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Critique de la critique maghrébine  

Critique de la critique maghrébine

Publié le par Florian Pennanech (Source : PATRICK VOISIN)

Université de Manouba
Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités

Le Laboratoire de Recherche :

Études Maghrébines, Francophones, Comparées et Médiation Culturelle

organise

le Congrès International

« Critique de la critique maghrébine »

(Tozeur – 17, 18, 19 et 20 décembre 2014)

 

« Bien penser le réel, c’est profiter de ses ambiguïtés pour modifier et alerter la pensée. »[1]

« [...] on étudie mal le sens d'un texte si l'on s'en tient à une approche interne, alors que les œuvres existent toujours au sein d'un contexte et en dialogue avec lui. […] L'œuvre de l'artiste participe de la connaissance du monde. »[2]

 

Au milieu du siècle précédent, Roland Barthes définissait l’« écriture traditionnelle » comme « une valeur transcendante à l’Histoire, comme peut l’être le langage rituel des prêtres »[3]. Plusieurs pages de Brunetière et de Lanson permettent d’appliquer ce déterminisme socio-historique de l’écriture à une certaine critique traditionnelle. Depuis, les remous de l’histoire, les conquêtes de la linguistique et de la psychanalyse (entre autres) ont placé le fait littéraire au cœur du langage. C’est que « le scripteur moderne, ayant enterré l’Auteur, […] sa main, détachée de toute voix, […] n’a d’autre origine que le langage lui-même », précise Roland Barthes[4]. Cette dimension esthétique du langage aura un impact majeur sur les discours critiques qui se sont constitués autour du texte littéraire. À l’aube de ce troisième millénaire, cette littérature critique est, également, à décrypter comme un immense palimpseste où les systèmes se font et se défont au gré des mouvements (chaotiques) générés par le prisme de l’hyper-modernité. La diversité des trajectoires qui émanent de ce prisme démultiplie les images renvoyées par ce miroir brisé des approches et des théories qui se proposent de questionner les corpus littéraires.

Dans Palimpsestes, Gérard Genette redéfinit « la poétique » et ses champs d’application. Il précise, dès la première page, que « l’objet de la poétique n’est pas le texte, considéré dans sa singularité (ceci est plutôt l’affaire de la critique), mais l’architexte […] »[5]. Cette définition, négative, de « la critique » fait allusion à la part donnée par ce métalangage aux traces spécifiques du sujet dans « le texte » qu’il produit. 

La fascination des écrivains pour la critique est manifeste. Au-delà du changement qu’elle procure, quelles en sont les causes réelles : l’évolution de la condition des écrivains ou l’élargissement de leurs connaissances ? La conquête d’un large public  – lorsque les genres anciens paraissent s’user –  ou l’ouverture des champs d’expérience inexplorés ?

La critique, cette instance interprétative, entretient une expérience sensible et éthique de la littérature. Elle décide du sens et se lance dans une coopération interprétative faisant de l’œuvre d’art et de sa réception un système en continuel mouvement. Parce que « l’artiste qui produit sait qu’il structure à travers son objet un message : il ne peut ignorer qu’il travaille pour un récepteur. Il sait que ce récepteur interprétera l’objet-message en mettant à profit toutes ses ambiguïtés »[6]. De là, la lecture, expansive et / ou subjective, s’épanche avec effusion et devient démon possédant la théorie. Elle est, selon les dires de Compagnon, une « expérience double, ambiguë, déchirée : entre comprendre et aimer, entre la philologie et l’allégorie,  entre l’attention à l’autre et le souci de soi ». Au lendemain de la Grande Guerre, des écritures autres ne cessent de remettre en question UNE écriture occidentale (réductrice) de l’autre. Les richesses de ces poétiques de l’altérité et les semences de ce Divers imposeront des approches transculturelles qui mettront à nu les insuffisances de plusieurs décennies de critique autiste. Du fait de la (r)évolution des rapports entre centre et périphérie(s), les nouvelles géométries de la production-réception littéraire obligent la critique à procéder à sa propre critique.

Le post-colonialisme  et la  French Theory signent à la fois l’imposture intellectuelle et le vertige épistémologique. Où va donc la critique ?  Si cette question ontologique valéryenne insinue quelque part la perte de la critique entre soupçon français et formalisme américain, elle propose le chemin de la délivrance : la critique se voue à la critique. Cette discipline n’est plus référentielle. Et à la critique de la critique d’annoncer la mort de la théorie littéraire et d’instituer de nouvelles structures ? C’est l’air du risque… et ne serait-ce pas même « l’ère du risque » ? Comment donc aborder l’appréhension littéraire ? Son erreur est, à notre sens, l’assujettissement du texte au trop systématique et au fixisme, dans une sorte de déterminisme qui signe l’abandon du premier degré de la critique et qui invite à une théorie voyageuse qui décide du destin de la critique loin de son automatisme. Eco le pense également quand il conçoit la littérature comme « œuvre ouverte » ayant des points communs avec les autres formes d’expression artistique. Plutôt qu’une lecture enfermée dans une ou des grilles, il ouvre les horizons de la critique en restituant au terme « poétique » ses nuances classiques : « ce n’est pas un système de règles rigoureuses (l’Ars Poetica en tant que loi absolue) mais le programme opératoire que l’artiste chaque fois se propose ; l’œuvre à faire, telle que l’artiste, explicitement ou implicitement, la conçoit. »[7]. Plus d’un demi siècle après cette réflexion du poéticien italien, qu’en est-il aujourd’hui de l’éclatement de ce « système de règles rigoureuses » ? 

La critique de la critique reconfigure la pratique interprétative et propose une science littéraire permettant un examen transactionnel du matériau littéraire et de son interprétation. Critiquer le critiqué induit une coopération qui échappe à toute tentative de cantonner le texte et son appréhension dans la synchronie de l’analyse littéraire. Une telle perspective – qui conduit, certes, à la réappropriation de la critique – donne sens et mouvance à la critique instituée comme premier pacte de lecture.

La critique rivalise avec l’interprétation et propose un idéalisme qui touche les aspects divers d’une odyssée interprétative qui voyage et transcende l’Histoire et la géographie. Elle choisit un autre camp. Et à Fanon, Balandier et Memmi de la repenser en Afrique. Leurs travaux s’éloignent de plus en plus du territoire colonial rejetant ainsi les théories post-colonialistes et les carcans de la crise identitaire. Un culte du paroxysme anime donc les approches et présente un rituel méthodologique qui canonise les critiques et la réception du texte.

Conscient que la critique est création, Abdelkébir Khatibi fonde à travers Le Roman maghrébin une activité critique qui trouve écho chez un Barthes affirmant qu’ « un Occidental peut apprendre quelque chose de Khatibi ». Le champ critique maghrébin n’est plus embryonnaire. Jean Déjeux, Charles Bonn, Jacqueline Arnaud et Marc Gontard contredisent un Boudjedra autrefois pessimiste quant à l’essor même de la critique. Ceux qui prétendent que cette discipline n’existe pas, ne sont-ils pas les mêmes qui ont affirmé, auparavant, que la littérature maghrébine ne pourra pas exister ? Le texte n’est plus l’expression  d’une langue française ; il se veut impression d’un monde, d’un auteur ou d’un style qui appelle une critique et, par là-même, sa critique.

Au début du XXème siècle, Victor Segalen a proposé une conception originale de « l’exotisme ». L’image de « l’Autre » et les signes de sa culture y sont enfin appréciés à leur juste valeur. Après la Deuxième Guerre mondiale, ce point de vue autre, celui de « l’exote » poussera à la critique des méthodes qui prévalaient dans les études philosophiques, sociologiques et anthropologiques. Dans Civilisés, dit-on, Georges Balandier souligne l’importance du passage d’une ethnographie traditionnelle, réductrice des richesses de l’humain, à une anthropologie plus attentive aux réalités du monde contemporain. C’est que « l’anthropologie, en tant que mode de connaissance des cultures et des sociétés, a d’abord été l’exploratrice du divers […]. Ce faisant, la différence est placée au centre de ses interrogations »[8]. Il y a, désormais, une distinction entre l’attitude de l’ethnographe et celle de l’anthropologue. Mêlé aux expéditions coloniales, le premier sombrait souvent dans les illusions de « l’inégalité des races », alors que le deuxième rend compte de la complexité du vivant et tente « une réappropriation des différences […] ce qui rend possible l’expression de l’humain dans le maintien de la diversité »[9].

D’autres penseurs sont allés jusqu’à remettre en question les socles épistémologiques et les outils de la connaissance. Edgar Morin déconstruit les outils et les méthodes du rationalisme occidental. La logique de « la pensée complexe » qu’il donne à penser essaie de rendre compte d’une certaine densité de l’humain : « l'ambition de la pensée complexe est de rendre compte des articulations entre des domaines disciplinaires qui sont brisés par la pensée disjonctive ; celle-ci isole ce qu'elle sépare, et occulte tout ce qui relie, interagit, interfère[10] ». Au début de ce XXIème siècle, une critique de la critique consciente de tous ces enjeux – qui sont aussi ses enjeux – ne saurait se développer sans prendre en considération ces liens inextricables entre les disciplines et les domaines qui donnent forme(s) à la créativité et au savoir humains.

Le congrès se propose de traiter la question de la critique de la critique à partir des axes suivants :

1-     Palimpsestes critiques : perspectives diachroniques

2-     Réceptions critiques : reconfiguration(s) du centre et des périphéries

3-     Le moule francophone : cas-limites

4-     La critique de la critique maghrébine : état des lieux

5-     Dialogismes critiques : la critique et l’écrivain ; la critique et le critique

6-     La critique et l’histoire : entre relation passive et sémiotique fondamentale

7-     Le critique au labyrinthe des sciences humaines et de l’hyper-modernité

8-     Critique de la critique artistique, philosophique, scientifique.

Les propositions de communication (ne dépassant pas une page) doivent être envoyées à l’adresse électronique suivante :  habib.salha@yahoo.fr

Calendrier

Propositions de communication – date limite : 14 septembre 2014.

Réponse du comité scientifique : 14 octobre 2014.

Programme prévisionnel : 5 novembre 2014.

Programme officiel : 20 novembre 2014.

Comité Scientifique

Habib Ben Salha, Hamdi Hemaidi, Sadok Gassouma, Moncef Khemiri et Mokhtar Sahnoun (Université de Manouba - Tunisie), Sami Ben Ameur et Mohamed Mahjoub (Université de Tunis - Tunisie), Samira Smiti (Université El-Manar - Tunisie)  Patrick  Voisin  (Classes préparatoires aux ENS,  Pau - France), Violaine Houdart-Mérot, Christiane Achour et Corinne Blanchaud (Université de Cergy-Pontoise - France), Klaus Semsch (Université Heinrich Heine Düsseldorf - Allemagne), Abdelouahad Mabrour (Université Chouaîb Doukkali El-Jadida - Maroc).

Comité d’Organisation

Rym Kheriji, Wafa Bsaïs-Ourari,  Adel  Habassi, Sana Dahmani, Ibtihel Ben Ahmed, Hanène Harrazi-Ksontini, Issam Maachaoui, Hager Hila, Donia Maraoub.

[1]-)  Gaston Bachelard, La Philosophie du non, Paris, PUF, 1940, rééd., 1970, p. 17.

[2]-) Tzvetan Todorov, La littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007, pp. 24-59.

[3]-)  Le Degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1953, rééd., 1972, p. 54.

[4]-) Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p. 67.

[5]-) Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, rééd., 1992, p. 7

[6]-)  Umberto Eco. L’œuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965, p. 11.

[7]-)  Umberto Eco. L’œuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965, p. 10.

[8] -)  Civilisés, dit-on, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, pp. 252-253.       

[9] -)  Civilisés, dit-on, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, pp. 255.              

[10] -) Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF éditeur, 1990, rééd., 1992, p. 11.