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Ecrire ses origines

Ecrire ses origines

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Alain Sebbah)

 

Université de Gafsa

Institut Supérieur des Etudes Appliquées en Humanités de Tozeur

 

Appel à communication pour un colloque international : « Ecrire ses origines »

Tozeur, les 13 et 14 novembre 2015

 

 

En proposant une réflexion intitulée : « Ecrire ses origines », on entrevoit que  l’acte d’écrire lui-même ne saurait être dissocié d’une quête des commencements. La première parole prononcée, la première ligne  écrite ont fait naître puis indéfiniment renaître des vagues d’interrogations. Le questionnement sur les origines paraît indéfiniment se renouveler puisque les commencements ne cessent de se soustraire à notre prise : origines de l'univers, origines de la pensée, origines de la vie, origines de la culture…

Comment tout a-t-il commencé ?

Où trouver ces origines et pour quoi ou pour qui vouloir les écrire ?

 

Tendre vers ses origines par l’écriture, c’est parfois aller « au-delà » de l’écrit comme l’indique Platon chez qui, dans Phèdre[1] par exemple, le discours écrit n’est qu’un reflet figé du logos « vivant et animé » qui a lieu dans l’âme. Tendre vers ses origines, amène aussi à succomber à la tentation du mythe comme celui de l’éternel retour que Nietzsche a pu évoquer, comme d’ailleurs Mircea Eliade ou Gilles Deleuze[2]. Le mythe, récit fondamental sur les origines et récit fondateur, se prête à des réécritures, par exemple chez Michel Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique), Alain Robbe-Grillet (Les Gommes) ou Jean Cocteau (La Machine infernale). On peut proposer un premier axe autour du mythe.

Contrairement au dicton populaire, les écrits ne « restent » pas (puisque rien ne semble, à ce jour, posé, fixé, assuré, écrit absolument), pour autant, ils ne « s’envolent »  pas non plus. Bientôt les premiers écrits disparaîtront sous de nouveaux écrits qui eux-mêmes se dissimuleront sous d’autres… En ce sens, des Essais de  Michel de Montaigne aux essais autobiographiques de  Michel Leiris, on ne cesse de récrire, de « rabâcher » comme le disait Marguerite Duras (c’est bien là, semble-t-il, La Règle du Jeu). Si l’on doit envisager la  littérature comme palimpsestueuse, pour reprendre le joli mot de Gérard Genette, on ne saurait oublier Jorge Luis Borges (« J’ai toujours imaginé le paradis comme une sorte de bibliothèque »).

« Ecrire ses origines » c’est peut-être découvrir qu’à l’origine d’écrire, dans l’écrit « premier » lui-même, il y a prolifération de ratures, et surprendre, au-delà de ce geste de remords, le « frêle bruit » de l’écrit. Ce rabâchage, qui remet toujours, telle une toile de Pénélope, l’écriture sur le métier, pourrait constituer un deuxième axe, celui de la critique génétique.

On mettra l’accent sur le possessif, présent dans la formulation « écrire ses origines » dans un troisième axe. Ce possessif désigne nettement l’importance de la personne de l’énonciateur qui se trouve souvent, mais pas toujours, simultanément sujet de l’énonciation et sujet de l’énoncé (textes à la première personne). Ce « sujet » a peut-être été obsédé par son « roman familial », comme chez Camus qui poursuit dans l’écriture une relation problématique avec sa mère... Comme Nerval, Baudelaire, Vallès, Rimbaud, chez qui on trouverait la même hantise relationnelle. Certains romans autobiographiques mettent à jour des « vérités interdites » (Michel de M’Uzan) et un refoulé traumatique : ils expriment alors une révolte  contre le père castrateur  et un rêve « de fusion avec le corps maternel » (Jean Bellemin-Noël). S’il arrive qu’une autobiographie (Sartre, Les Mots) rejette le père dans un monde inventé par celui qui se voit comme « bâtard », la quête d’une origine paternelle peut faire naître une fiction. Ainsi dans l'œuvre de Le Clézio, la recherche du grand-père dans L'Africain ou, comme dans Le chercheur d’or, la volonté de revivre une émotion enracinée dès l’enfance à cause d’un interdit parental. La référence à Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, devient ainsi bien utile. L’œuvre de Patrick Modiano pourrait se placer dans un tel contexte où écrire ses origines se confond avec la quête identitaire. C’est sans doute dans le roman autobiographique qu’on trouvera la réflexion la plus aboutie sur l’origine d’une personnalité ou d’une vocation littéraire (Genette proposait de résumer la Recherche en trois mots : « Marcel devient écrivain »).

Il ne faudrait pas oublier par ailleurs la place que tient la fable de leur origine sociale chez certains écrivains. On invoquera Flaubert et sa volonté de rompre par l’écriture avec ses origines, particulièrement sa haine du bourgeois (Monsieur Homais, Monsieur Arnoux) ou sa fascination pour la barbarie (Salammbô) et, inversement, on parlera d’Annie Ernaux et de son sentiment (qu’elle pense être  à la source de son écriture) d’avoir trahi sa classe, parce qu’elle a franchi le fossé qui la sépare maintenant du peuple. On oscille ainsi entre la dévalorisation de ses propres origines et leur glorification. Origines dont la quête semble encore et toujours évoluer entre fini et infini, entre intelligible et insaisissable, entre objectivité et subjectivité, entre certitude et inquiétude.  L’origine perçue comme héritage en miettes que certains enfouissent dans l’oubli, mais dont  les autres suivent le fil dans le labyrinthe de leur mémoire (voir Marguerite Yourcenar, Archives du Nord, mais aussi Pierre Bergounioux ou Pierre Michon essayant de retrouver une communauté perdue.) pourrait constituer un quatrième axe de recherche.

Un dernier axe verrait la littérature comme écriture inaccomplie par nature, toujours à faire, (de même que la science que la recherche de la cause rationnelle des phénomènes obsède), tandis que la religion, ou plus largement le sacré, s’établirait sur les bases d’un texte déjà écrit, celui des commencements dont certains lecteurs seraient en quête. Toutes ces formes, qui échappent continûment au dévoilement par l’écrit, peuvent être considérées comme autant de moyens pour atteindre des origines - nos origines. Dans cet axe viendraient se placer trois formes de récit. Le récit historique, souvent en quête des valeurs originelles d’une civilisation (voir Michelet et sa Jeanne d’Arc, ou Voltaire et son Siècle de Louis XIV) même quand il se place sous le couvert d’une investigation scientifique (comme, plus près de nous, Fernand Braudel). Le roman historique (et son ancêtre l’épopée) voire le roman préhistorique (ce dernier étant tout proche de la science fiction : on peut penser au Monde perdu de Conan Doyle qui fut à l’origine, il y a peu, de Jurassic park, ou à La Guerre du feu de J.-H. Rosny aîné). A cet axe, on ne peut manquer d’ajouter les récits de l’ethnologue (qu’on pense à  Claude Lévi-Strauss, à Margaret Mead) qui proposent d’assembler les traces de nos origines. Si elles ne sont pas universelles au moins concernent-elles des groupes humains. Des collections comme « Terre Humaine » chez Plon retracent bien, en en effet, les origines ethnographiques, communautaires (Le cheval d’orgueil de P.-J. Hélias, Les Derniers rois de Thulé de J. Malaurie). On oscille alors entre deux formes de témoignage : le récit de vie et le récit ethnographique.

Y aurait-il là une quête inachevable, impossible à mener à son terme ?

Pour rendre compte de cette quête, on pourrait également recourir à la linguistique. En effet, mettre en débat « l’écriture de ses origines » pose des problèmes de fond liés aux multiples approches des sciences du langage. Dans ce domaine, nous pouvons souligner l’apport très enrichissant des linguistiques  énonciatives (cf. Benveniste et Culioli), de la réflexion pragmatique sur les actes de langage (cf. Austin, Searle et Ducrot), de l’analyse du discours (cf. Bakhtine, Barthes et Greimas), de la linguistique textuelle (cf. Michel Adam) dans l’analyse des différents procédés d’écriture. Dans cette optique, le témoignage des auteurs maghrébins d’expression française semble intéressant à étudier. Les communications pourront porter, entre autres, sur le rapport entre la langue maternelle des origines et la langue française d’écriture des origines. Mohamed Dhib, Kateb Yacine, Tahar Ben Jelloun, Ali Abassi, Mokhtar Sahnoun, Albert Memmi sont des écrivains qui offrent des pistes de réflexion intéressantes. 

 

 

Pour résumer, voici les principaux axes de réflexion proposés :

 

                1. Le mythe, écriture et réécriture des origines.

                2.  Palimpseste et genèse du texte

                3. Ecriture et inconscient

                4. L’écriture comme éternel recommencement

5. La littérature comme écriture inaccomplie par nature

6. L’écrivain et la langue.

 

Quelques références bibliographiques

 

ACHARD (Pierre), La sociologie du langage, PU F, 1993

ALEXAKIS (Vassilis), La langue maternelle,  Fayard, 1995

AMOSSY(Ruth), (sous la direction de), Images de soi dans le discours, la construction de l'ethos, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999

AUSTIN (John Langshaw), Quand dire, c’est faire, Seuil, 1970.

BAKHTINE, M., (1e éd. Moscou, 1979), traduction d'Alfreda Aucouturier, Esthétique de la création verbale, Gallimard, 1984

BALLY (Charles.), Le Langage et la vie, Genève, Droz, éd. de 1965  

BELLEMIN-NOËL (Jean), Les Contes et leurs fantasmes, PUF, 1989.

BENVENISTE, Emile., Problèmes de linguistique générale T1 et T2, Gallimard, 1966 &1974

BERRENDONNER (Alain), Eléments de pragmatique linguistique, Editions de Minuit, 1981

BILLIEZ (Jacqueline),  " La langue comme marqueur d’identité ", Revue européenne des migrations internationales, vol.1, n° 2, décembre 1985

BURGER (Marcel), "Identités de statut, identités de rôle", Cahiers de linguistique française n°21, 1999, p.35-59

CLERC (Thomas), Les Ecrits personnels, Hachette, 2011.
CULIOLI (Antoine), Pour une linguistique de l’énonciation, Paris-Gap, Ophrys, 1990

DEGOOT (Bertrand) et MIGUET-OLLAGNIER (Marie), Ecriture de soi : secrets et réticences, L’Harmattan, 2001.

DUCROT (Oswald),   «  Analyse du texte et linguistique de l’énonciation », in Les mots du discours, Minuit, 1980

DUCROT (Oswald), « La notion de sujet parlant », Recherches sur la philosophie et le langage, Université de Grenoble (p.65-93), 1982 

DUCROT (Oswald), Le dire et le dit, Editions de Minuit, 1984

Genette(Gérard), Palimpsestes. La littérature au second degré,  Seuil, 1982.

JONGY (Béatrice), L’Invention de soi, P.I.E. Peter Lang, 2011.

KERBRAT-ORECCHIONI (Catherine), L’énonciation. De la subjectivité dans le langage, Colin, 1970

MAALOUF (Amine), Les Identités meurtrières, Grasset, (coll. Le Livre de poche), (1998),

MONTEMONT (Véronique) et VIOLLET (Catherine), Le Moi et ses modèles, genèse et transtextualités, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2009.

M’UZAN (Michel de)  « Aperçus psychanalytiques sur le processus de la création littéraire », Tel quel n°19, automne 1964.

RICOEUR (Paul), Soi-même comme un autre, Seuil, 1990.

MOLINIE (Georges),  Eléments de stylistique française, PUF, 1986

ROBERT (Marthe), Roman des origines et origines du roman, Gallimard, 1972.

SARTRE (Jean-Paul), L’Idiot de la famille, Gallimard, 1971-1972.

SEARLE (John Rogers), Les actes de langage : essai de philosophie du langage, Hermann. 1972


 

Comité scientifique

  • Samir MARZOUKI
  • Francis LACOSTE
  • Alain SEBBAH
  • Michel DOUSSET
  • Christine ROCHMANN
  • Arselène ben FARHAT
  • Mokhtar FARHAT
  • Ali ABASSI
  • Juan LOPEZ
  • Mongi MADANI
  • Hassen BKHAIRIA

 

 

Date limite de soumission des propositions de communication : 15 mai  2015

Réponses du comité scientifique fin juin 2015

Les propositions de communication doivent comporter : titre, auteur (Prénom NOM et  établissement de rattachement), mots clefs, résumé et bibliographie sélective.   

Courriel auquel les propositions doivent être envoyées : bkhairia_hassen@yahoo.fr

 

 

Responsable du colloque : Hassen BKHAIRIA

 

             

 

[1]Phèdre, 276a9.

[2]Gilles Deleuze, Différence et répétition (1968). Paris : PUF, 1993.