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« Existe-t-il un style Minuit ? »

« Existe-t-il un style Minuit ? »

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Karine Germoni)

« Existe-t-il un style Minuit ? »

 

23-25 mai 2012 - Université de Provence (Aix-en-Provence)

C'est en février 1942 que paraît Le Silence de la mer de Vercors, le premier ouvrage publié par les Éditions de Minuit, fondées clandestinement dans la France occupée par Pierre de Lescure et son ami Jean Bruller, dit Vercors. Le premier tirage est de quatre cents exemplaires, mais très vite le livre constitue un phénomène tant sur le plan littéraire que politique. Cette double orientation de la maison d'édition, littéraire et politique, va perdurer, ainsi qu'en témoigne l'histoire de sa direction et de ses publications.

Le 10 octobre 1945, les Éditions de Minuit clandestines deviennent une société anonyme. Jean Lescure est nommé au mois de mai 1946 directeur littéraire de cette nouvelle structure. Il est assisté de Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Georges Lambrichs. En décembre de la même année, il se retire. Lambrichs occupe alors la fonction de secrétaire du comité de lecture, mais c'est Vercors qui continue à dessiner la ligne éditoriale. Il désire que les Éditions de Minuit demeurent une maison d'édition engagée. Il publie notamment nombre d'ouvrages sur la résistance écrits par des résistants. La période couvrant les années 1945 à 1948 est financièrement difficile. En 1947, les familles Baur, Lindon et Rosenfeld injectent trois millions de francs dans la société. En mars 1948, Marcel Rosenfeld verse à nouveau deux millions de francs. Puis, en 1949, Vercors se retire des Éditions de Minuit et Jérôme Lindon en devient le directeur. La ligne éditoriale est transformée : seule la collection « documents » demeure engagée, les oeuvres littéraires publiées n'étant plus soumises à cet impératif. Depuis 1948, les Éditions de Minuit publiaient aussi la revue 84, mais son existence s'interrompt en 1951. Critique, fondée en 1946 par Georges Bataille, qui a obtenu en 1948 le prix de « la meilleure revue de l'année », et qui se situe au carrefour de la philosophie, de la littérature, de la religion et de l'économie politique, continue en revanche à paraître. De jeunes écrivains, tels Butor et Robbe-Grillet, y publient leurs premiers articles. La parution en 1951 de Molloy, roman de Samuel Beckett, bien qu'elle ne suscite pas un succès commercial, marque néanmoins le « tournant littéraire » pris par la maison d'édition.

Cette année-là, la petite maison d'édition accroît son importance en procédant au rachat des Éditions du Sagittaire. En 1954, Georges Lambrichs démissionne et l'année suivante Alain Robbe-Grillet devient conseiller littéraire. Il le demeurera trente ans durant. C'est à son initiative que seront publiés Claude Simon, Robert Pinget, Claude Ollier, et tous ceux que l'on dénommera « les Nouveaux Romanciers ». Toutefois, la ligne éditoriale ne se détourne pas de la mission d'engagement qui fut dès l'origine la vocation de la maison. Entre 1957 et 1962, les Éditions de Minuit publient vingt-trois plaquettes concernant l'Algérie et la guerre qui se déroule sur son sol. La parution en 1958 de La Question d'Henri Alleg attire tout particulièrement l'attention du public sur la pratique de la torture à laquelle recourt régulièrement l'armée française. La présence parmi les signataires du « Manifeste des 121 » de Jérôme Lindon et des écrivains du Nouveau Roman démontre l'articulation qui existe au sein de la maison d'édition entre le souci d'un renouvellement esthétique et l'adhésion à des valeurs éthiques possédant une indéniable portée politique.[1]

Cette articulation caractérise également les premiers héritiers du Nouveau Roman (Echenoz, Toussaint, Gailly, Bon, Volodine…), mais aussi les plus jeunes écrivains Minuit (Laurent, Ndiaye, Viel…), ceux que soutient Irène Lindon, qui dirige la maison d'édition depuis 2001, conformément à la ligne éditoriale définie par son défunt père. Si un romancier comme Laurent Mauvignier a choisi de publier ses oeuvres aux Editions de Minuit, ce n'est pas seulement parce qu'il s'agit d'une maison d'édition prestigieuse qui incarne une vision de grande qualité de la littérature, mais parce que pour cet auteur, hostile à une « littérature bourgeoise et réconfortante », il n'y a aucune « écriture qui ne soit pas de l'engagement »[2]. Et s'il concède que son style « entre bien dans ce qu'on pourrait appeler la fibre Minuit », comme l'écrit le critique Hubert Guillaud, c'est à la condition expresse de considérer « la fibre Minuit » comme « l'exigence de l'écriture », c'est-à-dire au fait d'« axer la littérature sur le travail de l'écriture »[3]. Puis il se ravise presqu'aussitôt en ajoutant : « Mais en même temps, je ne pense pas être très révélateur de ce qui se fait aujourd'hui chez Minuit. Il y a quelque chose de très fort qui se joue en ce moment chez Minuit avec Jean Echenoz, Christian Oster, Eric Laurrent et d'autres encore. Il y a aussi des cas isolés comme Hélène Lenoir, Eric Chevillard, Tanguy Viel… mais tout de même, chacun travaille à sa manière, on peut noter des différences qui ne sont pas négligeables, y compris dans les ‘choses plus unitaires' ». Ce mouvement dialectique consistant à admettre son appartenance à un groupe tout en insistant sur sa différence et sa singularité est commun aux « enfants de Minuit »[4]. À ceux qui assurent qu'il existe une « école Minuit », les auteurs actuels répliquent que s'il y a un « esprit Minuit » (Marie NDiaye), « une sensibilité commune » ou un « esprit de famille » (Christian Oster), « une admiration commune pour Beckett » (Eric Chevillard), « [i]l y a de très fortes personnalités, irréductibles et plutôt solitaires » (Eric Chevillard). Rappelons ainsi que l'idée mise à jour dans l'étude d'Anne Simonin est celle du primat des individualités sur les groupes organisés, conformément à une revendication essentielle d'indépendance, tant du point de vue de l'écriture que des idées. D'ailleurs, si on se hasardait à lui demander ce qu'avaient en commun les auteurs Minuit, Jérôme Lindon lâchait : « [J]e vois plutôt leurs différences. A la critique littéraire de voir leurs affinités ». Plus facétieux mais soucieux de dégager un dénominateur commun parmi les Nouveaux Romanciers, Alain Robbe-Grillet avait trouvé cette formule : « Lindon regroupe ceux qui n'écrivent pas ‘comme il faut' ». Ce qu'Irène Lindon désigne comme la « recherche d'une voix ».

 

Pour commémorer le 70e anniversaire de la publication du Silence de la mer, nous aimerions explorer dans le roman minuitard la question du style conçu dans ses rapports avec l'écriture, l'engagement littéraire et politique, la voix, le bien ou le mal écrire, l'écrire « comme il faut ». La forme interrogative du titre retenu pour le colloque insiste assez sur le fait que la notion « d'un style Minuit » est en soi problématique. En somme, existe-t-il des traits ou phénomènes stylistiques identifiables et récurrents dans le temps ou à une même époque chez les romanciers publiés par Minuit qui font qu'en dépit du style, voire des styles, propre(s) à chaque auteur, se constitue un style Minuit traduisant une vision et des visées bien précises sur le plan esthétique et/ou éthique ?

Nous nous proposons d'examiner cette interrogation selon cinq perspectives qui pourront être croisées ou associées :

 

1) Le problème de la terminologie employée et de la formulation. Pertinence du terme « style » ? Polysémie, définition et redéfinition du terme ? Bien fondé de l'article indéfini et singulier « un », préféré à l'article défini et pluriel ?

 

2) Les rapports entre style, écriture et stylisme. Le style conçu comme engagement éthique et humain, comme une écriture opposée au stylisme. Au contraire, recherche affirmée du stylisme dans un but artistique. Les modalités et les éventuelles remises en cause de la prééminence de l'écriture chez les écrivains de Minuit, si l'on admet l'idée que l'histoire des Editions de Minuit se caractérise en partie par une évolution vers une autonomisation du littéraire (places respectives de la métatextualité et de l'actualité dans les oeuvres ; cas particulier des pastiches en tant que critique ou hommage rendu à des devanciers ou des contemporains).

 

3) La question du style et de la périodisation. Comment le style fonctionne-t-il sur une série de ruptures ou de continuités, dans la diachronie ou la synchronie ? Style et générations ? Style et « école » (examen des liens entre écriture romanesque et affirmations théoriques publiées parallèlement chez Minuit) ?

 

4) Le problème des parentés et filiations stylistiques. Modalités de ces parentés et filiations stylistiques ? Comment sont-elles révélatrices des « sensibilités communes » ? Héritages ou influences revendiqués ou inconscients ? Volonté de résistance affichée et effet de déprise ? Style et « esprit » : comment les romanciers Minuit se positionnent-ils entre la quête personnelle et nécessairement individuelle d'un style et « l'esprit de famille » de leur maison ?

 

5) La question de la ligne éditoriale et de son éventuelle influence sur le style de la production romanesque. Dans quelle mesure la ligne éditoriale peut-elle infléchir le style de la création ? Quels sont les documents qui infirment ou confirment cette intervention (correspondance, manuscrits, conversations) ? L'intervention des directeurs littéraires relève-t-elle davantage de la suggestion ou de l'intrusion dans le but de renforcer l'identité de la maison Minuit ?

 

Les propositions de communication, sous la forme d'un résumé, avec un titre, de 400 mots maximum (format MS Word), doivent être envoyées par courriel au plus tard le 4 septembre 2011 aux trois organisateurs du colloque :

 

-Michel Bertrand : michelbertrand73@wanadoo.fr

 

-Karine Germoni : kgermoni1@9online.fr

 

-Annick Jauer : Annick.Jauer@univ-provence.fr

 

[1] Ce bref historique s'appuie sur l'étude magistrale qu'Anne Simonin a consacrée aux années 1942-1955 de la maison d'édition ; Anne Simonin, Les Éditions de Minuit 1942-1955. Le Devoir d'insoumission, Caen, Imec éditeur, coll. « L'Édition contemporaine », 2008.

[2] « Entretien avec Laurent Mauvignier » in Dialogues contemporains : Pierre Bergounioux, Régine Detambel, Laurent Mauvignier, éd. par S. Bikialo et J. Dürrenmatt, La Licorne, Poitiers, 2000, p.97-128, p.115.

[3] Ibid., p.118.

[4] L'expression est de Martine Rabaudy à qui sont également empruntées les citations qui suivent ; « Les enfants de Minuit », L'Express, le 27/12/2001.