singulières

Sortir les animaux littéraires d’une représentation allégorique ne va pourtant pas de soi : cela implique de se confronter à la diversité du vivant, et à la singularité de chaque bête. Jacques Derrida, dans le très célèbre L’animal que donc je suis, cherche à décrire la spécificité de la chatte qui le regarde, son « irremplaçable singularité[1] », en montrant la nécessité de ne pas l’assimiler à une figure littéraire métaphorique. Or, la critique de l’allégorisation de la chatte est liée au concept d’animot, néologisme créé par le philosophe pour dénoncer la réduction de toutes les bêtes à une seule classe indifférenciée. Comme le montre Anne Simon, responsable du programme de recherche « Animots[2] », il importe dès lors d’approcher de front la singularité des existences animales, et par conséquent l’altérité de ces « vivants particuliers, en interaction permanente les uns avec les autres[3] ». C’est pour cette raison qu’elle privilégie « le terme de “bêtes”, au pluriel, qui permet d’évoquer ce qu’Élisabeth de Fontenay nomme des êtres “en chair et en os, en griffes et fourrures, en odeurs et en cris”[4] ». Sans reconduire les hiérarchies ontologiques qu’il s’agit justement d’ébranler, on s’interrogera sur les différentes existences animales, sur ces « autres mondes[5] » auxquels on peut avoir accès lorsque « l’animal est pris en compte tout autrement que comme un objet d’étude, un motif allégorique ou un contre-exemple, là où s’ouvre le soupçon qu’il est ou pourrait être lui-même quelque chose comme une pensée[6]. » Dans ce sens, les apports de l’éthologie seront essentiels, et permettront l’ouverture de la littérature aux autres savoirs.

Enjeux littéraires 

Pourtant, on est en droit de se demander comment la littérature, langage humain par excellence, peut rendre compte d’une subjectivité, d’une existence, d’un langage non humains. Anne Simon répond à cet écueil en montrant, au contraire, le pouvoir spécifique de la littérature : « le paradoxe selon moi est que le langage poétique, que Merleau-Ponty appelle le “langage à deuxième puissance” et qui est une sorte de “comble” du langage humain (puisqu’hyper figural et hyper complexe), ce langage, loin d’être un empêchement à la restitution des rythmes, des affects et des mondes animaux permet justement d’en rendre compte[7]. » Il s’agira dès lors, dans une perspective zoopoétique, de distinguer les moyens de la littérature pour exprimer ces mondes animaux, cet Umwelt[8] propre à chaque existence. La problématique des « styles animaux », portée par Marielle Macé et Jean-Christophe Bailly dans l’ouvrage collectif L’Esprit Créateur[9] pourra se révéler particulièrement fructueuse, tout comme l’interrogation sur le rythme comme vecteur de transmission d’une poétique animale. Devra-t-on dès lors modifier notre propre regard sur la représentation de l’animal, ou alors sélectionner des œuvres, des textes qui, contrairement à d’autres, traitent les animaux comme des sujets, des individus, et non des métaphores ? Si certains auteurs permettent mieux cette lecture (Tolstoï, Kafka, etc.) faut-il aussi aller chercher l’individualité animale là où elle est cachée sous le poids de la métaphore ? Comme le remarque Jean-Christophe Bailly dans Le parti pris des animaux, même chez La Fontaine il y a des moments où le renard est renard.

Prolongements anthropologiques et politiques

Enfin, la critique de la métaphorisation de l’animal ouvre des questionnements anthropologiques et politiques. C’est ce que montre par exemple Carol J. Adams avec la critique du concept de « absent referent » (référent absent) dans The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory[10], qui questionne la représentation patriarcale des femmes et des animaux. Interroger la possibilité d’une présence concrète et non allégorique de l’animal dans la littérature et dans les arts,  c’est plus largement considérer la possibilité d’une subjectivité non humaine, qui permette de sortir de la réduction de l’animal à un objet, pour le voir comme un patient moral, voire un sujet moral. Par ailleurs, la remise en cause de la coupure ontologique entre humains et bêtes ébranle les paradigmes anthropologiques structurants de la pensée occidentale. L’humain est en effet réintégré à la sphère du vivant, ce qui pose la question de « la fin de l’exception humaine » (Jean-Marie Schaeffer, La fin de l’exception humaine) ; et la considération d’existences animales spécifiques devient possible (au sens de Florence Burgat dans Une autre existence : La condition animale). En somme, la critique de la métaphorisation de l’animal appelle à une redéfinition de l’existence humaine et animale.

 

 

[1] Jacques Derrida , L’animal que donc je suis, Paris, Editions Galilée, 2006, p. 26.

[2] Voir le Carnet de recherche et de veille : http://animots.hypotheses.org.

[3] Anne Simon, « Ecodiscorso e ecocritica: quale nuova reciprocità tra umanità e Pianeta?/Ecospeak and Ecocriticism: What Reciprocity Between Humanity and the Planet? », L’Analisi Linguistica e Letteraria, Elisa Bolchi, Marisa Verna et Davide Vago dir., Milan, Université Catholique, à paraître en 2016.

[4] Ibidem. Pour la citation de Elisabeth de Fontenay : Le silence des bêtes, Paris, Fayard, 1999, p. 25.

[5] Jean-Christophe Bailly, Le parti pris des animaux, Paris, Bourgois, 2013.

[6] Jean-Christophe Bailly, Le versant animal, Paris, Bayard, 2007, p. 30.

[7] Entretien avec Anne Simon, Propos recueillis par Nadia Taïbi, « Qu’est-ce que la zoopoétique ? », Sens-Dessous 2015/2 (N° 16), p. 118.

[8] Voir Jakob von Uëzkull, Milieu animal et milieu humain, Paris, Editions Payot et Rivages, 2010.

[9] Voir Anne Mairesse et Anne Simon dir., L’Esprit créateur, « Facing Animals / Face aux bêtes », vol. 51, n° 4, décembre 2011.

[10] Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory, New York, Bloomsbury Academic, 2015.